Budo no Nayami

Une vision de la voie : interview avec Léo Tamaki

31 Octobre 2023 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

Le texte qui suit est la compilation d’une série d’échanges avec Germain Chamot publiés dans le magazine Dragon Spécial Aïkido dont il est rédacteur en chef. Pour me mettre régulièrement à sa place lors d’interview que je réalise pour différents médias, je le remercie de jouer le candide pour le bénéfice des lecteurs. En outre, si j'espère que ces conversations nourrissent sa réflexion, elles me sont précieuses dans la mesure où elles m'amène à ordonner mes réflexions.

 

 

 

Pourquoi l'Aïkido plutôt que le zen ou le Chadō ?

Avant tout parce que ça m'amuse. Nous jouons. Ensuite parce qu'il me semble qu'il y a une approche plus complexe. Beaucoup de Dō se concentrent sur l'aspect spirituel, et/ou travaillent dans un cadre fixe. Un des points forts de l'Aïkido est qu'il développe le corps et l'esprit dans un contexte instable.

 

Ce que j'aime dans la pratique martiale, c'est que l'on peut revenir à quelque chose de concret, et moduler les difficultés. Comment réagit notre esprit face à un poing ? Face à un bâton ? Et face à une lame tranchante ?

Le relâchement développé par certaines traditions martiales qui ont banni l'opposition, ou même par des danseurs, disparaît aisément lorsqu'une attaque réelle survient. La pratique martiale permet d'aller graduellement d'un cadre fermé à ouvert, d'un danger modéré à intense. Elle donne des outils précieux pour faire face au danger et à l'inattendu dans notre quotidien.

 

Nous jouons ?

Oui, mais avec sérieux. Comme un enfant. Et un lionceau ou un ourson joue à la bagarre. Il fait les mêmes gestes qu'il utilisera plus tard pour sauver sa vie, simplement à une intensité modérée. Nous n'apprenons jamais mieux qu'en jouant.

On peut chercher à développer directement sa conscience, comme à travers le zen, ou utiliser un support qui n'est au final qu'un prétexte. Au final quoi qu'il en soit, il n'y a jamais de garantie. Alors autant choisir une pratique qui nous amuse. (Rires)

 

Il est parfois difficile de s'amuser avec quelqu'un qui reste dans une opposition constante ? (Rires)

En effet. Il y a beaucoup de modes de travail différents dans la pratique martiale. On n'est pas le même partenaire dans une interrogation technique d'examen, un randori, ou en combat. Ce sont des exercices différents.

Le souci est lorsque Uke ne comprend pas, ou ne veut pas comprendre. La responsabilité première est à mon sens celle de l'enseignant qui doit préciser le cadre de travail, et intervenir s’il n'est pas respecté.

Après, il existe une autre forme d’opposition qui n’a rien à voir avec celle que je décris.

 

C’est-à-dire ?

Ce type d’opposition consiste pour Uke à appliquer une contrainte à un endroit précis, mais de manière figée et souvent en oubliant le reste des possibilités (notamment les frappes). Pour y faire face certaines écoles se basent sur des leviers basiques. L'efficacité est réelle mais limitée.

 

Qu'entends-tu par là ?

La mécanique basique de leviers n'est pas fausse. Mais elle est très limitée. Un homme considère souvent la situation de son point de vue. S'il fait 80kg, il sait qu'il est déjà difficile de faire face à quelqu'un qui en fait 100. Et évidemment un levier simple ne fonctionnera jamais face à quelqu'un qui fait le double de son poids, soit 160kg.

Imaginez le problème d'une femme de 50kg qui se trouve régulièrement avec des gens faisant le DOUBLE de son poids. Les solutions qui sont limitées, mais peuvent fonctionner pour un homme de 75kg, ne lui sont jamais d'aucune utilité. Aussi, soit elle quitte la discipline, soit elle se résigne à une efficacité limitée en attendant de la coopération, qui n'est dans le cas présent que de la complaisance.

 

 

 

Les leviers continuent à être enseignés c’est qu’il possèdent certainement un avantage ?

L'avantage des leviers simples est qu'ils sont facilement assimilables et qu'ils ne nécessitent pas de modification de l'utilisation du corps. C'est parfait pour une self-défense où l'on veut donner une efficacité le plus rapidement possible. Après, cela ne permet pas d'être performant à 75 ans contre un jeune en pleine forme... Ce que - a contrario - enseigne les traditions martiales. C'est ce que démontre Mifune Kyuzo alors qu’il ne pèse plus que 45kg et a 70 ans passés, dans des randoris avec ses élèves. Mais c'est une vie de travail…

 

Les exercices développés par certains maîtres tels que Kuroda Tetsuzan, Hino Akira ou Akuzawa Minoru sont-ils une solution au problème ?

Je crains au contraire qu'ils ne le masquent. Chacun de ces adeptes a un niveau hors du commun. Et lorsqu'ils ont voulu développer ces capacités chez leurs élèves, ils ont essayé de leur faire gagner du temps, et ont imaginé des exercices isolant des principes d'efficacité.

Mais si on travaille la dissociation en faisant des ronds sur son ventre avec la main droite et en se tapant la tête avec la main gauche, ce qui va arriver très vite c'est que l'on va devenir bon dans un exercice qui n'a rien d'applicable. Mais on ne saura pas pour autant réaliser un mouvement technique de façon dissociée.

