Aïkido et mal de dos
Le mal de dos est, dit-on, la maladie du siècle. Et il est vrai que l'on a souvent l'impression que chacun en souffre, en a souffert, ou en souffrira. Les pratiquants d'Aïkido ne font malheureusement pas exception. Confrontés à ce problème, ils se retrouvent souvent démunis face à des médecins qui ne leur proposent que des pis-aller. J'ai moi-même eu à faire face à ce problème…
L'insouciance de la jeunesse
Je suis parti m'installer au Japon à l'âge de vingt-quatre ans. Plein d'illusions et de testostérones, j'ai fait subir à mon corps la plupart des erreurs qu'un adepte peut commettre. M'appuyant sur mes capacités athlétiques, j'ai pratiqué les arts martiaux à un niveau et une intensité largement supérieurs à mes capacités techniques. Les premières douleurs au dos arrivant, j'ai commencé la musculation, sans aucune connaissance, et surtout avec la certitude qu'une activité aussi simple ne nécessitait aucun apprentissage. Les trois années suivantes j'ai accumulé les blessures, tant dans la pratique martiale qu'à la salle de gym, jusqu'au jour où, à la suite d'un combat libre, je me suis retrouvé incapable de marcher.
Erreurs de diagnostique
J'ai alors consulté des médecins, fait des radios, et on m'a indiqué que je ne souffrais que de contractures musculaires. ??!!?! Surpris, j'ai subi un traitement à base de piqûres de décontractant. Un produit douloureux à l'injection qui n'améliorait absolument pas mon état. Après avoir consulté deux autres médecins, le dernier un spécialiste, me regarda surpris et m'annonça que je souffrais d'une hernie discale. Oui, ses deux confrères et le radiologue n'avaient rien vu. Une IRM allait confirmer, sans aucun doute possible, son diagnostique. Verdict? Opération.
"Jai opéré David Douillet d'une hernie discale, et beaucoup d'autres judokas. On imagine qu'ils ne pourraient même pas marcher mais ils pratiquent sans problèmes." ??!!?! Souffrir d'une hernie discale avant d'avoir trente ans m'avait déjà mis le moral en berne. Mais imaginer me faire opérer était hors de question à mes yeux. J'avais bien entendu les explications mécaniques qu'il m'avait données avec précision, mais j'étais persuadé en mon for intérieur que je serai capable de me soigner sans cela.
Une approche holistique
De retour au Japon, je pris de prendre la situation à bras-le-corps. Je décidai de:
-trouver un moyen de me soulager,
-recouvrer ma mobilité,
-comprendre la cause du mal,
-m'atteler à ma rééducation.
Je me suis tourné vers des médecines que l'on appelle alternatives, traditionnelles, même si je n'aime pas beaucoup ces termes qui dévalorisent insidieusement les pratiques qu'ils désignent. Je suis donc allé consulté des praticiens de sekkotsu, seïtaï et kiko, dont l'action conjointe m'a permis de me rétablir.
Kiko気功
Le kiko est l'équivalent japonais du Chi kung chinois, et certains de ses adeptes sont réputés pour leur capacité à soigner. Un de mes amis me donna les coordonnées de l'un d'entre eux. Celui-ci, surchargé de demandes, n'acceptait plus de nouveaux patients. Mais comme souvent au Japon, l'introduction de mon ami permis toutefois une exception salvatrice.
Lorsque le professeur me vit, il me dit "Vous souffrez d'une hernie discale au niveau…". J'étais stupéfait. Je me tenais droit, il n'avait pu m'observer qu'un instant, et il n'avait pas eu besoin de la moindre radio. Il me fit allonger sur le ventre et, en quelques instants je sentis une chaleur intense au niveau de ma douleur. Je tournais la tête pour voir quel objet il utilisait pour me toucher, pour découvrir avec stupéfaction que, non seulement il n'utilisait aucun objet, mais son pouce qui était dirigée vers la zone était éloigné d'une bonne quinzaine de centimètres!
Le traitement par le kiko me permis d'avoir un soulagement instantané, même s'il était loin d'être total. Je pouvais passer à la suite des opérations.
Sekkotsu 整骨
Cette méthode qui signifie littéralement "replacement des os", a été développée en parallèle au Judo. Le praticien de sekkotsu qui m'avait été conseillé était un géant, spécialisé comme ses confrères dans les douleurs de dos des pratiquants d'arts martiaux et travailleurs manuels. Il me fit allonger et prit… un marteau et une petite pièce de bois! Grâce à des tapotements aussi légers et inattendus qu'efficaces, il me permit de recouvrir énormément de mobilité. Je pouvais maintenant envisager de travailler sur les causes de ma hernie discale.
Seïtaï整体
C'est grâce à un ami pratiquant de seïtaï, la méthode du "corps ordonné", que je devais comprendre les origines de mes soucis. Ancien adepte d'arts martiaux, il m'examina puis me dit "Tu mets trop de force dans tes bras lorsque tu pratiques, particulièrement le droit.". Il m'expliqua les conséquences en cascade, et le processus qui avait amené la hernie discale. Etonnamment, six mois plus tôt lors d'un de mes passages en France, un de mes enseignants d'Aïkido m'avait dit en me regardant faire des suburis "Tu mets trop de force dans les bras, en particulier dans le droit.".
