Entretien avec Tamura senseï (2): le suwari-waza en Aïkido
La pratique en suwari-waza est-elle nécessaire?
A mon avis oui. Les contraintes de la position à genoux permettent de mieux comprendre et apprendre à utiliser notre corps. Cela permet ensuite de mieux pratiquer en tachi-waza. Un bon travail à genoux est toujours la source d'un excellent travail debout. Mais une personne qui travaille correctement debout ne peut pas bien pratiquer à genoux sans l'avoir travaillé.
A mon avis oui. Les contraintes de la position à genoux permettent de mieux comprendre et apprendre à utiliser notre corps. Cela permet ensuite de mieux pratiquer en tachi-waza. Un bon travail à genoux est toujours la source d'un excellent travail debout. Mais une personne qui travaille correctement debout ne peut pas bien pratiquer à genoux sans l'avoir travaillé.
Tamura Nobuyoshi, suwari waza
Le travail en suwari-waza qui faisait partie intégrante de la pratique de l'Aïkido est aujourd'hui de moins en moins pratiqué et de plus en plus décrié. En occident bien entendu mais aussi au Hombu dojo de l'Aïkikaï où, même s'ils évitent d'en parler ouvertement, plusieurs enseignants ne le pratiquent jamais. Bien entendu dans les écoles traditionnelles la question de l'abandon de formes ne se pose pas.
J'ai abordé la question avec plusieurs maîtres. Shimizu senseï et Tissier senseï ne pensent pas qu'il sagisse d'une forme de travail indispensable.
Christian Tissier me dit qu'il pensait que d'autres formes de travail pouvaient développer les mêmes qualités. C'est probable. Maintenant ces autres formes sont-elles déjà présentes en Aïkido? Si oui qu'elles sont-elles? Si elles n'existent pas encore comment imaginer les intégrer à une pratique déjà si mal définie sans faire hurler les gardiens du temple…
Shimizu Kenji dit: Quelle que soit la manière de l'envisager ce ne sont pas des mouvements naturels et cela abîme énormément les articulations du genou.
Marcher seul à genoux est bon pour renforcer les jambes et les hanches. Mais lorsqu'on pratique à deux on commence généralement à forcer. Ce type de travail ajoute une charge considérable au genou et on finit souvent par se blesser.
Dans le passé ce genre de techniques était indispensable parce que l'on vivait à genoux. De nos jours ce n'est plus le cas et le risque de blessure est trop élevé à mon avis pour que ce type de pratique soit indispensable.
Dans la plupart des activités physiques on se blesse énormément aux genoux. Une fois blessé il est difficile de récupérer c'est pourquoi il est important de pratiquer en les préservant.
J'ai abordé la question avec plusieurs maîtres. Shimizu senseï et Tissier senseï ne pensent pas qu'il sagisse d'une forme de travail indispensable.
Christian Tissier me dit qu'il pensait que d'autres formes de travail pouvaient développer les mêmes qualités. C'est probable. Maintenant ces autres formes sont-elles déjà présentes en Aïkido? Si oui qu'elles sont-elles? Si elles n'existent pas encore comment imaginer les intégrer à une pratique déjà si mal définie sans faire hurler les gardiens du temple…
Shimizu Kenji dit: Quelle que soit la manière de l'envisager ce ne sont pas des mouvements naturels et cela abîme énormément les articulations du genou.
Marcher seul à genoux est bon pour renforcer les jambes et les hanches. Mais lorsqu'on pratique à deux on commence généralement à forcer. Ce type de travail ajoute une charge considérable au genou et on finit souvent par se blesser.
Dans le passé ce genre de techniques était indispensable parce que l'on vivait à genoux. De nos jours ce n'est plus le cas et le risque de blessure est trop élevé à mon avis pour que ce type de pratique soit indispensable.
Dans la plupart des activités physiques on se blesse énormément aux genoux. Une fois blessé il est difficile de récupérer c'est pourquoi il est important de pratiquer en les préservant.
Christian Tissier, suwari waza
La première chose est que la définition d'un mouvement naturel me semble compliqué. Si évidemment on peut exclure d'office un mouvement provoquant un traumatisme ou une blessure immédiate, qu'en est-il pour le reste. Le corps ne s'use-t-il pas avec n'importe quel geste? N'est-ce pas l'exagération d'un type de mouvement qui est nocive?
En revanche je pense qu'un des fonds du problème comme le souligne maître Shimizu est le fait que dès lors que l'on travaille à deux les pratiquants ont tendance à mettre de la force et donc appuyer dans le sol et abîment ainsi leurs genoux.
Concernant le fait que l'on ne vive plus à genoux, c'est indéniable. Mais nous ne vivons plus en kimono et hakama non plus, doit-on pour autant pratiquer en jogging ou treillis? La pratique martiale est dans l'immense majorité des cas anachronique. Toutefois il est vrai que le fait de vivre à genoux préparait sans doute le corps à cette pratique. Une pratique graduelle et modérée devrait toutefois permettre de nous réadapter.