En revanche, si l’on travaille régulièrement un certain nombre de techniques dont la plus grande efficacité ne peut être atteinte qu'en utilisant la dissociation, c'est une façon de bouger que nous intégrons. Et lorsqu'on nous présente un exercice comme celui de la tête et du ventre, on le réalise sans soucis. Les capacités développées à travers une variété de mouvement peuvent devenir une seconde nature. Les exercices spécifiques, trop spécialisés, répétitifs et éloignés de tout contexte, sont au final une voie de garage.

 

Mettre les gens devant des tâches qui nécessitent la maîtrise de la qualité recherchée. Cela a aussi l'avantage de faire travailler en arrière-plan tous les autres éléments de la pratique martiale que sont la gestion de la distance, du stress, la maîtrise du mouvement, etc.

 

Ces exercices ne sont alors d'aucune utilité ?

Si, ils sont intéressants pour mettre en lumière un principe qui peut nous échapper lorsque l'on aborde la technique de façon superficielle. Et ils sont en outre un excellent outil de diagnostic, permettant de vérifier notre avancée dans la modification de l'utilisation du corps.

 

Il y a une appétence pour ces exercices et méthodes. Pourquoi ne pas les mettre plus en valeur ?

Les pratiques révolutionnaires, les méthodes incroyables attirent deux catégories de personnes. Les mauvais qui n'obtiennent pas de résultat avec la méthode mainstream, et les bons qui en ont fait le tour et veulent passer à une autre étape. Inutile de dire que la première catégorie compte beaucoup plus de membres. (Rires) Les pratiquants "moyens", qui n'ont pas atteint un haut niveau mais obtiennent des résultats réguliers, ne sont pas intéressés.

 

Mon objectif premier est mon cheminement. Et meilleurs sont mes compagnons de route, plus loin je pourrai aller. C'est pour ça que j'ai partagé ces méthodes lorsque je les ai découvertes et qu'elles m'ont enthousiasmé. C'est pourquoi je les ai mises de côté quand j'ai vu leurs limites, alors que je savais pertinemment qu'elles étaient un incroyable filon.

 

 

 

Les gens perçoivent-ils les spécificités du travail que vous proposez ?

La quasi-totalité du public qui débute est incapable de voir la finesse. C'est normal. Et même parmi les passionnés peu ont un regard réellement aiguisé.

Lorsque Thierry Marx va se former à la cuisine au Japon, il est déjà un chef reconnu. Il s'étonne un jour que lorsque c'est son tour de préparer le repas du staff, le chef principal, le père, ne mange pas. Il s'en enquiert auprès du fils qui lui dit que son père trouve que lorsqu'il coupe le poisson il déchire les fibres... Ce niveau de perception qui échappe à chacun d'entre nous !

C'est illustré dans la Pierre et le sabre par la pivoine coupée par Yagyu, dont seul Musashi perçoit l'aspect exceptionnel. Les élèves même de Yagyu ne le perçoivent pas. Leur volonté de comprendre est louable. Mais on doit aussi comprendre Musashi qui dit que s'ils ne voient pas "Rien ne sert de parler."

 

Maintenant nous attirons un public déjà "éveillé". Pour autant, à chaque stage j'ai un pratiquant qui vient me dire "J'adore ce que vous faites, mon prof fait la même chose." Et si je n'ai aucun mal à concevoir que ledit enseignant est bon, je suis toujours dubitatif quant au fait qu'il utilise une modification du corps somme toute rare dans le monde martial, toutes disciplines confondues, et particulièrement avec l'Aïkido.

En fait les gens veulent dire que ça leur plaît, et là oui c'est commun avec ce que fait le prof qu'ils choisissent. Mais le constat est incorrect s'il s'agit de comparaison dans les stratégies, et particulièrement dans la façon d'utiliser le corps.

 

N'est-ce pas frustrant ?

J'ai une profonde gratitude pour tous les pratiquants qui viennent travailler avec moi.

Nous attirons des gens qui sont obligés de surmonter leurs propres préjugés. Par la tenue que nous portons, qui n'est pas uniforme. Par le fait que nous soyons un groupe indépendant de l'état. Par le discours... Il y a chez chaque personne qui vient pratiquer l'Aïkido Kishinkaï, une ouverture d'esprit, un cheminement que beaucoup ne font pas. Qu'ils soient à un stade de pratique où ils ne sont pas encore capables d'identifier les particularités de ce que je propose n'enlève rien à la gratitude que j'ai envers eux.

 

Quelles erreurs un professeur doit-il faire éviter à ses élèves ?

En tant qu'enseignant on peut faire gagner du temps aux élèves en leur permettant d'éviter certaines erreurs, et d'en corriger d'autres rapidement. Mais il y a aussi toutes celles par lesquelles il est nécessaire de les laisser passer. Car il est bien plus efficace de prendre conscience d'un problème soi-même et de le régler, que d’être « trop » guidé. C'est un processus précieux, et l'enseignant ne doit pas le voler aux élèves. Il est agréable d'être le tout-sachant qui guide constamment. Mais si on n'y prend pas garde, on ne fait que développer des assistés.

 

Sans compter que les leçons tirées de l'expérience sont souvent mieux intégrées.

