Budo no Nayami

Interview Allen Pittman, la Voie du sage

2 Janvier 2013 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Interviews

Allen Pittman est un aventurier. Sa vie est un roman initiatique qui l'a mené de l'Angleterre à Taïwan en passant par l'Afrique du Sud et les Etats-Unis. Garde du corps du Dalaï Lama, expert en Bagua, Hsing-I et lutte celtique, il a aussi fondée une méthode complète de soin, développement et renforcement physique, la Sagesse du Corps. Rencontre avec un homme au destin exceptionnel.

 

 

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Comment avez-vous débuté la pratique martiale?

J'ai commencé la pratique des arts martiaux par le Karaté. Un jour j'ai lu que cette discipline avait ses racines en Chine et j'ai voulu en savoir plus. J'ai découvert les livres de Robert Smith et je lui ai écrit. J'avais quatorze ans. Nous avons commencé à correspondre et très rapidement j'ai été pratiquer avec lui. Il vivait à Washington et enseignait le Taï Chi Chuan et le Bagua. Je venais d'Atlanta le voir trois à quatre fois par an pour quelques semaines. Je dormais dans sa bibliothèque, chez un autre étudiant ou dans une auberge de jeunesse. J'ai étudié avec lui pendant sept ans puis je suis parti à Taïwan car j'avais le sentiment qu'il manquait quelque chose dans son enseignement.

 

Robert Smith est pourtant une référence dans les arts martiaux chinois?

Oui. Il avait créée cette légende à son sujet. Robert Smith travaillait pour la CIA à Taïwan. Il avait des domestiques, un traducteur et un photographe à sa disposition. Il pouvait voyager et parler, étudier avec des maîtres de différents arts martiaux. Autour de tout cela, ça a été facile pour quelqu'un avec son savoir-faire de bâtir la légende du pionnier. Et en un sens ce n'est pas faux. Il y a simplement… de l'exagération. (rires)

 

Vous voulez dire que son niveau de pratique n'était pas élevé?

Robert Smith était très puissant. Il faut dire qu'il était déjà imposant à la base. Sa connaissance de la stratégie et de la psychologie étaient très bonnes, et il était aussi troisième dan de Judo, ce qui était un niveau très correct à l'époque.

 

Quel genre d'enseignant était-il?

C'était plus un dresseur qu'un enseignant. Cela m'a pris des années avant de le cerner et ce n'est vraiment que vers la quarantaine que j'ai pu le comprendre. C'était un grand manipulateur. En un sens il était le contre-exemple parfait de l'enseignant. Par exemple à mon retour de Taïwan j'ai aussi enseigné chez lui. Pendant dix-huit ans. Mais il refusait que je montre les applications des formes. On ne les lui avait pas enseignées et je crois qu'il pensait que cela diminuerait son autorité. C'était ce type de personne. Cela dit il n'était pas différent de la majorité des maîtres chinois traditionnels. Mais il reste celui par qui je suis entré dans le monde des arts martiaux chinois.

Par ailleurs il connaissait très bien la littérature et il m'a ouvert à de très nombreux bons livres. Il avait un goût excellent. Il était aussi expert en histoire russe. Il a été mon pire enseignant mais il m'a aussi donné beaucoup de bon matériel.

 

Que voulez-vous dire par maître chinois traditionnel?

Depuis Confucius il y a une volonté de préserver un système social. Et les maîtres d'arts martiaux ne font pas exception. Pour eux l'école est une famille et le père a tout pouvoir. Les questions ne sont pas permises. Pour garder leurs élèves ils utilisent alors plus souvent des techniques psychologiques qu'une habileté martiale. Cela se comprend du reste si on prend en compte le fait que plusieurs générations n'ont pu pratiquer librement à cause de la loi en Chine continentale. Les chinois ont un terme pour cela, "art martial de conversation".

Dans l'enseignement des arts martiaux beaucoup ont recours aux manipulations psychologiques et à l'hypnose parce que les techniques qu'ils démontrent ne marchent tout simplement pas. Il y a aussi le fait que si l'enseignant n'a pas confiance en lui, il établit une autorité basée sur la domination. Et beaucoup de ceux qui en ont souffert agissent de même. On le leur a "enseigné", ils le reproduisent.

La situation est telle que la plupart de ceux qui enseignent ne le devraient pas. C'est une farce, tout du moins du côté des arts martiaux chinois. Chacun arrive avec ses mensonges, et côtoyer des menteurs ne fait des pratiquants que de plus grands menteurs. Mais si tu es honnête et que l'élève ment, il se sentira nu. C'est une sorte de thérapie.

 

 

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Vous avez passé plusieurs années à Taïwan?

Oui. J'étais parti à Taïwan pour étudier avec un maître nommé Wang Su-Chin, mais quand je suis arrivé il était déjà mort. J'avais un ami sur place, Marnix Wells, qui vivait là-bas et parlait couramment chinois. Il avait entendu parler Hung I-Mien depuis dix ans, mais n'avait jamais réussi à le rencontrer. Il en était venu à croire, comme beaucoup d'autres, que c'était un personnage fictif! (rires) Dans une des écoles où nous avons questionné à son sujet, on a fini par nous dire qu'il enseignait dans le passé dans un parc mais n'y allait plus. Marnix s'est dit que cela cachait probablement quelque chose et nous y sommes allés. C'était dans un quartier très folklorique avec beaucoup d'anciennes maisons taïwanaises et japonaises, et une odeur très forte. 

Dans le parc il y avait un petit temple, et quelques vieillards qui prenaient leur petit-déjeuner. Marnix m'a proposé de pratiquer un peu de Bagua autour d'un arbre. L'un des hommes s'est alors levé et est venu nous parler. C'était Hung I-Mien.

 

Comment se fait-il qu'il était si difficile à trouver?

Il semble que dans le passé Hung avait enseigné à de jeunes hommes qui étaient devenus des recouvreurs. Après cela il ne souhaitait plus transmettre. Lorsque je suis venu il m'a dit qu'il allait m'enseigner, mais ne savait pas pourquoi.

Il était célèbre mais personne ne pouvait le trouver. Sa vie était très simple et préservée. Lorsqu'on questionnait les habitants du quartier, ils faisaient semblant de ne pas le connaître. On ne pouvait pas le trouver s'il ne le voulait pas.

 

Comment s'est tissé le lien qui vous unissait à votre maître?

