Interview Kondo Katsuyuki, le gardien du temple du Daïto ryu
Kondo Katsuyuki est un homme occupé. Président d'une grande société du bâtiment, spécialiste reconnu des montres et robots antiques japonais de l'ère Edo, collectionneur de sabres, calligraphies et… maître du Daïto ryu Aïkijujutsu, l'une des plus célèbres écoles martiales traditionnelles japonaises. Cela fait plusieurs années qu'il n'accorde plus d'interviews, même aux magazines de l'archipel. Il répond à ma demande écrite de le rencontrer en me demandant de lui téléphoner. L'homme se révèlera calme mais pressé, poli mais inquisiteur. Il ne demandera pas le tirage du magazine ou combien de pages lui seront consacrées. Mais il veut connaître son interlocuteur. Savoir s'il connaît réellement les arts martiaux et en particulier le Daïto ryu. Mes réponses me permirent d'obtenir une brève entrevue d'une heure.
Jour J. Je pars très en avance afin d'avoir de la marge. Les maîtres sont très attentifs à ce type de détails et à la conversation que j'ai eue avec Kondo senseï je sais qu'il le sera plus qu'un autre. Le Hombu dojo se situe dans l'est de Tokyo dans un quartier résidentiel très paisible. Véritable dédale de ruelles, je n'arriverai finalement à temps que de justesse.
Le dojo est abrité dans un immense bâtiment, siège de la compagnie de Kondo senseï. Introduit par une secrétaire je rencontre pour la première fois cet homme que j'ai si souvent vu en photos ou vidéos. Il cesse immédiatement ce qu'il faisait et m'invite à prendre place dans son vaste bureau fonctionnel. Grand, les mains larges et puissantes, Kondo Katsuyuki a un physique imposant, surtout pour un japonais. Entretien avec un monument des arts martiaux.
L'histoire du Daïto ryu est bien documentée depuis Takeda Sokaku. En revanche ses origines sont plus obscures. Pouvez-vous nous parler de la période antérieure à Sokaku ?
Avant Takeda Sokaku, il y avait son père, Takeda Sokichi. On parle généralement de Saïgo Tanomo au lieu de lui, mais en réalité c'était un érudit qui n'avait jamais pratiqué les arts martiaux.
Vraiment ?
(Rires) Oui. Comme la majorité des samouraïs Saïgo Tanomo avait un nikki, une sorte de journal intime qu'il écrivait chaque jour, y détaillant sa journée, ses occupations. Il y raconte tout, de l'heure de son réveil au moindre de ses déplacements. Il a tout consigné dans ses nikkis.
Et tous les nikkis de Saïgo Tanomo ont été préservés. Il y a des chercheurs qui étudient la vie de Saïgo Tanomo au Japon. Ces personnes ont traduit en japonais moderne l'ensemble de ses écrits. En les lisant on peut savoir exactement ce qu'il a fait pour chaque jour donné durant toute sa vie.
Il est généralement dit que c'est Saïgo Tanomo qui a enseigné le Daïto ryu à Takeda Sokaku mais ce n'est absolument pas le cas. En aucun cas. Quelle est donc sa relation au Daïto ryu ? Parce qu'il y a un lien.
Takeda Sokaku est originaire du fief d'Aïzu où Saïgo Tanomo était karo (grand conseiller) et prêtre shinto. Il occupait une position du plus haut niveau. Ce que Takeda Sokaku a appris de lui c'est le denchu saho, l'étiquette à respecter à l'intérieur des châteaux. Cela incluait aussi bien la façon de marcher que celle de s'asseoir, de porter le katana, de rentrer dans une pièce. En résumé tout les éléments de l'étiquettes indispensables à un samouraï. C'est cela que Takeda Sokaku a appris auprès de Saïgo Tanomo. Ce ne sont pas à proprement parler des choses qui sont liées au Budo. Cet enseignement, l'étiquette du château, portait le nom d'oshikiuchi.
L'oshikiuchi n'est donc pas un système de combat réservé aux nobles ?
Non. Il y a plusieurs façons d'écrire oshikiuchi. Dans le cas qui nous concerne il s'agit des caractères shikii no naka. Le shikii est la poutre qui sert de glissière au sol entre les shoji.
(Note de l'auteur -Naka signifie intérieur.
-Les shoji sont les portes coulissantes traditionnelles.)
Dans les châteaux les pièces étaient en enfilade, une sorte de série d'antichambres qui menaient finalement à la pièce où se tenait le seigneur. Et les samouraïs étaient divisés en rangs. Ce rang déterminait l'antichambre jusqu'à laquelle un samouraï pouvait se présenter. Cela démontrait à la fois son importance, l'honneur qu'on lui faisait et la confiance qu'on lui accordait. On retrouve la même chose par exemple à Nikko où repose Tokugawa Ieyasu. Les seigneurs eux-mêmes avaient des rangs et ne pouvaient se placer où ils le désiraient dans le sanctuaire.
L'oshikiuchi est donc l'étiquette lorsque l'on a passé le shikii. C'est cela qu'il a enseigné. Ce n'est donc pas du Budo à proprement parler. Ce sont deux choses différentes.
Beaucoup de courants du Daïto ryu incluant Saïgo Tanomo dans leur généalogie sont donc dans l'erreur?
