"Hidden in plain sight" d'Ellis Amdur et le cœur perdu de l'Aïkido
J'ai récemment lu un ouvrage passionnant, "Hidden in plain sight" d'Ellis Amdur, que m'a prêté un de mes amis, Thibault Desmoulins De L'Isle.
Ellis Amdur est l'un des très rares occidentaux à détenir deux licences d'enseignements dans des Koryus à la lignée établie. Etudiant les arts martiaux depuis plus de quarante ans il a séjourné durant treize ans au Japon et parle couramment japonais. Pratiquant d'Aïkido avancé il a aussi étudié de nombreuses autres disciplines telles que le Muay Thaï, le Taï Chi Chuan et le Hsing I Chuan.
Ellis Amdur est l'un des auteurs les plus intéressants dans la littérature martiale actuelle. Accompagnant sa vaste expérience d'une profonde réflexion il n'hésite pas à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Si je ne suis pas toujours d'accord avec ses conclusions, ses écrits sont toujours passionnants et source de réflexions.
Dans "Hidden in plain sight" Amdur aborde de nombreux points fondamentaux, des origines de l'Aïkido à sa transmission en passant par la genèse de son travail aux armes. Grossièrement, une des conclusions à laquelle il arrive est que l'Aïkido a perdu une partie de son essence…
Le cœur perdu de l'Aïkido
Dès l'introduction Amdur pose le problème. Traduction rapide, abrégée et approximative:
"Pourquoi certains des militaires les plus endurcis du Japon et certains de ses plus grands experts en arts martiaux considéraient-ils Ueshiba Moriheï avec crainte? Pourquoi son maître, Takeda Sokaku, était-il capable de démontrer des capacités que l'on imagine uniquement possible dans les mythes et légendes? Pourquoi certains élèves de Takeda Sokaku, un très petit nombre, étaient-ils considérés avec un respect semblable à celui porté à Ueshiba? Ils démontraient un type de puissance différent de celui de culturistes ou d'hommes forts, si extraordinaire qu'il possède sa propre désignation: "force interne, aïki ou kokyu". Retournons à notre puzzle, pourquoi la plupart des pratiquants d'Aïkido et Daïto ryu modernes, aussi estimables soient-ils, semble ne pas avoir ne serait-ce qu'une étincelle de cette puissance légendaire? Qu'est-il arrivé à ces capacités?
J'ai expérimenté ce type de puissance remarquable aux mains d'un très petit nombre d'individus. Certains, utilisant d'infimes mouvements, développent une énergie incroyable, comme s'ils déclenchaient une explosion contrôlée dans un petit espace. D'autres développent une force inexorable, comme un rocher s'écrasant sur vous. D'autres disparaissent, absence fantomatique alors que vous êtes sûr de les avoir agrippés, mais vous avez l'impression d'avoir saisi de la fumée ou de tomber dans un vide.
Un art martial externe utilise des méthodes très sophistiquées afin de permettre à un individu d'utiliser son corps au summum de ses capacités et réflexes naturels. Un art martial interne, à l'opposé, essaie de transformer la réaction naturelle du corps à la force; et à plus haut niveau à supposément modifier la façon dont le corps fonctionne.
Ce livre tente de suivre le travail interne au Japon, de ses origines en Chine jusqu'au Jujutsu. Parce que ce type de travail a généralement été abandonné, et parce que dans les rares écoles où il subsiste il est considéré comme un secret qui ne doit pas être révélé aux étrangers, la majeure partie de cet ouvrage a pour sujet le Daïto ryu et l'Aïkido, car les fondateurs de ces arts ont rendu leurs capacités publiques.
Ces capacités ne sont pas inaccessibles aujourd'hui. Il n'y a pas seulement des écoles et des maîtres qui perpétuent ce type d'entraînement à l'intérieur de telle ou telle tradition, dans les arts martiaux chinois et japonais, mais il y a aussi des hommes qui tentent de distiller ses principes essentiels, au-delà de tel ou tel art martial, fondamentalement "coupant à travers champ pour aller directement à la source"."
"… pourquoi la plupart des pratiquants d'Aïkido et Daïto ryu modernes, aussi estimables soient-ils, semble ne pas avoir ne serait-ce qu'une étincelle de cette puissance légendaire?"
