Budo no Nayami

Hino Akira, la sagesse de la simplicité

21 Août 2014 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Interviews

Hino Akira a depuis longtemps fait voler en éclats les barrières qui séparent les disciplines martiales. Il a aussi réussi à être un pont, ouvrant le monde du Budo aux athlètes, aux danseurs, mais aussi aux personnes âgées, aux enfants et aux malades. Voici le partage d'échanges recueillis au fil des années.

 

 

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J'ai rencontré Hino Akira il y a maintenant sept ans. Si j'apprécie de pratiquer avec lui depuis des années, c'est aussi l'un des rares maîtres avec qui j'aime de passer du temps hors du tatami. Lors de la première interview que j'ai réalisée de lui, j'ai introduit Hino senseï en le décrivant comme étant "un personnage de roman". Je ne connaissais pourtant qu'une infime partie de sa vie à rebondissements. Les aventures qu'a vécu Hino Akira ont nourri sa pratique martiale, autant que celle-ci lui a souvent permis de les traverser sans trop de dommages. Ses expériences hors des sentiers battus lui ont donné une vision de la vie riche et profonde. Une vision qu'il partage avec la plus grande simplicité.

Les paroles qui suivent sont issues d'entretiens privés, ou de discussions entre Hino senseï et des pratiquants lors de Masters Tour et de soirées durant ses tournées européennes. Les questions qui ont été posées reflètent parfois des préoccupations très personnelles, mais les réponses ont souvent une portée plus large. Les conversations ayant eu lieu avec des personnes différentes, en des lieux variés et durant des années, le fil du texte qui suit n'est pas toujours linéaire. La valeur des échanges m'a toutefois décidé à les partager avec le plus grand nombre.

 

 

Vous enseignez une méthode d'utilisation du corps très précise, mais n'abordez jamais l'aspect philosophique. Pourquoi?

La pratique physique que je propose EST ma philosophie. Pratiquer dans cette direction invite par exemple à faire disparaître la colère et l'agressivité, l'esprit de compétition. C'est un des fondements de mon enseignement. On peut lire ces choses dans des livres, mais cela ne nous les fait pas intégrer pour autant. Ces sentiments persistent une fois le livre refermé.

Mais par un entraînement continu, en pratiquant les uns avec les autres, on peut travailler sur soi et évoluer. Un mouvement doux et sans heurt ne peut être réalisé avec colère. C'est pourquoi il est essentiel de ne pas se focaliser uniquement sur le résultat d'une action, mais aussi sur la façon dont elle a été réalisée.

 

Il ne faut pas chercher à faire fonctionner les techniques en utilisant la rage, la colère, l'agressivité. Si ce point est essentiel pour les petits gabarits, il est aussi important pour les personnes ayant une grande force physique.

 

Comment les petits gabarits peuvent ils faire fonctionner les techniques?

Pour les petits comme moi ou les femmes, il est indispensable que chaque chose soit exécutée avec la plus grande précision. Il leur est impossible d'utiliser les raccourcis de la force.

Lorsque deux personnes cherchent à réaliser le même mouvement, celle qui a l'avantage physique ne peut être défaite que par une technique plus précise.

 

 

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Certaines écoles utilisent une mise en condition mentale, amenant leurs adeptes à entrer sur commande dans une sorte de transe. Utilisez-vous aussi les émotions dans ce sens?

Non. Ce type de travail peut donner des résultats, mais ce n'est pas ce que je recherche. La notion de kanjiru, ressentir, est bien plus importante pour moi. Travailler à rentrer dans un état d'esprit particulier est un processus autocentré qui ne m'intéresse pas. Je préfère le travail de relation. Celui ou la capacité à percevoir permet d'agir efficacement en harmonie.

 

Qu'appréciez-vous en France?

… (Rires)

(Hino senseï montre son verre de vin du doigt et… dessine des courbes dans le vide avec ses deux mains.)

Plus sérieusement, nous discutons ensemble. Et mes venues sont pour moi l'occasion de rencontrer des personnes d'horizons très divers, et de découvrir d'autres façons de vivre et de penser. C'est quelque chose qui m'intéresse énormément.

 

N'est-ce pas un peu étrange pour vous de voir des pratiquants occidentaux s'intéresser à des traditions japonaises?

