Ambidextrie martiale
Petite question pour les plus avancés :
je suis shodan à gauche et 1er kyu à droite ...peut-on atteindre un niveau de pratique qui mette complètement à plat la latéralisation ?
Ou subsiste-t-il toujours, même chez les plus brillants d'entre nous un tout petit rien qui rappelle que la nature ne nous a pas conçu (pour la plupart) ambidextres ?
Merci de vous retours, voire vos extensions sur le sujet.
Post issu d'une discussion sur l'Aiki-forum, premier forum francophone sur l'Aïkido et les disciplines associées.
La main du diable
La majorité de la population est droitière, une petite partie gauchère, une partie encore plus restreinte est devenue ambidextre, et une infime minorité le serait naturellement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'état actuel des recherches ne permet pas encore de mettre un terme aux diverses théories sur le sujet.
Etre gaucher est généralement considéré comme négatif dans la majorité des cultures, et par le passé les gauchers naturels étaient "rééduqués" pour devenir droitiers. La main gauche était liée au mal, au péché. Probablement du fait qu'elle servait de façon pragmatique aux tâches quotidiennes "sales".
Samouraïs gauchers ?
Il y eut sans nul doute des samouraïs gauchers. Les noms cités les plus célèbres étant Miyamoto Musashi et Saïto Hajime. Il est toutefois difficile d'avoir des informations sur le sujet, d'autant plus qu'à l'ère Edo tout ou presque était réglementé, de la longueur du sabre aux détails vestimentaires. Je n'ai ainsi connaissance d'aucun bushis qui auraient porté leurs sabres à droite.
Les arts martiaux rendent-ils ambidextres ?
On évoque souvent le fait que la pratique martiale rend ambidextre. C'est vrai dans une certaine mesure. On trouve par exemple rarement des pratiquants beaucoup plus développés d'un côté que de l'autre. Et un adepte de haut niveau utilisera tous ses membres de façon harmonieuse pour atteindre ses objectifs. Est-ce à dire qu'il sera capable de tout faire avec la même aisance des deux côtés ? Sans aucun doute, non.
On rapporte que même à un âge avancé Kuroda Yasuji, le célèbre grand-père de Kuroda Tetsuzan, aurait ainsi eu l'habitude de travailler la dextérité de sa main gauche en l'utilisant pour tenir ses baguettes. Une entorse claire à la bienséance qui devait être fortement motivée. Ayant atteint un niveau remarquable dès l'adolescence, son exemple montre que :
- - la compétence martiale ne rend pas totalement ambidextre,
- - les grands adeptes cherchent à progresser jusqu'à leurs derniers instants,
- - les gestes les plus anodins peuvent être source de progrès.
Pratiquer à gauche ?
Un grand nombre d'écoles anciennes possèdent dans leur curriculum quelques rares formes inversées, tenue du sabre de la main gauche par exemple. Mon opinion est toutefois que l'objectif n'est pas tant de développer l'ambidextrie, que d'enseigner une attitude face à son environnement. Apprendre à l'adepte à attaquer par surprise, lui enseigner qu'il reste vulnérable en toutes situations.
Le corps humain n'est pas symétrique. De la position du cœur à la nature même des tissus de nos hémicorps. Une chose que les bujutsukas semblent avoir intégré très tôt. Il est d'ailleurs à noter que l'esthétique japonaise ne met pas non plus la symétrie sur un piédestal. Plutôt donc que de développer l'ambidextrie, il me semble que la pratique visait à apprendre à connecter, dissocier, synchroniser, coordonner. A apprendre à utiliser harmonieusement les différentes parties du corps avec leurs spécificités et habiletés propres.
Mon entraînement à gauche
A titre personnel j'ai travaillé pendant un an le Iaïjutsu à gauche. Je ne le fais plus que très occasionnellement pour conserver un minimum de capacité dans ce domaine. Je me brosse en revanche régulièrement les dents avec la main gauche. Ce faisant j'ai fini par constater une chose intéressante.
Lorsque j'essayais de reproduire consciemment les mouvements de ma main droite avec ma main gauche, mes gestes étaient très maladroits. Jusqu'à ce que je me rende compte que lorsque j'utilise la main droite, je ne la commande pas. Je "suis" dans la brosse à dent. Elle est une extension de moi-même et je "sens" à travers elle. Je ne bouge pas mon bras pour lui faire faire quelque chose. Il est en quelque sorte court-circuité. Et les résultats ont été nettement meilleurs quand j'ai essayé de reproduire ce processus lorsque je me brossais les dents avec ma main gauche. Etre "dans" la brosse à dent rendait le brossage senestre bien plus agréable et proche du dextre. Il s'agit d'ailleurs du même processus lorsque l'on s'exerce à mettre sa conscience dans le kissaki au lieu de se concentrer sur son corps ou ses bras. Les tensions ont une tendance à disparaître, et les mouvements à devenir plus précis.
Si je considère que diviser son temps pour arriver à faire les mêmes choses avec ses deux mains n'est pas essentiel, il est en revanche intéressant de le faire occasionnellement. Comme de travailler à une main, les yeux fermés, etc. Bonne pratique !