Je crois malheureusement que beaucoup a été perdu en Aïkido. Bien sûr en contrepartie d'autres choses ont été découvertes. Les maîtres Nishio, Tamura, Yamaguchi, Saotome, Noro, Tissier même, ont clairement, chacun à leur façon, apportés beaucoup à l'Aïkido. Pourtant ce n'est rien leur enlever que de dire qu'aujourd'hui peu de maîtres (aucuns?) sont capables de démontrer les capacités dont faisait preuve Osenseï.
"J'ai expérimenté ce type de puissance remarquable aux mains d'un très petit nombre d'individus. Certains, utilisant d'infimes mouvements, développent une énergie incroyable, comme s'ils déclenchaient une explosion contrôlée dans un petit espace. D'autres développent une force inexorable, comme un rocher s'écrasant sur vous. D'autres disparaissent, absence fantomatique alors que vous êtes sûr de les avoir agrippés, mais vous avez l'impression d'avoir saisi de la fumée ou de tomber dans un vide."
Dans son ouvrage Ellis Amdur cite nommément les maîtres Akuzawa, Kono et Kuroda. Et c'est un fait indéniable que j'ai ressenti avec chacun d'eux les choses qu'il décrit. Paradoxalement aucun de ces maîtres ne pratique l'Aïkido sous sa forme extérieure, mais chacun fait preuve de capacités que possédaient probablement Osenseï. Que la partie qu'ils ont en commun avec lui représente la majorité ou une fraction de leur travail et qu'ils aient atteint dans ce domaine particulier un niveau bien inférieur, égal ou pourquoi pas supérieur n'est pas la question.
"Un art martial externe utilise des méthodes très sophistiquées afin de permettre à un individu d'utiliser son corps au summum de ses capacités et réflexes naturels. Un art martial interne, à l'opposé, essaie de transformer la réaction naturelle du corps à la force; et à plus haut niveau à supposément modifier la façon dont le corps fonctionne."
Aujourd'hui la plupart des experts d'Aïkido enseignent des techniques, proches ou éloignées de celles du fondateur, sans chercher à modifier l'utilisation du corps. Cela n'empêche en aucun cas d'atteindre un niveau d'efficacité très élevé, et cela permet même sans doute de le faire plus rapidement. Le seul point négatif potentiel est à mes yeux la capacité à conserver une telle efficacité malgré les ravages du temps.
Je reste en revanche persuadé que le travail du fondateur incluait un processus de modification de l'utilisation du corps, théorie que présente brillamment Amdur dans son ouvrage.
"Ces capacités ne sont pas inaccessibles aujourd'hui. Il n'y a pas seulement des écoles et des maîtres qui perpétuent ce type d'entraînement à l'intérieur de telle ou telle tradition, dans les arts martiaux chinois et japonais, mais il y a aussi des hommes qui tentent de distiller ses principes essentiels, au-delà de tel ou tel art martial, fondamentalement en "coupant à travers champ pour aller directement à la source"."
Ce qui a été perdu en Aïkido, encore une fois au profit d'autres choses, ne l'est peut-être pas définitivement. Les maîtres Akuzawa, Kono, Hino et Kuroda font preuve de capacités qui, probablement, faisaient partie de la discipline. Et ils ont surtout, chacun à leur façon et de manière plus ou moins ouverte, la volonté de les démontrer et les enseigner.
Une recherche superflue?
Que l'on ne soit pas intéressé par la pratique d'Osenseï est compréhensible. Certains shihans me l'ont avoué en privé. Ils respectent le Fondateur pour sa création mais sont plus intéressés par ce qu'ils ont reçu de ses successeurs.
Que l'enseignement que l'on reçoit présente plus que l'on imagine pouvoir absorber est aussi tout à fait compréhensible. En ce sens il n'est sans doute pas nécessaire de chercher au-delà de ce que nous offre le maître que l'on suit. Pour ceux qui ont ce désir toutefois, l'enseignement des maîtres Akuzawa, Kono, Hino, Kuroda présente un aperçu de ce que pouvait être la pratique du Fondateur. Et pour ceux qui en ont la volonté un chemin à suivre…
Le site d'Ellis Amdur où commander ses ouvrages.
