Budo no Nayami

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

26 Janvier 2017 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

La pratique martiale est composée de trois éléments fondamentaux. Les techniques, les méthodes de modification de l'utilisation du corps, et… la vitalité. Si le premier élément est systématiquement présent dans les cours d'arts martiaux, le deuxième est beaucoup plus rare. Le troisième quant à lui, est quasiment introuvable. Quelles sont les conséquences de cette absence ?

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

Qu'est ce que la vitalité ?

Il est bien entendu que j'ai ramené la pratique martiale à son essentiel, omettant délibérément les aspects stratégiques, ainsi que l'amont et l'aval d'une confrontation pour n'aborder que les trois éléments susmentionnés.

La technique recouvre l'ensemble de la gestuelle destinée au combat, constituée de frappes, projections, luxations, etc. La modification de l'utilisation du corps désigne les méthodes permettant d'obtenir des effets hors du commun grâce à une reprogrammation profonde. Un processus que j'ai déjà évoqué à diverses reprises, et qui demande un travail très important. Il peut se traduire pas un corps connecté, dissocié, enraciné, flottant, etc. Mais qu'est ce que la vitalité ?

Le mot le plus proche qui me soit venu à l'esprit est, la niaque ! Niaque est un mot issu du gascon gnaca, mordre. Il signifie mordant, combativité. Mais ce mot réducteur ne convie pas les notions d'instinct de survie, ne traduit pas cette volonté primale qui permet à ceux qui en sont dotés de survivre aux situations les plus effroyables. C'est pourquoi je lui préfère le terme de vitalité.

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

La vitalité est-elle synonyme de ki ?

Oui et non. Le ki est un terme aux significations multiples. Il est commun en Aïkido d'évoquer l'énergie lorsque l'on emploie ce mot. Mais si j'ai pu expérimenter à plusieurs reprises ce ki, notamment chez des thérapeutes au Japon, je pense que le sens de ki dans les arts martiaux est autre. Parmi les traductions, les termes qui correspondent le plus sont : esprit, humeur, état d'esprit, motivation, disposition. La vitalité correspond ainsi non pas à une bonne énergie physique, mais à un esprit indomptable. Si l'on peut employer le terme ki dans les deux cas; il s'agit toutefois de… deux choses distinctes.

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

Les arts martiaux au Japon durant la seconde guerre mondiale

La pratique martiale était généralisée au Japon, avant et pendant la seconde guerre mondiale. Il est intéressant de remarquer que s'il s'agissait essentiellement de Judo et Kendo, les toutes nouvelles méthodes qu'étaient à l'époque l'Aïkido et le Karaté Shotokan servaient à former des groupes bien particuliers. L'Aïkido était ainsi enseigné aux services secret japonais, et à la kempeitai, qui faisait à la fois office de police militaire et police secrète, tandis que le Shotokan faisait partie de la "formation" des tokkotai, plus connus en occident sous le nom de kamikazes…

Pourquoi les kamikazes pratiquaient-ils le Karaté, alors que leur chance d'avoir à combattre à mains nues était quasi nulle ? Si l'on peut imaginer que certains étaient galvanisés par le fanatisme qui avait gagné une partie du Japon, il était évident que le destin qui attendait ces "volontaires/désignés" avait de quoi faire trembler les plus téméraires. Et c'est là que le Shotokan intervient. On dit que "Le Shotokan est la seule école capable de transformer un lapin en tigre !". Et il est vrai que la pratique intensive et rythmée des katas, kihons et autres ippon kumites portés par les kiaïs, donne une impression de puissance que je n'ai retrouvée dans aucune autre discipline. Qu'il ne s'agisse sans doute que d'une impression, que ce travail ne constitue peut-être qu'un aspect superficiel de ce style, etc., n'est pas le sujet ici. On constate simplement que l'état-major avait su choisir la discipline la plus adaptée à leur objectif.