C'est une erreur de croire que Takeda Sokaku a étudié le Daïto ryu auprès de Saïgo Tanomo.
C'est une histoire répandue dans les milieux non informés dont beaucoup d'usurpateurs se servent pour se légitimer, au point que l'on trouve des courants dont les membres affirment que leurs prédécesseurs ont appris leur art directement de Saïgo Tanomo. On assiste alors à l'apparition de Saïgo-ha Daïto ryu ou autres impostures de personnes qui ne connaissent pas la réalité des faits. C'est évidemment une chose qui n'a aucun sens puisque Saïgo Tanomo n'a jamais pratiqué le Daïto ryu !
Il n'avait pas non plus confiance en son sabre car il n'avait pas étudié le Kenjutsu non plus. Les nikkis qu'il a laissés remontent à son enfance et il n'en manque pas un seul. Il n'y a donc pas d'erreur possible. Toutes les généalogies qui l'incluent sont donc des faux.
Saïgo Shiro n'a donc jamais pratiqué le Daïto ryu non plus ?
Non. Saïgo Shiro n'a jamais pratiqué le Daïto ryu. On parle souvent de sa technique yamaarashi en disant qu'il s'agit d'une technique issue du Daïto ryu mais c'est faux.
(N.d.a. Saïgo Shiro 1866-1922, judoka légendaire, combattant chargé de relever les défis du Kodokan, qui inspira le personnage de Sugata Sanshiro, héros entre autres du film de Kurosawa Akira "La légende du grand Judo".)
Sokaku Takeda a donc étudié le Daïto ryu auprès de son père ?
Oui. Et ce qu'il a appris de Saïgo Tanomo, l'étiquette, est un élément qu'il a introduit dans le Daïto ryu. Ce sont des connaissances importantes et qui font de Saïgo Tanomo un personnage marquant du Daïto ryu, mais son enseignement n'était en aucun cas lié à l'aspect technique.
Est-ce que cet aspect, l'étiquette, était un élément important de l'enseignement de Tokimune senseï ?
Concernant l'étiquette Takeda Tokimune a préservé l'intégralité de l'enseignement de son père. Dans les Budos les maîtres exigeants sont nombreux aussi il est très important de faire attention à l'étiquette.
On dit que le Daïto ryu s'est transmis dans la tradition de l'isshi soden. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?
Le Daïto ryu reposait sur l'isshi soden, la transmission unique à un héritier de sang. Imaginez que vous ayez quatre enfants. Naturellement avec l'esprit d'aujourd'hui un maître de Daïto ryu désirerait enseigner à ses quatre enfants. Mais isshi soden implique que l'on n'enseigne qu'à un seul de ses enfants. Pas aux trois autres. Si vous enseignez aux quatre, à votre mort chacun aura ses propres élèves. Et le nombre ne cessant d'augmenter les secrets seront disséminés.
C'est pourquoi traditionnellement la transmission du Daïto ryu reposait sur l'isshi soden. Si les autres enfants voulaient voir ils étaient réprimandés. C'est ainsi que Takeda Sokaku a enseigné à Takeda Tokimune.
Enseignez-vous aussi avec l'esprit de isshi soden ?
(Rires) Evidemment c'est une question qui devait arriver.
L'époque n'est plus la même et la situation a changée. A l'époque de Tokimune senseï et de Sokaku senseï on n'enseignait pas la véritable technique. Les élèves de Takeda Sokaku étaient tous des pratiquants de Budo. Occasionnellement, l'espace d'un instant, il laissait jaillir la véritable technique. Chacun était alors stupéfait. Mais il ne donnait jamais d'explication. Son esprit était "Si c'est une chose que vous pouvez voler, alors volez la ! Si vous réussissez à saisir une chose vous pouvez la garder." C'était ce type d'enseignement. Il ne disait jamais "Il faut prendre la main comme cela, on fait comme ceci." Il n'a jamais fait cela. C'est pourquoi parmi ses nombreux élèves chacun a fait des choses différentes.
Dans tel ou tel livre on peut lire que Takeda Sokaku était un bon maître et qu'il enseignait à chaque individu en fonction de sa morphologie, que les techniques étaient adaptées à chacun. Mais Takeda Sokaku n'avait pas ce type de gentillesse. Il ne faisait pas de choses de ce genre. "Essayez de voler ma technique si vous le pouvez !" C'était sa seule façon d'enseigner.
Les gens qui venaient étudier avaient tous des niveaux différents. Ce qu'ils pouvaient voir était différent. C'est pourquoi les techniques sont aujourd'hui si différentes. C'est là la réalité. Ce n'est pas que Takeda senseï enseignait des choses différentes mais que les gens ne voyaient pas la même chose en fonction de leur propre niveau. C'est une chose très importante.
Un autre point important est que Takeda Sokaku ne possédait pas de dojo. Il enseignait en séminaires de dix jours. Dix jours ici, puis dix là et dix ailleurs… Mais que peut-on comprendre en dix jours ? Après un séminaire les élèves s'entraînaient puis demandaient à Takeda senseï de revenir. Seules les personnes telles que Ueshiba Moriheï senseï ou quelques autres élèves majeurs qui l'accompagnaient en divers endroits pouvaient étudier de façon répétée. C'était cette façon de faire.
