Pratiquer blessé
« Peut-on pratiquer blessé, ou malgré des douleurs récurrentes ? »
Joël C.
La très large majorité des personnes pratiquant quelques années sera un jour confronté à des blessures ou douleurs persistantes. Est-ce le signe que l’on doit faire une pause ? Mettre un terme à sa pratique ?
Un moindre mal ?
Il est courant lorsque l’on consulte un médecin généraliste suite à une blessure physique, que celui-ci nous prescrive une période de repos sans activité physique. De même lorsque l’on évoque des douleurs persistantes, il n’est pas rare que l’on nous conseille un arrêt pur et simple des mouvements les causant, et ce faisant généralement de l’activité durant laquelle ils ont lieu.
Si ces prescriptions sont frustrantes, c’est naturellement que l’on est tenté de les suivre. Moindre mal pense-t-on, si la blessure et les douleurs disparaissent.
Tout d’abord il convient de noter qu’un médecin généraliste a une formation vaste, mais durant laquelle certains domaines sont survolés. Et c’est malheureusement le cas de la biomécanique. Trois professionnels de la santé suivant une formation universitaire intitulée DUACN (Diplôme Universitaire d’Anatomie Clinique et Numérique), réservée aux médecins, ostéopathes et kinésithérapeutes, m’ont ainsi indiqué que les généralistes étaient totalement perdus. Point de blâme ici, les formations sont limitées dans le temps, et des choix doivent être faits. La conséquence toutefois est que ces praticiens qui pensent privilégier la sécurité, peuvent par leur prudence aller jusqu’à faire empirer les choses.
Soyons clairs, le choix du repos ou de l’arrêt définitif d’une activité peut être nécessaire dans de graves cas. En revanche il peut engendrer des conséquences négatives lorsqu’il n’est pas obligatoire. En effet, loin d’être un moindre mal, cet arrêt peut amener la pathologie à s’installer, s’aggraver. Nos muscles, nos articulations, nos os, sont vivants. L’immobilité n’est pas leur état naturel, et nos tissus ont besoin du mouvement pour permettre la circulation des différents fluides qui donnent vie à notre corps. Il ne faut ainsi limiter notre mobilité qu’en cas d’absolue nécessité, sous peine de retarder notre guérison, ou même d’aggraver nos lésions.
Mobiliser en douceur
Dépasser l’inconfort
J’ai souffert d’une très grave hernie discale dans ma jeunesse. Il y a vingt ans pour être exact. Chaque pas était un calvaire et je souffrais atrocement. Alité durant trois mois, un célèbre professeur souhaitait m’opérer. J’ai toutefois pris le problème à bras le corps et été consulter plusieurs spécialistes de médecines complémentaires, kiko, sekkotsu et seitai. Le premier me soulagea, le second me remis en ordre, et le troisième m’expliqua les origines de mon mal ainsi que… les mouvements pour y remédier. Aucun ne me conseilla le repos, et moins encore l’immobilité. Les mouvements prescrits étaient pénibles. Avouons-le, souvent douloureux même. Mais ils me redonnaient de la mobilité, mobilité qui se traduisit par du bien-être, et finalement par mon rétablissement.
Il faut naturellement faire preuve de bon sens, et il ne viendrait à personne l’idée de continuer à pratiquer avec une fracture ouverte. Mais la majorité des blessures ou douleurs chroniques n’empêchent pas la pratique, même s’il faut généralement l’adapter, dans l’intensité et/ou la forme du mouvement. L’idéal est de consulter un professionnel de santé spécialisé dans la biomécanique qui connaisse votre activité et la façon dont vous la pratiquez. Il sera alors à même de vous conseiller les choses à éviter, celles à privilégier, et les accommodations nécessaires.
Renforcer
Mettre son égo de côté
J’ai eu de nombreux élèves présentant des handicaps divers, aveugles, manchots, sourds, hémiplégiques… Et chacun parvenait à adapter la pratique à sa situation. En revanche la majorité des personnes qui sont arrivées en « bonne santé » mais qui ont vu apparaître des douleurs récurrentes ont déserté les tatamis.
Les blessures et douleurs chroniques ont cela de frustrant que, si elles n’empêchent pas une pratique adaptée, elles réduisent habituellement nos « performances ». Une chose difficile à accepter pour les pratiquants qui, au lieu de travailler sur eux-mêmes dans un dojo, s’y sont construit une identité. Nombre de ces adeptes préfèrent alors s’éloigner des tatamis plutôt que de perdre leur place dans leur « hiérarchie ».
L’Aïkido est une voie d’auto-éducation. La pratique est le but, et il est futile de se comparer aux autres. Nous ne devons avoir pour objectif que de faire le mieux dont nous sommes capables. Les pratiquants que j’ai vu mettre leur égo de côté pour pratiquer malgré leurs capacités physiques réduites, s’en sont TOUJOURS porté mieux, physiquement et mentalement.
N’oublions pas que si le sport a pour objectif de comparer des performances dans des conditions optimales, le Budo consiste lui à réaliser le meilleur dans les pires conditions.
Pratiquer en souffrant d'une cruralgie
Mitori geïko
Il est des situations où il est préférable de s’abstenir de pratiquer. Il existe dans ce cas ce que l’on nomme mitori geïko, « l’entraînement en prenant avec le regard ». La science nous confirme d’ailleurs aujourd’hui le potentiel incroyable de ce mode d’entraînement bien connu des anciens. Malheureusement très rares sont ceux qui font l’effort de se déplacer malgré leur condition, et qui ont la patience de surmonter leur frustration. C’est regrettable tant le mitori geïko peut nous apporter.
Si on peut, on doit
Chaque situation est unique, et doit être évaluée posément, si possible avec l’avis de plusieurs professionnels de santé. Mais dans la majorité des cas, moyennant prudence, bon sens et adaptation, il est possible de continuer à pratiquer. Et n’oublions pas que les activités physiques ont des effets sur notre corps et notre mental, en particulier sur le cerveau. Ainsi on peut, mais surtout on se doit, de continuer à pratiquer.
Cet article est issu de mes réponses aux questions de lecteur du magazine "Dragon Spécial Aïkido".
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