Le praticien de seïtaï termina en me donnant quelques exercices, plutôt douloureux mais très utiles, afin de regagner de la mobilité lorsque les tensions reviendraient.
Le corps n'est pas une machine
J'ai le plus grand respect pour la médecine moderne. Elle a la capacité de guérir des maux devant lesquels d'autres buttent. Malheureusement un grand nombre de ses praticiens considère l'homme comme une machine. Lorsqu'une pièce est abîmée, ils essayent de la réparer, et si cela se révèle impossible, ils la retirent si cela est faisable. Mais nous sommes des organismes vivants, avec une capacité à nous guérir qui garde encore de nombreux mystères.
Chacun des trois praticiens que j'ai consulté a eu sa place dans le processus qui m'a permis de me soigner. Me soulageant, me redonnant de la mobilité, m'expliquant les causes du problème, et me donnant les outils pour me rétablir. En quelques mois, grâce à une variété d'exercices d'étirements, de musculation, et surtout une modification de ma pratique, la douleur disparu totalement. Cela fait douze ans maintenant et, depuis ces trois mois où je fus cloué au lit, je n'ai plus jamais souffert du nerf sciatique.
2013, une rechute?
Septembre. L'air est frais et la température encore agréable. Je sors d'un rendez-vous boulevard de Port-Royal, et je profite des rayons de soleil matinaux. Tout à coup je ressens une douleur dans la jambe. Je fais encore quelque pas mais la douleur augmente et m'oblige à m'asseoir sur un banc. Quelques minutes plus tard, alors que j'essaye de me relever, je manque de tomber à terre. La douleur est devenue insupportable. Je rentre tant bien que mal chez moi en taxi et appelle SOS médecins. Verdict? Une tendinite "quelque part". Je congédie alors le médecin, jette l'ordonnance d'antalgiques et comprimés divers pour naviguer sur le net. Mes symptômes semblent être ceux d'une cruralgie. Verdict confirmé par un ostéopathe le lendemain.
La douleur du nerf crural, surnommée "sciatique du devant", est extrêmement vive et handicapante. Ses causes sont souvent graves, et elle peut fortement incapaciter ceux qui en souffrent. Elle est souvent causée par… une hernie discale.
Si la douleur fut pénible, heureusement pour moi il s'est avéré que sa cause fut simplement une contraction musculaire extrême. Après deux visites chez l'ostéopathe, des étirements quotidiens et une pratique régulière, elle ne fut plus qu'un mauvais souvenir.
Un bienfait déguisé?
Il est difficile de se réjouir d'un malheur qui nous accable. En tant qu'adepte, tout ce qui touche à mon corps me préoccupe bien plus que tout autre souci. Pourtant les deux fois où j'ai souffert du dos m'ont été très profitables.
La première, je suis remonté sur les tatamis alors que je souffrais encore atrocement. J'adoptais pour la première fois un obi traditionnel que je serrai à m'en couper le souffle et la circulation. Surtout, chaque contraction du dos me causait une douleur extrêmement vive, m'obligeant à pratiquer en décontractant totalement cette zone. Une décontraction telle que je ressentais un vide, comme si cette partie de mon corps avait… disparue. Et ce relâchement total n'occasionna aucune baisse d'efficacité. Malheureusement, si je modifiais durablement ma posture et l'équilibre de l'utilisation de mon corps, je revins bien vite à une pratique athlétique. Pourtant les sensations entraperçues restèrent vivaces, et me servirent des années plus tard lorsque j'entrepris un travail sur la modification de l'utilisation du corps.
La seconde fois, très récente, me permit de vérifier que le travail entrepris depuis quelques années porte ses fruits, et que même très diminué physiquement je peux toujours pratiquer, mais surtout ne pas perdre une once d'efficacité. N'est-ce pas l'un des objectifs du Budo?
Un mal surmontable
Les douleurs de dos, et en particulier les hernies discales, n'épargnent pas les adeptes. Parmi mes proches, maître Kuroda Tetsuzan ou Brahim Si Guesmi en souffrirent aussi. Ils ont aussi en commun de s'être rétablis sans avoir recours à la moindre opération, malgré la gravité de leur état et les conseils de certains médecins. Je ne le répèterai jamais assez, la médecine moderne est irremplaçable dans de nombreux domaines, et j'invite chacun à trouver un médecin de confiance dont il suivra les recommandations. En revanche, pour tout ce qui touche à la structure du corps, mon premier réflexe est de me tourner vers des praticiens d'ostéopathie, seïtaï, etc…
Les souffrances du corps ont une fâcheuse tendance à saper le moral. Mon expérience et celle de nombreux adeptes de haut niveau est que, si l'on ne peut éviter tous les obstacles, il faut garder espoir et persévérer pour les surmonter avec succès. Si cet enseignement appris dans la douleur peut servir à d'autres, alors il aura été doublement utile.