Et Takeda Tokimune senseï aussi enseignait de cette façon ?
Oui. Tokimune senseï possédait un dojo. C'est là qu'il enseignait. Mais même dans ce dojo il n'enseignait pas la vraie technique. Il pensait que si il montrait la véritable technique à un élève qui quittait le dojo la précieuse technique du Daïto ryu serait volée. C'est pourquoi il ne l'enseignait pas. Mais si vous lui disiez "Senseï, n'y a-t-il pas quelque chose d'étrange dans cette technique ?", alors il enseignait la véritable technique.
Il y a plusieurs titres d'enseignant en Daïto ryu. Il y a par exemple ce qu'on appelle les shibu-chos. Ces personnes ne peuvent enseigner que dans un espace déterminé. Il y a aussi le kyoju daïri (instructeur représentant). Ce titre signifie que son détenteur est autorisé à enseigner en lieu et place du soke en tous lieux. Tokimune senseï n'a décerné ce document qu'à deux personnes, moi-même en 1974 et une autre qui est décédée très peu de temps après.
Au titre de kyoju daïri j'avais la charge de la moitié de l'enseignement lors du rassemblement annuel à Abashiri car des gens venaient de tout le Japon pour y assister et Tokimune senseï ne pouvait enseigner seul à tous. Naturellement la veille je lui demandais ce qu'il désirait que j'enseigne. Il me donnait alors ses instructions et je lui demandais "Puis-je enseigner ainsi ?" et il me répondait "Non, enseigne comme je le fais au Daïtokan." Je n'étais pas autorisé à enseigner les techniques qu'il m'avait enseignées.
Il disait toujours "Que se passera-t-il si la technique du Daïto ryu est volée ? Si tu enseignes à un élève qui va quitter l'école ? Toute la richesse de l'enseignement disparaîtra." Il refusait donc que j'enseigne la véritable technique et insistait pour que j'enseigne de la même façon qu'il le montrait à son dojo.
(N.d.a. –Abashiri, ville située à l'extrême nord du Japon dans l'île de Hokkaïdo.
-Daïtokan, hombu dojo du Daïto-ryu à l'époque de Tokimune senseï.)
Vous avez donc préservé cette façon de faire ?
Est-ce qu'à mon tour je préserve la transmission dans l'esprit de l'isshi soden ? Comme je le disais l'époque a changée. Du temps de Tokimune senseï les élèves se limitaient au Japon. Maintenant les gens viennent du monde entier pour étudier le Daïto ryu, des Etats-Unis, d'Europe, d'Australie, de Russie… Et il y a les élèves mais aussi les maîtres d'autres écoles, notamment de l'Aïkido, qui veulent découvrir les techniques de l'école. Si je préservais le système isshi soden et enseignais, comme dans le passé, des techniques à l'efficacité limitée, aujourd'hui personne ne me prendrait au sérieux. C'est pourquoi j'enseigne la véritable technique que j'ai reçue de Tokimune senseï.
Donc je ne préserve absolument pas le système du isshi soden. (rires) J'enseigne la véritable technique à tous. Mais avec des personnes à la carrure comme les militaires américains, les élèves hollandais, avec des personnes de ce gabarit, si on utilise une technique de seconde zone, est-ce que les gens peuvent penser que le Daïto ryu est une technique extraordinaire ? C'est évidemment impossible. Personne ne prendra plus le Daïto ryu au sérieux. Il y a des élèves si grands que je rentre sous leurs aisselles ! Quand on est face à ces personnes qui ont un physique puissant et qui souvent pratiquent déjà les arts martiaux, que voulez-vous faire ? Il n'y a pas le choix.
Regardez cette photo. Cet homme est venu à un stage aux Etats-unis. Il a un tour de bras de 55cm ! Il a regardé pendant un long moment et soudain est parti se changer. Il est monté sur le tatami et m'a demandé d'essayer ma technique sur lui. Et il a attaqué subitement. Si on ne peut pas gérer cela personne ne peut croire à votre technique.
A l'étranger les gens viennent vous voir et disent "Essayons. Voyons si votre technique fonctionne." Pour moi c'est à chaque fois shinken shobu !
(N.d.a. –Shinken shobu, duel à lames réelles, il s'agit d'une expression dénotant le sérieux, la gravité d'une situation.)
Dans le passé lorsque l'enseignement se limitait au Japon chacun respectait l'enseignant et faisait preuve de déférence. Il n'était pas obligé de démontrer son art à chaque fois. Mais les étrangers testent les enseignants sans complexes. De nombreux pratiquants sont issus des rangs de l'Aïkido, curieux de découvrir les origines de leur discipline. Si la technique ne marche pas ne serait-ce qu'une fois, cela se saura immédiatement! Aujourd'hui nous sommes à l'heure d'internet. Si ma technique ne passe pas les gens l'écriront sans complexes et en quelques heures la nouvelle aura fait le tour du globe. C'est effrayant.
