Libérer les pratiquants
Il est certain que la relation directe du maître au disciple qui est la relation traditionnelle, identique dans son essence à la relation des parents à leurs enfants est la meilleure possible. Dans le monde moderne, une telle relation est malheureusement devenue pratiquement impossible.
Cet article a été publié dans le numéro 61 d'AikidoJournal.
Se libérer
Je considère le Budo comme une Voie de libération de l'Homme. C'est en ayant à cœur de me libérer de mes peurs et mes illusions que je pratique, et c'est en ayant à l'esprit d'aider les personnes qui me suivent à atteindre le même objectif, que j'enseigne.
Lorsqu'il évoque la relation du maître au disciple, Tamura senseï indique qu'elle est identique dans son essence à la relation des parents à leurs enfants. Malheureusement aujourd'hui, loin d'agir comme des parents à l'amour inconditionnel ayant la volonté de rendre leur progéniture autonome, de nombreux enseignants agissent trop souvent comme des amoureux possessifs désireux d'emprisonner l'objet de leurs désirs.
Il est évident que le premier problème vient de nous-mêmes. Force est de constater que beaucoup trouvent dans l'enseignement des arts martiaux un moyen de se construire une identité flatteuse. L'élève est alors une preuve de sa propre valeur, et son départ constitue une menace à l'image que l'on s'est construite. S'il est parfaitement naturel que l'on prenne son rôle à cœur, il est en revanche essentiel que l'élève ne soit pas utilisé comme un miroir déformant dont on se sert pour améliorer son estime de soi.
Les élèves ne sont pas des enfants
Il faut aussi en outre ne jamais perdre de vue que la relation parents/enfants est purement symbolique. Si un professeur doit être respecté pour le savoir qu'il possède dans la pratique martiale, il convient qu'il n'oublie jamais que cela ne lui donne en aucun cas une valeur supérieure à quiconque. Il est d'ailleurs plus que probable que chacun de ses élèves puisse être son enseignant dans un domaine ou un autre. Infantiliser les pratiquants, les menacer, leur faire du chantage affectif, sont tout autant de comportements intolérables à bannir.
(Shu ha ri) s’applique à toutes les techniques traditionnelles, que ce soit dans le Chado, la voie du thé, le Kado, l’arrangement floral, etc. Toutes ces voies s’étudient ainsi et passent par ces étapes. Shu est l’étape où l’on suit scrupuleusement l’enseignement de son maître jusqu’à arriver à reproduire exactement les techniques. Une fois arrivé à ce niveau on essaye de voir ce que tel ou tel changement implique. On sort du moule pour continuer son étude. C’est ha. Finalement on dépasse les contradictions et le technique devient sienne. C’est ri.
Shu ha ri
Shu ha ri représente aussi symboliquement le passage de l'enfance à l'âge adulte.
L'étape shu correspond à l'enfance. On copie. On essaye de faire comme papa maman. L'étape ha correspond à l'adolescence. On veut faire différemment. On veut vivre ses propres expériences. Ri, enfin, est l'âge adulte. On n'essaye plus de copier ou faire le contraire de ses parents. Nos actes ne sont plus supposés être en réaction.
Bien entendu être sorti de l'adolescence ne signifie pas que l'on sache tout. Et chaque instant de notre vie peut, jusqu'au dernier, être source d'évolution. Notez en outre que shu ha ri est un processus riche qui comporte de nombreux enseignements, et d'autres niveaux de lecture.
Shu est l’étape où l’on suit scrupuleusement l’enseignement de son maître jusqu’à arriver à reproduire exactement les techniques. Une fois arrivé à ce niveau on essaye de voir ce que tel ou tel changement implique. On sort du moule pour continuer son étude. C’est ha.
Il est intéressant de voir que lorsqu'il évoque le but de shu, Tamura senseï parle d' "arriver à reproduire exactement les techniques". Il n'est évidemment pas question ici d'arriver à les faire fonctionner de la même manière, sans quoi on aurait atteint la maîtrise. Arriver à cela n'est naturellement pas aisé, mais c'est aussi loin d'être inaccessible. Pour un pratiquant engagé cela ne doit pas prendre plus de quelques années.
Le chemin d'une vie
La pratique martiale est un chemin sans fin. C'est en revanche un moyen de cacher son incompétence et/ou de freiner les pratiquants que de dire que la maîtrise ne s'atteint qu'au bout d'une vie. Les éléments historiques qui nous sont parvenus nous ont permis de découvrir que le menkyo kaiden, certificat de transmission totale dans les koryus, traditions guerrières des bushis, était décerné après une moyenne de quatre à cinq ans ! Personne n'imagine d'ailleurs qu'il faille trente ans pour former les membres du GIGN, SAS, Delta Force ou autre Spetznaz.
Les instructeurs des samouraïs, comme ceux des forces spéciales, avaient à cœur de former le plus rapidement possible les hommes dont ils avaient la charge. De les rendre autonomes. Oui, nous ne pratiquons heureusement pas sous la menace d'être envoyés au champ de bataille. Mais la vie reste courte ! En tant qu'enseignants de Budo nous devons respecter le temps que nos élèves investissent dans la pratique. Nous devons aussi avoir à cœur de les rendre autonomes le plus rapidement possible. Leur donner les outils pour qu'ils puissent poursuivre leur chemin selon leurs individualités et leurs objectifs. Et pour cela il nous faut avoir le courage de combattre notre propre insécurité…