On peut dire que le feu brûle et l'eau mouille. Ça peut prévenir des accidents. Mais seul celui qui a touché une flamme a profondément compris la leçon. Après, l'enseignant peut veiller à ce que la leçon se prenne dans les meilleures conditions… L'expérience étant le meilleur enseignant, le professeur peut faire en sorte qu'il y ait une expérimentation guidée.

 

Apprend-t-on autant des élèves ?

Non. Un enseignant de primaire n'apprend pas de ses élèves. Tout du moins pas dans la matière qu'il leur enseigne. On ne discute pas de philosophie avec un enfant de douze ans. On peut lui en donner des notions. Mais si ses questions retournent le cerveau d'un agrégé de philo, il y a un problème ! (rires)

Après, lorsqu'un élève devient avancé, oui les échanges à ce niveau sont très enrichissants.

 

 

 

Le nombre important de hauts gradés actuels peut laisser espérer de fructueux échanges dans la discipline ?

S'il y a de plus en plus de gradés, j'ai le sentiment qu'il y a de moins en moins de gens qui atteignent un haut niveau.

À mes débuts dans les années 90, XXS, un candidat qui venait d'obtenir son yodan était venu demander à Toshiro Suga ce qu'il avait pensé de sa prestation. Il lui a répondu "Un 4ème dan ça doit faire peur." Il s'est tourné vers un de mes sempaï (1er dan à l'époque) et lui a demandé "Yann, est-ce que XXS te fait peur ?".

"Non."

"Voilà XXS."

À noter que XXS est maintenant cadre national et 6ème dan. Il ne fait toujours pas peur. (Rires)

 

Bref, il y a de plus en plus de hauts gradés, mais je vois la majorité de ces titres comme une reconnaissance de service rendus, et d'un investissement qui brille plus par sa constance que par son intensité. Ce sont des choses louables, mais il est regrettable que ceux qui reçoivent des titres honorifiques ne s'en rendent pas toujours compte.

 

Comment persévérer sans échéance de grades lorsque l'on est enseignant ?

La réponse est individuelle. La base est de comprendre son propre fonctionnement.

Il faut se comprendre pour pouvoir se manipuler afin d'atteindre ses propres objectifs. Beaucoup de choses m'indiffèrent, telles que le Yoga, la méditation, etc. Mais j'en reconnais les bénéfices. Comme je suis très compétitif, les badges par exemples que l'on gagne avec l'application de méditation Headspace ont été un des éléments qui m'ont aidé à passer des caps. Bien sûr un badge électronique que l'on est le seul à voir, ça ne permet pas de passer un gros obstacle. Mais le jour où on a une petite baisse de motivation, ça fait le job.

 

Il faut avoir des stratégies pour continuer. La constance est la base. Et à un moment, on arrive à un état où ce qui nous demandait des efforts devient une seconde nature. Attention toutefois, c'est fragile et ça peut se perdre. Avec quelque chose qui ne nous passionne pas on peut arriver au point où on le fait sans effort, mais s'arrêter ne demande pas d'efforts non plus. Il faut donc savourer le moment où on a réussi à atteindre cet état, et le respecter par notre constance.

 

En tant que professeur d'enseignants, quelles erreurs cherchez-vous à leur économiser ?

Les erreurs ne sont pas l'apanage des élèves bien entendu, et un professeur en commet aussi. Mais là encore il est contre-productif de vouloir tout corriger.

En Aïkido par exemple, beaucoup à un moment veulent faire mettre des gants et autres protections à leurs élèves. C'est d'une part faire une confusion sur le cadre d’application de notre discipline, d'autre part cela peut encourager des comportements risqués sans encourir de sanction. Mais il est bon qu'ils arrivent à ces conclusions par eux-mêmes, car si on interdit ceci et cela, on infantilise les enseignants. C'est le même processus, simplement à un autre niveau.

 

 

 

Quelle confusion sur le cadre ?

L'Aïkido n'est pas fait pour combattre dans les règles du fair-play. C'est une voie, issue de traditions permettant de survivre dans les pires conditions. C’est-à-dire face à des adversaires supérieurs en nombre, et/ou armement, et/ou qualités athlétiques. Si aujourd'hui on ne pratique plus parce qu’il est nécessaire d’améliorer ses chances de survie, le catalogue technique et son efficacité potentielle ne sont pensés que dans un cadre où tout est permis, et notamment où l'on va attaquer des parties vulnérables, et difficiles à protéger. Ce sont la pique aux yeux, les attaques sur les articulations fragiles, etc. Ce n'est jamais frapper sur les muscles du buste ou des jambes par exemple.

 

Certains pratiquants s'évertuent à forcer jusqu'à ce que leur partenaire chute. Si ils y parviennent, doit-on en déduire que leur mouvement est juste ?

Non. D'une part parce que l'Aïkido ne consiste pas à projeter, mais comme le disait le fondateur, à entrer et frapper, soit Irimi et Atémi.

Par ailleurs l'Ukemi est un moyen de limiter l'effet du mouvement qui nous est appliqué (frappe, clé, etc.), de même qu'une façon de pétrir le corps. En ce sens, l'Ukemi correct est un succès du Uke.