C'est une époque très différente de celles de Sokaku senseï ou Tokimune senseï. Ce n'est pas de l'entraînement. On appelle ça des séminaires mais ce sont réellement des shinken shobus. Et en un sens c'est compréhensible. Les gens se déplacent, parfois de très loin, ont des frais de transport, nourriture, hébergement. Et ils payent pour recevoir un enseignement. S'ils n'en retiraient rien ils auraient raison d'être mécontents. Mes élèves feraient sans doute preuve de retenue. Mais les stagiaires ne sont pas mes élèves et ils viennent sans complexes. Si la technique ne fonctionne pas c'est terminé.
La façon "officielle" d'exécuter les techniques et celle que vous avez reçue et transmettez aujourd'hui sont-elles très différentes ?
C'est totalement différent. C'est une manière de faire les techniques que je suis le seul vivant à avoir reçue en Daïto ryu puisque le second kyoju daïri est décédé. Les autres ne les ont pas étudiées car Tokimune senseï avait été très marqué par la façon d'enseigner de son père et que cela pouvait encore fonctionner dans le contexte de son époque.
Pour être totalement sincère ce n'est même pas lorsque j'ai reçu le kyoju daïri que j'ai réellement compris le Daïto ryu. Il a fallu que je termine le cycle complet en atteignant le menkyo kaïden pour en comprendre l'essence. Ce n'est qu'en apprenant la dernière technique que j'ai compris la première. Le Hiden mokuroku et toutes les étapes intermédiaires n'avaient été que des marches pour parvenir à la compréhension totale.
Le Daïto ryu est un art extrêmement complexe. Ce n'est qu'en étudiant jusqu'au bout que l'on comprend la totalité.
Votre technique continue-t-elle à évoluer ?
Oh oui. Lorsque des anciens élèves que je n'ai pas vu depuis longtemps, parce qu'ils sont partis vivre à l'étranger par exemple, reviennent, ils me disent "Senseï, votre technique est différente. C'est étrange." Je les encourage alors à étudier ma manière de faire actuelle.
Est-ce qu'il s'agit d'une évolution dans l'utilisation du corps ou dans la forme technique ?
Les deux. Lorsque nos sensations changent, que l'on utilise mieux les hanches, le tanren, alors le kokyu change. Tout évolue alors.
J'ai par exemple remarqué que ceux qui ont étudié avec moi avant que j'obtienne le menkyo kaïden et reviennent ont des techniques totalement différentes des élèves qui ont commencé après que je l'ai obtenu. Lorsque j'ai terminé le cycle de l'enseignement du Daïto ryu ma compréhension a évoluée et transformé ma technique.
Selon vous Osenseï enseignait-il véritablement la technique ?
Je ne suis pas un élève d'Osenseï et il serait incorrect que je parle de choses ayant trait à l'Aïkikaï. Mais au-delà de cette question il y a un point fondamental à considérer en Aïkido, c'est qu'il s'agit d'un Budo qui ne peut être défini par la technique.
On dit que le Daïto ryu est issu du Tegoï ou du Sumaï. Quel est le lien technique ?
Le Tegoï peut être assimilé à une pratique religieuse de misogi du shinto. Il donnera naissance au Sumaï no sechie, l'origine du Sumo et des techniques proches de celles du Sumo actuel y étaient contenues. Enfin ce sont des techniques issues de cet art qui ont donné naissance au Jujutsu.
On dit que Takeda Sokaku a étudié le Hozoïn ryu, le Ono-ha Itto ryu et d'autres écoles. Tokimune senseï enseignait-il aussi cela ?
Il enseignait l'Ono-ha Itto- yu mais pas le sojutsu. Mais il expliquait que telle technique du Daïto ryu reposait sur l'utilisation de la lance dans le Hozoïn ryu, ce genre de choses.
Enseignez-vous aussi l'Ono-ha Itto ryu ?
Non. J'explique dans les techniques le rapport au sabre mais il serait incorrect pour moi d'enseigner l'Ono-ha ici. En Ono-ha à Tokyo il y a Sasamori senseï. Mes élèves qui veulent étudier cette école doivent aller chez lui.
Quel genre de personne était Tokimune senseï ?
Hmm quel genre de personne… (Le visage de Kondo senseï s'illumine alors d'un doux sourire alors qu'il semble se remémorer son maître pendant quelques instants…)
La première fois que j'ai rencontré Tokimune senseï j'avais 16 ans. Et à partir de 21 ans je n'ai plus étudié que sous sa direction. Je ne l'ai plus jamais quitté. Il est une part tellement importante de ma vie qu'il m'est difficile de parler de lui en quelques mots. (rires)
Ces plus de trente années où je l'ai côtoyé ont été une période si riche, il s'est passé tellement de choses…
Aujourd'hui vous enseignez aussi à l'étranger. En quoi est-ce différent ?
Bien sûr il y a l'attitude des élèves comme je l'ai expliqué plus tôt. Mais il y a surtout le problème de l'enseignement et la transmission. Dans le passé les gens de la génération de Tokimune senseï n'avait pas l'habitude d'être en relation avec des étrangers. Quand en plus ils habitaient en province c'était encore plus flagrant.