"Traditions martiales", un ouvrage précédant très intéressant du même auteur traduit en français.
Ellis Amdur est l'un des très rares occidentaux à détenir deux licences d'enseignements dans des Koryus à la lignée établie. Etudiant les arts martiaux depuis plus de quarante ans il a séjourné durant treize ans au Japon et parle couramment japonais. Pratiquant d'Aïkido avancé il a aussi étudié de nombreuses autres disciplines telles que le Muay Thaï, le Taï Chi Chuan et le Hsing I Chuan.
Ellis Amdur est l'un des auteurs les plus intéressants dans la littérature martiale actuelle. Accompagnant sa vaste expérience d'une profonde réflexion il n'hésite pas à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Si je ne suis pas toujours d'accord avec ses conclusions, ses écrits sont toujours passionnants et source de réflexions.
Dans "Hidden in plain sight" Amdur aborde de nombreux points fondamentaux, des origines de l'Aïkido à sa transmission en passant par la genèse de son travail aux armes. Grossièrement, une des conclusions à laquelle il arrive est que l'Aïkido a perdu une partie de son essence…
"Hidden in plain sight", Ellis Amdur
Le cœur perdu de l'Aïkido
Dès l'introduction Amdur pose le problème. Traduction rapide, abrégée et approximative:
"Pourquoi certains des militaires les plus endurcis du Japon et certains de ses plus grands experts en arts martiaux considéraient-ils Ueshiba Moriheï avec crainte? Pourquoi son maître, Takeda Sokaku, était-il capable de démontrer des capacités que l'on imagine uniquement possible dans les mythes et légendes? Pourquoi certains élèves de Takeda Sokaku, un très petit nombre, étaient-ils considérés avec un respect semblable à celui porté à Ueshiba? Ils démontraient un type de puissance différent de celui de culturistes ou d'hommes forts, si extraordinaire qu'il possède sa propre désignation: "force interne, aïki ou kokyu". Retournons à notre puzzle, pourquoi la plupart des pratiquants d'Aïkido et Daïto ryu modernes, aussi estimables soient-ils, semble ne pas avoir ne serait-ce qu'une étincelle de cette puissance légendaire? Qu'est-il arrivé à ces capacités?
J'ai expérimenté ce type de puissance remarquable aux mains d'un très petit nombre d'individus. Certains, utilisant d'infimes mouvements, développent une énergie incroyable, comme s'ils déclenchaient une explosion contrôlée dans un petit espace. D'autres développent une force inexorable, comme un rocher s'écrasant sur vous. D'autres disparaissent, absence fantomatique alors que vous êtes sûr de les avoir agrippés, mais vous avez l'impression d'avoir saisi de la fumée ou de tomber dans un vide.
Un art martial externe utilise des méthodes très sophistiquées afin de permettre à un individu d'utiliser son corps au summum de ses capacités et réflexes naturels. Un art martial interne, à l'opposé, essaie de transformer la réaction naturelle du corps à la force; et à plus haut niveau à supposément modifier la façon dont le corps fonctionne.
Ce livre tente de suivre le travail interne au Japon, de ses origines en Chine jusqu'au Jujutsu. Parce que ce type de travail a généralement été abandonné, et parce que dans les rares écoles où il subsiste il est considéré comme un secret qui ne doit pas être révélé aux étrangers, la majeure partie de cet ouvrage a pour sujet le Daïto ryu et l'Aïkido, car les fondateurs de ces arts ont rendu leurs capacités publiques.
Ces capacités ne sont pas inaccessibles aujourd'hui. Il n'y a pas seulement des écoles et des maîtres qui perpétuent ce type d'entraînement à l'intérieur de telle ou telle tradition, dans les arts martiaux chinois et japonais, mais il y a aussi des hommes qui tentent de distiller ses principes essentiels, au-delà de tel ou tel art martial, fondamentalement "coupant à travers champ pour aller directement à la source"."
"… pourquoi la plupart des pratiquants d'Aïkido et Daïto ryu modernes, aussi estimables soient-ils, semble ne pas avoir ne serait-ce qu'une étincelle de cette puissance légendaire?"
