Hino Akira, la pratique martiale au service de l'art
Art martial. Le mot art revêt bien sûr ici le sens de technique et non de recherche esthétique. Si une pratique martiale peut être appréciée pour l'élégance de la sobriété de ses gestes, il ne s'agit que d'une conséquence et non d'un but en soi. Il existe pourtant des liens entre les Budo/Bujutsu et les activités artistiques classiques, notamment la danse et la musique. Hino Akira et Kono Yoshinori sont les fers de lance de ce mouvement qui lie deux des plus anciennes activités humaines.
Hino Akira
Hino senseï est devenu célèbre en dehors du milieu martial lorsqu'il a commencé à travailler avec la troupe de William Forsythe. Aujourd'hui de nombreux sportifs et des danseurs du monde entier font appel à lui afin de modifier l'utilisation de leur corps. Je l'ai récemment accompagné pour l'assister dans les démonstrations martiales qu'il a faites lors d'un séminaire pour danseurs à Amsterdam. Une expérience exceptionnelle.
A la suite de son dernier stage à Paris Hino senseï est parti donner un stage de cinq jours aux Pays Bas à l'invitation d'une troupe professionnelle. Il me demanda de venir l'assister les deux premiers jours pour pouvoir démontrer quelques techniques martiales. Le premier soir avait lieu une lecture à la suite de laquelle les danseurs pouvaient poser des questions à maître Hino.
Les stagiaires étaient une trentaine, une moitié composée de la troupe tandis que l'autre était venu spécialement des quatre coins de l'Europe. Parmi eux se trouvaient deux danseurs de la Forsythe company qui suivent Hino senseï depuis plusieurs années. Il était très agréable de se retrouver dans ce groupe composé de personnes aux parcours et nationalités si variées.
Séminaires pour danseurs à Yokohama
Hino sensei commença par résumer son parcours, de son investissement dans la musique à sa rencontre avec les arts martiaux. Il expliqua quelques points fondamentaux de sa méthode tels que isshiki, la conscience, kanjiru, sentir, et tsunagaru, être relié. Nous fîmes ensuite une démonstration.
Durant l'un des exercices je le menaçais, sabre sur sa gorge. Il dégainait alors avant que j'ai eu le temps de couper. Mouvement impressionnant par sa soudaineté mais surtout l'absence d'appel. Durant un autre exercice je lui immobilisais fermement le bras en le saisissant à deux mains. Il me projetait alors en expliquant comment générer le mouvement à partir d'une partie du corps libre.
Les danseurs étaient émerveillés par la démonstration mais certains étaient incrédules et croyaient que je chutais par complaisance. Hino senseï invita alors le plus massif d'entre eux à venir le saisir. Il le projeta aisément mais avec douceur car celui-ci ne savait pas chuter. Il répéta l'exercice sur des saisies de jambe et du petit doigt à la stupéfaction de l'audience.
La force du relâchement...
Le lendemain nous démontrâmes à nouveau une série de techniques. Des réponses à des attaques de poing, des exercices de redirection de force, etc… Durant l'une des démonstrations je faisais face à Hino senseï, sabre en main, en garde haute. Il me fixait alors et dégainait son sabre. La sensation était incroyable. J'avais l'impression que les instants se succédaient, son sabre étant de pus en plus dégainé à chacun d'eux, sans que je puisse "voir" le dégainage. La pression de son regard et son immobilité totale me gardaient immobilisé sans que je puisse couper à un seul instant. Jusqu'à ce que son sabre soit totalement dégainé…
Hino senseï démontra ensuite l'utilisation du kiaï. L'attaquant en garde haute pouvait couper lorsqu'il le désirait. Immanquablement au moment où son geste naissait il était stoppé par un kiaï d'une puissance étonnante. Hino senseï demanda alors à des élèves de prendre sa place. Sans surprise et malgré leurs hurlements ils furent tous coupés. Hino senseï expliqua alors que leurs cris étaient diffus, que le son, à la sortie de leur bouche, formait une sorte de nuage en expansion. Il démontra qu'il fallait diriger très précisément le kiaï dans une sorte de couloir vers l'attaquant. Il le démontra ensuite avec un kiaï silencieux.
Afin de développer la capacité à diriger le kiaï Hino senseï fait parfois mettre les élèves de dos tandis que l'un deux émet des kiaï en direction de l'un d'entre eux. Ceux qui ont ressenti quelque chose lèvent alors la main. Cela permet à la fois de développer le kiaï de l'un et la sensibilité des autres.
Danse...
... ou art martial
Le séminaire à proprement parler commença ensuite. A travers de nombreux exercices issus de la pratique martiale Hino senseï amena les stagiaires à développer leur sensibilité, leur spontanéité et la liberté de leurs corps. Tout ce travail qui les aidait très concrètement dans leur recherche artistique avait pour moi une résonnance très pragmatique dans le contexte martial. Voici quelques témoignages de danseurs qui montreront l'intérêt qu'ils trouvent à ce type de stage:
Ando Yoko, danseuse de la Forsythe Company
"Je n'ai pas besoin de connaître sa capacité martiale car je suis une danseuse. Mais ses mouvements sont de la danse en soi. Il bouge avec douceur sans donner aucune indication et projette les élèves ici et là. Tout cela se passe sans la moindre opposition de force due à une lutte ou réaction des élèves car ils ne peuvent absolument pas réagir aux mouvements de Hino senseï. Les spectateurs se demandent pourquoi les élèves tombent, et pourtant les mouvements de Hino senseï restent beaux et naturels.
Le Budo impliquant une relation directe aux autres, j'ai découvert qu'il nécessitait un contrôle du corps bien plus sophistiqué.
Refléter la profondeur historique et culturelle du Budo va au-delà de l'aspect physique pour atteindre la métaphysique. La danse, sans cette profondeur et cette sophistication, ne peut servir son rôle en tant qu'outil d'expression."
William Forsythe, chorégraphe
"Akira Hino m'a montré l'exemple le plus clair de conscience humaine que j'ai jamais rencontré. Il a maîtrisé un degré de perception si profondément fondamental que c'en est quasiment incompréhensible pour nos sensibilités contemporaines.
Akira Hino a consacré son temps, ses soins et son expertise à entraîner ma troupe de danseurs. Son influence sur notre travail a été d'une valeur inestimable. La source de son travail réside au cœur des plus profonds aspects du dansé.
Les danseurs qui ont l'opportunité de travailler avec Hino-san seront fondamentalement changés. Ce travail amène le corps dans une relation intime et articulée avec le monde phénoménal; un monde qui rejoint le présent parfait et miraculeux."
Hino Akira et William Forsythe
L'instinct de survie est probablement le plus fort de ceux qui nous habitent. Il a donné naissance à la plus subtile des sciences du corps humain, la pratique martiale. Aujourd'hui les arts martiaux ne sont plus une question de survie. Ils n'en restent pas moins un réservoir inépuisable d'enseignements précieux. Grâce à des maîtres tels que Kono Yoshinori ou Hino Akira, l'activité humaine la plus destructrice est devenue une des sources de la plus créative. Un des plus beaux paradoxes de l'histoire humaine…
Hino senseï donnera une Master Class exceptionnelle à Paris les 1er et 2 mai. Le stage est ouvert à tous indépendamment du niveau et de la discipline pratiquée.