Budo no Nayami

Modification de l'utilisation du corps en Aikido

4 Mai 2016 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

L'Aïkido est issu des techniques guerrières des bushis. Rassemblées sous le terme koryu, les anciennes écoles avaient pour but de donner des moyens de survie à leurs pratiquants. Pouvant être amenés à se rendre au combat dès l'âge de douze ans et jusqu'à leurs derniers jours, il était indispensable que les techniques ne reposent pas sur les qualités athlétiques de leurs adeptes, mais sur une modification de l'utilisation du corps. Les fonctions des guerriers variant grandement, notamment selon leur rang, ces modifications pouvaient être d'ordre très variés et étaient un secret militaire.

Que reste-t-il de ces enseignements dans la pratique de l'Aïkido contemporain ?

 

Modification de l'utilisation du corps en Aikido

Une pratique athlétique

La pratique la plus répandue aujourd'hui n'inclut pas de modification de l'utilisation du corps. Ses adeptes essaient simplement, avec plus ou moins de succès, de faire fonctionner les techniques de leur répertoire. Malheureusement, souvent, ce répertoire se modifiera au fil du temps car les techniques ne fonctionnent pas sans la modification de l'utilisation du corps. En l'absence de cette clé, les pratiquants n'ont d'autre choix que de faire preuve de "créativité", et de modifier les formes pour qu'elles puissent fonctionner avec un travail de qualités athlétiques "classiques". Un des soucis que pose ce type de travail, est que ces qualités sont limitées dans le temps.

 

Connecter

Dans la majorité des dojos où existe un travail sur l'utilisation du corps, celui-ci consiste à l'unifier. On y apprend aux adeptes à connecter efficacement leurs membres au tronc, leur permettant ainsi de développer puissance et stabilité. Cela permet essentiellement de surmonter des contraintes telles que des saisies fortes.

 

Dissocier

Un travail beaucoup plus rare et méconnu, est celui de la dissociation. Dans ce travail, chaque partie du corps peut être utilisée de façon indépendante des autres. Dans sa version la plus basique, cela est visible de l'extérieur. Mais à mesure que l'on progresse dans cette forme, cela devient de moins en moins perceptible à moins d'avoir un œil aiguisé. Au plus haut niveau, cela est indécelable à l'œil nu, et ne peut être perçu qu'au contact de l'adepte, ou en lui faisant face.

 

La dissociation ne rend pas le corps plus stable ou plus puissant. Elle permet toutefois de faire face à n'importe quel type d'attaque, et ne nécessite "que" un contrôle fin du corps. Chose qui peut être préservée bien plus longtemps que les qualités athlétiques, comme le démontrent tant de musiciens virtuoses à l'hiver de leur vie, quand les sportifs de leur âge n'ont plus depuis longtemps que leurs souvenirs…

 

Modification de l'utilisation du corps en Aikido

Comment fonctionne la dissociation

Je répugne toujours à entrer dans des explications techniques, mais je souhaitais donner au minimum une explication sommaire de ce principe. L'être humain fonctionne par analogie. C'est ainsi que nous pouvons agir sans analyser à chaque fois l'infinité d'informations qui nous assaille à chaque instant. Cela nous amène aussi à des réactions peu pertinentes, même si sans doute poétiques, comme celle de voir un visage dans une tâche sur un mur par exemple.

Martialement ce fonctionnement par analogie est à double tranchant. S'il nous permet de réagir plus rapidement, il nous laisse aussi susceptibles d'être la victime de feintes.

La dissociation va un cran au-delà dans la manipulation du cerveau de l'adversaire. Grâce au contrôle de son corps, en utilisant ce principe corrélé à d'autres, l'adepte devient capable de réaliser des gestes "impossibles", et donc "inconnus" pour le commun des mortels. Le cerveau est alors "gelé" durant un instant. Instant bref sans aucun doute, mais qui suffit à vaincre son adversaire.

 

Modification de l'utilisation du corps en Aikido

Modifications de l'utilisation du corps

Sous ce terme un peu pompeux, se trouvent de nombreux principes divers et variés. Je n'en ai délibérément abordé que deux, mais les centaines d'écoles de l'époque féodale japonaise avaient donné naissance à bien plus de principes.

Comme dans beaucoup de domaines, on ne peut ici déclarer que tel principe est supérieur à tel autre. Non seulement parce que les écoles étaient chacune élaborées pour un contexte et une tâche précis, mais aussi parce qu'un même problème peut souvent avoir plusieurs solutions.

 

Une énigme corporelle

Dans la pratique martiale traditionnelle japonaise, la transmission se fait au travers de katas. Cet ensemble de formes définit un cursus qui n'est en réalité qu'un aide-mémoire destiné à préserver l'essence de l'école. Le programme technique n'est évidemment aucunement limitatif, et ne sert qu'à transmettre et préserver efficacement les fondements de la pratique.

 

Dans la transmission d'une discipline martiale, la technique ne doit pas seulement être considérée en fonction de son résultat. Un mouvement ne peut être considéré comme réussi parce qu'il présente des similitudes durant son exécution, et qu'il se termine de la même manière. Une technique est une énigme corporelle dont la résolution doit permettre à son pratiquant de passer à l'étape suivante. Un geste pourra souvent fonctionner plus facilement s'il est transformé, car tant que l'utilisation du corps du pratiquant n'a pas été modifié, il ne peut généralement pas produire les résultats escomptés. Mais l'énigme ne peut être considérée comme résolue que lorsque l'adepte est capable de réaliser le geste efficacement sans en modifier quoi que ce soit. Cela fait, il sera alors libre de travailler des modifications qui seront des choix volontaires, et non le résultat de son incapacité à faire fonctionner la technique.

 

Modification de l'utilisation du corps en Aikido

Evolution de la forme

Le cursus transmettant l'essence de l'école, la question de son évolution se pose avec acuité. Une évolution est-elle possible ? Acceptable ? Sous quelles conditions ?

Il ne faut pas perdre de vue que les traditions martiales japonaises furent pratiqués jusqu'à récemment par une classe de guerriers qui, s'ils vivaient dans un pays en paix, n'en restaient pas moins susceptibles d'avoir à combattre un jour. La pratique martiale évolua donc dans le temps pour s'adapter aux époques qu'elle traversait, tout en préservant ses principes et stratégies. Si nous ne risquons pas de nous retrouver sabre au clair sur un champ de bataille, il serait illusoire de penser que l'on peut, sinon atteindre un état d'éveil, approcher ne serait-ce que la sérénité de celui qui sait qu'il peut préserver son intégrité physique, sans passer par une efficacité martiale. Efficacité qui doit prendre en compte l'évolution de notre environnement afin de s'y adapter, tout en préservant l'essence de l'école à travers ses principes et stratégies. Une tâche ardue mais sans laquelle les disciplines martiales traditionnelles sont vouées à disparaître…

 

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