Non. Je ne pense pas que c'est étrange.

 

Pensez-vous que les étrangers peuvent être aussi engagés dans leur pratique que les japonais?

Tout à fait. Il s'agit vraiment là d'une question d'individus. Il ne faut en aucun cas penser qu'un pratiquant est meilleur parce qu'il est japonais, ou moins bon parce qu'il est français. Même pour les japonais c'est difficile, parce que l'essentiel ne se transmet pas avec des mots.

 

Certains maîtres estiment qu'il faut un minimum de dix ans d'étude avant de pouvoir atteindre les premiers niveaux de compréhension d'une école. Est-ce le cas pour le Hino Budo?

Considérons un koryu. C'est un savoir-faire. C'est un ensemble de choix techniques. On y apprend une façon de faire les choses.

Ce que j'enseigne n'est pas MA, ou LA façon de faire. Je n'enseigne pas un savoir technique. Je propose des outils à chacun pour qu'il se découvre lui-même. En cela mon enseignement n'est pas la transmission de choix et de formes, mais la proposition de moyens pour aller vers soi et révéler son potentiel. Ce chemin commence donc dès les premiers pas, et n'a jamais de fin.

 

Je propose des exercices qui vont vous donner des indices. Je n'enseigne pas à faire ceci ou cela quand on vous attaque de telle ou telle façon. Les exercices que je propose sont cadrés de façon à amener vers la découverte de nos potentialités. Je cherche toujours à aller vers un travail qui ne puisse être réalisé sans que l'on arrive à relâcher, être à l'écoute, etc…

 

 

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Vous indiquez que votre méthode consiste à se connaître soi-même. Tout votre travail est en outre centré sur la zone du cœur, que l'on lie aux sentiments, à l'écoute et aux émotions. Voyez-vous un intérêt à travailler sur d'autres "centres"?

La recherche que je propose est centrée sur le kyokotsu, le sternum. Une fois son utilisation intégrée, on peut explorer d'autres choses. Mais je pense qu'essayer diverses méthodes simultanément avant d'avoir une compréhension claire de l'une d'entre elles amène à la confusion.

Un des fondements du travail technique que j'enseigne est le lien entre le kyokotsu et les bras. J'ai enseigné cela à un champion de canoë kayak. Il m'a expliqué qu'après trois ans de travail régulier de ce principe, il a commencé à en comprendre le sens. Il faut bien comprendre que ce sont trois années de pratique d'un athlète de haut niveau, et donc un entraînement constant.

Quel que soit le principe, on ne peut arriver à un résultat satisfaisant en un bref laps de temps. Il ne sert donc à rien de se presser. Il n'est pas nécessaire de se presser. Mais si tu ne te presses pas, tu ne pourras pas y arriver.

 

Vous n'enseignez pas une école, des techniques. Souhaitez-vous que votre méthode perdure dans le temps même sans votre présence?

Ce n'est pas une de mes préoccupations. C'est sans importance. (rires)

 

A partir de quel âge peut-on pratiquer votre méthode?

J'ai enseigné à mon fils à partir de six ans. Et j'entraîne à un enfant qui pratique la lutte. Il vient d'ailleurs de devenir champion du Japon.

 

Enseignez-vous la même chose à chacun?

Nous faisons les mêmes exercices, mais les choses travaillées sont différentes en fonction du niveau des élèves.

 

Donnez-vous tous les éléments dès le départ, ou y a-t-il comme dans certaines traditions des savoirs qui ne sont enseignées qu'à partir d'un certain niveau?

Je montre tout de façon complètement ouverte. Mais les capacités de perception et de compréhension de chacun sont différentes. Ma tâche consiste à faire avancer chacun dans la compréhension subtile et profonde des éléments que je propose.

 

Aujourd'hui j'expliquai qu'il fallait avancer la jambe en faisant une technique, afin de pouvoir utiliser un principe particulier. Dans la salle il y avait des gens qui reculaient la jambe, certains qui l'avançaient mais n'arrivaient pas à faire vivre le principe, d'autres qui faisaient la forme correcte mais utilisaient la force ou un autre moyen pour arriver au résultat, et enfin une poignée qui commençaient à faire les choses de la façon que je proposais. Pour chacun les corrections que je vais apporter seront différentes, bien que nous travaillions sur le même exercice, et que j'ai tout montré de la façon la plus claire possible.