 

Beaucoup des pionniers étaient issus du Judō où la chute est subie et synonyme de défaite. En outre le terme chuter, en japonais Ochiru, est corrélé d'un sens négatif. Hors Ukemi c'est Mi, le corps, qui reçoit, Ukeru. C'est une action positive et choisie.

 

Si ce n'est projeter, comment définir l'Aïkido ?

L'Aïkido est-ce les clés ? Oui et non. Si un chauffeur de taxi me demande si l'Aïkido est ce que fait Steven Seagal, je lui dis oui si je sens qu'il souhaite simplement faire la conversation. S’il montre un véritable intérêt, je peux lui préciser que que nous pratiquions la même discipline mais en avons une interprétation différente.

D'où parle la personne ? Que souhaite-t-elle savoir ? Qu'est-elle en situation de comprendre ? Cela guide l'interaction. Ainsi, il n'est pas faux de dire que l'Aïkido ce sont des clés. C'est simplement imprécis et incroyablement réducteur. C’est comme si l'on disait que la gastronomie française c'est la blanquette de veau. Ce n'est pas faux, mais c'est une approximation.

 

Pour certains, de façon très littérale, l'Aïkido est ce que l'on fait en tenue dans un dojo, et cela consiste souvent à projeter quelqu'un. Ce n'est pas faux. Et dans l'absolu, l'Aïkido est un développement de la conscience. Chacun sa perception, sa hauteur de vue.

Tout le monde fait la même chose, mais chacun le réalise et le comprend à son niveau. Que je donne une feuille et un crayon à un enfant de maternelle et à Picasso, font-ils la même chose ? Oui. Font-ils la même chose ? Non. Le support est commun, ce que l'on vit et que l'on produit nous est propre.

 

Est-il intéressant de suivre plusieurs enseignements ?

Lorsque l'on a maîtrisé les fondements d'une voie, à chacun de voir si celle-ci lui apporte tout ce qu'il recherche. Un enseignant dans une discipline suffit à certains, quand d'autres croisent l'enseignements de plusieurs maîtres (cf. Daniel Toutain avec Noro Senseï, Tamura Senseï et Saïto Senseï). De même un seul art suffit à certains (cf. Tamura Senseï avec l'Aïkido, Mifune Senseï en Judo), quand d'autres sentent qu'une autre pratique leur est nécessaire (cf. Didier Beddar avec le Shaolin du Nord, le Wing Chun, le Taï Chi et le JJB, ou Nishio Senseï avec l’Aïkido, le Karaté, le Judo et le Iaïdo).

Aucun de ces choix n'est supérieur à l'autre. En revanche avoir le désir de vouloir tout apprendre simultanément est le plus sûre chemin vers la médiocrité.

 

Il n'est donc pas efficace de suivre plusieurs enseignements de concert ?

Il s'agit d'abord d'une question de temps. Si on dispose de peu de temps, alors la question ne se pose pas. Si on en a à disposition, alors je pense qu'il faut éviter des choses qui semblent proches mais sont différentes.

Apprendre de front l'espagnol et l'italien ou le portugais ne génère que de la confusion. En revanche l'anglais et le japonais, pourquoi pas. Même si au final à titre personnel je pense que l'on est plus efficace en se concentrant sur une chose avant d'aborder la suivante. C'est non seulement ce que j'ai constaté dans mon parcours, mais aussi ceux de gens tels que Daniel Toutain, Didier Beddar ou Jean-Marc Chamot. Ils se sont abreuvés à des sources diverses. Mais ils ne se sont plongés dans l'enseignement d'un nouveau maître ou d'une nouvelle discipline qu'après avoir intégré celle qu'ils pratiquaient. Et quand je dis intégré, c'est une dizaine d'années avec à minima, quinze heures par semaine. Thierry Marx n'a pas appris simultanément la cuisine française et japonaise. Il a fait l'apprentissage de l'une avant d'aborder la seconde. Si l'on dispose de temps, mieux vaut le consacrer à approfondir ce que l'on étudie.

 

Quelle est la part de l'entraînement en solitaire en Aïkido ?

Celui qui considère que l'Aïkido se limite à la pratique au dojo, fait de l'Aïkido. Deux heures par semaine. Pour celui qui suit la voie de l'Aïki, l'Aïki-DŌ, chaque instant est un support pour y cheminer. On rapporte qu'Osenseï disait "Chaque geste que je fais est aïki.". À ce titre les moments où il marchait, priait, chaque instant de vie pouvait être une manifestation de l'Aïki ou un temps consacré à son étude.

Concrètement, si aujourd'hui ne reste souvent au mieux que ame no tori fune, Ueshiba Moriheï travaillait énormément seul. Il pratiquait par exemple makko ho et s'entraînait beaucoup aux armes. Ses exercices spirituels étaient aussi partie intégrante de son cheminement.

 

Pour le grand public et une majorité de pratiquants, cet aspect est méconnu.

En effet. Aux yeux du public l'Aïkido s'incarne à travers le ballet d'un couple de pratiquants. Mais le travail à deux ne résume pas plus l'Aïkido, que le travail en solitaire ne définit le Taï Chi ou le Iaïdo. C'est simplement le mode de travail majoritaire lorsque l'on est au dojo.

