Budo no Nayami

La xénophobie en Aïkido

24 Février 2019 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

L'Aïkido est une voie de développement de soi. Trop souvent pourtant, on y retrouve les travers qui gangrènent les autres pans de la société. Je n’aborderai pas ici le racisme dans la discipline, que j’ai déjà évoqué par le passé. Je souhaite aujourd’hui évoquer la xénophobie dans son sens littéral, le rejet de la différence.

Xénophobie est issu de deux racines grecques, xénos qui signifie étranger, et phobos, qui signifie peur, rejet.

L’exemple de Ueshiba Moriheï

Il est possible que le Fondateur, comme beaucoup d’hommes de son temps, ait établi une hiérarchie entre les peuples. Il déclarait ainsi en 1961 :

« Je suis venu à Hawaï afin d'établir un "pont d'argent". Jusqu'à présent, je suis resté au Japon, construisant un "pont d'or" pour unifier le pays, mais désormais, je souhaite bâtir un pont pour unir les différents pays du monde à travers l'harmonie et l'amour que porte l'Aïkido. »

Toutefois il fit preuve tout au long de sa vie d’une grande tolérance envers les différentes interprétations de son art par ses élèves. Sans aucun doute pouvait-il avoir un avis tranché envers les choix de certains de ses disciples. Il désapprouva ainsi sans équivoque certaines orientations de Mochizuki Minoru, et il ne partageait certainement pas l’opinion de Tomiki Kenji sur la compétition. Mais jamais il n’ostracisa ces proches, ni Mochizuki à qui il avait demandé de lui succéder avant-guerre, ni Tomiki qui fut celui qui le suivit durant le plus grand nombre d’années. Il conserva au contraire de très bonnes relations avec eux, les visitant régulièrement, tandis que ceux-ci continuaient à enseigner à l’Aïkikaï. Une chose qui prit fin rapidement après sa mort…

Maître Ueshiba qui développa son art sur la base de plusieurs traditions martiales, et garda sa vie durant une ouverture envers les autres disciplines et adeptes, laissa ainsi toujours s’exprimer les différentes sensibilités qui ne pouvaient manquer de naître chez des pratiquants aux parcours, âges et personnalités si variés, issus des milieux intellectuels, ruraux et militaires.

 

Kobayashi Yasuo, Kuroiwa Yoshio, Sunadomari Kanshu, Saito Morihiro, Nishio Shoji, Saotome Mitsugi à l'Aikido friendship demonstration

Six maîtres, six styles radicalement différents

 

Se questionner soi-même avant d’interroger l’autre

« Mais pourquoi faites-vous comme ça ? », « Quel maître enseigne cela ? », « D’où vient ce mouvement ? ». Autant de questions qui seront familières à celui qui est un jour sorti de sa zone de confort en allant pratiquer avec des adeptes d’un courant notablement différent du sien.

Des interrogations légitimes qui sont bienvenues lorsqu’elles sont la manifestation d’une curiosité doublée d’ouverture. Malheureusement elles sont trop souvent le reflet de rejets, craintes, et s’accompagnent de moues dédaigneuses, moqueuses, condescendantes. Particulièrement si vous êtes sur le « territoire » de l’autre.

 

 

Avant d’interroger qui que ce soit sur ses choix, interrogeons-nous sur ce que nous faisons. Cherchons à comprendre le fonctionnement de notre système technique, les conséquences des choix opérés par nos maîtres et enseignants. Étudions les origines de notre école. Non pas par la lecture superficielle de trois lignes, mais en nous penchant sur les personnalités, les cheminements, les contextes dans lesquels pratiquaient ceux qui nous ont précédés et transmis. Ce n’est qu’ainsi en nous connaissant réellement nous-mêmes, que nous serons à même d’apprécier l’autre. Et si je peux comprendre que chacun n’ait pas le temps ou l’envie de faire ces recherches, c’est alors pour eux une raison supplémentaire de ne pas rejeter l’autre.

 

Aller vers l’inconnu pour dépasser ses peurs

Chacun est unique. Certains parmi nous vivront heureux leur existence durant sans quitter leur lieu de naissance. L’exploration de leur ville, région, montagne, leur offre tout ce dont ils ont besoin pour leur développement et leur bonheur. D’autres ressentent la nécessité impérieuse d’explorer d’autres horizons, découvrir d’autres sommets et voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Qu’importe, les chemins vers soi sont multiples et n’invalident pas les autres.

J’invite simplement chacun à faire preuve d’ouverture, tolérance et curiosité sincère envers ceux qu’il rencontrera sur son chemin ou qui lui rendront visite. Ce n’est pas chose aisée car, comme l’ont prouvé les recherches, la peur de l’autre est câblée dans notre biologie. Et c’est un système de survie qui a été très utile à notre espèce. Mais je veux croire que nous persévérons dans la pratique parce qu’à un moment nous comprenons que cet outil a le potentiel de nous rendre meilleur, de dépasser nos peurs, et que nous aurons le courage de dépasser ce réflexe primaire.

 

 

A la découverte de l’autre

Lorsque j’ai débuté l’Aïkido on m’a expliqué que mon maître était le fils spirituel, le pratiquant préféré du Fondateur de l’Aïkido, qui lui-même était un être parfait. La vingtaine sonnante je me suis réjouis d’être si bien tombé, et j’ai fait preuve de l’intégrisme du nouveau converti. Le temps passant toutefois, cette vision manichéenne m’a semblée limitée et j’ai traversé le globe pour trouver des réponses aux questions auxquelles on ne m’opposait que platitudes superficielles. Sans doute aurai-je pu faire ce cheminement en plongeant en moi, ou en posant mieux mes questions. D’aucuns le font brillamment. C’est simplement un parcours parmi d’autres.

Mon univers a explosé et aujourd’hui, vingt ans après être parti m’installer au Japon et avoir parcouru le monde, rencontré et pratiqué avec des dizaines de disciples directs de Ueshiba Moriheï, et nombre des plus grands experts des disciplines les plus variées, je n’ai jamais été aussi tolérant.

Nous n’apprécions sûrement pas toutes les choses que nous avons rencontrées sur notre chemin. Telle musique de tel style ou telle origine, telle nourriture nous convient, tandis qu’une autre nous déplaît. Mais chacun s’accorde à trouver puérile l’attitude de celui qui juge sans connaître, ou dit je n’aime pas sans avoir goûté… Alors lorsque l’occasion se présente, goûtons avec curiosité, sans arrière-pensée ni préconceptions.

 

Osenseï entouré d'uchi-deshis

De gauche à droite Kurita Yutaka, Shimizu Kenji, Saotome Mitsugi, Kanai Mitsunari, Toheï Akira, Ueshiba Kisshomaru, Maruyama Shuji, Watanabe Nobuyuki 

 

Pour prolonger la lecture :

Le racisme dans l'Aïkido

Les derniers uchi-deshi d'Osenseï

 

Noro Masamichi

 

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