Entretien avec Kuroda senseï (1): heta na keïko, dame na keïko
Lors d'un cours de Iaïjutsu Kuroda senseï corrigea un élève qui travaillait le second kata.
"Dans la pratique des katas si chacun bouge comme il en a l'habitude, de la façon la plus confortable pour lui, cela ne sert à rien, c'est "dame na keïko". Les kata sont là pour nous apprendre à bouger d'une façon différente. Il est normal que leur pratique soit difficile. Bien sûr au départ on ne peut pas bouger correctement et le geste n'est donc pas juste. Mais si les points travaillés sont présent "heta na keïko" (entraînement maladroit) deviendra "jozu na keïko" (entraînement adroit).
Au début du kata tu te positionnes de telle façon que tu puisses pousser sur tes jambes pour te relever. Tu utilises ton corps de la façon habituelle. Dans le passé il n'y avait quasiment aucune situation où un samouraï se trouvait assis avec son sabre. C'est pourtant une des bases du Iaïjutsu car cela nous permet de développer ukimi (corps flottant, un des principes de l'école de Kuroda senseï).
Lorsque tu es assis ton sabre au fourreau et que ton adversaire est debout le sabre au clair, il est impossible d'agir à temps en utilisant ton corps de façon ordinaire car tu as deux fois plus de mouvements à réaliser. C'est ce qu'ukimi et les autres principes nous permettent d'exécuter. Il n'y a pas de préparation pour se lever, il n'y a pas le loisir de pousser dans le sol. Le sabre est dégainé et coupe tandis que l'on se relève.
Peu importe qu'aujourd'hui tu ne puisses pas te relever en travaillant ukimi, c'est là l'entraînement. Si tu te relèves en utilisant ton corps de la façon habituelle cela n'est d'aucune utilité martiale et tu resteras dans le "dame na keïko"."
Heta na keïko, dame ka keïko
La différence entre l'entraînement maladroit (heta na keïko) et l'entraînement faux (dame na keïko) est un point extrêmement important. Dans les disciplines et écoles dont l'efficacité est basée sur une modification de l'utilisation du corps, comme c'était probablement le cas de tous les ryu dans le passé, la pratique était basée sur le travail des kata. Ces formes contiennent des gestes qui ne peuvent être réalisées efficacement que si certains principes ont été maîtrisés. Sans cela elles restent totalement inefficaces.


Travail du second kata, derrière Isseï exécute le premier kata, au dernier plan Julien Coup et Arnaud Lemare pratiquent les suburi. (Photos Sébastien Chaventon)
Il semble utopique de pouvoir faire face à une attaque d'un homme armé d'un sabre en garde haute alors que l'on est assis le sabre au fourreau. C'est pourtant une des situations fondamentales qui étaient étudiées dans les écoles de Iaïjutsu. Chacune avait développé le moyen de réagir efficacement dans un tel cas, non pas parce qu'il était plausible, mais parce que la difficulté obligeait à modifier sa façon de bouger. Il ne s'agit donc pas de contourner la difficulté en imaginant par exemple esquiver puis dégainer, mais au contraire de l'affronter pour en tirer un enseignement précieux.
Dans une étude de ce type il est parfaitement normal de ne pas réussir à faire fonctionner les techniques pendant des années car on travaille une situation "impossible" tant que l'on n'a pas modifié sa façon de bouger. Malheureusement ce type de travail qui était la règle dans les ryu a peu à peu disparu ou été modifié. Aujourd'hui chacun veut faire marcher la technique et personne n'envisage de pratiquer pendant des années une forme qu'il ne réussit pas à faire fonctionner. De nombreuses techniques sont jugées "irréalistes" et effectivement elles le sont lorsqu'elles ne sont pas exécutées par un adepte. Combien de kata ont ainsi disparus, combien ont été modifiés…