 

Si les principes fondamentaux ne sont pas compris et étudiés dès le départ, on peut développer certaines capacités, mais on reste  à un niveau de pratique très bas. Et finalement lorsque l'âge arrive, l'efficacité décroît rapidement.

Il faut travailler les choses importantes dès le début. Sinon les années passent mais les véritables progrès n'arrivent pas.

 

 

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Est-ce que saisir fort permet d'arriver à un travail plus fin ultérieurement?

Si ils ne saisissent pas fort, la plupart des gens ne sont pas capables de sentir ce qui se passe. Ils passent donc par un travail en force. A ce niveau on peut au moins se concentrer sur la forme extérieure. Peu à peu lorsque le sens du travail est compris et que la sensibilité se développe, ces personnes parviennent à relâcher et commencent à sentir les choses plus finement et sans force inutile.

 

Je me pose la question parce que je vous ai vu demander à certaines personnes de serrer plus fort, alors que vous en encouragiez d'autres à continuer ce qu'ils faisaient alors qu'il se tenaient très légèrement.

C'est ce que j'expliquais plus tôt. Mes indications sont destinées à la personne à laquelle je m'adresse. Si je m'aperçois qu'une personne ne sent pas un mouvement fin, je lui demande de tenir plus fort. Mes corrections sont fonction du niveau de la personne à laquelle je m'adresse.

 

Comment gérer les phases d'abattement?

En continuant à pratiquer.

 

En avez-vous connu?

Bien sûr. La progression n'est pas quelque chose de linéaire. C'est quelque chose de très variable, tant entre individus, que pour la même personne. La maîtrise de certaines choses peut prendre dix ou vingt ans de pratique continue!

 

 

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Comment peut-on éviter les erreurs?

Une erreur est une erreur. Les échecs sont inévitables, mais ils ne doivent pas nous empêcher d'essayer, ils ne doivent pas nous empêcher de continuer notre route.

Le chemin est long avant d'arriver à faire les choses correctement. Une chose est certaine, il ne faut pas être obnubilé par le passé. L'essentiel est la constance et le désir d'avancer. Bien entendu il faut apprendre à discerner ce qui est correct du reste, et tirer des leçons de ses erreurs. Mais cela doit être fait en gardant l'esprit positif et tourné vers l'avenir.

 

Les échecs n'ont donc pas d'importance?

Au contraire! Ce qu'on n'arrive pas à réaliser EST ce qui est important. C'est en prenant conscience de nos limitations actuelles que l'on peut essayer de les dépasser et progresser. Malheureusement beaucoup se complaisent dans un cadre où ils sont compétents, et cherchent à réaliser de mieux en mieux ce qu'ils savent déjà faire. Ils n'évoluent plus réellement.

 

Comment ne pas perdre de temps?

Avant tout il est important de savoir ce que l'on cherche. A partir de là, il faut déterminer des objectifs clairs, et les moyens que l'on va utiliser pour les atteindre. Bien entendu il n'y a aucune garantie de succès. Mais si elles sont correctement analysées, toutes les tentatives, même si elles n'ont pas amenées les résultats escomptés, seront porteuses de leçon et donc sources de progrès.

Il ne faut pas avoir peur de l'échec. J'ai multiplié les erreurs, tant dans la pratique martiale que dans ma vie personnelle. (rires)

 

Les parents et les enseignants ont un rôle essentiel dans cette compréhension. Ils doivent nous encourager à dépasser la peur de l'échec, et nous inviter à tenter, persévérer. C'est par leur attitude que l'on peut comprendre qu'un échec ne nous définit pas.

 

 

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Le système français à base de notes décourage souvent et inculque une peur de l'échec.

La vie ne donne pas de note, et la valeur d'une personne ne se définit pas par ses résultats scolaires.

 

Les grands adeptes sont-ils de bons enseignants?

(Rires) Les véritables maîtres sont souvent des prodiges. Mais beaucoup d'entre eux ne sont pas capables d'expliquer ce qu'ils font. Ils utilisent souvent des principes très sophistiqués sans pouvoir les expliquer ou les transmettre. Et ils ne comprennent pas les difficultés que peuvent rencontrer les gens "ordinaires".