Pendant de nombreuses années et je crois dans la plupart des disciplines, il y a eu une sorte de laisser-aller avec les élèves étrangers. Des personnes qui venaient quelque jours faire du "tourisme martial" recevaient ou dans certains cas achetaient, des "dans souvenirs". Ces personnes retournaient alors dans leur pays et devenaient des hauts gradés. Dans certains cas on leur donnait l'autorisation de donner des grades mais souvent ils la prenaient seuls. Finalement certains sont allés jusqu'à couper les liens qui les rattachaient à la source de l'enseignement.
Si on regarde le Judo, c'est maintenant une tradition japonaise dont la destinée a échappée au Japon. En France par exemple il est interdit au Kodokan de décerner des grades. De même pour l'Aïkikaï. Maintenant les maîtres de l'Aïkikaï dépendent des institutions françaises pour venir y enseigner. Il est étrange que le pays qui a développé une discipline se voit déposséder de son orientation. C'est parce que ce genre de choses est arrivé, que cela peut se passer avec le Daïto ryu, que je suis extrêmement prudent et exigeant.
La France possède un système différent. C'est un pays avec d'autres lois et c'est bien ainsi, on n'y peut rien. Mais il faut bien comprendre que ce sont deux engrenages différents qui ne s'emboîtent pas lorsqu'il s'agit de transmission traditionnelle.
Debouts, de gauche à droite : Frank Doran, Pat Hendricks, Don Angiers, Peter Goldsbury, Patrick Augé.
Assis, de gauche à droite : Hiroshi Ikeda, Kenji Ushiro, Kyoichi Inoue, Katsuyuki Kondo, Yukio Utada.
J'ai entendu dire que vous ne touchiez pas d'argent pour votre enseignement.
Oui c'est vrai. J'ai un travail. Je ne vis pas en tant qu'enseignant professionnel et je ne retire pas un sen de l'enseignement du Daïto ryu. C'est une particularité du dojo depuis que je l'ai fondé il y a bientôt quarante ans.
Nous encaissons des cotisations et une somme lors des passages de grades, mais l'argent ne rentre jamais dans mes finances. Un trésorier gère les fonds au profit de l'association et rien ne passe jamais entre mes mains. Il sert à payer les déplacements, les hôtels lors des démonstrations. Je mets le local dont je suis propriétaire où se trouve le dojo gratuitement à disposition de l'association et paye même l'électricité, le gaz et l'eau. Du coup il n'y a jamais de soucis d'argent dans notre groupe. (rires)
(N.d.a. Le sen est une ancienne subdivision du yen.)
Le dojo n'est pas un business et c'est pourquoi j'arrive à le faire. Et c'est la même chose pour tout ce qui concerne le Daïto ryu. Si des questions d'argent s'ajoutaient il me serait impossible de mener de front mes activités professionnelles et dans l'école. Mais c'est une chose qui ne pourra probablement pas se perpétuer. Je peux me permettre cela parce que je possède cette compagnie.
Il semble y avoir eu des problèmes lors de la succession de Tokimune senseï ?
Oui, des imposteurs qui usurpaient le titre de soke à un groupe d'élèves qui ne respectèrent pas ses volontés, ce fut une période très triste et délicate. Finalement, seul élève vivant à avoir reçu le kyoju daïri en 74, seul élève nommé soke kyoju daïri (instructeur représentant du soke) en 82, soke daïri (représentant du soke) et kaïgaï hombucho (responsables des affaires étrangères) en 88 et seul à avoir reçu le menkyo kaïden la même année, j'ai naturellement assumé les fonctions de successeur.
J'ai lu que vous aviez aussi étudié avec Kotaro Yoshida. Enseignait-il seulement le Daïto ryu ou aussi un Yanagi ryu ?
(N.d.a. –Kotaro Yoshida, élève direct de Takeda Sokaku qui reçut le kyoju daïri.)
Je suis un peu dubitatif quand à cette école. Je suis le dernier élève de Yoshida Kotaro et je n'ai jamais entendu, ne serait ce qu'une fois, la mention de cet art. Il semble que ce soit une discipline enseigné par son fils Kenji mais il n'y a pas d'autre lien avec Yoshida Kotaro et il n'a jamais enseigné sous ce nom à ma connaissance.
D'après vous combien de personnes, mis à part Tokimune senseï, ont saisi l'enseignement de Takeda Sokaku ?
(rires) C'est encore une question difficile à laquelle il m'est difficile de répondre. Ce que je peux dire c'est qu'il y avait le système d'isshi soden. Cela signifie qu'il ne pouvait y en avoir que très très peu…
Cela dit, un point à noter est que, de tous ses élèves, le plus proche fut Ueshiba Moriheï de l'Aïkikaï. Ses techniques et celles du Daïto ryu sont extrêmement proches.
Vraiment ?
Oui, c'est très proche. Sans doute la plupart des gens pensent-ils que c'est différent et ne voient pas la proximité. Mais vous avez vu les photos de Ueshiba du Noma dojo, ce sont les techniques du Daïto ryu telles quelles. A-t-il évolué ensuite ou est-ce que ce sont ses successeurs, Kisshomaru senseï, Sunadomari senseï et ses autres élèves qui ont changé son enseignement, je ne saurai le dire. Mais je pense que de tous, ce sont les techniques de Moriheï senseï qui étaient les plus proches de celles de Takeda Sokaku.
