Sortir de la zone de confort
L'évolution des pratiquants
Les voies martiales sont issues de traditions plusieurs fois séculaires. Intimement liées à la vie de leurs pratiquants, elles ont évolué au gré de l’histoire, passant du statut de méthodes de destruction à celui de voies de réalisation. Et leurs techniques ont évoluées en même temps que leur but. Mais le plus grand changement est sans aucun doute l'état d'esprit dans lequel elles sont pratiquées.
Lorsque le meilleur garant de votre vie était votre habileté martiale, l'intensité des entraînements ne faisait aucun doute. Mais aujourd'hui où le risque d'une confrontation physique mortelle s'amenuise, les voies martiales sont devenues des loisirs. Les pratiquants viennent au dojo pour suer un peu, socialiser et se changer les idées. Et il n'y a rien de critiquable, tant que cela est fait en connaissance de cause. En effet, le seul risque est de s'illusionner sur les résultats que l'on peut obtenir. Car il serait faux et même dangereux de croire que l'on peut atteindre autre chose qu'une efficacité toute relative, sans parler d'arriver à un éveil ou autre illumination en s'entraînant de cette manière.
Si l'on attend de sa pratique un changement profond, il est important de sortir de sa "zone de confort". Etre dans la zone de confort ne signifie pas que l'on ne se fatigue pas, que l'on ne sue pas. Etre dans la zone de confort signifie que l'on ne dépasse pas ses limites, que l'on s'écoute et que l'on reste dans l'ombre d'une pratique tiède, sans risques, sans véritables difficultés et surtout… sans grandes perspectives.
La zone de confort physique
S'il n'est pas le plus important, le dépassement de la zone de confort physique est le plus simple à comprendre. Sortir de sa zone de confort physique se traduit entre autres par sa capacité à fournir un investissement personnel important et un effort constant. Cela implique aussi de ne pas s'écouter lorsque la fatigue ou la douleur surviennent. Que décide-t-on lorsque l'on ressent une fatigue si intense qu'elle nous donne la nausée ? Que fait-on lorsque l'on est blessé ou que l'on ressent une douleur lors d'un entraînement ?
Ces choses sont presque inévitables dans une pratique intense des arts martiaux. Mais hormis une blessure grave, il est généralement possible de surmonter la douleur et de finir l'entraînement. Il ne s'agit évidemment pas de continuer à pratiquer en aggravant une blessure, mais d'arriver à trouver le moyen de continuer à pratiquer malgré la fatigue, l'inconfort et la douleur.
Jusqu'où aller ?
C'est évidemment une question d'appréciation personnelle, mais le minimum est d'effectuer les exercices que vous demande votre enseignant, car un bon professeur a généralement mieux conscience que vous de vos capacités.
Par une augmentation graduelle mais continue de l’intensité de vos efforts sous la direction de votre enseignant, votre corps et votre esprit se renforceront. L'idée n'est évidemment pas de souffrir pour souffrir, et je considère que la recherche de la souffrance est un piège de la pratique. En revanche il est nécessaire d'être capable de surmonter les difficultés lorsqu'elles se présentent. Et cette force mentale, si elle est réinvestie dans votre quotidien, se révèlera un atout très utile.
La zone de confort mentale
Paradoxalement, venir au dojo a demandé à la plupart des pratiquants plus d'efforts pour sortir de leur zone de confort mental que physique. Mais si l'on se souvient longtemps de courbatures dans des endroits que l'on n'imaginait pas pouvoir être aussi douloureux, on oublie souvent l'inconfort mental ressenti lors des premiers cours. Et pourtant un débutant vient se confronter à un monde inconnu où l'on emploie un langage étranger, et où ont cours des règles et rituels mystérieux… Vêtu d'une tenue étrange, il est totalement hors de sa zone de connaissance, et par là-même, de confort.
Judo ancien.
Malheureusement c'est quelque chose que l'on oublie très rapidement. Une fois passé les premiers apprentissages, vient le perfectionnement. Et c'est souvent là que le pratiquant expérimenté se perd. Cherchant des certitudes, il n'acceptera plus comme correct que ce qui vient le conforter dans ses choix, et fermera son esprit à tout ce qui ne va pas dans son sens. Enfermé dans l'image qu'il se fait de sa pratique, il se conforte d'un niveau d'habileté relatif, et cesse d'absorber ce qu'offrent les enseignants, à fortiori s'ils dévient un tant soit peu de l'image qu'il s'est forgée. Au dojo ou en stage, ce pratiquant reproduit sans cesse les techniques à sa manière, regardant sans voir, installé dans sa "zone de confort" mentale. Etonnamment, il peut s'agir de quelqu'un qui dépasse régulièrement ses limites physiques, mais qui cherche à être rassuré mentalement. Mais cela est très fréquent, tant il est difficile de dépasser les limites que l'on fixe à notre esprit.
Le confort quotidien
Une autre chose qu'il est difficile de surmonter, est la recherche de confort "pratique". Et cela recouvre les domaines les plus variés. Dépasser cela veut dire:
- Ne pas aller au dojo uniquement lorsqu'il fait beau.
- Ne pas choisir un dojo parce qu'il est confortable.
- Ne pas choisir un dojo parce qu'il est proche.
- Etc…
Les premiers pratiquants en France s'entraînaient sur de la sciure de bois recouverte d'une bâche. Et c'est encore souvent le cas dans de nombreux pays pauvres. Les dojos traditionnels japonais étaient, et sont encore généralement petits. Le premier dojo de maître Ueshiba à Tokyo faisait huit tatamis, moins de seize mètres carrés. Pratiquer sur des surfaces dures ou irrégulières et dans un espace restreint oblige à développer une attention globale, ce qui est une capacité martiale par excellence.
Bien entendu il serait agréable d'avoir un dojo confortable proche de chez nous, et que l'on vive dans un endroit où il fait toujours beau. Mais tout cela est annexe. L'essentiel est de trouver un enseignant qui soit capable de nous guider là où l'on souhaite aller. Peu importe qu'il enseigne dans un taudis à des kilomètres de chez nous, et que le froid nous invite à rester au chaud.
Yokoyama Sakujiro, l'un des quatre gardiens du Kodokan.
Pratiquant de Tenjin Shin'yo ryu, Daïto ryu, et Judo
Tout cela pour quoi ?
Nous ne sommes plus sur des champs de bataille, et il peut paraître archaïque de prendre pour exemple l'investissement des adeptes du passé. Mais si nous aspirons à obtenir les mêmes bénéfices de la pratique que nos anciens, il est évident que nos efforts doivent être à la hauteur des leurs.
Il existe bien sûr de nombreuses autres voies, non moins efficaces sans doute, qui mènent à la réalisation. Il serait toutefois illusoire de croire qu'elles nécessiteront un investissement moindre. Sortir de la zone de confort, ou plutôt peut-être "zone d'habitude", c'est chercher à aller toujours plus loin dans sa pratique physique, mais aussi technique et spirituelle, se remettre en question, et chercher à aller au-delà des apparences dans un effort constant et continu. Et cette nécessité est présente dans toutes les voies de réalisation.
Hokusaï
Chercher au-delà des apparences dans un effort constant et continu...