Mais le dojo n'est qu'un versant de la pratique. L'autre face est le travail personnel, souvent en solitaire. Le temps que l'on y consacre varie selon notre situation. Il s'agit toutefois d'un élément fondamental de la pratique martiale, et cela même pour l'Aïkido. Au final lorsque l'on arrive à investir chaque instant de vie avec son cheminement, la pratique à deux devient même mineure en termes de temps.

 

 

Le travail de modification de l'utilisation du corps peut-il se pratiquer seul ?

Absolument. Bien sûr il faut pour cela avoir développé un seuil minimum de conscience intérieure. Conscience intérieure que beaucoup croient posséder, mais qui pour la majorité des pratiquants en est au mieux au niveau du balbutiement.

Au départ un pratiquant ne sait pas qu'il y a une variété de façon d'utiliser le corps. Il lui faut donc expérimenter par le contact avec son professeur. Puis un partenaire expérimenté lui permettra de mesurer son état de tension, relâchement, connexion, d'être informé de l'endroit d'où il fait naître son geste, des mouvements de son esprit. Grâce à ses indications il apprendra peu à peu à sentir ce qui se passe en lui. Une fois cette conscience intérieure éveillée, il pourra alors travailler seul. Les bases pour travailler en solitaire peuvent s'acquérir assez rapidement.

 

Si chaque instant de vie d'Osenseï était Aïki, a-t-on besoin de passer tant de temps au dojo ?

À partir d'un certain niveau, tout ce qui est fait en conscience fait avancer. Mais cela vient APRÈS un fort investissement dans la pratique (seul et à deux). L'évolution passe par plusieurs étapes, et on ne peut en sauter sous peine d'avoir un édifice fragile. Le premier stade est un grand nombre d'heures passées à se consacrer à la pratique en tant que telle. Il n'y a pas de seuil précis, mais 10 000 heures est un chiffre symbolique indicatif intéressant. Je vous laisse faire le compte pour voir le nombre d'années que cela signifie pour vous.

 

Pouvez-vous donner quelques exemples de travail en solitaire ?

En ce qui concerne l'aspect technique il y a entre autres :

-       Les suburis.

-       Les exercices de modification de l'utilisation du corps.

-       Les techniques réalisées seul en tant que tori ET uke.

Nous avons d'ailleurs récemment réalisé "Ken no kihon" avec Lionel Froidure, qui donne énormément d'outils pour travailler seul, notamment en compilant de nombreuses formes de suburis.

J'y donne toutes les bases du travail au sabre. J'ai voulu que les pratiquants avancés aient un aide-mémoire précis, et que les personnes souhaitant débuter la pratique du ken aient des outils clairs pour le faire.

 

Le sabre est-il nécessaire pour la pratique de l'Aïkido ?

"Le sabre est la base des arts martiaux japonais." a récemment dit Hiroo Mochizuki.

Il y a naturellement plusieurs niveaux d'influence. Cela peut par exemple être évident dans les formes techniques de nombreuses écoles de Jujutsu. Mais cela peut aussi être dans l'esprit de la pratique, comme dans de nombreux styles de Karaté. Toutefois, quelle qu'en soit la forme, le sabre et son esprit sont à la base des arts martiaux japonais.

Pour ce qui est de l'Aïkido, on peut naturellement le pratiquer sans utiliser le sabre. C'est toutefois se priver d'un outil précieux. C'est à travers son travail que s'illustrent le plus clairement les principes de notre école, la modification de l'utilisation du corps qui y est enseignée, ses stratégies de combat et son esprit.

 

D'où vient la pratique du sabre de l'école Kishinkaï ?

À la base de notre école se trouvent les enseignements des maîtres Tamura, Kuroda, Kono et Hino. Avec Isseï, Julien Coup et Tanguy Levourc'h nous avons ensuite analysé, systématisé et fait évoluer les éléments que nous avons reçu pour que cela forme un tout cohérent.

Mais je le répète souvent, si ces maîtres et d'autres nous ont influencés, nous ne revendiquons en aucun cas les rôles de représentants, héritiers ou élèves préférés. Si vous êtes intéressés par le travail de l'un des experts ci-dessus encore vivants, nous vous invitons à aller pratiquer directement avec eux. Si leur importance dans notre parcours est fondamentale, ce que nous proposons diffère notablement et volontairement.

 

 

Quel est l'intérêt de travailler les techniques seul ?

Cela fonctionne d'abord comme un exercice physique qui forge le corps aux exigences de la pratique de l'Aïkido. Ensuite cela permet d'approfondir la modification de l'utilisation du corps. C'est le travail de la légèreté et la dissociation chez nous, mais on peut dans d'autres écoles chercher l'enracinement et la connexion. Enfin cela fluidifie le chemin interne, les connexions neurales. Le geste devient alors intuitif et instantané.

 

Pourquoi réaliser ce travail en tant que uke ?

Comme l'explique Jean-Marc Chamot, le travail en tori nécessite une modification de l'utilisation du corps. Mais forger et malaxer le corps est essentiellement réalisé dans le rôle de uke. C'est très bon pour la santé, et cela ne doit absolument pas être négligé.

 

À partir de quand ce travail peut-il être réalisé ?

Naturellement il faut que le mouvement soit déjà compris. Sans quoi on s'expose à ancrer des erreurs. Mais il faut travailler dès qu'il y a une compréhension globale. On ne peut attendre que le geste soit parfait.