Un jour je suis venu en avance et j'ai vu mon maître faire le ménage. J'ai voulu l'aider mais il a dit "Non c'est inutile, ça ne prendra pas longtemps.". Mais je ne trouvais pas ça normal. Je lui ai redit que j'allais nettoyer. Il a alors dit que je pouvais l'aider et que nous allions le faire ensemble. Je me suis mis à laver le sol et il amenait l'eau. Après cela j'ai lavé le sol tous les matins. Je n'ai pas essayé d'acheter Hung avec de l'argent. Ce n'était pas le type d'homme qui se laissait acheter.

Le lien qui s'est tissé a été fait de gestes simples. Je lavais le sol, j'allais acheter le riz au marché, j'emmenais le petit-fils à l'arrêt de bus. J'étais le seul américain à des kilomètres à la ronde et les enfants me pointaient du doigt. Mais je partageai les tâches quotidiennes et je suis devenu peu à peu un membre du village. Chacun s'était habitué à moi et Hung m'a accepté, adopté, petit à petit.

 

Il y a aussi eu un événement particulier. Après mon premier séjour à Taïwan, je suis retourné à Washington. Peu après le fils aîné de Hung est venu aux Etats-Unis pour poursuivre ses études. Je suis allé le voir et j'ai vu qu'il vivait très modestement, comme la majorité des élèves venant d'Asie. Tout son temps était consacré à l'étude, entrecoupé par quelques plats de nouilles, et il vivait de bouts de chandelles. J'ai eu l'impression qu'il avait vraiment du mal à joindre les deux bouts. Son père avait été très bienveillant envers moi alors je lui ai simplement dit "Si vous avez besoin d'argent ou de quoi que ce soit, dites-le moi simplement.". Parce que je savais qu'à l'époque il était difficile de faire les choses à distance, de Taïwan aux Etats-Unis.

Il m'a regardé et j'ai vu qu'il était décontenancé. Je pense que personne en Amérique ne lui avait jamais proposé d'aide. Il m'a regardé et m'a dit "Merci. Je n'oublierai pas.". J'ai eu le sentiment que pour la première fois, il arrivait à se détendre aux Etats-Unis, parce qu'il savait à présent qu'il y aurait quelqu'un pour l'aider s'il en avait besoin.

Je suis retourné chez moi et j'ai rapidement oublié tout cela. Mais j'ai reçu quelque temps plus tard un appel de Taïwan. Hung voulait que je revienne pour m'enseigner l'intégralité du système. J'y suis alors retourné pour achever mon apprentissage. Ce n'est que bien plus tard  que j'ai découvert que c'était, entre autres, grâce à l'échange que j'avais eu avec son fils.

 

 

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Ce devait être un quotidien dépaysant pour un américain du 20ème siècle?

Oui. (rires) Je n'ai pas été éduqué dans une communauté soudée, donc je n'étais pas habitué à cela. Tu te lèves le matin et… il y a du monde autour de toi. J'allais au parc et il y avait les grands-mères, des bébés, Hung et quelques vieillards. Tous les jeunes de mon âge travaillaient. Je pratiquai le Bagua avec Hung et les grands-mères et les vieillards nous regardaient. Hung m'enseignait en privé, quatre à huit heures par jour. 

Quand je suis revenu de Taïwan aux Etats-Unis, je me réveillais le matin et j'étais seul. Tout le monde était au travail. Où étaient mes grand-mères, les vieillards? Et j'ai pris conscience de la solitude qui habite la culture américaine. C'était un véritable choc. Il m'était devenu naturel et agréable d'avoir tous ces gens dans ma vie à chaque instant. Ces bébés, ces vieilles femmes, c'était mon quotidien. Soudain j'étais… seul. Alors j'appelais à la maison, je téléphonais à Taïwan. (rires) Je ne suis pas chinois, mais j'ai un goût pour cette loyauté "tribale".

 

Qu'avez-vous étudié avec maître Hung?

Le Bagua et le Hsing-I. J'ai étudié le Taï Chi avec un autre enseignant, Chen Yun-Ching, car Hung ne l'appréciait pas beaucoup. Il estimait que sa pratique s'était trop appauvrie.

 

Savez-vous comment s'est passé l'apprentissage de votre maître?

Hung et ses quatre frères avaient pratiqué le Shaolin du sud dans leur jeunesse avec leur père. Malheureusement deux d'entre eux sont morts jeunes d'une crise cardiaque et d'une attaque cérébrale, et leur père a attribué cela à la pratique d'un Shaolin dur. Il entendit alors parler du maître Chang Chuen-Feng et, soucieux de la santé de ses fils, l'engagea pour leur enseigner. A cette époque mon maître, Hung I Mien revenait de la guerre. Il savait ce qu'était la réalité du combat et progressa jusqu'à devenir l'assistant de Chang.

 

Ses frères ont-ils aussi étudié le système complet?

Pas à ma connaissance. Hung I-Mien enseignait le Bagua pour Chang aux plus jeunes. Mais Hung I-Shang, le fils du milieu, étudia le Hsing-I directement avec Chang. Plus tard il y eut une séparation entre les deux frères. Leurs relations étaient cordiales, ils se parlaient, mais il y avait un antagonisme entre leurs familles.

Maître Hung m'a dit qu'il avait enseigné moins de la moitié du système à son frère, mais sans m'en expliquer la raison. I-Shang a créé son propre système qu'il a appelé Tang Shou Tao. L'essentiel du cursus semble être le Hsing I de maître Chang et une partie du Shaolin de la famille Hung, agrémenté de techniques issues du Judo et des arts de combat d'Okinawa. Son école était florissante. C'était une personne imposante physiquement et il était très réputé.

Le plus jeune frère semble s'être concentré sur le Taï Chi et ses aspects de santé.

 

Quelle personne était Hung I-Mien?

Il fut pour moi un père merveilleux. Il était déjà grand-père lorsque je l'ai rencontré, mais il était extrêmement dangereux. Son art avait pour seul but de tuer et il n'enseignait rien en lien avec l'aspect compétitif. Il n'a jamais touché ma tête ou mon visage, mais il a frappé chaque autre partie de mon corps. Avec bienveillance.

Il me frappait en me regardant et me disait, "As-tu compris?". Il voulait m'enseigner, me faire comprendre les techniques, pas me martyriser. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être "puni". Certains jours j'étais couvert d'hématomes et il me disait "Aujourd'hui, formes.". Et il me donnait des médicaments. Il regardait, écoutait, posait des questions. "Comment vas-tu? As-tu compris? Es-tu fatigué?". Si je parle de lui comme d'un père c'est parce qu'en un sens il m'avait accepté comme un fils.