Guidé par Kuroda senseï. Le geste doit être observé, senti, vécu et guidé sous la direction d'un adepte ayant totalement maîtrisé les principes qu'il enseigne. Ici la difficulté du travail est augmentée par la tenue de la saya par un élève qui vérifie la direction et l'absence d'appel, de force. (Photos Sébastien Chaventon)
Notes: Au fil de mes rencontres avec les maîtres mes notes se sont accumulées. La plupart sont issues d'entretiens privés mais certaines viennent aussi de cours. Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écrits généralement de mémoire ou sur la base de brèves notes. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que leur intérêt dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
"Dans la pratique des katas si chacun bouge comme il en a l'habitude, de la façon la plus confortable pour lui, cela ne sert à rien, c'est "dame na keïko". Les kata sont là pour nous apprendre à bouger d'une façon différente. Il est normal que leur pratique soit difficile. Bien sûr au départ on ne peut pas bouger correctement et le geste n'est donc pas juste. Mais si les points travaillés sont présent "heta na keïko" (entraînement maladroit) deviendra "jozu na keïko" (entraînement adroit).
Au début du kata tu te positionnes de telle façon que tu puisses pousser sur tes jambes pour te relever. Tu utilises ton corps de la façon habituelle. Dans le passé il n'y avait quasiment aucune situation où un samouraï se trouvait assis avec son sabre. C'est pourtant une des bases du Iaïjutsu car cela nous permet de développer ukimi (corps flottant, un des principes de l'école de Kuroda senseï).
Lorsque tu es assis ton sabre au fourreau et que ton adversaire est debout le sabre au clair, il est impossible d'agir à temps en utilisant ton corps de façon ordinaire car tu as deux fois plus de mouvements à réaliser. C'est ce qu'ukimi et les autres principes nous permettent d'exécuter. Il n'y a pas de préparation pour se lever, il n'y a pas le loisir de pousser dans le sol. Le sabre est dégainé et coupe tandis que l'on se relève.
Peu importe qu'aujourd'hui tu ne puisses pas te relever en travaillant ukimi, c'est là l'entraînement. Si tu te relèves en utilisant ton corps de la façon habituelle cela n'est d'aucune utilité martiale et tu resteras dans le "dame na keïko"."
Kuroda senseï à la NAMT01. Le second kata est celui exécuté à 2,00
Kuroda senseï à la NAMT01. Le second kata est celui exécuté à 0,50
Heta na keïko, dame ka keïko
La différence entre l'entraînement maladroit (heta na keïko) et l'entraînement faux (dame na keïko) est un point extrêmement important. Dans les disciplines et écoles dont l'efficacité est basée sur une modification de l'utilisation du corps, comme c'était probablement le cas de tous les ryu dans le passé, la pratique était basée sur le travail des kata. Ces formes contiennent des gestes qui ne peuvent être réalisées efficacement que si certains principes ont été maîtrisés. Sans cela elles restent totalement inefficaces.



Il semble utopique de pouvoir faire face à une attaque d'un homme armé d'un sabre en garde haute alors que l'on est assis le sabre au fourreau. C'est pourtant une des situations fondamentales qui étaient étudiées dans les écoles de Iaïjutsu. Chacune avait développé le moyen de réagir efficacement dans un tel cas, non pas parce qu'il était plausible, mais parce que la difficulté obligeait à modifier sa façon de bouger. Il ne s'agit donc pas de contourner la difficulté en imaginant par exemple esquiver puis dégainer, mais au contraire de l'affronter pour en tirer un enseignement précieux.
Dans une étude de ce type il est parfaitement normal de ne pas réussir à faire fonctionner les techniques pendant des années car on travaille une situation "impossible" tant que l'on n'a pas modifié sa façon de bouger. Malheureusement ce type de travail qui était la règle dans les ryu a peu à peu disparu ou été modifié. Aujourd'hui chacun veut faire marcher la technique et personne n'envisage de pratiquer pendant des années une forme qu'il ne réussit pas à faire fonctionner. De nombreuses techniques sont jugées "irréalistes" et effectivement elles le sont lorsqu'elles ne sont pas exécutées par un adepte. Combien de kata ont ainsi disparus, combien ont été modifiés…


Notes: Au fil de mes rencontres avec les maîtres mes notes se sont accumulées. La plupart sont issues d'entretiens privés mais certaines viennent aussi de cours. Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écrits généralement de mémoire ou sur la base de brèves notes. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que leur intérêt dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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