A la même époque, l'Aïkido était donc enseigné à la kempeitai et aux espions. Si l'utilité de techniques martiales permettant de contrôler un adversaire est évidente pour une police militaire, plus intéressant est le fait que notre discipline ait aussi été enseignée aux agents secrets de l'archipel. Lors d'un entretien, Mochizuki Hiroo me raconta que lors de ses entraînements personnels où il lui servait régulièrement d'uke, Ueshiba Moriheï pratiquait des mouvements courts, extrêmement incisifs, qui étaient souvent accompagnés d'atémis incapacitants qui lui coupaient le souffle. Et l'on trouve sans peine en cherchant, les témoignages de pratiquants formés à cette époque qui corroborent ces faits et évoquent une pratique extrêmement martiale. 

Si l'on a à l'esprit le fait que les espions ne sont pas protégés par la convention de Genève, on comprend naturellement la nécessité d'être formé à une méthode aussi rapide que définitive. Ce n'est pas ici la pratique actuelle de l'Aïkido qui nous renseigne, mais ce fait historique qui nous en apprend plus sur notre discipline, et la réalité que recouvraient les paroles du Fondateur lorsqu'il déclarait que "L'Aïkido est irimi et atémi.".

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

L'Aïkido, un art martial pour les forts

L'Aïkido est souvent présenté comme une discipline où la force physique est inutile, et Ueshiba Moriheï lui-même disait qu'il suffisait de pouvoir soulever une once de son pour pratiquer son art. Lorsque j'évoque le fait que l'Aïkido est une pratiqué pour gens forts, ce n'est donc pas de force physique que je parle, mais de quelqu'un qui a la niaque et un fort instinct de survie. Quelqu'un avec une grande vitalité.

Les tâches qui sont confiées à un espion sont de la plus grande importance, et ces hommes et femmes ont parfois en mains le destin de nations entières. Si leur formation est plus que poussée, elle a lieu APRES une sélection drastique d'où ne sont choisis que les individus ayant les plus grandes capacités physiques, intellectuelles, et une résistance au stress phénoménale. Des individus à la vitalité exceptionnelle. Des individus qui ont DEJA les qualités fondamentales, et à qui il faut "simplement" donner des outils. Telle qu'une technique de combat dévastatrice.

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

L'importance de la vitalité dans le combat

Quelle est la place de la vitalité dans le combat ? Il s'agit tout simplement pour moi de l'élément essentiel. Celui sans lequel les autres n'ont pratiquement aucune utilité. La technique, sans modification de l'utilisation du corps et vitalité, n'est qu'une coquille vide. Accompagnée de l'apprentissage d'une méthode de modification de l'utilisation du corps, elle prend un peu de consistance, mais son utilité dans une situation de survie reste encore plus qu'aléatoire. Ce n'est que lorsque ces éléments sont soutenus par la vitalité qu'ils peuvent prétendre à une dimension pratique.

A l'inverse la vitalité seule donne de grandes chances de survie. Que l'on pense à ces individus qui dans des situations extrêmes, parfois sans les connaissances qui paraissent élémentaires aux spécialistes, ont survécu alors que tant d'autres mieux formés ont péri. On aura alors une idée de ce que j'entends par vitalité. C'est évidemment valable dans le domaine du combat où seul un samouraï sur quinze était menkyo kaïden, et parmi lesquels certains se sont illustrés en n'ayant eu qu'une formation des plus rudimentaires.

Renforcée par une méthode d'utilisation du corps et des techniques sophistiquées, la vitalité donne en revanche des résultats stupéfiants. De ceux qui donnent à leurs auteurs une notoriété qui traverse les siècles.

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

Le paradoxe de l'Aïkido

Le drame de l'Aïkido contemporain, est que cette discipline terrifiante entre les mains d'individus dotés d'une grande vitalité, rassemble essentiellement des personnes craintives. L'art qui ne peut se décliner en oppositions ritualisées qu'au prix d'une émasculation manifeste, séduit ceux qui ont peur de l'affrontement. Les techniques qui fonctionnent parce qu'elles sont alimentées par une volonté inébranlable, attirent ceux dont les capacités physiques sont en déclin, ou qui ne les ont jamais développées.