 

C'était un vrai contraste avec Robert Smith qui créait toujours des tensions, disait des choses à une personne et d'autres à une autre. Il agissait en ce sens plus comme les anciens maîtres chinois, avec un complexe d'autorité, de la manipulation. Mais Hung ne faisait rien de cela. Il avait survécu à la guerre et tout était un bonus. Il n'avait pas de temps à perdre. Il n'y avait pas de représentation. C'était quelqu'un de très jovial qui ne faisait jamais preuve d'amertume.

 

 

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Possédez-vous des documents ayant trait à votre école?

A la fin de mon séjour Hung m'a emmené à la maison de famille. Il y avait trois grands rouleaux au mur. Sur celui du milieu était inscrit "tigre". C'était son surnom. Le rouleau de gauche était un poème sur la stratégie du Hsing-I, et celui de droite comportait le nom des 64 techniques du Bagua. Il a copié l'ensemble et me l'a remis en me disant "Tu as fini. Tu as tout reçu.".

 

Est-ce la dernière fois que vous l'avez vu?

Non. Je suis retourné à Taïwan en 1995, dix ans plus tard. Hung était toujours vivant et c'était comme retrouver ma famille. Tout le monde m'attendait. Le petit-fils avait maintenant dix-neuf ans! Hung a voulu me voir pratiquer. Je lui ai montré mon travail et expliqué mes recherches. Il m'a dit "C'est cela. Tu es sur le bon chemin. Bon travail.". Après dix ans j'avais la confirmation de nombreuses pensées et intuitions. Il devait mourir peu après.

 

Vous étiez très proche de votre maître.

Oui. Lorsque nous étions séparés je rêvais de lui. Quand je sentais que quelque chose n'allait pas j'appelais Taïwan et sa fille me disait "Oui, il est malade.". J'ai aussi senti sa mort. Une nuit j'ai rêvé de lui. Il était debout sur une colline et il portait le casque avec les cornes qu'ils portent à Bornéo, et une épée. Il y a eu un tremblement de terre et il a été englouti. Je me suis réveillé et je savais qu'il était mort. J'ai appelé sa fille et elle m'a confirmé, il venait de mourir.

Le lien avec un enseignant est quelque chose de très profond. Je rêvais souvent de Hung et je continue à le voir en rêve. La dernière fois il me disait, "Allen, j'ai tout oublié.". Je lui dis "Quoi?!!!". Et il me dit "J'ai tout oublié. Tu dois t'en souvenir.". C'est le genre de choses qu'il disait, juste pour s'amuser. Il avait un grand sens de l'humour. C'était quelqu'un de passionnant. Il était aussi "rebouteux", il remettait les os en place, ce genre de choses.

 

Ce devait être très inhabituel, particulièrement à cette époque, qu'un étranger reçoive un enseignement si poussé?

Oui. Hung avait été espion durant la guerre. Il semble qu'il avait navigué entre plusieurs pays et il avait surtout appris à survivre. Il n'avait donc pas de sentiment nationaliste comme en ont beaucoup de chinois. C'est probablement pour cela qu'il a accepté un élève blanc comme moi et m'a enseigné si généreusement.

Sans compter que la plupart des jeunes n'étaient pas intéressés. Ils étudiaient l'informatique ou la finance. Même ses fils n'étaient pas intéressés et en un sens, pour moi, cela a probablement été une chance. Hung était encore en forme et n'avait pas d'élèves investis. J'ai eu la chance d'arriver au bon moment.

 

A combien de personnes a-t-il transmis son système?

(Allen lève son index puis, lentement, le dirige vers lui.)

 

Une seule personne?

C'est en tout cas ce qu'il m'a dit. (rires)

 

 

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Etes-vous strict dans la transmission des écoles que vous avez reçues?

Oui et non. Si un élève dit "J'enseigne le Bagua et Allen Pittman est mon enseignant.", je dis ok. Mais si il dit "J'enseigne la tradition.", alors je dois être sûr qu'il enseigne la tradition exactement comme je l'ai reçue. Car sinon il ne s'agit plus de la tradition. Je veux la préserver comme une antiquité… qui fonctionne!

Préserver la tradition est une de mes préoccupations. Lorsque j'ai un élève sérieux je peux dire "Hung m'a montré cela.", mais aussi "Je pense ceci.". Je tiens à être précis pour qu'il sache ce qu'est la tradition, sans que cela ne m'empêche, lorsque je pense avoir une bonne idée, de l'enseigner aussi.

 

Comment savoir qu'un système a été transmis dans son intégralité?

On ne peut pas avoir de preuve absolue. Ce que l'on peut vérifier est qu'une tradition est comme une échelle. Chaque étape doit nous amener plus loin, plus profondément. Le système devient alors un outil pour agir mais aussi évaluer. Le problème se pose lorsqu'un enseignant enseigne à quelqu'un une tradition tronquée ou que l'élève part trop tôt. Plus l'outil est incomplet, moins les mesures et les services qu'il nous rend sont efficaces. Et cela empire lorsque l'élève qui n'a reçu qu'une partie du système enseigne à son tour.

 

Pouvez-vous nous parler du Bagua?

Le Bagua est un système pour gardes du corps. Il permet de se battre dans des endroits restreints, des cours de palais par exemple. A l'inverse le Hsing-I avec son travail sur les animaux, ses sauts, est adapté aux grands espaces. Le Bagua vient de Chine et a été développé durant la dynastie Sung. C'est une école qui est aussi liée au chamanisme taoïste.

Je fais actuellement des recherches sur ses origines et j'ai trouvé des liens avec l'Inde, notamment une danse de Shiva en armure légère. Des bois de daims pouvaient être utilisés comme arme. Ce sont des recherches en cours que je n'ai pas encore publiées. Mais beaucoup de choses ont pris leur sens lorsque j'ai découvert l'origine indienne du Bagua.

Lorsque j'ai montré des mouvements de l'école à un maître d'art martial indien il m'a dit "Bras du sud, jambes du nord.". Lorsque je l'ai montrée à une danseuse indienne elle m'a dit qu'elle reconnaissait toutes les postures mais ne savait pas comment je faisais pour passer de l'une à l'autre. Tout cela confirme le sens de mes recherches.

 

Un certain nombre de pratiquants de Bagua et d'Aïkido voient un lien entre ces disciplines. Quel est votre avis sur la question?