Il faut aussi préciser une autre chose concernant Ueshiba senseï. Effectivement il n'a pas, contrairement à Hisa senseï, reçu de menkyo kaïden. Mais c'est simplement selon moi parce qu'à l'époque de Moriheï senseï les menkyo kaïden n'existaient pas en Daïto ryu. En Daïto ryu nous avons ce qu'on appelle les kaïshakus soden. Kaishaku signifie la compréhension. Cela signifie que vous avez compris l'enseignement. Le kaïshaku soden est un diplôme qui certifie non seulement la transmission de l'intégralité des techniques, mais aussi leur compréhension, c'est-à-dire le savoir-faire. Et Ueshiba a reçu un tel diplôme de Takeda Sokaku. C'était le plus haut niveau de l'école, l'équivalent du menkyo kaïden. C'est mon opinion.
Pour quelles raisons le menkyo kaïden a-t-il été créé ?
On ne peut donner de réponse catégorique mais on peut faire quelques suppositions.
Dans les Kobudos généralement on n'utilise pas le kaïshaku soden, c'est un terme propre au Daïto ryu. A l'époque où Takeda Sokaku y enseigne, l'Asahi shinbun est déjà l'un des plus grands et plus puissants des quotidiens du Japon. Tonedate-san en est un des éditeurs et Takuma est son assistant. Ce sont deux personnages très importants et ils suivent tous deux ses cours.
Et on fit remarquer à Takeda Sokaku que généralement le terme employé était menkyo kaïden. Je crois que c'est pour cela qu'ils ont reçu ce diplôme, Hisa pour le niveau qu'il avait atteint et Tonedate en signe de reconnaissance pour son support. Je ne crois pas qu'à cette époque cela désignait des niveaux différents. Je pense donc que Ueshiba senseï sous le nom de kaïshaku soden avait reçu le même enseignement qu'un menkyo kaïden, l'ensemble des techniques du Daïto-ryu.
D'après vous qui possède ou possédait les techniques les plus proches de Ueshiba senseï ?
Bien sûr je ne connaîs pas du tout tous les senseïs, notamment ceux qui vivent à l'étranger. Mais parmi ceux que j'ai vus plusieurs fois, notamment aux démonstrations annuelles où l'Aïkikaï m'invite toujours, il y avait Saïto senseï qui était assez proche. Mais pour moi celui qui était le plus proche était sans conteste Arikawa Sadateru.
Il y avait aussi évidemment Mochizuki Minoru senseï mais son cas est à part puisqu'il a étudié à l'époque où Ueshiba senseï décernait encore des diplômes de Daïto ryu. J'étais très proche de lui et il m'a fait très souvent l'honneur de venir chez moi. De même que Kisshomaru senseï ou Shioda senseï. Ils ont tous eu la gentillesse de venir à l'inauguration de mon dojo.
Beaucoup de pratiquants considèrent que l'Aïkido de Shioda Gozo est proche du Daïto ryu, qu'en pensez-vous ?
Ce n'est pas le cas. L'Aïkikaï est plus proche. Pas l'Aïkikaï actuel évidemment. Celui de l'époque de Ueshiba senseï. Je crois que seuls les gens qui ont une connaissance superficielle du Daïto ryu ou du Yoshinkan peuvent faire cette comparaison.
Par exemple il n'y a pas de pratique décomposée en Daïto ryu comme en Yoshinkan. La technique doit toujours s'exécuter en continu. Les techniques doivent s'écouler fluides comme de l'eau. On ne fait pas les techniques en 1, 2, 3. (rires)
Vous ne décomposez pas même pour l'enseignement ?
Non. Je ne pense pas qu'il faille enseigner comme cela. Les arts martiaux traditionnels ne se sont jamais transmis ainsi. Si la technique n'est pas exécutée dans son intégralité comme l'eau qui s'écoule ce n'est pas une technique. Waza, la technique, ne doit être exécutée ni en force ni de façon décomposée. Sinon ce n'est pas une technique.
A quelle occasion avez-vous rencontré Osenseï ?
A 19 ans j'ai créé un club à ma faculté sous l'auspice de Yoshida Kotaro. Mais à cette époque je n'avais pas le temps d'enseigner car je suivais des études en même temps que je travaillais et m'entraînais. J'ai donc demandé à Tokimune senseï de me présenter un enseignant pour s'occuper du club à ma place. Il m'a alors écrit une lettre d'introduction pour Ueshiba Moriheï. C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance.
Avez-vous pratiqué avec lui ?
Une seule fois, à cette occasion. Il donnait alors un cours de jo et à plusieurs reprises il m'a appelé et dit "Viens donc saisir." A l'instant où je le saisissais j'étais projeté. (rires)
Vous êtes passionné par Yamaoka Tesshu et considéré comme son plus grand spécialiste. Qu'est ce qui vous a attiré en lui plus qu'en un autre samouraï célèbre comme Musashi par exemple ?
(N.d.a. -Yamaoka Tesshu, 1836-1888, maître célèbre de sabre, zen et calligraphie.)