Le terrible paradoxe de l'Aïkido est qu'il s'agit d'une discipline pour des individus forts qui attire des personnes faibles. Qu'il est douloureux de comparer les géants de l'Aïkido d'hier, et la très large majorité des "experts" d'aujourd'hui…

 

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

L'Aïkido est bien plus que ça

Résumer l'Aïkido à une technique de combat est non seulement réducteur, mais aussi contraire à l'esprit qu'y a insufflé maître Ueshiba. Mais l'amputer de cet aspect c'est enlever toute valeur à ses aspirations. La compassion et la bienveillance d'Osenseï n'étaient pas celles d'une victime qui s'en sert pour cacher son impuissance, mais les valeurs qui guident un être humain capable de toutes les actions nécessaires pour donner vie à un idéal supérieur.

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G
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour cet article qui met en lumière ce que je redoute dans cette discipline. À chaque fois que je lis des articles sur l’Aïkido pour me documenter, tous sont dithyrambiques sur le fait que ce sont des personnes « faibles » (pas très fan de ce terme) qui pratiquent. <br /> Je découvre récemment la philosophie de cet art, mais je dois avouer que j’ai peur de tomber dans un club qui ne mette pas en avant l’aspect combat de cet art. L’approche de l’aïkido avec les espions devraient perdurer comme le krav maga avec les forces Israéliennes. <br /> Y-a-t-il d’autres professeurs comme vous qui sont dans l’évolution de cet art ?<br /> Merci. <br /> Guillaume
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L
Bonjour Guillaume,<br /> <br /> Merci pour la lecture.<br /> <br /> Je ne pense pas être le seul à m'intéresser à l'aspect combattif de l'Aïkido, mais nous sommes rares.<br /> Je vous invite à aller observer divers cours, et éventuellement poser la question aux enseignants.<br /> <br /> Bonne recherche !<br /> <br /> Léo
J
merci de l'Article Léo tu es super. Très intéressant comme article et un jour j'espère te rencontrer en personne comme j'aimerais rencontrer Kuroda Tetsuzan et Hino Akira et Ellis Admur et le fondateur de l'Aunkai. Bonne pratique.
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L
Merci, et au plaisir de pratiquer avec toi !<br /> <br /> Léo
D
Bonjour, Léo,<br /> <br /> Je partage totalement ton point de vue, tant que l'on cherche la "martialité" au sein de nos pratiques (et ceci est loin d'être la majorité des pratiquants qui chercheront activité physique, de santé, de loisir, de culture,...)<br /> <br /> Concernant le terme approprié, plutôt que "Vitalité", j'utilise plutôt le terme d'"Agressivité". Il est pour moi l'un des mots les plus justes concernant un combat. Il ne s'agit pas nécessairement de faire preuve de violence ou de brutalité, ou de mouvements "gross motor skills", ou d'abandonner toute stratégie pour le "Berserk". Il s'agit d'avoir toujours un esprit d'attaquant, d'agresseur. Il n'y a plus de défense, ni de demi-mesure, je suis en phase de mettre mon ennemi à terre pour ma propre survie. Dans le fameux triptyque des 3 F (Freeze, Fly or Fight), si je suis dans le fight, alors je donne tout jusqu'à sa conclusion (positive ou négative) : tout ce que je suis, tout ce que je peux, tout ce que je sais.<br /> <br /> Bien à toi,<br /> <br /> David
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L
Bonjour David,<br /> <br /> Le choix d'un terme a été très difficile en fait. Et "agressivité" a été une option. Je ne l'ai pas conservé en raison du sens que la majorité lui donne, de l'imagerie de combattants hargneux et tendus. Dans mes cours j'explique souvent qu'il faut agir en prédateur et non en proie. Cela rejoint je pense ton idée :-)<br /> <br /> Bien amicalement,<br /> <br /> Léo
B
Bonjour Léo,<br /> <br /> Je trouve votre réflexion particulièrement intéressante. Je me permet de la partager (via les réseaux sociaux) avec mes élèves qui, bien que d'une autre voie martiale, pourrons ainsi nourrir leur réflexion personnelle.<br /> <br /> Merci à vous.