Enfin, quand aux risques de blessures, ils ne sont pas négligeables c'est certain. Et une blessure aux genoux est nettement plus handicapante qu'un soucis aux membres supérieurs.
D'autres maîtres en revanche pensent que la pratique à genoux est indispensable. C'est par exemple le cas de Kono Yoshinori, Okamoto Seïgo ou Kondo Katsuyuki.
Pour Okamoto senseï la pratique à genoux est si importante que même si il ne peut se mettre en seïza il continue à démontrer une large partie de ses techniques en tailleur. Bien évidemment cela ne renforce pas ses jambes ou ses hanches. En revanche cela lui impose des contraintes qui l'obligent à utiliser son corps différemment.
A ce sujet voici ce que dit Kondo senseï: C'est un travail très important. Chaque forme a un sens. La pratique à genoux, à genoux contre un adversaire debout, celle où les deux partenaires sont debout, celle où vous êtes attaqué par derrière. Chaque travail a un but précis et différent mais la plupart des gens n'en connaissent pas le sens. (…)
Lorsqu'on travail idori on est assis. En tachiaï on peut utiliser nos hanches librement de haut en bas, d'avant en arrière et sur les côtés. Elles sont libres et peuvent aller dans n'importe quelle direction. En idori on est assis en seïza donc on ne peut évidemment pas aller plus bas mais uniquement vers le haut. Et on ne peut non plus aller d'avant en arrière. C'est dans ces contraintes que l'on travaille. En hanmi hanwaza on gère une attaque dans les mêmes conditions mais où l'attaquant est plus libre de ses mouvements.
Dire que dans le Japon d'aujourd'hui où à l'étranger la plupart des gens utilisent des chaises et que ce type de pratique n'est plus utile est une erreur. Chaque forme a une raison d'être. Il faut enseigner en comprenant cela. La plupart des gens ne connaissant pas le sens des formes de travail ils n'hésitent évidemment pas à les modifier ou les supprimer.
Kono senseï est aussi un fervent pratiquant du suwari-waza, et à soixante ans il se déplace avec une rapidité et une aisance phénoménales. On ne peut écarter la composante génétique mais je suis aussi enclin à penser que c'est la manière de se déplacer qui est très importante.
Lorsque j'ai débuté l'Aïkido je me suis lancé à corps perdu dans la pratique. Je m'entraînais environ vingt-cinq heures par semaine et toute ma pratique reposait sur mes qualités physiques. J'étais jeune et cela a duré quelques mois. Jusqu'à ce que je développe des tendinites à mes deux genoux et deux coudes. Des tendinites qui devinrent rapidement si aîgues que j'avais du mal à me lever ou m'asseoir et à pousser une porte.
Pour autant je n'ai pas pensé comme certains oiseaux de mauvais augure le disaient dans les vestiaires, que c'était une conséquence inévitable de la pratique de l'Aïkido. J'ai remis ma pratique en question et je n'ai jamais plus eu une seule tendinite.
Le suwari-waza mal pratiqué ou pratiqué à l'excès est indéniablement source de blessures. C'est une forme de travail exigeante qui demande énormément de précision dans les points de contacts au sol (notez que je n'utilise pas le terme points d'appuis) et qu'il faut pratiquer avec légèreté et sans force. C'est une chose d'autant plus difficile que les tatamis occidentaux sont généralement beaucoup trop mous car ils sont surtout destinés à la pratique du Judo moderne. Les tatamis japonais comme ceux de l'Aïkikaï permettent au contraire de ne pas voir tout le genoux s'enfoncer et de sentir quelle partie est en contact.
Une chose qui doit être mentionnée est qu'hormis Okamoto senseï les partisans de la limitation ou de l'arrêt de la pratique en suwari-waza ont tous eu d'importants problèmes de genoux. Il est donc compréhensible qu'au regard de leurs expériences ils aient des réticences vis-à-vis de ce type de pratique.
Personnellement j'aime beaucoup le suwari-waza. Les arguments que l'on avance souvent pour défendre ce type de travail comme le renforcement des hanches et des jambes ne me semblent pas très importants. En revanche je trouve que les contraintes de ce travail amènent une plus grande mobilité et développent l'ouverture des hanches qui est une qualité très importante. Pratiqué de façon modérée mais surtout correctement je pense que les risques de blessures sont réellement limités. Bien moindre qu'en jouant au squash par exemple…
Un des points importants me semble être la légèreté. Cela rejoint d'ailleurs le fait qu'Osenseï ne pouvait pousser dans le sol en tabis.
Note: Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écris de mémoire. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
En revanche je pense qu'un des fonds du problème comme le souligne maître Shimizu est le fait que dès lors que l'on travaille à deux les pratiquants ont tendance à mettre de la force et donc appuyer dans le sol et abîment ainsi leurs genoux.
Concernant le fait que l'on ne vive plus à genoux, c'est indéniable. Mais nous ne vivons plus en kimono et hakama non plus, doit-on pour autant pratiquer en jogging ou treillis? La pratique martiale est dans l'immense majorité des cas anachronique. Toutefois il est vrai que le fait de vivre à genoux préparait sans doute le corps à cette pratique. Une pratique graduelle et modérée devrait toutefois permettre de nous réadapter.