Si la question est de savoir si l'Aïkido provient du Bagua, je ne le pense pas.

Lorsque je regarde de l'Aïkido je vois une pratique basée sur le sabre, le bâton, etc... Le corps est employé selon des principes liés à l'utilisation d'armes longues. En revanche en Bagua, l'arme utilisée était une sorte d'épée crochet très courte, parfois de bois de daims. Donc le travail du Bagua est lié à des armes courtes et cela change la façon d'utiliser le corps. On ne retrouve pas par ailleurs des mouvements essentiels du Bagua, comme l'utilisation des omoplates.

 

Les éléments que les gens pensent liés au Bagua proviennent probablement des anciennes techniques pratiquées en armures. Par contre il y a des stratégies en commun entre le Bagua et l'Aïkido, notamment au niveau des rotations. Mais le travail des pieds, des déplacements, est différent. Ce qui rend d'ailleurs le Bagua intéressant à étudier pour un pratiquant d'Aïkido car il découvrira une façon de pivoter d'une autre manière.

 

 

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Vous avez aussi pratiqué la lutte celtique?

Oui. J'ai rencontré mon maître de lutte, Tim Geoghegan, à mon retour de Taïwan. C'était un irlandais qui avait eu une vie passionnante. Quand il était jeune il avait travaillé comme artiste dans un cirque. Il était aussi ostéopathe et avait étudié le Yoga en profondeur. Cet homme était aussi un bon père. Transparent, sans manipulations. Etudier avec lui était encore plus clair qu'avec Hung, car nous communiquions en anglais.

Lorsque je lui posais une question il me disait "Essaye ça et viens me dire ce que ça donne.". C'était un guérisseur et il a pris soin de mon dos. Il m'a enseigné la diététique, comment jeuner, prendre soin de mon corps. Il m'a aussi enseigné une sorte d'autohypnose afin de récupérer de l'entraînement sans séquelles. Ses méthodes m'ont permis d'amplifier mon repos, ma mémoire, mon sommeil. Il m'a aussi fait étudier le chamanisme. Le chamanisme qui peut être considéré comme l'origine des religions est orienté vers l'obtention d'un résultat et non pas dans l'enrôlement dans une organisation. Un des buts est un changement mental profond.

Il était aussi un initié soufi, mais il m'a envoyé étudier le bouddhisme tibétain. Il m'a dit que cette tradition était celle qui connaissait le mieux le fonctionnement de l'esprit, et que je devrais aussi étudier leur médecine. Et je l'ai fait. J'ai été envoyé par un soufi irlandais vers les bouddhistes tibétains pour étudier l'esprit et la médecine. J'ai étudié avec lui pendant dix ans. Aujourd'hui je me rends compte à quel point tout ça a été important.

 

J'ai entendu dire que vous avez étudié l'art de combat des zoulous?

J'ai en effet étudié les rudiments de l'art de combat des zoulous. J'avais été invité en Afrique par un riche homme d'affaires, membre de la famille du sultan de Brunei. Lorsqu'il m'a demandé mon tarif je lui ai demandé une certaine somme et, la possibilité d'étudier la technique des zoulous. Il a accepté et s'est occupé de trouver quelqu'un pour m'enseigner.

Les zoulous combattent avec une sorte de massue et un bouclier. Aujourd'hui encore tous les jeunes zoulous apprennent cela. C'est un rite d'initiation et lorsqu'ils sont jeunes les hommes font au moins un combat public. Cela finit généralement dans le sang avec un combattant inconscient. Mon patron ne connaissait pas cela. Il avait une usine remplie de zoulous mais ne savait pas qu'ils combattaient.

 

Qui était votre enseignant?

Il y a un musicien célèbre du nom de Johnny Clegg. Il paraît qu'il est très bon en combat zoulou et c'est avec son professeur que j'ai étudié… chez lui. Cet homme très sympathique s'occupait de la sécurité de sa maison. Il était bien plus imposant que moi mais il m'a dit "Ne t'inquiète pas, je ne te ferai pas mal.". J'ai dit "Merci.". Les gens là-bas ont toujours été très accueillants. (rires)

 

Comment se passait l'entraînement?

Nous allions lentement et je me débrouillais plutôt correctement, mais il trouvait toujours une ouverture pour me frapper au genou de la jambe arrière! Il occupait mon visage et arrivait à me frapper l'arrière de la jambe. Les Zoulous frappent l'arrière du corps lorsqu'ils sont à courte distance, c'était très intéressant.

 

Lorsqu'on veut étudier un art, une tradition, il est bon de passer du temps avec le peuple qui l'a créé, d'étudier leur langue, le fonctionnement de leur culture. Mais il y a toujours la question du temps. Je suis allé trois fois en Afrique mais pour des périodes trop courtes.

 

Vous avez ensuite fait des recherches sur l'art de combat des hoplites grecs, pouvez-vous nous dire comment cela s'est passé?

Lorsque j'enseignais l'éducation physique dans une école Waldorff à New York, les élèves de dix ans devaient faire les jeux Olympiques grecs. J'ai fait des recherches sur la façon dont ils se déroulaient précisément et ça a été mon premier contact avec la Grèce. C'est alors qu'un enseignant de grec m'a demandé si je pourrai chorégraphier une danse qui serait historiquement, culturellement et techniquement "plausible" pour la communauté grecque. Tout d'abord j'ai réuni toutes les informations que je pouvais trouver, tant sur le matériel, que la façon de combattre. Pour ça j'ai beaucoup utilisé les objets d'art, dont certains sont extrêmement détaillés, et de nombreuses descriptions issues de leurs poèmes. Ensuite j'ai fait fabriquer l'équipement pour deux personnes. Pendant plus d'un an j'ai alors expérimenté avec mes élèves avancés, combattu avec les armes et armures jusqu'à ce que la lance et le bouclier me deviennent familiers. J'ai alors mis au point une chorégraphie qui me semblait satisfaisante et plausible.

 

 

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Quel était l'équipement des hoplites?

Lorsqu'ils allaient combattre les guerriers avaient une lourde et longe lance d'environ deux mètres, et une plus petite que leur taille, attachée au dos de leur bouclier. La lance grecque originale était proche de celle des Massaï. Légère et fine, il était possible de la tenir avec le bout des doigts. Il y avait deux bracelets sur le bouclier, et la main pouvait tenir une épée courte. Au total la main gauche portait près de 10 kilos, et la droite avec la lance, portait moins d'un kilo et demi.