Ainsi on en retrouve souvent avec des élèves appliqués qui exécutent à la lettre ce qu'ils ont enseigné, mais qui ne sont absolument pas capables d'obtenir les mêmes résultats. Tout simplement parce qu'il manque des éléments essentiels que l'adepte n'a même pas conscience d'utiliser.

 

Il y a souvent une recherche de pouvoir, de puissance chez les pratiquants d'arts martiaux. On cherche à devenir "fort". Quand avez-vous abandonné cette recherche?

Ce n'est pas tant que je ne cherche plus à devenir fort, c'est surtout que ce que je mets derrière ce mot a changé. C'est à ce que signifie véritablement être fort qu'il est important de réfléchir.

Aujourd'hui je souhaite encore être fort. Ce n'est simplement plus dans le sens d'une domination physique.

 

Quand avez-vous abandonné cette recherche de domination physique?

A vingt-trois ans.

 

Pardonnez mon impertinence, mais c'est très jeune pour une telle prise de conscience.

(Rires)

En fait ma maison a brûlée et j'ai perdu toutes mes possessions. Ca m'a amené à réfléchir profondément et à certaines prises de consciences.

 

 

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Vous avez débuté la pratique martiale afin de développer la puissance de votre jeu à la batterie. Cela a-t-il fonctionné?

Oui.

 

A partir de quel moment avez-vous pratiqué sans avoir à l'esprit la batterie?

Dès le début. Lorsque j'étais au dojo je ne pensais plus du tout à la batterie.

 

Faut-il travailler les principes à travers des exercices, et les techniques après?

Ce que vous pratiquez est l'Aïkido. Il est donc important de trouver grâce à cette pratique le moyen d'arriver à votre objectif. Il faut évidemment travailler les principes, mais aussi les techniques. Les deux sont très importants.

 

L'essence de l'Aïkido va au-delà des particularités d'une discipline. L'Aïkido contient les fondamentaux des Budos japonais.

 

Pratiquer les principes et les techniques à 50 / 50 est donc une bonne option?

53 /47. (Rires!)

 

Avez-vous eu des mentors dans votre parcours?

Miyamoto Musashi, et Ito Ittosaï.

 

 

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Aucune personne que vous ayez pu rencontrer?

Non. J'ai rencontré des personnes qui m'ont inspiré, mais mes véritables maîtres ont été les adeptes du passé dont j'ai étudié les traces.

C'est quelque chose de très compliqué, et en un sens plus difficile que d'escalader l'Everest. Car si des adeptes du passé sont notre inspiration, il n'est pas possible d'avoir de confirmation, de savoir si on est sur la Voie qu'ils ont tracée. C'est d'ailleurs pourquoi il y a de nombreuses interprétations, en fonction des sensibilités individuelles.

 

Vous utilisez souvent le mot "connecter". Qu'entendez-vous par là?

Beaucoup de personnes pensent que se connecter à l'autre est quelque chose de basique. Ce n'est absolument pas le cas. Créer une relation véritable qui nous permet de percevoir et transmettre est une chose extrêmement difficile. Mais les mots ne permettent pas d'expliquer la richesse de cette notion. Il faut le vivre, le ressentir.

 

Comment peut-on reconnaître l'excellence d'un individu?

En expérimentant. Si je ne goûte pas à la cuisine d'un chef, quand bien même serait-il le meilleur du monde, je ne pourrai en avoir la moindre idée en le croisant dans le métro. Je ne reconnaitrait pas non plus un musicien virtuose sans le voir jouer. Quelque soit le domaine il faut expérimenter.

Un maître de Budo passe inaperçu aux yeux des personnes qui n'ont pas connaissance de cet univers. Nous passons nos journées à croiser des gens qui sont sans doute des génies dans leur domaine. C'est pour cela qu'il est important de garder l'esprit ouvert, aux autres et à l'expérimentation.

