Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido
La pratique martiale est composée de trois éléments fondamentaux. Les techniques, les méthodes de modification de l'utilisation du corps, et… la vitalité. Si le premier élément est systématiquement présent dans les cours d'arts martiaux, le deuxième est beaucoup plus rare. Le troisième quant à lui, est quasiment introuvable. Quelles sont les conséquences de cette absence ?
Qu'est ce que la vitalité ?
Il est bien entendu que j'ai ramené la pratique martiale à son essentiel, omettant délibérément les aspects stratégiques, ainsi que l'amont et l'aval d'une confrontation pour n'aborder que les trois éléments susmentionnés.
La technique recouvre l'ensemble de la gestuelle destinée au combat, constituée de frappes, projections, luxations, etc. La modification de l'utilisation du corps désigne les méthodes permettant d'obtenir des effets hors du commun grâce à une reprogrammation profonde. Un processus que j'ai déjà évoqué à diverses reprises, et qui demande un travail très important. Il peut se traduire pas un corps connecté, dissocié, enraciné, flottant, etc. Mais qu'est ce que la vitalité ?
Le mot le plus proche qui me soit venu à l'esprit est, la niaque ! Niaque est un mot issu du gascon gnaca, mordre. Il signifie mordant, combativité. Mais ce mot réducteur ne convie pas les notions d'instinct de survie, ne traduit pas cette volonté primale qui permet à ceux qui en sont dotés de survivre aux situations les plus effroyables. C'est pourquoi je lui préfère le terme de vitalité.
La vitalité est-elle synonyme de ki ?
Oui et non. Le ki est un terme aux significations multiples. Il est commun en Aïkido d'évoquer l'énergie lorsque l'on emploie ce mot. Mais si j'ai pu expérimenter à plusieurs reprises ce ki, notamment chez des thérapeutes au Japon, je pense que le sens de ki dans les arts martiaux est autre. Parmi les traductions, les termes qui correspondent le plus sont : esprit, humeur, état d'esprit, motivation, disposition. La vitalité correspond ainsi non pas à une bonne énergie physique, mais à un esprit indomptable. Si l'on peut employer le terme ki dans les deux cas; il s'agit toutefois de… deux choses distinctes.
Les arts martiaux au Japon durant la seconde guerre mondiale
La pratique martiale était généralisée au Japon, avant et pendant la seconde guerre mondiale. Il est intéressant de remarquer que s'il s'agissait essentiellement de Judo et Kendo, les toutes nouvelles méthodes qu'étaient à l'époque l'Aïkido et le Karaté Shotokan servaient à former des groupes bien particuliers. L'Aïkido était ainsi enseigné aux services secret japonais, et à la kempeitai, qui faisait à la fois office de police militaire et police secrète, tandis que le Shotokan faisait partie de la "formation" des tokkotai, plus connus en occident sous le nom de kamikazes…
Pourquoi les kamikazes pratiquaient-ils le Karaté, alors que leur chance d'avoir à combattre à mains nues était quasi nulle ? Si l'on peut imaginer que certains étaient galvanisés par le fanatisme qui avait gagné une partie du Japon, il était évident que le destin qui attendait ces "volontaires/désignés" avait de quoi faire trembler les plus téméraires. Et c'est là que le Shotokan intervient. On dit que "Le Shotokan est la seule école capable de transformer un lapin en tigre !". Et il est vrai que la pratique intensive et rythmée des katas, kihons et autres ippon kumites portés par les kiaïs, donne une impression de puissance que je n'ai retrouvée dans aucune autre discipline. Qu'il ne s'agisse sans doute que d'une impression, que ce travail ne constitue peut-être qu'un aspect superficiel de ce style, etc., n'est pas le sujet ici. On constate simplement que l'état-major avait su choisir la discipline la plus adaptée à leur objectif.
A la même époque, l'Aïkido était donc enseigné à la kempeitai et aux espions. Si l'utilité de techniques martiales permettant de contrôler un adversaire est évidente pour une police militaire, plus intéressant est le fait que notre discipline ait aussi été enseignée aux agents secrets de l'archipel. Lors d'un entretien, Mochizuki Hiroo me raconta que lors de ses entraînements personnels où il lui servait régulièrement d'uke, Ueshiba Moriheï pratiquait des mouvements courts, extrêmement incisifs, qui étaient souvent accompagnés d'atémis incapacitants qui lui coupaient le souffle. Et l'on trouve sans peine en cherchant, les témoignages de pratiquants formés à cette époque qui corroborent ces faits et évoquent une pratique extrêmement martiale.