 

Comment se passaient les combats selon vos recherches?

Chaque bouclier avait une corde. Grâce à elle le guerrier tenait celui de son voisin de droite et était tenu par celui de gauche. Si l'un bougeait cela mouvait l'autre. C'était donc un mur de boucliers connectés qui ressemblait à un serpent. Le but était de conserver ce mur et d'attaquer par dessus ou dessous. C'est pour cela qu'ils avaient les protections de tibia.

Au départ les lignes se faisaient face. Puis elles chargeaient. A l'instant du contact entre les boucliers les lances volaient vers les lignes arrières. Et ce sont les hommes qui étaient sept ou huit rangs derrières qui mourraient les premiers. On prenait alors la lance de combat accrochée au bouclier et le combat au corps à corps commençait. Il ne fallait surtout pas que le mur se brise.

Il est probable que les batailles duraient une vingtaine de minutes. Après, épuisés, les guerriers quittaient le champ de bataille transformé en marre de sang.

Techniquement avec un bouclier et une lance, les angles de combat deviennent très "simples". Il n'y a plus de place pour la fantaisie. En Inde il y  a encore des danses de la lance. J'ai rencontré un maître du nord du pays et étudié ses formes. Même si l'essence est différente, cela a aussi nourri mes recherches sur les formes de combat anciennes.

 

Avez-vous basé vos recherches sur une cité-état grecque en particulier?

Je me suis basé sur les spartiates. Les spartiates étaient des guerriers et leur état d'esprit était très différent de celui des Athéniens par exemple, qui étaient des intellectuels. Mais tout était très différent du film "300" qui, du point de vue historique, est une très mauvaise reconstitution. Tout d'abord les spartiates étaient des guerriers très disciplinés, et il est plus qu'improbable qu'ils aient gâché la moindre énergie à vociférer et grimacer. (rires) Lorsque les perses sont venus en Grèce, ils ont vu des serpents d'or géants dévaler vers eux de la montagne. Il s'agissait des chaînes de boucliers de bronze qui avaient été polis. Ils ont dû être stupéfaits.

 

Que gardez-vous de cette expérience?

Cela m'a passionné et je suis devenu très curieux sur l'origine des choses et la façon dont elles se sont développées. Etudier les arts grecs est ce qui m'a donné envie de rechercher comment les arts martiaux chinois ont évolués.

 

Pouvez-vous nous parler de vos rencontres avec le Dalaï Lama?

La première fois que j'ai rencontré le Dalaï Lama, c'était en Inde lors d'un rituel appelé le Kalachakra. Lors de ce rituel il y a des chants et on vous donne une herbe que l'on doit mettre sous son matelas. On a alors un rêve particulier qui a un sens précis. J'ai eu l'herbe et j'ai fait un rêve. A l'époque je vivais avec mon guru et lorsque je lui en ai parlé il m'a dit que c'était un rêve incroyable, mais sans m'en expliquer la signification. Un ou deux ans plus tard j'en ai parlé au directeur du centre bouddhiste d'Atlanta. Il m'a dit "Oh, cela signifie que tu seras le garde du corps du Dalaï Lama quand il viendra.". Je lui ai demandé quand il viendrait et il m'a dit "Dans un mois ou deux.". Ce rêve est une des raisons qui ont fait que j'ai été son garde du corps par la suite.

La première fois c'était sous l'administration Bush. Le département d'Etat ne lui offrait pas de protection et on m'a chargé de monter une équipe pour le protéger. En fait le Dalaï Lama a déjà un entourage, mais il ne peut pas tout prendre en charge et mes hommes étaient le cercle extérieur. Mais, semble-t-il en raison du rêve, j'ai été placé directement à son côté. C'était un honneur qu'ils voulaient me faire.

 

Quel type de personne est le Dalaï Lama?

Je n'ai pas la capacité de parler de son état spirituel. Ce que je peux dire c'est qu'il s'agit de quelqu'un d'extrêmement bienveillant, très fin et érudit.

Lorsque nous traversions une foule, je faisais un cercle autour de lui avec mon bras pour qu'il ait un espace. Et il touchait les muscles de mon avant-bras. Je crois qu'il regardait s'ils étaient souples ou relâchés. Et il a rit en découvrant qu'ils étaient relâchés. (rires)

La seconde fois où il est venu, il séjournait au Ritz. C'était sous l'administration Clinton et il avait une protection du département d'état, mais on m'avait quand même demandé de faire partie du dispositif. Nous avons été coincés dans un ascenseur. Les portes se sont ouvertes entre deux étages et il fallait prévenir. C'était dangereux car si l'ascenseur repartait pendant qu'on essayait de sortir on serait coupé en deux. J'ai passé une partie de mon corps par l'ouverture et j'ai senti une grande poussée dans le dos. J'ai été expulsé comme un bouchon de champagne et, en me retournant, j'ai vu le Dalaï Lama qui souriait. J'ai alors compris que c'est lui qui m'avait poussé. Je peux donc dire que j'ai été "frappé" par le Dalaï Lama. (rires)

 

 

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Pouvez-vous nous parler de ce que vous appelez la Sagesse du Corps (SdC)?

La Sagesse du Corps est une méthode que j'ai développée pour apprendre aux gens à se soigner, se renforcer et combattre. C'est une méthode complète de développement physique.

 

Comment vous est venue l'idée de cette méthode?

La Sagesse du Corps vient de plusieurs expériences. L'une d'entre elles était de travailler avec des victimes d'accident vasculaire cérébral (AVC) pendant un an. J'avais développé une série d'exercices que nous pratiquions deux fois par semaine pendant une heure. Au bout de six semaines ils arrivaient tous à se relever seul. Un vieillard jeta sa canne et dit qu'il n'avait plus besoin  de cela. (rires)

L'autre était de travailler avec des enfants. J'ai enseigné dans une école Waldorf pendant dix ans à mi-temps comme professeur d'éducation physique. Mes élèves avaient de 7 à 18 ans. Travailler avec des enfants de tous âges m'a permis d'observer les différentes étapes de développement du corps et de l'esprit. Cela a tout changé dans ma façon d'enseigner.

A un degré moindre un autre événement a contribué à ma réflexion. Lors d'un de mes séjours au Danemark, une personne avait des amis qui ne connaissaient rien aux arts martiaux, et il m'a demandé de montrer quelque chose qu'ils pourraient faire.