 

J'ai deux enfants, et j'ai le sentiment que leur vie est inégale. J'essaie de faire le maximum pour qu'ils bénéficient des mêmes choses, mais c'est très difficile. J'avais moins d'argent lorsque le premier est né et il a eu moins de jouets que le premier…

Chaque personne est unique. Le rôle des parents ou des enseignants est important. Mais il ne faut pas se méprendre. Nous devons les aider à profiter au mieux de leur situation. Mais nous ne pouvons changer le monde dans lequel ils vivent. Certaines personnes sont riches, d'autres pauvres, certaines ont des qualités athlétiques, d'autre pas. Vouloir rendre les gens égaux est une illusion.

Notre tâche est de les aider à évoluer, et utiliser de façon optimum leur environnement.

 

Je comprends. Même si c'est un peu dur quand il s'agit de mes enfants.

Il faut bien comprendre que nos enfants ne sont pas notre propriété, comme les élèves dans le Budo. Ils ne nous appartiennent pas, et ce que l'on peut faire pour eux est important mais aussi bien peu. La vie de chacun lui appartient.

 

 

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Mon travail est très stressant. Le type de pratique en relâchement va-t-il me permettre d'évacuer cela, ou vaut-il mieux que je prenne le temps de faire retomber la tension avant de m'engager dans la pratique pour travailler correctement?

Hmm, c'est un point auquel je n'avais jamais réfléchi. Ce qui me frappe toutefois c'est que cette façon de penser me semble en soi génératrice de stress supplémentaire. (rires)

 

Quelle est selon vous la durée de pratique nécessaire pour arriver à une certaine efficacité?

C'est évidemment fonction de beaucoup de variables, mais je dirais une douzaine d'heures par jour pendant trois à quatre ans.

 

Que pensez-vous du Systema?

Mikhail Ryabko et Vladimir Vasiliev sont sans aucun doute des adeptes de très haut niveau. Après, je n'ai rien remarqué d'exceptionnel chez leurs élèves même proches que j'ai rencontrés. Mais c'est une remarque que l'on peut faire sur la plupart des experts.

En tant que système, au regard des écoles japonaises, l'impression est que les choses sont moins définies. Une autre différence tient au fait que la discipline semble fondée sur la conception du combat comme un échange de coups. A l'inverse la tradition japonaise envisage à la base un affrontement à mort entre personnes armées. Bien entendu c'est une simplification car les Budos japonais utilisent aussi des coups, et le Systema travaille aussi avec les armes. Mais cette différence de conception doit à mon avis être comprise si l'on veut pénétrer l'esprit de ces disciplines, et donc leur façon de fonctionner. Ce sont des difficultés différentes.

 

Que pensez-vous du travail au ralenti?

C'est une bonne chose et j'utilise ce moyen. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue que beaucoup de mouvements ne fonctionnent que "dans le temps". Certains perdent simplement de l'efficacité s'ils ne sont pas réalises au moment optimum. Mais d'autres deviennent parfois totalement inutiles, voire dangereux pour celui qui les utilise.

 

Est-il important d'être plus rapide que l'attaquant lorsqu'on applique une technique?

Il faut bouger à la même vitesse que celle de l'attaquant. Si on bouge plus rapidement, celui-ci devient très lourd pour nous. Lorsque l'on regarde et que les deux combattants vont à la même vitesse cela donne une impression de lenteur. Il y a une attente de voir le tori bouger plus rapidement. Mais c'est une erreur. Cette harmonisation de vitesse est un point très important.

 

Dans de nombreuses démonstrations on voit pourtant des experts bouger bien plus rapidement que leurs partenaires?

(Rires) Aujourd'hui tout le monde fait des démonstrations spectaculaires, mais aucun n'est capable de faire fonctionner son art dans un cadre ouvert.

 

 

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Quand lors d'une bagarre votre adversaire saisit, certains experts enseignent qu'à moins d'avoir un haut niveau, la saisie sera conservée de façon réflexe par l'attaquant même si il est frappé. Quelle est votre opinion sur ce point?

Ce qui concerne la bagarre ne m'intéresse pas car sont des situations entre personnes de faible niveau, et on ne peut en tirer d'enseignements profonds et intéressants.

Il vaut mieux que les personnes qui viennent pratiquer en ayant à l'esprit l'objectif de développer une capacité à se bagarrer aillent s'acheter une arme. Sérieusement.