Oui j'ai effectué beaucoup de recherches sur Yamaoka Tesshu. Tesshu était un homme extraordinaire. Il atteint la maîtrise du sabre dans les écoles Onoha Itto ryu, Hokushin Itto ryu et Nakanishi Itto ryu qu'il avait toutes étudiées. Dans le bouddhisme zen il eut le satori et devint un Bouddha vivant. Il avait atteint la plus grande réalisation dans les mondes du sabre et de l'esprit. Mais surtout, il avait fait le lien entre ces deux mondes.
De même dans le monde de la calligraphie on considère que ses œuvres ont dépassé le niveau de l'homme lorsqu'il s'est réalisé, que son écriture est devenue divine. Personne dans l'histoire jusqu'à ce moment et depuis, n'a atteint un tel niveau de réalisation.
Je vais vous raconter une anecdote qui montre un aspect méconnu de Tesshu. Tesshu senseï était issu du monde des samouraïs. Il vécut donc la difficile transition entre l'ère Tokugawa et l'ère Meïji. A cette époque une bataille majeure se préparait entre les défenseurs du bakufu des Tokugawa et les partisans de l'empereur qui montaient sur Edo, l'actuelle Tokyo. Une telle bataille aurait donné lieu à un bain de sang effroyable non seulement dans les deux camps mais aussi chez les civils innocents. Miraculeusement la transition entre les forces shogunales et celles de l'empereur se fit sans qu'une goutte de sang soit versée.
Aujourd'hui l'histoire a retenu les noms de Katsu Kaïshu et Saïgo Takamori. Mais la réalité est différente. C'est à Yamaoka Tesshu et Saïgo Takamori que l'on doit cette transition pacifique. Ce sont eux qui ont évité un bain de sang et les témoignages qui nous sont parvenus sont unanimes. Mais Tesshu senseï ne mettait jamais ses actions en avant, il se retirait toujours et laissait la gloire aux autres. C'est un autre aspect incroyable de sa grandeur.
Venez, je vais vous montrer quelque chose.
Kondo senseï m'emmène alors dans une pièce transformée en coffre fort géant aux murs de plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur pouvant résister aux incendies. Il y entrepose ses biens les plus précieux, documents du Daïto ryu, collection de sabres, de calligraphies, de montres japonaises et de robots de l'époque Edo. Certains des documents qu'il présentera le sont pour la première fois et n'ont jamais été photographiés jusqu'alors.
Lorsque j'étais lycéen il y avait des bouquinistes à côté de mon établissement et un jour je suis tombé sur un livre qui s'appelait "Ore no shisho" de Ogura Teki et qui avait l'air intéressant. Je l'ai acheté mais je me suis très rapidement rendu compte qu'il était très difficile à lire car il utilisait de nombreux kanjis rares. Mais je l'ai lu d'une traite des larmes plein les yeux. Ma vie a alors changé pour toujours. J'avais découvert le potentiel de réalisation de l'homme.
Aujourd'hui encore Tesshu senseï fait partie de ma vie. Il y a chez moi une pièce qui lui est dédiée. Son esprit y est vivant et je lui rends mes hommages chaque matin.
(N.d.a. -"Ore no shisho", "Mon maître", est un livre d'entretiens avec son dernier disciple, Ogura Teki.)
A l'époque je pensais que les calligraphies de Tesshu senseï seraient chères et inachetables. Lycéen j'ai donc commencé à collectionner tous les livres qui l'évoquaient. Mais un livre porte toujours la subjectivité de celui qui l'a écrit et il existe beaucoup d'impostures. Ce qui me permettait le lien le plus direct avec lui était ses calligraphies car une calligraphie révèle l'âme d'un homme. J'ai donc commencé à rechercher toutes celles qu'il avait réalisées. Aujourd'hui j'en ai près de 350. En voici quelques unes.
Dans le passé je possédai aussi plus de 300 sabres. Je n'en ai conservé qu'une trentaine dont ceux-ci qui appartenaient à Tesshu senseï. Celle-là est la première lame qui a été faite pour lui. Elle date de l'époque Edo. Je la confierai à mon successeur du Daïto ryu.
Kondo senseï me montrera alors des objets et documents plus incroyables les uns que les autres.
Voici un kaïshaku soden original décerné par Takeda Sokaku senseï. Il contient six rouleaux et est en tous points similaire à celui que Ueshiba senseï reçut.
Il semble que Takeda ne savait pas écrire.
Oui. Il faisait écrire et apposait ensuite son sceau. Bien qu'il ait su parfaitement écrire Tokimune senseï agissait de même.
Regardez, ceci est un dessin original. Tout le monde pense que c'est une photo mais c'est un dessin. Il fait partie des documents de l'école que Tokimune senseï m'a légués. Ils ne m'appartiennent pas mais sont à l'école.
Le dessin en question est en effet bien connu des lecteurs passionnés d'Aïkido ou de Daïto ryu. J'avais toujours été persuadé qu'il s'agissait bien d'une photo. Kondo senseï sortira ensuite un coffret de bois contenant de nombreux carnets remplis de bout en bout.
Tout ceci a été écrit par Takeshita taïsho (amiral). Il a consigné dans ses carnets toutes les techniques du Daïto ryu qu'il a apprises. Il en décrit 15 000. Sa famille m'a transmis deux camions de ses effets personnels.
Kondo senseï me montre alors deux livres à la couverture verte.