Comment aider les patients souffrant de lésions cérébrales? Comment enseigner aux enfants? Que proposer à des personnes sans bagage martial? C'est sur ces expériences que j'ai développé la SdC. C'était aussi, pour moi qui avait demandé tant de tâches spécialisées à mon corps, la recherche d'un état "originel".

 

Comment s'est structurée votre méthode?

La Sagesse du Corps est une méthode complète mais qui reste évolutive. Je ne l'ai systématisée que lorsque je suis venu en France. Je vivais vraiment dans un endroit retiré en Bretagne et j'avais beaucoup de temps. J'ai alors organisé et affiné les différentes séquences. J'ai commencé à enseigner la méthode pendant trois ans et cela m'a permis d'affiner l'ensemble.

 

De quoi est composée la Sagesse du Corps?

La SdC se compose de trois parties. La première partie est basée sur le développement de l'enfant. C'est une sorte de Yoga au sol. Elle permet de mettre le corps en condition et de se débarrasser de la plupart des blessures et douleurs. Une fois la douleur disparue, la seconde partie, plus dure, enseigne à se relever et s'incliner. Elle est inspirée du Yoga égyptien car je trouve que ce sont les exercices les plus complets pour le dos en position debout. La troisième partie est l'aspect martial, avec la Danse des Amazones pour les femmes, et la Voie des Héros pour les hommes. On y intègre le danger graduellement, jusqu'au travail aux armes.

 

Exposée ainsi la méthode semble assez concise?

Oui, c'était mon souhait. Je voulais que la Sagesse du Corps soit une méthode claire et concise. Après l'apprentissage de base, les éléments qui la constituent peuvent ensuite être explorés en y ajoutant de la difficulté et en y apportant des variations. Le pratiquant a alors tous les outils pour explorer l'aspect qui l'intéresse.

 

 

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Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le Danse des Amazones?

Un groupe de parents voulaient que j'enseigne à leurs filles à se défendre. En étudiant la question j'ai constaté que la plupart des arts martiaux ne répondaient pas aux besoins des femmes car ils proposent la même chose qu'aux hommes, indépendamment de leurs particularités physiques.

J'ai alors réfléchi et cherché pour commencer un exemple historique de femmes guerrières. Quand les femmes combattaient-elles le plus? J'ai alors découvert la culture Scythe et ses Amazones. Je me suis ensuite demandé quelles étaient les nécessités pour ces femmes, le plus important? Je voulais répondre à la question de savoir comment une femme plus petite et plus faible pouvait, non pas se défendre contre, mais tuer un homme.

 

Quel est le fonds technique de la Danse des Amazones?

Dans ma recherche j'ai complètement délaissé toutes les disciplines compétitives et étudié deux choses, le monde animal et les arts martiaux "classiques". Comment de petits animaux arrivent-ils à se défendre contre des beaucoup plus gros qu'eux? Comment malgré des chances très minces arrivent-ils à déjouer les pronostics? Comment dans l'enseignement classique des arts martiaux une personne en tue une autre, avec ou sans armes?

J'ai résumé le résultat de ces recherches à neuf positions. J'ai ensuite réalisé que beaucoup de femmes ne pratiquaient pas d'activité physique. Afin de faciliter l'apprentissage j'ai alors transformé les mouvements en danse qui serait pratiquée en musique. Elles pouvaient ainsi apprendre les séquences de façon agréable et sans tension. Lorsqu'elles s'étaient habituées aux mouvements je leur ai alors enseigné les applications. Elles les ont d'abord travaillées entre elles puis, une fois les mouvements intégrés, je les faisais travailler avec un homme de gabarit moyen. Une fois à l'aise dans cette étape je faisais enfin venir un homme de grand gabarit. Chaque étape nécessite ainsi des ajustements qui se font de façon graduelle jusqu'à ce qu'elles puissent faire face au problème dans toute sa complexité.

 

Pouvez-vous nous parler de l'aspect "santé" de la Sagesse du Corps?

Particulièrement dans la première partie, la SdC est une méthode pour "détraumatiser" le corps, que ce soit de la pratique martiale ou même de la guerre. J'ai des élèves qui sont des vétérans, qui ont beaucoup souffert, et à qui cela a beaucoup apporté.

Lorsque je fais un stage de SdC, nous mettons trois à quatre heures pour arriver à la position debout. Cela peut sembler long mais les exercices permettent de faire disparaître des douleurs qui ont persisté des années… en quelques heures.

Lorsque nous sommes bébé notre dos est très fort. Puis lorsque nous adoptons la position debout il s'affaiblit. Et cela s'aggrave généralement avec les années. C'est une chose sur laquelle je voulais travailler. Le dos, le cou, les genoux d'un bébé sont très forts alors que chez un adulte ces endroits sont souvent très faibles. Je pensais à mon futur et je voulais éviter cela. (rires)

 

La Sagesse du Corps modifie-t-elle le corps?

La SdC rend le corps un peu… "animal". Mais les humains vivent dans leur tête et ont besoin d'un peu plus d'animalité. En quelque sorte cela équilibre ce que nous impose notre mode de vie actuel avec la technologie et les ordinateurs omniprésents.

Je me suis tout de même demandé si ça ne rendrait pas l'homme plus violent. Mais j'ai constaté que c'est lorsque l'on souffre qu'on est violent. Mon idée était donc d'arriver à se débarrasser des blessures et douleurs.

 

Quel est le lien entre la Sagesse du Corps et le Yoga?

On peut dire que c'est une sorte de Yoga. Mais dans beaucoup de Yoga les mouvements sont trop extrêmes pour certaines personnes. La SdC est une méthode graduelle qui permet à tous de pratiquer, puisqu'elle a été réfléchie en prenant en compte le développement de l'enfant et le rétablissement de patients victimes d'AVC. De plus l'apprentissage des premières étapes est très simple puisqu'il s'agit de mouvements que nous avons déjà tous réalisés. Je rappelle simplement aux gens ce qu'ils ont oublié, je les aide à se souvenir. C'est une sorte de déshypnose.

Notre corps est intelligent et renferme beaucoup d'informations. Le futur est en germe en nous et nous portons les séquelles du passé. En les soignant la SdC permet de retrouver un état originel et nous rouvre ainsi des portes qui se sont fermées au cours de notre vie.

 

 

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Vous êtes proches de plusieurs enseignants d'arts martiaux. C'est pourtant généralement un monde très compétitif.

Un maître de Taï Chi a dit "Un enseignant qui ne veut pas partager ses élèves a un art très limité.".