On a une image approximative, on travaille un peu seul. Cette image approximative est affinée en cours, on précise son travail personnel. C'est un aller-retour constant. Puis à partir d'un certain niveau, lorsque la forme extérieure sera maîtrisée, c'est finalement le travail solitaire des sensations internes qui enrichira la pratique au dojo.

 

Aujourd'hui en quoi consiste votre pratique en solitaire ?

Il y a des périodes dans mon entraînement personnel. Je fonctionne par cycles, en fonction de mes besoins et envies. Il y a du travail technique tel que les suburis, le iaï, les techniques dans le vide, les atémis, mais aussi du yoga, de la méditation, du conditionnement physique.

 

 

 

Mais l'Aïkido est-il si incomplet qu'il nécessite ces pratiques annexes ?

(Rires) C'est considérer que l'Aïkido n'existe qu'à travers sa manifestation physique en dogi. Comme je le disais précédemment, cette partie est fondamentale. Et elle représente l'essentiel de la pratique lors des premiers stades de cheminement.

Mais si l'on observe Ueshiba, on peut voir que non seulement il utilisait tout comme support de sa quête, mais aussi que pour pouvoir cheminer il prenait soin de son instrument, à savoir son corps. D'une part il a fait des exercices de conditionnement, d'autre part il avait une vie très physique, notamment avec l'agriculture. Pour quelqu'un qui est citadin et passe une majorité de son temps assis, développer son physique évite les blessures et permet de mieux profiter de son temps sur les tatamis.

Enfin il ne faut pas oublier le développement spirituel, et si chacun n'a pas obligatoirement un engagement religieux comme Ueshiba, le yoga, la méditation, sont de précieux outils alternatifs.

 

L'entraînement personnel consiste-t-il à faire mieux ou trouver d'autres moyens ?

Il n'y a pas de division nette. Selon les périodes on travaille plus un aspect que l'autre, mais il est pertinent de travailler ces deux axes. C'est comme pour Shu Ha Ri. Lorsque l'on commence à entrer dans Ha vers le troisième dan, il faut commencer son exploration. Dans le même temps, il faut continuer à polir les fondements.

 

Nous avons nos inclinaisons, qu'il est bon de suivre notamment car cela donne un élan, mais qu'il faut savoir équilibrer. Au départ quand on commence Ha, on explore à tout va et probablement dans la direction de nos points forts. C'est ce que l'on attend dans notre école, des gens qui présentent leur sandan, dans leur programme libre. Puis au 4ème, on attend la poursuite de l'exploration, mais dans un rééquilibrage, avec un travail sur les aspects vers lesquels nous sommes moins enclins. Celui qui a travaillé sa mobilité doit savoir prendre le centre. Et celui qui aime traverser, doit savoir être mobile. Et ce sont les bases qui nous permettent de comprendre l'équilibre souhaité.

 

Quelle est l'importance du travail des bases ?

Il faut toujours travailler ses bases, même lorsque l'on est dans Ha. Au Philarmonique de Berlin, probablement l'orchestre le plus prestigieux du monde, les musiciens travaillent quotidiennement leurs gammes. Et avant chaque concert. C'est-à-dire chaque jour.

Comme les musiciens du philarmonique, il nous faut revenir encore et encore à notre répertoire de base pour étudier et travailler les principes qui sont au cœur de l'Aïkido.

 

 

 

Mais notre répertoire est limité. Ne peut-on travailler les principes avec des supports variés ?

Avec les disciplines que j'ai pratiquées, mais plus encore les adeptes de tous horizons que j'ai rencontrés que j'ai compris que :

-       Un principe, une stratégie, peuvent être travaillés à travers des supports techniques aux formes variées.

-       Une forme technique peut fonctionner en étant réalisée de façons très différentes.

Seuls les intégristes pensent que le catalogue est magique, qu'il doit rester immuable. En Aïkido, l'expression des principes est illimitée, c'est Takemusu Aïki. On peut alors imaginer travailler ces mêmes éléments sur un autre support.

 

Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille être cavalier avec le catalogue. Quand on en a un qui est cohérent et efficace il ne faut pas en déduire une supériorité quelconque, mais il faut le respecter.

 

Si l'expression des principes est illimitée, pourquoi toujours utiliser le même support pour les travailler ?

Tout d'abord un catalogue de référence permet d'observer précisément les changements dans l'utilisation du corps. Si on change constamment de référentiel il est plus difficile d'observer les évolutions.

Ensuite un catalogue commun permet de travailler avec toutes les personnes le connaissant sans avoir à redéfinir un outil commun.

 

Un catalogue bien pensé est un résumé. Il n'est "que" une base de la pratique. S'il est bien conçu il permet de retrouver tous les principes, mais chaque enseignant se l'approprie et lui donne vie à sa manière. Le catalogue est un outil, précieux, mais ne doit jamais devenir un objet de fétichisme, et sa maîtrise n'est pas l'objet de la pratique. C'en est juste une étape.

 

Qu'entendez-vous par "sa maîtrise n'est pas l'objet de la pratique" ?

Le cursus est un résumé. Il condense en quelques mouvements choisis les principes et stratégies de l'école. Mais les techniques rassemblées ne sont qu'une infime partie des manifestations possibles de ces principes et stratégies. Se limiter n'a tout simplement aucun sens.