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L
Bonjour Benjamin,<br /> <br /> Merci pour le partage, et bonne pratique !<br /> <br /> Léo
E
Bonjour Léo, merci pour cet article très intéressant et "éclairant". En tant que pratiquant de karaté, je me suis intéressé à l'histoire des différents maîtres de karaté toutes origines et tous styles confondus et je me souviens que plusieurs d'entre eux avaient commencé à apprendre le karaté suite à des problèmes de santé. Et c'est tout à fait logique : les personnes fragiles feraient tel art pour se "renforcer" (la santé) et d'autres n'auraient besoin que d'un bagage technique car déjà "forts" (don de la Nature). J'ai pratiqué l'Aîkido pendant 2 ans et effectivement plusieurs personnes que j'ai rencontrées venaient pratiquer car elles étaient "fragiles"...Toujours un réel plaisir à lire tes articles, merci beaucoup Léo.
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L
Merci pour la lecture et tes réflexions Emmanuel :-)<br /> <br /> Léo
S
très intéressant, mais malheureusement tu ne pousses pas assez loin ta réflexion sur ce que tu nommes "vitalité" ou instinct de survie...certes nous sommes très inégaux devant cette "capacité".... mais tu ne dits rien des études aujourd'hui très pointues dans les domaines de la neurobiologie ou de la psychologie comportementale sur le sujet, et surtout des méthodes qui en découlent en terme de gestion du stress, des agressions, de développement personnelle, ou de santé, sans parler de toutes les applications liées aux métiers de la sécurité en général.(par exemple et pour ce qui nous intéresse ici, divers méthodes de self défense et autres arts martiaux comme le systema).. sujet sans nul doute a approfondir....
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L
Bonjour,<br /> <br /> En effet, l'article mériterait d'être plus approfondi. Un jour sans doute :-)<br /> <br /> Je suis évidemment très intéressé par toutes les recherches actuelles. Si ce sont des sources d'informations précieuses et qu'elles enrichissent la réflexion, je garde toutefois aussi du recul au regard de leurs conclusions. Car de même que sur les capacités physiques, elles se fondent généralement sur des tests, observations, etc. Et que si les résultats fonctionnent sur une majorité de gens, ce qui est intéressant est ce qui est inexpliqué. Dans le domaine physique par exemple, les observations réalisées sur des adeptes tels que Kuroda Tetsuzan et Kono Yoshinori, qui restent souvent inexpliquées et laisse les scientifiques perplexes.<br /> <br /> Bonne pratique,<br /> <br /> Léo
P
Cher L. Tamaki bonsoir.<br /> En toute sincérité je dois dire que c'est le plus juste, pertinent article que vous avez écrit sur l'Aïkido et défini une des raisons de mon départ de cette Voie. <br /> La définition de la "Vitalité" donnée est plus que juste et elle n'est pas à confondre avec la combativité, ce qui est encore autre chose bien qu'elle soit nécessaire.<br /> À vous maintenant de faire en sorte que l'Aïkido ne soit plus le refuge des personnes faibles mais aussi de démontrer que " l'Aïkido est bien plus que ça..."<br /> Merci pour cet article.<br /> Bien à vous,<br /> Jean Philippe Lagarde Pelissier
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L
Cher Jean-Philippe,<br /> <br /> Merci pour votre témoignage. Je partage votre point de vue sur la complémentarité mais aussi la différence, entre vitalité et combativité. Bien que cela soit un sujet très complexe.<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> Léo
J
Enfin un article auquel je peux adhérer totalement. Mon regret n'en est que plus grand d'avoir dû abandonner la pratique à cause d'un dysfonctionnement de mon oreille interne. Et donc de ne pouvoir suivre l'enseignement de Léo Tamaki que je salue cordialement.
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L
Cher Jean-Claude,<br /> <br /> Merci pour votre message, et votre soutien constant.<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> Léo