Budo no Nayami

Du vide au néant, la progression en Aïkido

1 Décembre 2016 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

Lorsqu'une personne débute les arts martiaux, elle a rarement un contrôle optimal de son corps et de son esprit. Toutefois, par un apprentissage méthodique, la pratique peut l'amener à une maîtrise très fine d'elle-même, et la doter de capacités extraordinaires.

Ueshiba Moriheï projetant Tada Hiroshi. Assis à gauche, Tamura Nobuyoshi.

Ueshiba Moriheï projetant Tada Hiroshi. Assis à gauche, Tamura Nobuyoshi.

Seïchusen

Le seïchusen, littéralement la ligne médiane correcte, est un terme utilisé par différents maîtres du Budo. Comme toujours, leur interprétation peut varier de façon notable. A titre personnel, j'utilise le mot seïchusen pour désigner l'axe fondamental autour duquel s'organisent les actions physiques. Pour un néophyte, cet axe se confond à peu près avec la colonne vertébrale. Il ne s'agit toutefois que d'un centre matériel, et si les membres lui sont bien reliés, il n'y a pas entre eux de véritable lien permettant des actions subtiles et efficaces. A ce stade, le corps dans sa globalité est une cible vulnérable.

 

Le tronc

Les premières étapes de formation de l'élève devront donc l'amener à développer un centre conscient. C'est autour de cet axe, large et épais qui se confond au départ avec le buste, que se développeront ses gestes. Le corps reste toujours vulnérable car s'il devient plus aisé de mouvoir ses membres, ce n'est pas le cas du tronc qui reste une cible facile, car très statique.

Le fil

Peu à peu le pratiquant apprendra à affiner son seïchusen, jusqu'à ce qu'il devienne aussi ténu qu'un fil. Tendu comme une corde de piano, les mouvements qui s'organisent autour de lui deviennent plus sophistiqués, variés et efficaces. La seule partie "fixe" étant fine, et le reste du corps étant devenu libre, il devient beaucoup plus difficile de toucher le pratiquant.

Au stade suivant, l'adepte apprend à déplacer cet axe dans son corps. Il peut aussi bien rester sur place et déplacer la ligne, que la laisser où elle est et se mouvoir. Les perceptions de ses adversaires sont troublées, et il devient très compliqué de l'atteindre.

A noter que des adeptes qui sont à un stade supérieur, font parfois volontairement percevoir un axe pour perturber ceux qui leur font face.

Le point

Lors de l'étape suivante la ligne se réduit à l'extrême et devient un point. Le corps a acquis une liberté et une mobilité extraordinaires, et ne laisse qu'une cible minuscule.

Le vide

A la dernière étape, enfin, le néant. Les gestes sont générés sans s'appuyer sur un axe ou un point, les rendant impossible à lire. Il n'y a plus de cible, et l'adepte est insaisissable.

Du vide au néant, la progression en Aïkido

Les pièges

Les voies que nous empruntons recèlent de nombreux pièges. Chaque étape étant source de progrès, il est aisé de s'illusionner et de s'abandonner à une sensation d'achèvement. Tout progrès devient alors impossible.

Les adeptes qui restent à un stade particulier sont nombreux et se reconnaissent facilement. Ils font généralement, mieux, la même chose que dix ou vingt ans plus tôt. L'évolution est difficile car elle signifie souvent une perte de repères et une régression dans l'efficacité.

 

Aparté sur le centrage

Une des phrases les plus répandues dans les dojos d'Aïkido est "Tu n'es pas centré.". Et c'est effectivement une erreur très courante. Le problème est que le centrage qui est évoqué est souvent plus que primaire. La métaphore utilisée est généralement celle d'une sorte de triangle dont la base serait faite des deux pointes des hanches de l'élève, et la pointe serait vers le nombril d'aïte.

Comme on l'a toutefois vu, le seïchusen a vocation à être bien moins large que cela, et à être mobile. Sans compter que si l'on adopte cette vision, tous les escrimeurs et boxeurs seraient décentrés, mais aussi les samouraïs que l'on voit sur les estampes et les rouleaux de transmission du passé !

Katsushika Hokusai

Katsushika Hokusai

Du vide au néant

Chez le novice comme l'adepte confirmé, il n'y a rien. Mais ces riens absolument opposés sont tels que tout est une cible chez celui qui n'a pas encore de seïchusen, quand celui qui n'en a plus devient intouchable… 

Comme les lecteurs s'en doutent, je suis bien loin de ce niveau. A dire vrai je ne suis pas même encore au "point". Je prends toutefois plaisir à sentir un seïchusen de plus en plus fin et mobile.

Le mental suit un cheminement similaire. Au départ le novice n'est pas capable de se concentrer efficacement ni de diriger son intention. Peu à peu ses capacités se renforcent, s'affinent, jusqu'à ce qu'il devienne capable d'atteindre l'état de mushin...

Du vide au néant, la progression en Aïkido

Chez le novice comme l'adepte confirmé, il n'y a rien. Mais ces riens absolument opposés sont tels que tout est une cible chez celui qui n'a pas encore de seïchusen, quand celui qui n'en a plus devient intouchable…

Cet article a été publié dans le numéro 59 de l'édition française d'Aïkido Journal. Ne manquez pas de vous abonner pour soutenir cette publication et découvrir les nombreux autres articles et interviews.

 

Pour prolonger votre réflexion

Voici une liste de quelques articles pour prolonger votre réflexion sur le seïchusen, mushin, la modification de l'utilisation du corps…

-Le Japon, culture du vide

-Mushin, l'esprit sans fixation

-Irimi, analyse calligraphique et technique; par Pascal Krieger

-Réflexion au sujet de Ki-Awase

-Nouvelle vidéo de Hino Akira senseï, seïchusen, intension…

-Travail lent et modification de l'utilisation du corps

Du vide au néant, la progression en Aïkido
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