 

Par ailleurs si le seul but est de bien réaliser ses gammes ou le catalogue technique de sa discipline, on est totalement désemparé face à la multiplicité des possibles et situations que l'on est susceptible de rencontrer.

Les bons musiciens classiques ont une qualité de geste et un son exceptionnels, mais la majorité est incapable d'improviser. Les grands jazzmen sont capables d'improvisations géniales, mais leur son est souvent de qualité moindre. Ceux qui allient les qualités d'une formation rigoureuse sublimée par la pratique dans un cadre ouvert sont les véritables géants. Ils ne sont qu'une poignée dans le monde. Le plus illustre d'entre eux est probablement Keith Jarrett qui a une technicité, une qualité de son exceptionnelles, ET une créativité phénoménale. Il est capable de s'adapter et vivre l'instant présent AVEC un son de qualité.

 

 

 

Peut-on considérer que l'Aïkido traditionnel est semblable à la musique classique ?

Je ne sais pas si cette comparaison n'est pas insultante pour la musique classique. (Rires)

Plus sérieusement, qu'est-ce que l'Aïkido traditionnel ? Celui des courants d'Iwama (origine Saïto Morihiro) ? De Shingu (origine Hikitsuchi Michio) ? De Tokyo (origine Ueshiba Kisshomaru) ? De Kumamoto (origine Sunadomari Kanshu) ?

Pour CHACUN de ces courants, je pourrais citer des éléments de la pratique de Ueshiba Moriheï qui diffèrent, des innovations, etc. Si un Aïkido traditionnel est celui où le maître est capable de reproduire ce que faisait Osenseï et où l'on enseigne à sa manière, alors AUCUN ne répond aux critères. Dans le même temps ils prennent tous leur source à la même origine et étaient tous reconnus par le Fondateur. De même que ceux que l'on appelle souvent modernes tels Nishio Shoji, Yamaguchi Seïgo ou Tomiki Kenji. Tous sont traditionnels dans la mesure où ils transmettent une pratique à travers le temps.

 

Une fois cela posé, quand on accole l'adjectif traditionnel à une discipline, que ce soit Karaté, Aïkido ou autre, c'est généralement qu'il y a une inclinaison vers un travail obsessionnel de fondements révérés de façon quasi religieuse, pas d'actualisation, et très rarement un travail libre. En ce sens on peut rapprocher cela de la musique classique. À la différence majeure toutefois, que je ne connais quasiment aucune personne dont l'investissement en Aïkido soit comparable à celui des passionnés, et plus encore des professionnels, de musique classique.

 

Les méthodes ne se basant pas sur un catalogue sont-elles une solution ?

Je ne crois pas. Dans les méthodes qui se prétendent libérées de carcans il y a en réalité une transmission technique qui ne s'avoue pas. Le discours est séduisant et correspond à la mentalité actuelle où l'on veut une liberté totale sans avoir de devoirs. Concrètement cela trahit souvent l'absence d'outils précis. Les qualificatifs de "moderne", "traditionnel", "libre", etc., sont surtout des étiquettes marketing. Je ne cautionne pas, mais je comprends que l'on utilise cela pour se présenter au grand public. En revanche, ceux qui, face à un autre pratiquant, posent leur légitimité sur la supériorité de leur méthode, sous prétexte qu'elle est plus "traditionnelle" ou "libre", ne font que faire étalage de leur incompétence.

 

Quelle solution préconisez-vous ?

Le juste milieu. Mais le juste milieu est toujours le plus dur à saisir… L'équilibre est fragile.

 

La qualité du geste est essentielle, mais il ne faut pas devenir fétichiste. Il y a le geste idéal, mais il faut savoir se satisfaire du geste suffisant lors des expressions dans un cadre libre. Aïte peut critiquer la qualité de ton mouvement. S’il a fini le c*l par terre, celui-ci était suffisant à l'instant T.

L'excellence gestuelle donne une marge. Mais cette marge n'est intéressante que lorsqu'elle sert à mieux performer dans le "réel", un cadre d'opposition ouvert.

 

Vous avez réalisé une démonstration en tenue civile à Bercy. Comment cela a-t-il été reçu ?

Avec Isseï nous avons voulu faire un clin d'œil à la démonstration en civile réalisée par Ueshiba Kisshomaru, Tohei Koichi et Abe Tadashi. Nul doute qu'il y a dû avoir des gens offusqués. Mais cette présentation est celle pour laquelle j'ai reçu le plus de messages enthousiastes. Alors que d'autres avaient été plus travaillées, celle-ci a touché une corde. Des experts célèbres, des gradés, des pratiquants de toutes disciplines m'ont fait part de leur appréciation. Sans doute est-ce la prise de conscience de la violence, tant dans notre quotidien qu'à l'international. Le fait est qu'aujourd'hui l'efficacité questionne.

Dans une entreprise, le leadership choisi par les actionnaires varie en fonction du contexte mondial. Il est probable aussi que cela soit le cas dans les tendances de l'Aïkido. Lorsque tout va dans un sens qui semble positif, l'efficacité passe au second plan. Mais dès lors que la situation se tend, on en revient aux fondamentaux. La base c'est que l'Aïkido est un art martial. Si on peut se transcender à travers sa pratique, ce n'est pas en niant sa nature.