Si l'on a à l'esprit le fait que les espions ne sont pas protégés par la convention de Genève, on comprend naturellement la nécessité d'être formé à une méthode aussi rapide que définitive. Ce n'est pas ici la pratique actuelle de l'Aïkido qui nous renseigne, mais ce fait historique qui nous en apprend plus sur notre discipline, et la réalité que recouvraient les paroles du Fondateur lorsqu'il déclarait que "L'Aïkido est irimi et atémi.".
L'Aïkido, un art martial pour les forts
L'Aïkido est souvent présenté comme une discipline où la force physique est inutile, et Ueshiba Moriheï lui-même disait qu'il suffisait de pouvoir soulever une once de son pour pratiquer son art. Lorsque j'évoque le fait que l'Aïkido est une pratiqué pour gens forts, ce n'est donc pas de force physique que je parle, mais de quelqu'un qui a la niaque et un fort instinct de survie. Quelqu'un avec une grande vitalité.
Les tâches qui sont confiées à un espion sont de la plus grande importance, et ces hommes et femmes ont parfois en mains le destin de nations entières. Si leur formation est plus que poussée, elle a lieu APRES une sélection drastique d'où ne sont choisis que les individus ayant les plus grandes capacités physiques, intellectuelles, et une résistance au stress phénoménale. Des individus à la vitalité exceptionnelle. Des individus qui ont DEJA les qualités fondamentales, et à qui il faut "simplement" donner des outils. Telle qu'une technique de combat dévastatrice.
L'importance de la vitalité dans le combat
Quelle est la place de la vitalité dans le combat ? Il s'agit tout simplement pour moi de l'élément essentiel. Celui sans lequel les autres n'ont pratiquement aucune utilité. La technique, sans modification de l'utilisation du corps et vitalité, n'est qu'une coquille vide. Accompagnée de l'apprentissage d'une méthode de modification de l'utilisation du corps, elle prend un peu de consistance, mais son utilité dans une situation de survie reste encore plus qu'aléatoire. Ce n'est que lorsque ces éléments sont soutenus par la vitalité qu'ils peuvent prétendre à une dimension pratique.
A l'inverse la vitalité seule donne de grandes chances de survie. Que l'on pense à ces individus qui dans des situations extrêmes, parfois sans les connaissances qui paraissent élémentaires aux spécialistes, ont survécu alors que tant d'autres mieux formés ont péri. On aura alors une idée de ce que j'entends par vitalité. C'est évidemment valable dans le domaine du combat où seul un samouraï sur quinze était menkyo kaïden, et parmi lesquels certains se sont illustrés en n'ayant eu qu'une formation des plus rudimentaires.
Renforcée par une méthode d'utilisation du corps et des techniques sophistiquées, la vitalité donne en revanche des résultats stupéfiants. De ceux qui donnent à leurs auteurs une notoriété qui traverse les siècles.
Le paradoxe de l'Aïkido
Le drame de l'Aïkido contemporain, est que cette discipline terrifiante entre les mains d'individus dotés d'une grande vitalité, rassemble essentiellement des personnes craintives. L'art qui ne peut se décliner en oppositions ritualisées qu'au prix d'une émasculation manifeste, séduit ceux qui ont peur de l'affrontement. Les techniques qui fonctionnent parce qu'elles sont alimentées par une volonté inébranlable, attirent ceux dont les capacités physiques sont en déclin, ou qui ne les ont jamais développées.
Le terrible paradoxe de l'Aïkido est qu'il s'agit d'une discipline pour des individus forts qui attire des personnes faibles. Qu'il est douloureux de comparer les géants de l'Aïkido d'hier, et la très large majorité des "experts" d'aujourd'hui…
L'Aïkido est bien plus que ça
Résumer l'Aïkido à une technique de combat est non seulement réducteur, mais aussi contraire à l'esprit qu'y a insufflé maître Ueshiba. Mais l'amputer de cet aspect c'est enlever toute valeur à ses aspirations. La compassion et la bienveillance d'Osenseï n'étaient pas celles d'une victime qui s'en sert pour cacher son impuissance, mais les valeurs qui guident un être humain capable de toutes les actions nécessaires pour donner vie à un idéal supérieur.