"Aïki to wa Aï nari", l'Aïki est amour
Après avoir partagé avec vous les paroles de Sunadomari senseï, je voulais revenir brièvement sur cette rencontre qui m'a profondément marquée. Voici un bref récit des instants partagés avec ce maître exceptionnel.
Sunadomari Kanshu senseï, le maître du Manseïkan Aïkido
Il y a longtemps que j'avais connaissance de Sunadomari senseï. Comme bien d'autres maîtres c'est par l'intermédiaire de Stanley Pranin que je l'avais découvert. Il était l'un des six experts du premier "Aïkido friendship démonstration" et avait présenté un travail vif et impressionnant mais je n'en savais pas beaucoup plus lorsque j'ai décidé d'aller lui rendre visite l'an dernier. J'allais rencontrer l'un des monuments de l'Aïkido.
J'organise régulièrement des séjours au Japon intitulés Masters tour durant lesquels je rends visite à des maîtres que je suis à travers le Japon accompagné de pratiquants. Ces séjours sont l'occasion de côtoyer de grands adeptes dans un cadre privilégié et de partager des moments de leur vie quotidienne en plus de recevoir leur enseignement. L'été dernier j'avais aussi pris contact avec les maîtres Abe Seïseki et Sunadomari Kanshu que je n'avais encore jamais rencontrés. Le contact s'était établi par courrier puis par mail et téléphone. Tout se présentait bien mais c'était la première fois que j'emmenais des pratiquants voir un maître dont je n'avais pas encore fait la connaissance.
Ueshiba Moriheï senseï et Sunadomari Kanshu senseï
Dans les pas d'Osenseï
Le Japon est un pays qui s'étend sur plus de trois mille kilomètres. Sunadomari senseï est originaire de Kyushu au sud de l'archipel et c'est là qu'il est retourné dans les années 50 pour diffuser l'Aïkido. Partis de Kyoto c'est après 4h de transport et près de 800 km parcourus que nous sommes arrivés dans la ville où il s'était établi, Kumamoto. Accueillis à la gare par sa fille nous avons ensuite pris le tramway jusqu'au petit sanctuaire de Tetori. Passé les toris nous avons découvert sur la droite du paisible temple un ancien bâtiment de bois étrangement familier. Le temps semblait s'être figé. Devant nous se dressait le Manseïkan hombu dojo où Osenseï s'était rendu régulièrement.
Sanctuaire de Tetori
Sunadomari senseï et Osenseï devant le Manseïkan dojo
Un demi-siècle plus tard...
Rien n'avait changé dans ce lieu hors du temps. Une calligraphie du Fondateur côtoyait des armes présentes depuis l'époque où il venait enseigner et d'authentiques tatamis qui avaient vu passer des générations de pratiquants recouvraient le sol de la pièce. Je n'ai jamais cherché à visiter tous les lieux où était allé Ueshiba Moriheï mais une ambiance particulière se dégageait qui émut chacun d'entre nous.
Rien n'avait changé dans ce lieu hors du temps.
Nous avons été accueillis par des enseignants de l'école qui prirent le temps de nous expliquer de quelle façon nous devions saluer et l'étiquette de leur école. Je découvrais un salut que je n'avais jamais pratiqué mais que j'avais déjà vu Osenseï réaliser, mains à l'horizontale, le dos de la main droite reposant dans la paume de la main gauche dont le dos venait se poser au sol.
La présence d'un géant
Peu après que nous soyons installés après nous être changés nous avons été avertis de l'arrivée de maître Sunadomari. Je ne connaissais Sunadomari senseï qu'à travers ses photos de jeunesse aux côtés d'Osenseï et sa virevoltante démonstration qui est aujourd'hui un classique de l'Aïkido mais c'est un homme âgé s'aidant d'une canne que je vis apparaître. Pourtant il émanait de lui une présence étrangement imposante et bien plus forte que dans ces images du passé.
... une présence étrangement imposante et bien plus forte que dans ces images du passé.
Nous avons ensuite pratiqué sous la direction d'enseignants du Manseïkan et découvert certaines spécificités de l'école tels que des éducatifs de déplacement. Il émanait durant la pratique une incroyable concentration de maître Sunadomari. Assis dans un angle du dojo ses yeux perçants semblaient regarder jusqu'au plus profond de nous-mêmes. Immobile mais si présent il dirigeait le cours par de brèves indications données à voix basse.