 

À propos d'entreprise, il me semble que vous donnez des conférences présentant l'Aïkido dans ce milieu ?

En effet. Il y a cinq ans j'ai été contacté par Brigitte Horak pour animer un évènement à la MACIF. Elle m'a présenté un mémoire qu'elle avait écrit sur les concepts de l'Aïkido adapté au management. Nous avons alors créé ensemble des séminaires et conférences mettant en lumière des principes d'efficience et de bienveillance illustrés par des mouvements d'Aïkido. Basés sur l'interaction avec le public, ces échanges rencontrent un grand succès avec des organismes et entreprises de tous horizons.

Les principes sur lesquels reposent l'Aïkido sont non seulement transversaux, mais ils peuvent aussi être transcendés et donner des éléments permettant d'être plus efficaces dans les domaines les plus variés.

 

Quel est votre objectif avec ces évènements ?

Ils sont multiples. Cela redonne une audience à l'Aïkido et c'est une source de revenus quand le nombre de pratiquants investis est en déclin. Il y a aussi le cheminement intellectuel que ça m'a invité à faire. Voir au-delà de la forme extérieure du mouvement, en comprendre ses ressorts et la symbolique qu'il porte. Enfin, c'est surtout très agréable de donner de nouvelles perspectives à des gens qui sont confrontés à des problèmes dans leur vie professionnelle.

 

Mais ces personnes n'ont-elles pas déjà les outils qui leur sont nécessaires ?

Généralement si. Je leur précise d'ailleurs que je vais surtout leur montrer des principes d'efficience sous un angle nouveau, et d'une façon qui soit efficace à mémoriser. Après il y a aussi la double nature de l'Aïkido, à la fois martiale et bienveillante qui amène une nuance trop souvent absente. Aux personnes qui œuvrent au service du public dans un organisme d'état, j'essaie de montrer que l'engagement et le mouvement peuvent se faire dans la bienveillance. Et à celles qui sont dans un système privé très compétitif, j'essaie de montrer que l'efficacité n'est pas antinomique de l'éthique.

 

Nombre d'adeptes étaient des tueurs... Yagyu, Musashi, Ueshiba... seuls ceux qui ont transcendé la vocation utilitaire de leur art pour en faire des voies sont devenus des légendes.

 

 

L'efficacité martiale peut donc passer au second plan ?

Je ne le pense pas. Nous en sommes arrivés à un point où certains courants réfutent l'idée même d'applicabilité martiale. Oui en Chadō le goût du thé n'est pas l'objectif premier. (Rires) Mais le thé doit pouvoir être bu. On ne se passe pas un liquide vert qui menacerait la vie de celui qui le boit ! En Aïkido, pourtant, on présente souvent des techniques qui laisseraient les pratiquants plus vulnérables que s'ils n'avaient jamais fait d'arts martiaux.

Le cadre martial est riche, complexe. C'est sa nature exigeante qui permet d'affiner nos consciences intérieures et extérieures. À un degré qu'aucune chorégraphie complaisante ne permettra jamais d'atteindre.

 

Techniques guerrières, voies de développement, que sont réellement les traditions martiales ?

Chacun de nous a un rôle dans la société. Et certains, l'investissant de tout leur être, se sont rendus compte que cela développait un autre état de conscience. Les arts martiaux n'ont pas été conçus dans ce but. Ni la calligraphie, ni la cérémonie du thé. Il y avait simplement des gens qui devaient savoir se battre pour survivre. D'autres qui ont développé un moyen de communiquer par écrit, et certains qui aimaient boire du thé.

Au départ les traditions martiales ont donc été développées comme outil de survie. Et certains ne s'intéressent toujours qu'à cet aspect. Il n'y a rien à redire à cela, de la même façon qu'un adepte de Chadō ne ressent pas le besoin de critiquer quelqu'un qui ne boit du thé que pour se désaltérer. Toutefois peu à peu, les techniques guerrières ont été utilisées comme support de développement personnel par une partie de ses pratiquants. C'est cela qui m'intéresse, et l'essence de l'Aïkido que je pratique est un développement de la conscience intérieure et extérieure.

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
H
Bonjour Leo,<br /> Cela fait longtemps que je n'ai pas laissé un commentaire sur votre blog.<br /> Je continue les ars martiaux, mais plus en douceur (avec du tai chi chuan). Et vous , vous continuez le karaté, la musculation ?<br /> J'ai vu récemment la parution d'un livre écrit par Arnold Schwarzenegger sur les 7 règles de la réussite. Je crois que vous aviez parlé d'un de ses livres dans votre blog il y a quelques années déjà. <br /> Par ailleurs, je me suis intéressé aux écrits d'un artiste martial; CHENG Man Ching, qui avait développé un tai chi chuan à 37 postures en insistant sur la souplesse ("song" en chinois) dans les années 70 aux USA et à Taïwan. Il y a aussi un roman qui m'intéresse : "Le dernier thé de maître Soho" (une histoire de samourais au Japon).<br /> J'espère que vous allez bien et que vous continuez une pratique sereine des arts martiaux.<br /> Cordialement, Nicolas
Répondre
L
Bonjour Nicolas,<br /> <br /> Merci pour votre message.<br /> Oui je continue la pratique, et je suis heureux de voir que cela reste aussi au centre de votre atenton.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Léo