Je crois malheureusement que beaucoup a été perdu en Aïkido. Bien sûr en contrepartie d'autres choses ont été découvertes. Les maîtres Nishio, Tamura, Yamaguchi, Saotome, Noro, Tissier même, ont clairement, chacun à leur façon, apportés beaucoup à l'Aïkido. Pourtant ce n'est rien leur enlever que de dire qu'aujourd'hui peu de maîtres (aucuns?) sont capables de démontrer les capacités dont faisait preuve Osenseï.
"J'ai expérimenté ce type de puissance remarquable aux mains d'un très petit nombre d'individus. Certains, utilisant d'infimes mouvements, développent une énergie incroyable, comme s'ils déclenchaient une explosion contrôlée dans un petit espace. D'autres développent une force inexorable, comme un rocher s'écrasant sur vous. D'autres disparaissent, absence fantomatique alors que vous êtes sûr de les avoir agrippés, mais vous avez l'impression d'avoir saisi de la fumée ou de tomber dans un vide."
Dans son ouvrage Ellis Amdur cite nommément les maîtres Akuzawa, Kono et Kuroda. Et c'est un fait indéniable que j'ai ressenti avec chacun d'eux les choses qu'il décrit. Paradoxalement aucun de ces maîtres ne pratique l'Aïkido sous sa forme extérieure, mais chacun fait preuve de capacités que possédaient probablement Osenseï. Que la partie qu'ils ont en commun avec lui représente la majorité ou une fraction de leur travail et qu'ils aient atteint dans ce domaine particulier un niveau bien inférieur, égal ou pourquoi pas supérieur n'est pas la question.
"Un art martial externe utilise des méthodes très sophistiquées afin de permettre à un individu d'utiliser son corps au summum de ses capacités et réflexes naturels. Un art martial interne, à l'opposé, essaie de transformer la réaction naturelle du corps à la force; et à plus haut niveau à supposément modifier la façon dont le corps fonctionne."
Aujourd'hui la plupart des experts d'Aïkido enseignent des techniques, proches ou éloignées de celles du fondateur, sans chercher à modifier l'utilisation du corps. Cela n'empêche en aucun cas d'atteindre un niveau d'efficacité très élevé, et cela permet même sans doute de le faire plus rapidement. Le seul point négatif potentiel est à mes yeux la capacité à conserver une telle efficacité malgré les ravages du temps.
Je reste en revanche persuadé que le travail du fondateur incluait un processus de modification de l'utilisation du corps, théorie que présente brillamment Amdur dans son ouvrage.
"Ces capacités ne sont pas inaccessibles aujourd'hui. Il n'y a pas seulement des écoles et des maîtres qui perpétuent ce type d'entraînement à l'intérieur de telle ou telle tradition, dans les arts martiaux chinois et japonais, mais il y a aussi des hommes qui tentent de distiller ses principes essentiels, au-delà de tel ou tel art martial, fondamentalement en "coupant à travers champ pour aller directement à la source"."
Ce qui a été perdu en Aïkido, encore une fois au profit d'autres choses, ne l'est peut-être pas définitivement. Les maîtres Akuzawa, Kono, Hino et Kuroda font preuve de capacités qui, probablement, faisaient partie de la discipline. Et ils ont surtout, chacun à leur façon et de manière plus ou moins ouverte, la volonté de les démontrer et les enseigner.
Une recherche superflue?
Que l'on ne soit pas intéressé par la pratique d'Osenseï est compréhensible. Certains shihans me l'ont avoué en privé. Ils respectent le Fondateur pour sa création mais sont plus intéressés par ce qu'ils ont reçu de ses successeurs.
Que l'enseignement que l'on reçoit présente plus que l'on imagine pouvoir absorber est aussi tout à fait compréhensible. En ce sens il n'est sans doute pas nécessaire de chercher au-delà de ce que nous offre le maître que l'on suit. Pour ceux qui ont ce désir toutefois, l'enseignement des maîtres Akuzawa, Kono, Hino, Kuroda présente un aperçu de ce que pouvait être la pratique du Fondateur. Et pour ceux qui en ont la volonté un chemin à suivre…
Le site d'Ellis Amdur où commander ses ouvrages.
"Traditions martiales", un ouvrage précédant très intéressant du même auteur traduit en français.
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