Enfin, quand aux risques de blessures, ils ne sont pas négligeables c'est certain. Et une blessure aux genoux est nettement plus handicapante qu'un soucis aux membres supérieurs.
Ueshiba Moriheï, suwari waza
D'autres maîtres en revanche pensent que la pratique à genoux est indispensable. C'est par exemple le cas de Kono Yoshinori, Okamoto Seïgo ou Kondo Katsuyuki.
Pour Okamoto senseï la pratique à genoux est si importante que même si il ne peut se mettre en seïza il continue à démontrer une large partie de ses techniques en tailleur. Bien évidemment cela ne renforce pas ses jambes ou ses hanches. En revanche cela lui impose des contraintes qui l'obligent à utiliser son corps différemment.
A ce sujet voici ce que dit Kondo senseï: C'est un travail très important. Chaque forme a un sens. La pratique à genoux, à genoux contre un adversaire debout, celle où les deux partenaires sont debout, celle où vous êtes attaqué par derrière. Chaque travail a un but précis et différent mais la plupart des gens n'en connaissent pas le sens. (…)
Lorsqu'on travail idori on est assis. En tachiaï on peut utiliser nos hanches librement de haut en bas, d'avant en arrière et sur les côtés. Elles sont libres et peuvent aller dans n'importe quelle direction. En idori on est assis en seïza donc on ne peut évidemment pas aller plus bas mais uniquement vers le haut. Et on ne peut non plus aller d'avant en arrière. C'est dans ces contraintes que l'on travaille. En hanmi hanwaza on gère une attaque dans les mêmes conditions mais où l'attaquant est plus libre de ses mouvements.
Dire que dans le Japon d'aujourd'hui où à l'étranger la plupart des gens utilisent des chaises et que ce type de pratique n'est plus utile est une erreur. Chaque forme a une raison d'être. Il faut enseigner en comprenant cela. La plupart des gens ne connaissant pas le sens des formes de travail ils n'hésitent évidemment pas à les modifier ou les supprimer.
Okamoto Seïgo, suwari waza
Kono senseï est aussi un fervent pratiquant du suwari-waza, et à soixante ans il se déplace avec une rapidité et une aisance phénoménales. On ne peut écarter la composante génétique mais je suis aussi enclin à penser que c'est la manière de se déplacer qui est très importante.
Lorsque j'ai débuté l'Aïkido je me suis lancé à corps perdu dans la pratique. Je m'entraînais environ vingt-cinq heures par semaine et toute ma pratique reposait sur mes qualités physiques. J'étais jeune et cela a duré quelques mois. Jusqu'à ce que je développe des tendinites à mes deux genoux et deux coudes. Des tendinites qui devinrent rapidement si aîgues que j'avais du mal à me lever ou m'asseoir et à pousser une porte.
Pour autant je n'ai pas pensé comme certains oiseaux de mauvais augure le disaient dans les vestiaires, que c'était une conséquence inévitable de la pratique de l'Aïkido. J'ai remis ma pratique en question et je n'ai jamais plus eu une seule tendinite.
Le suwari-waza mal pratiqué ou pratiqué à l'excès est indéniablement source de blessures. C'est une forme de travail exigeante qui demande énormément de précision dans les points de contacts au sol (notez que je n'utilise pas le terme points d'appuis) et qu'il faut pratiquer avec légèreté et sans force. C'est une chose d'autant plus difficile que les tatamis occidentaux sont généralement beaucoup trop mous car ils sont surtout destinés à la pratique du Judo moderne. Les tatamis japonais comme ceux de l'Aïkikaï permettent au contraire de ne pas voir tout le genoux s'enfoncer et de sentir quelle partie est en contact.
Dojo privé de Kono senseï, Kono Yoshinori en suwari waza, Tamaki Léo, Brahim Si Guesmi
Une chose qui doit être mentionnée est qu'hormis Okamoto senseï les partisans de la limitation ou de l'arrêt de la pratique en suwari-waza ont tous eu d'importants problèmes de genoux. Il est donc compréhensible qu'au regard de leurs expériences ils aient des réticences vis-à-vis de ce type de pratique.
Personnellement j'aime beaucoup le suwari-waza. Les arguments que l'on avance souvent pour défendre ce type de travail comme le renforcement des hanches et des jambes ne me semblent pas très importants. En revanche je trouve que les contraintes de ce travail amènent une plus grande mobilité et développent l'ouverture des hanches qui est une qualité très importante. Pratiqué de façon modérée mais surtout correctement je pense que les risques de blessures sont réellement limités. Bien moindre qu'en jouant au squash par exemple…
Un des points importants me semble être la légèreté. Cela rejoint d'ailleurs le fait qu'Osenseï ne pouvait pousser dans le sol en tabis.
Okamoto Seïgo
Note: Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écris de mémoire. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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