Je dis parfois aux élèves qui viennent étudier avec moi "Peut-être devrais-tu aller chez quelqu'un d'autre.". Parce que ma pratique, ma recherche, ne conviennent pas à tout le monde. Je peux bien sûr leur montrer certaines choses, mais j'essaie surtout de leur indiquer la direction d'étude qui leur conviendra le mieux.

Il y a deux types d'enseignants. Ceux qui représentent une institution, et ceux qui veulent que tu deviennes. Si l'enseignant représente une institution, il veut que tu en fasses partie et ne souhaites pas que tu étudies quoi que ce soit d'autre. Mais s'il est intéressé par toi, il peut être amené à t'envoyer ailleurs parce qu'il a le sentiment qu'un autre art ou enseignant sera plus utile à ta vie.

 

Qu'a changé la technologie dans l'enseignement des arts martiaux?

Au 21ème siècle, nous sommes dans une situation unique. Les élèves peuvent voir, lire, étudier ce qu'ils veulent sur n'importe quel sujet. Dans le passé il n'y avait pas cette dynamique. La maison était fermée. Maintenant la maison est ouverte et nous devons nous adapter à cela.

Aujourd'hui les étudiants lisent, regardent et essaient beaucoup. Ils ont de nombreuses questions. Et nous devons être capables de répondre ou tout au moins de les orienter.

 

Vous prônez une grande ouverture dans l'enseignement.

Oui. Tous les arts doivent avoir une tolérance, une ouverture sur le monde. Dans le passé ce n'était pas le cas. Les arts étaient secrets ou tout du moins, "privés". Aujourd'hui nous devons être ouverts. Mais la transmission d'une tradition nécessite aussi de la proximité. Donc il y a toujours des cours publics et privés. Mais l'élève qui veut vraiment découvrir les arcanes trouvera toujours un moyen de rentrer. 

 

 

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Doit-on enseigner où laisser l'élève apprendre?

Un enseignant est comme une nourriture. Il faut en avoir envie. Sinon peu importe le chemin que fait le professeur, ce ne sera jamais suffisant pour l'élève.

A l'inverse lorsqu'il s'agit d'élèves réellement motivés, même si tu ne leur enseignes pas, ils voleront. Car ils ont cette intelligence. Ils te regarderont comme un faucon, et tu les verras apprendre les choses très vite car ils veulent vraiment savoir. Il est très difficile de garder l'art de quelqu'un.

Quand quelque chose nous convient vraiment, on le sent immédiatement. La pensée n'intervient même pas, c'est une émotion, quelque chose que l'on ressent au plus profond de nous. Parfois il suffit d'entendre un nom pour savoir.

 

Au Japon on distingue parfois les disciplines en Budo, Bujutsu et Kakutogi. Qu'en est-il des arts chinois?

Il y a cette distinction en Chine aussi, mais les lignes sont brouillées. Les chinois n'ont pas préservé leur intégrité culturelle comme les japonais l'ont fait. Et je ne crois pas qu'ils ont le même état d'esprit envers la précision technique, en particulier aux armes. J'ai toujours eu le sentiment que la transmission avait été faite avec plus de soin au Japon.

Les révolutions et rebellions se sont succédés en Chine. Et chacun de ces évènements a été comme un pas en arrière dans la pratique martiale chinoise, accompagné à chaque fois de pertes techniques.

 

Quelle est l'orientation qui vous intéresse le plus?

Mon inclinaison personnelle va vers l'aspect pratique. Je crois que la philosophie profonde se découvre réellement en expérimentant le côté martial. Je trouve qu'il y a généralement plus de profondeur dans les disciplines qui ont conservé un aspect jutsu que dans celles qui se décrivent uniquement comme do. Je crois que la beauté et l'aspect utilitaire coexistent.

 

 

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Vous évoquez des pertes techniques. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

Je suis intéressé par les origines. J'aime avoir les formes les plus proches possible des sources. D'après mes recherches la pratique actuelle s'est éloignée des origines en raison des "soubresauts" dans la transmission. J'essaye de retrouver les racines de l'art, et ces anciennes formes diffèrent notablement de ce que pratiquent la plupart, adeptes chinois compris.

 

Que pensez-vous de la compétition dans les pratiques martiales?

Chez les mammifères quand deux animaux luttent, ils le font généralement pour des "droits" de reproduction. Et beaucoup de compétitions sont de simples extensions de ces "luttes de printemps". Une partie des jeunes ressent le besoin d'expérimenter cela. Mais il est important de contrôler cela afin qu'il n'y ait pas d'issue dramatique.

La compétition peut être un rite de passage, une initiation. En ce sens elle peut avoir une fonction. Mais ses applications sont limitées, de même que son répertoire. Lorsqu'on rentre dans le monde du jutsu, on rentre dans une lutte de survie, il n'y a plus de notion de compétition, cela va bien au-delà. Les formes utilitaires n'ont quasiment aucune application à cause des règles, et la compétition peut nous amener à intégrer de mauvaises habitudes. C'est pourquoi pour développer l'habileté technique, je considère qu'il est plus intéressant de travailler des exercices en variant les contraintes et les difficultés que de participer à ce genre de choses.

Au final, au regard de la vie, la compétition a un intérêt plus que limité. Et cela résume tout le problème.

 

Vous êtes aujourd'hui sollicité dans le monde entier. Voyez-vous des différences dans l'approche des élèves?

Les élèves ont des intérêts différents. Les européens sont plus intellectuels. Ils considèrent l'étude comme une éducation tandis que les américains voient cela comme un loisir. Le niveau de sérieux est donc différent.

Certains veulent des choses très spécifiques. Simplement les postures du Hsing-I par exemple. Et si on m'appelle pour cela, je le fais. Mais je finis toujours par faire un lien avec l'ensemble. Parce que je souhaite que les gens aient une image du tout.

 

On perçoit comme une "musique émotionnelle" différente selon les pays. Différentes dispositions, différentes sensibilités qui sont liées au climat, à la géographie, à l'histoire. Même si les gens se ressemblent, il y a différentes esthétiques, différentes façon de s'exprimer. Je pense que c'est la même chose que lorsque l'on a des enfants. Ils sont tous liés mais différents. Les français sont en général très érudits, ont une vaste culture générale.

 

 

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Vous avez travaillé comme gardes du corps et intervenez pour des formations. Qu'enseignez-vous?

J'enseigne très peu de techniques. Moins d'une dizaine. Et je dissocie les techniques du contexte culturel et des rituels.