Tanguy Le Vourch du Misogi dojo
Laisser-agir
Après un temps d'observation Sunadomari senseï nous donna des explications sur les déplacements, le kokyu ryoku et surtout sur… le laisser-agir. Il nous invita à venir le saisir et nous expliqua la différence entre mettre la force, enlever la force et laisser agir.
Laisse-agir...
"Dans la pratique nous avons trois possibilités distinctes. Mettre la force. Enlever la force. Laisser agir. C'est à partir de là que tout naît. Lorsque vous me saisissez si je mets de la force nous rentrons en compétition, c'est de l'opposition. Si vous me relâchez mon bras restera en l'air, tendu. Si au contraire j'enlève la force je subirais votre geste. Lorsque vous me relâcherez mon bras tombera inerte. Maintenant il existe une troisième voie qui est celle de l'Aïkido, le laisser-agir. Lorsque vous me saisissez je ne fais rien. Si vous me relâchez mon bras descendra mais c'est très différent de ce qui se passe lorsqu'on enlève la force. C'est un principe essentiel de l'Aïkido à partir duquel tout naît. Je voudrais vraiment que vous vous entrainiez en comprenant cela. Même si il n'y a que cela que vous retenez j'aimerai que vous le gardiez à l'esprit dans votre pratique."
Lorsque je le rencontrais à nouveau il devait encore reprendre ce point qu'il considérait essentiel à l'expression technique de l'Aïkido. La pratique terminée il me permit de lui poser quelques questions puis invita le groupe à discuter avec lui.
Aïki to wa aï nari (L'Aïki est Amour)
L'idéal du budoka
Une dizaine de jours plus tard j'ai à nouveau traversé l'archipel avec quelques pratiquants afin de participer à un cours spécial destiné aux ceintures noires de son école. L'après-midi débuta cette fois-ci par une cérémonie Shinto à laquelle Sunadomari senseï prit part. Il mit un point d'honneur à se déplacer sans canne, s'asseyant en seïza et se relevant à plusieurs reprises lors du rituel. Je fus ému aux larmes par sa dignité, son courage et son humilité.
Sunadomari Kanshu senseï, l'idéal du budoka
Il devait décéder moins de trois mois plus tard.
Le poids du vécu
J'ai eu la chance de rencontrer certains des maîtres les plus célèbres de l'Aïkido. Au-delà de leur technique beaucoup avaient une présence, une personnalité charismatique, imposante. Peu pourtant m'auront autant marqué que Sunadomari senseï. En l'espace d'une dizaine d'heures maître Sunadomari m'a amené à reconsidérer ma pratique. Non pas sur le plan technique, quoique cela ait une incidence évidente, mais sur l'état d'esprit qui sous-tend la discipline que nous a légué Ueshiba Moriheï senseï.
Pourquoi? Sunadomari senseï a-t-il parlé de quelque chose de nouveau? Non, le message d'amour du Fondateur est connu depuis bien longtemps et après quelques années chaque pratiquant a eu maintes fois l'occasion de les lire et les entendre. Ce qui a fait une profonde différence en moi est le poids du vécu. Les paroles de Sunadomari senseï m'ont touché si profondément parce qu'elles sont nées de l'expérience d'une vie, de tragédies et de joies, d'ascèse et d'engagement. J'espère qu'elles trouveront de l'écho chez d'autres pratiquants car son message est au cœur de l'Aïkido, "Aïki to wa aï nari", l'Aïki est amour.
Sunadomari senseï et Osenseï
Sunadomari senseï en action au Manseïkan dojo
"Aïki to wa aï nari", l'Aïki est amour.
L'été est chaud et humide au Japon. Le mois d'août 2011 le fut particulièrement. Sunadomari senseï qui avait pour habitude de se changer et partir une fois le cours terminé voulut rester en dogi jusqu'à notre départ. Il aura jusqu'au dernier instant été l'image parfaite d'un budoka empli de respect et de considération pour les autres. Un idéal d'humanité.
"Aïki to wa Aï nari."
La dernière image qui me reste de Sunadomari senseï, un idéal d'humanité...