 

Lorsque vous appliquez des techniques, il arrive fréquemment que votre partenaire ait des difficultés à vous lâcher.

Ce principe est important. Il consiste à ne pas modifier la situation afin d'empêcher le partenaire de lâcher.

 

Comment doit-on utiliser la respiration?

Il ne faut pas y penser. Il suffit de laisser la gorge "ouverte".

Lorsque l'on réalise des gestes "simples" comme courir, soulever des poids, etc…, il y a des respirations adaptées. Mais les mouvements des Budos sont d'une extrême complexité, et l'on passe d'un type de geste à un autre en un instant. Essayer d'associer des respirations à des mouvements de natures différentes qui se succèdent à très grande vitesse n'amène que confusion. Lorsque le corps bouge de façon correcte, la respiration juste est une des conséquences naturelles.

 

Quelle est l'importance du niveau du partenaire dans l'étude?

C'est un élément important particulièrement lorsque l'on atteint un niveau avancé. Lorsque l'on rentre dans un travail à l'intensité et la finesse élevées, toute erreur du partenaire peut avoir des conséquences dangereuses. Les débutants se blessent généralement plus, mais ce sont des choses sans gravité. Entre avancés le risque est bien plus grand.

 

Vous ne faites pas de préparation. Est-ce que ça a toujours été le cas?

Oui. Je commence la pratique par des exercices d'une intensité mesurée, mais je ne fais jamais de préparation.

 

La majorité des participants à vos stages pratiquent d'autres disciplines. Comment peuvent-ils intégrer votre travail?

Ce que je propose c'est le travail du corps connecté, de la relation avec l'autre. Ce sont les bases du Budo. Si on comprend cela, toute discipline, que ce soit Aïkido ou autre, peut être pratiquée à un niveau bien plus intéressant.

 

 

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N'est-ce pas quelque chose qui peut être trouvé dans la discipline alors?

Ca devrait être le cas. Malheureusement aujourd'hui mon sentiment est qu'il y a peu de personnes qui puissent dire sans rougir en démontrant leur art: "Ceci est le Karaté.", ou "Ceci est l'Aïkido.".

 

Vous enseignez aussi à des personnes qui viennent chercher des qualités développées par la pratique martiale, comme des champions ou des danseurs. Avez-vous des anecdotes à ce sujet?

Il y a une dizaine d'années un éleveur m'a posé une question. Il avait des vaches et devait les amener au pré, à la traie, etc… Il m'a demandé si je connaissais un moyen efficace de les déplacer avec précision dans un espace réduit. Je crois qu'il s'agissait de l'endroit où il y avait les machines à traire. Et bien entendu il n'est pas possible de tirer ou pousser un animal de plusieurs centaines de kilos.

Je lui ai conseillé de se tenir à un endroit où l'animal pouvait le percevoir mais pas le voir. Quelques temps plus tard il m'a expliqué que cela fonctionnait très bien. (rires) J'avais supposé que les vaches, comme les humains, n'apprécieraient pas d'avoir une personne dans un "angle mort".

Dans la pratique martiale notre position a une importance fondamentale. Souvent les élèves se concentrent sur les mouvements des bras. Mais en réalité notre position est un élément essentiel du fonctionnement d'une technique. En combat il n'y a pas le temps d'intellectualiser. Les adversaires ressentent et agissent instinctivement. Comme les vaches! (rires)

 

Merci senseï.

 

 

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Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont participé aux échanges avec Hino Akira senseï. Leurs questionnements ont souvent amené des enseignements d'autant plus intéressants qu'ils étaient inattendus.

Si leur liste est trop longue pour être exhaustive, je tiens ici à mentionner Tanguy Le Vourc'h, Simon Pujol, Asobu Matsushita et Marie Apostoloff.

 

 

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Photos de Pierre Sivisay, Hélène Rasse, Jean-Baptiste Rosello et Sébastien Chaventon.

 

 

Stages avec Hino Akira

Hino Akira senseï vient régulièrement en Europe. Il sera à Paris les 3, 6 et 7 septembre, et à Bruxelles les 4 et 5. Ses stages sont ouverts aux pratiquants de tous niveaux et de toutes disciplines.

 

 

hino septembre 2014 Paris

 

 

Hino Bruxelles sept 2014

 

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