La plupart des gardes du corps à qui j'ai affaire ont déjà pratiqué du Kickboxing, d'autres sports de combat ou des méthodes paramilitaires où on leur a apprit à désarmer un pistolet, frapper au visage, etc… Mais étonnamment même si les techniques peuvent être efficaces, il n'y a souvent pas de conscience de l'environnement ni de graduation dans la riposte. J'enseigne par exemple comme base à diriger la main et l'arme directement vers le sol. On ne peut prendre le risque d'avoir la moindre balle partant vers l'horizon. Ils réalisent aussi qu'en société on ne peut pas simplement frapper quelqu'un qui est ivre par exemple. Je leur apprends donc comment écarter des personnes, les maîtriser.

J'enseigne peu de "jeux de mains". Je leur apprends à sortir la tête de la ligne d'attaque et surtout, comment se déplacer autour d'objets ou de personnes, car il arrive souvent lorsqu'un garde du corps est contraint de travailler seul, que l'attaque arrive de l'autre côté du client. J'enseigne comment protéger quelqu'un qui rentre et sort d'une voiture, dans un ascenseur, monte sur un bateau. Il y a beaucoup de travail sur la mobilité. Ca a l'air simple mais il est difficile de garder son corps entre deux personnes.

 

Est-ce un travail que vous avez créé?

C'est une méthode que j'ai développée sur la base de mes expériences, mais aussi avec les retours d'élèves qui sont militaires et policiers. Les situations sont très nombreuses et leurs retours d'expérience, leurs questions me permettent d'affiner et faire évoluer le travail.

 

 

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Pensez-vous que la pratique martiale rende l'homme "bon"?

Pas fondamentalement. Une des raisons pour lesquelles la pratique était secrète est d'ailleurs que si elle est enseignée à quelqu'un de mauvais, il peut développer une grande habileté. Toutefois pour atteindre le plus haut niveau il est nécessaire de faire preuve de coopération avec son partenaire d'entraînement. Et la symbiose qui est nécessaire à cela est très difficile pour quelqu'un de "mauvais". Une évolution à minima est donc nécessaire pour atteindre le haut niveau.

 

Qu'est-ce qui a motivé votre investissement dans la pratique martiale?

Quand je suis né, je suis mort. Je suis mort trois jours après ma naissance et j'ai été mis dans de la glace. On m'a fait une dizaine de transfusions et j'ai été "mort" pendant près d'une heure. Tous mes organes étaient endommagés. Les docteurs avaient dit à ma mère que je ne survivrai pas. Mais mon cœur est reparti et ils m'ont sorti de la glace. En un sens j'ai souvent le sentiment que mon existence est… improbable. Et c'est naturellement que je me suis intéressé à la santé et aux arts martiaux. Mon instinct me dit que le monde est plein de dangers, que la mort est toujours proche…

 

 

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Qu'est-ce qu'un bon enseignant pour vous?

Considérer l'école comme une famille ne me semble pas mauvais en soi. Mais la question est alors, qu'est-ce qu'un bon père? Vous savez alors ce qu'est un bon enseignant.

 

Qu'est-ce alors qu'un bon père?

(rires) Les personnes qui viennent vers nous pour étudier croient que nous sommes Yoda. Non, je VOUDRAIS être Yoda. Yoda est le bon père, ou le bon oncle. Un enseignant peut changer la vie d'un homme et en ce sens il a un grand pouvoir. Mais un élève, particulièrement lorsqu'il est jeune, ne va pas étudier ton art, il va apprendre ce que tu es. Les jeunes élèves revêtent l'enseignant. Ils imitent. Un bon père doit dès lors être un bon exemple. Ensuite il faut être à l'écoute.

Lorsque j'enseignais au lycée Waldorff les élèves me demandaient ce que nous allions faire. Je savais qu'ils étaient entourés de gens qui leur disaient quoi faire, alors je leur demandais ce que EUX voulaient faire, comment ils se sentaient. C'est une question qu'on ne leur posait jamais. N'est-ce pas une question à poser à nos élèves? Se connaître soi-même ne commence-t-il pas par savoir comment l'on va? Dès qu'ils savaient comment ils allaient, ils étaient capables de demander quelque chose de précis. Lorsqu'ils étaient fatigués nous faisions de la méditation. Ainsi les autres jours ils étaient heureux de faire des efforts. Ils savaient que j'étais à l'écoute.

Dans une école martiale il y a un cursus. Mais il y a une grande différence pour l'élève s'il sait que l'enseignant est à l'écoute. C'est un enseignement non-dominant. Nous avons besoin de cela dans les arts martiaux.

 

Pensez-vous être un bon père?

A mon âge la question devient peu à peu d'être un bon grand-père et non père. (rires) Aujourd'hui lorsque j'enseigne les arts martiaux, je le fais avec une intention particulière. Je tiens à libérer les élèves. Qu'ils soient en bonne santé, détendus, habiles avec un grand nombre d'armes, mais surtout libres et autonomes.

Lorsque des élèves viennent vers nous ils nous donnent inconsciemment le moyen de changer leurs vies. Ils nous font confiance comme à un docteur. Notre devoir est de ne pas trahir ces esprits qui nous font confiance.

 

Merci maître.

 

 

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S
<br /> Vraiment un entretien très intéressant où on sent que les deux parties prennent beaucoup de plaisir... Merci pour ce partage<br />
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L
<br /> <br /> Oui ce furent de beaux moments.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour la lecture,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Léo<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Bonjour et bonne année<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Est ce que tu sais s'il va revenir en France dans les mois qui viennent ?<br />
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L
<br /> <br /> Bonjour et bonne année!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il doit revenir au printemps. Je t'invite à suivre le blog d'Erwan Cloarec<br /> qui est son principal élève en France.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Léo<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Tout est dit " Merci maître"<br /> <br /> <br /> Cette interview est vraiment passionnante !<br /> Une grande richesse d'enseignemants et de réfléxions.<br /> Incontestablement un monsieur , un Homme.<br /> Certainement une très belle rencontre humaine  ! ???<br /> Encore merci Léo.<br /> <br /> Ps: et quelle résonnance avec le contexte actuel ;-)<br />
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L
<br /> <br /> Un homme, oui. Un état que je souhaiterai que plus d'experts atteignent ;-)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Une rencontre en tout cas qui m'a touché, et que je conseille à tous.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Léo<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Merci beaucoup pour cette interview dense et passionnante.<br />
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L
<br /> <br /> Merci pour la lecture Fred ;-)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Léo<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />