Kono Yoshinori
Kono Yoshinori est sans aucun doute le plus célèbre artiste martial contemporain japonais. Auteurs de dizaines d'ouvrages et vidéos sur les arts martiaux, sujet de séries d'émissions télévisées, il fait en permanence la couverture des magazines et est un invité permanent des plateaux de télévision. Il est sans aucun doute la première véritable "star" des arts martiaux traditionnels car sa renommée a dépassé de loin le cadre étriqué du monde des pratiquants.
Iaïjutsu
Il y a longtemps que je connaissais Kono Yoshinori. J'avais acheté des vidéos de lui il y a quelques années et j'avais lu avec intérêt certains de ses écrits. Le temps passant je l'ai vu passer de pratiquant réputé à maître célèbre jusqu'à devenir le premier pratiquant d'arts martiaux traditionnels à atteindre le statut de star. Et c'est lorsque j'ai décidé d'aller le rencontrer que les difficultés ont commencées…
Une star difficilement accessible
Kono Yoshinori est une star. Il a un emploi du temps de star et un entourage de star. Lorsqu'on essaye de le rencontrer on est d'abord confronté à un de ses assistants qui vous explique qu'il est extrêmement sollicité, très sélectif et donne très peu d'interviews. Si on insiste énormément on vous demande alors d'aller lire des écrits du maître. Enfin un rendez-vous téléphonique peut-être fixé à la suite duquel il prendra une décision. Par chance j'ai finalement réussi à obtenir une brève entrevue.
Hors du temps
Le jour fixé j'attends Kono senseï à la gare de Yoyogi Hachiman, un quartier de Tokyo populaire pour son ambiance bohême. La foule est dense mais je ne peux pas le manquer. Il arrive en kimono traditionnel, chaussé d'ipponba getas, furoshiki dans une main et son katana dans l'autre! Nez à nez avec lui j'ai véritablement l'impression d'avoir en face de moi un homme qui a traversé le temps, tant il semble tout droit sorti d'un passé disparu.
avec un
(Note de l'auteur: Les ipponba getas sont les socques traditionnelles japonaises en bois mais à une seule dent. Le furoshiki est un sac traditionnel fait à partir d'un carré de tissu que l'on peut plier de nombreuses manières différentes.)
Katana, getas et furoshiki au quotidien...
Photos et autographes
Les passants s'écartent à son passage et chuchotent, l'interpellent. "T'as vu c'est Kono senseï!" "C'est bien vous Kono senseï?!" Léger sourire poli à l'un, brève salutation à l'autre, Kono senseï s'est habitué à ces marques d'attention et y répond avec une bienveillance gênée. Chaque fois que je le reverrais les mêmes scènes se répèteront. Oui Kono senseï est bien une star. Pas un maître célèbre comme peuvent l'être Kuroda Tetsuzan ou Hino Akira qui sont connus de la majorité des pratiquants mais inconnus de la rue. Une véritable star que les passants reconnaissent, à qui l'on demande des autographes et avec qui on se fait photographier.
Au-delà des paillettes
Après avoir réussi à nous soustraire au curieux je me retrouve enfin face à Kono senseï et je n'oublierai jamais cette scène. Nous sommes dans le jardin intérieur d'un café et il commande un lait à la banane qu'il commence à boire à la paille, légèrement voûté et le regard absent. Il m'écoute me présenter d'une oreille distraite comme un enfant qui remplit une obligation. Je commence mon interview et lui pose des questions sur sa vie auxquelles il répond de manière laconique, répétant probablement pour la énième fois un parcours qui ne semble pas l'intéresser. Je commence à me poser des questions sur le résultat de l'entrevue…
Mais soudain lorsque je lui pose une question technique son œil se met à briller et il pose son regard sur moi comme s'il me voyait pour la première fois. J'ai alors véritablement l'impression qu'il sort d'une transe pour revenir à la vie tant le changement est drastique. A partir de là la conversation s'animera, d'une audience d'une heure je finirai par passer la journée avec lui, puis d'autres ensuite, l'accompagnant sur des tournages, stages ou le rencontrant pour des entretiens privés.
Kono senseï est aujourd'hui un personnage public et afin de faire entendre sa voix il joue placidement le jeu d'un système qui ne l'intéresse pas. Mais dès lors qu'on pénètre le domaine de la pratique sa passion l'emporte et aujourd'hui encore je reste ému chaque fois que je le vois déborder de cet enthousiasme incroyable qui le caractérise dès lors qu'on rentre dans le domaine martial.
Kenjutsu
Des débuts tardifs
A l'adolescence Kono senseï se demande ce que signifie "vivre naturellement". Pour répondre à cette question il décide de pratiquer les arts martiaux et débute l'Aïkido. Pris de passion il étudiera parallèlement le Kashima shin ryu et plusieurs écoles de Shuriken jutsu. Par la suite il ira à la rencontre de très nombreux maîtres pour pratiquer et observer toutes les disciplines qui lui semblent pouvoir lui apporter des réponses dans sa recherche.
(N.d.a.: Shuriken signifie "lame derrière la main". Il s'agit généralement de courtes pointes utilisées en lancer. A ne pas confondre avec les shaken, "étoiles de ninjas", qui ne sont q'une variante de ce groupe.)
Shurikenjutsu
Rencontre avec Kuroda Tetsuzan
Kono senseï découvre alors le Shinbukan Kuroda ryugi. Il décide d'aller rencontrer son soke, Kuroda Tetsuzan. Cette rencontre marquera leur vie.
Kuroda senseï et Kono senseï ont seulement un an de différence. Très vite leur passion pour la pratique les lie et ils sympathisent. Kono trouve en Kuroda le dépositaire au niveau remarquable d'une tradition inaltérée. Kuroda trouve en Kono un pratiquant d'exception à l'esprit vif et critique. Chacun donnera le meilleur de lui-même au contact de l'autre et ils en ressortiront définitivement changés. Kuroda senseï ayant réexaminé son héritage en comprendra encore plus profondément la richesse tandis que la pratique de Kono senseï sera dès lors marquée par les principes du Shinbukan. De leur complicité naîtra un livre qui n'est malheureusement pas traduit à l'heure actuelle.
Les leçons du passé
Un point essentiel de la recherche de Kono Yoshinori est sa volonté de redécouvrir les secrets des adeptes du passé. Il est évident qu'à ses yeux les exploits des sportifs, héros contemporains sont bien peu de choses comparés aux prouesses des guerriers des temps anciens. Et il est vrai qu'à le voir se jouer de champions et professionnels du sport dans leur propre domaine on ne peut qu'adhérer à sa réflexion.
Kono Yoshinori considère qu'un des plus grands drames du Japon est d'avoir perdu l'utilisation traditionnelle du corps. Il explique que lors du passage du monde féodal au monde moderne pendant l'ère Meïji, les japonais ont totalement changé leur façon de bouger en quelques décennies…
Fin 1800, l'archipel a fermé ses frontières depuis deux cent cinquante ans. Coupé du monde le Japon a développé une culture aussi unique que raffinée et les shoguns Tokugawa ont réussi à perpétuer leur mainmise sur le pays pendant la plus longue ère de paix de l'histoire. Mais le monde a rattrapé le pays et après de graves turbulences les nouveaux dirigeants japonais comprennent qu'il n'ont d'autre choix que d'étudier et copier les grandes puissances afin de ne pas subir leur joug. Leur plan marchera au-delà de toute attente puisque le Japon après avoir défait la Chine et la Russie deviendra le premier pays d'Asie à faire partie des grandes puissances.
Mais le prix à payer fut très lourd. Il est impossible aujourd'hui d'imaginer l'ampleur du bouleversement qui eut lieu à l'époque. Les récits nous rapportent qu'en quelques années les vêtements, la nourriture, les bâtiments, jusqu'aux odeurs même, changèrent de façon radicale. Bien sûr le Japon gardera, peut-être plus que tout autre pays, une grande partie de ses traditions. Mais il perdra aussi d'incroyables richesses artistiques et culturelles. Châteaux et temples rasés, sabres vendus ou fondus, dans sa fièvre modernisatrice le Japon fit des dégâts irréversibles.
C'est à cette époque que se perdit la façon traditionnelle de marcher, et partant, d'utiliser le corps. En étudiant de nombreux documents tels que les premières photos du Japon, les edensho, divers écrits et les peintures d'époque, Kono senseï a découvert que les japonais du passé ne marchaient pas en avançant le bras et la jambe opposés comme c'est actuellement la norme, mais en gardant les bras le long du corps sans vriller la colonne vertébrale.
(N.d.a. : Edensho, parchemins où sont dessinées les techniques du ryu, la tradition martiale.)
A la recherche des secrets des adeptes du passé...
Namba aruki
Cette marche appelée Namba aruki, marche de Namba, semble avoir non seulement été celle des samouraïs pour qui elle avait l'avantage de permettre d'avoir en permanence les mains proches du sabre, mais aussi de l'ensemble de la population. Et il est vrai que les documents qui nous sont parvenus viennent étayer sa théorie. De même que certaines preuves indirectes telles que le fait que l'habit traditionnel, kimono, laisse apparaître la poitrine en faisant bailler le revers un pas sur deux dès lors que l'on adopte la marche croisée…
Il semble qu'un des facteurs majeurs de cette transformation fut la formation militaire. Les japonais désirant se doter d'une armée moderne confièrent sa formation à l'Allemagne et la France. Chaque japonais obéissant à la conscription appris alors la marche militaire occidentale, entraînant inexorablement la modification de la marche de tout un peuple.
La marche étant une des activités principales de l'homme, la musculature et donc l'utilisation du corps tout entier en fut modifiée. Toutes les techniques martiales qui ont été développées sur une base fondamentalement différente se révèlent dès lors beaucoup moins efficaces lorsqu'elles sont effectuées par un corps "moderne" car les mouvements en sont contraints. Et il n'est qu'à voir la difficulté des débutants en Aïkido à attaquer en avançant le même bras et la même jambe pour le comprendre.
Selon Kono senseï réapprendre à se déplacer sans effectuer de torsions permet donc de retrouver une des clefs de l'efficacité des techniques martiales. En effet il démontre que les mouvements de rotation sont non seulement moins efficients car ils induisent une diffusion de la force, mais sont aussi bien plus prévisibles. Un point crucial dans une situation de vie ou de mort…
Pragmatisme
Dans sa quête Kono senseï a rencontré et pratiqué avec certains des plus grands maîtres d'aujourd'hui. En parallèle il a complété son étude technique par des recherches extrêmement poussées qui en font l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire des arts martiaux. S'il a rencontré nombre d'histoires hagiographiques, il a aussi découvert des récits de faits "extraordinaires" corroborés par des sources diverses. C'est à la suite de ces études que Kono senseï est parvenu à la conclusion que les techniques transmises à travers le temps et qui semblent inapplicables ou inefficaces aujourd'hui ne le sont qu'en raison du faible niveau des pratiquants contemporains.
Ayant eu l'honneur de subir la technique de nombreux maîtres je dois avouer que j'ai souvent eu le sentiment que sans coopération le résultat aurait été pour le moins très différent. C'est une expérience d'autant plus surprenante que de subir les techniques que Kono senseï exécute avec facilité alors même que l'on tente de s'y opposer…
Universalité
Le travail de Kono senseï est fondé sur la recherche de principes fondamentaux qui vont au-delà de la technique. Maîtrisant aussi bien les techniques à mains nues que celles employant les armes les plus diverses il démontre l'universalité de principes permettant une utilisation plus efficace du corps. Un domaine où il fut révolutionnaire et qui lui a valu sa renommée, est l'application de ces principes aux domaines les plus variés de la vie quotidienne.
Kuwata Masumi ou la résurrection d'un champion de baseball grâce à l'utilisation du corps dans les arts martiaux traditionnels
Kuwata Masumi est un pitcher (lanceur) de baseball né en 1968. A l'âge de dix-huit ans il débute en 1986 dans la plus grande équipe du Japon, les Yomiuri Giants. Joueur au talent exceptionnel il devient très rapidement l'un des meilleurs lanceurs de l'archipel. Malheureusement en 1995 il se blesse gravement au coude droit et subit une lourde intervention chirurgicale qui l'éloigne des terrains pendant près de deux ans.
A son retour Kuwata reste un bon lanceur mais son niveau n'est plus du tout comparable à celui qu'il avait avant sa blessure. Il recherche dans toutes les directions, travaillant selon les méthodes de préparations scientifiques les plus modernes, utilisant musculation et diététique mais rien n'empêche les batteurs de frapper de plus en plus facilement ses balles et sa carrière décline inexorablement. Il décide finalement de prendre sa retraite en 2001 mais son équipe réussit in extremis à le convaincre d'essayer de continuer à jouer. C'est alors qu'il fait la connaissance de Kono senseï…
Lors de leur première entrevue Kono démontre à Kuwata comment appliquer les principes d'utilisation du corps des bujutsu dans sa discipline. Kuwata déclarera par la suite que les mouvements de Kono étaient plus rapides que ceux de n'importe quel joueurs qu'il avait vus.
Cette expérience est une véritable révélation pour lui et il devient dès lors un pratiquant acharné des techniques de Kono senseï. Grâce à la mise en pratique de ces enseignements il deviendra à trente-quatre ans le joueur le plus rapide, ses lancers deviendront imprévisibles à l'œil des batteurs et il reviendra de manière spectaculaire à son plus haut niveau, devenant le meilleur lanceur du Japon!
Kuwata Masumi
Sportifs convaincus
Kono senseï démontre régulièrement les résultats stupéfiants auxquels il est arrivé face à des sportifs de haut niveau. On l'a notamment vu se placer face à un boxeur professionnel et le frapper sans que celui-ci puisse réagir, résister à la poussée d'un lutteur de Sumo de plus de cent soixante-dix kilos alors qu'il ne pèse lui-même que soixante-deux kilos, passer la défense de joueurs de football professionnels, retourner avec facilité des judokas de plus de cent kilos, etc… La liste est sans fin des occasions où il a accepté de mettre à l'épreuve ses théories et de prouver leur indubitable efficacité.
Il n'est donc pas étonnant que Kuwata ne soit que le plus célèbre des sportifs faisant confiance à lui. Les joueurs professionnels et les fédérations des sports les plus divers font aujourd'hui appel à ses talents afin d'améliorer leurs résultats. Suetsugu Shingo qui fut le premier à remporter une médaille de bronze au 200 mètres rapporte par exemple que le secret de son efficacité est la marche Namba.
Un travail sur le corps aux applications multiples
Vie quotidienne
Aujourd'hui l'enseignement de Kono senseï touche un public encore plus large que celui des sportifs car il démontre les principes de l'utilisation "traditionnelle" du corps dans des activités aussi simples que la marche, se lever, s'asseoir ou porter un sac. Ses recherches ont soulevé l'intérêt du grand public, des sportifs, mais aussi des médecins, des sociétés fabriquant des robots, des artistes, etc… Il est un de ceux grâce à qui les arts martiaux traditionnels ont sans aucun doute trouvé un regain de popularité qui leur permettra de survivre… au moins quelques décennies de plus.
Sur les traces des adeptes du passé...
Kono Yoshinori donnera une série de
stages exceptionnels en Europe du 19 au 26 juin.