Tenez, ce sont deux exemplaires d'un livre totalement inconnu du public écrit par l'amiral Takeshita. Ce sont des originaux qui ont été dessinés à la main. Regardez les différences entre celui-ci et celui-là. L'amiral Takeshita enseignait dans une célèbre école de jeunes filles de la haute société, la Seïshin joshi gakuen. Ce livre est un traité de Goshinjutsu, self-défense, à l'adresse de ses élèves. Il date de 1942.
Kondo senseï me tend alors un mince carnet, un eimeïroku, registre de présence.
Tenez voici un eimeïroku de Takeshita senseï. On y voit les personnes qui ont étudié avec lui. Il y a là un membre de la famille Tokugawa, Shimizu Koji senseï, un maître de jo, Kunigoshi Takako qui étudia aussi avec Osenseï. C'est elle qui a dessiné les livres de l'amiral Takeshita ainsi que Budo renshu de Ueshiba senseï.
Et voici une lettre de Hisa senseï où il m'indique qu'il désire m'enseigner les techniques du menkyo kaïden et souhaite que je lui succède. C'était une époque où Hisa senseï n'avait pas d'élèves impliqués. J'ai dû lui répondre que malheureusement en tant qu'élève de Tokimune senseï cela m'était impossible. Il l'a compris mais a souhaité m'offrir tout le kaïshaku soden et voulu que j'aille pratiquer un peu avec lui. Ce que j'ai fait.
Kondo senseï sortira ensuite une boîte contenant l'un de ses biens les plus précieux.
Ceci est mon menkyo kaïden. Il y a sept rouleaux.
Kondo senseï sort alors plusieurs énormes classeurs contenant la série complète de photos de maître Ueshiba prises au Noma dojo. Les photos sont d'une netteté incroyable, n'ayant rien à voir avec celles que l'on peut voir dans les livres ou sur internet.
C'est incroyable, j'avais déjà vu des photos de cette série, notamment dans le livre Budo, mais je ne pensais pas qu'elles étaient de cette qualité.
Je possède toutes les photos de cette série. Il y en a presque deux mille. Il y a aussi tous les négatifs et les positifs. Je possède aussi deux calligraphies de Moriheï senseï. L'une est accrochée ici, et l'autre est dans le dojo.
(N.d.a. Chaque page de photo du classeur fait face à celles des négatifs et est suivie des positifs.)
Tokimune senseï a-t-il aussi été photographié ainsi en détails ?
Non, Tokimune senseï ne se laissait pas photographier ainsi. Mais il m'a laissé le filmer. A l'époque rien que l'achat d'une caméra professionnelle d'occasion m'avait coûté plus de 1 500 000 yens (10 000 euros). Mais je ne voulais pas de 8mm, je voulais quelque chose de qualité pour préserver la technique de Tokimune senseï.
Cette vidéo est-elle visible ?
(rires) Je n'en ai donné que de courts extraits pour des DVD. Par contre ses démonstrations au Budokan sont facilement visibles.
Montrait-il alors la véritable technique ?
Oui il montrait le véritable Daïto ryu en embu.
Sur ces photos la technique d'Osenseï est-elle proche du Daïto ryu ?
C'est du pur Daïto ryu. Voilà les techniques en idori. Et là en hanza handachi.
(N.d.a. -En Daïto ryu idori désigne le travail à genoux, hanza handachi le travail où le tori assis est attaqué par une personne debout, et tachiaï celui où les deux pratiquants sont debout.)
Sur ces photos on voit Osenseï pratiquer beaucoup à genoux. Aujourd'hui ce type d'entraînement est de plus en plus rare dans les dojos d'Aïkido. Est-ce un travail que vous considérez nécessaire ?
C'est un travail très important. Chaque forme a un sens. La pratique à genoux, à genoux contre un adversaire debout, celle où les deux partenaires sont debout, celle où vous êtes attaqué par derrière. Chaque travail a un but précis et différent mais la plupart des gens n'en connaissent pas le sens.
L'entraînement en ushiro dori correspond par exemple à une attaque qui vient de l'arrière. Il faut qu'à force de pratique nos yeux soient derrière notre tête. Il sert à développer la conscience d'une attaque arrière. C'est le véritable but de ce travail. Mais tout le monde pratique sans comprendre cela.
Lorsqu'on travail idori on est assis. En tachiaï on peut utiliser nos hanches librement de haut en bas, d'avant en arrière et sur les côtés. Elles sont libres et peuvent aller dans n'importe quelle direction. En idori on est assis en seïza donc on ne peut évidemment pas aller plus bas mais uniquement vers le haut. Et on ne peut non plus aller d'avant en arrière. C'est dans ces contraintes que l'on travaille. En hanmi hanwaza on gère une attaque dans les mêmes conditions mais où l'attaquant est plus libre de ses mouvements.
Dire que dans le Japon d'aujourd'hui où à l'étranger la plupart des gens utilisent des chaises et que ce type de pratique n'est plus utile est une erreur. Chaque forme a une raison d'être. Il faut enseigner en comprenant cela. La plupart des gens ne connaissant pas le sens des formes de travail ils n'hésitent évidemment pas à les modifier ou les supprimer. Montons je vais vous expliquer en vous faisant sentir les techniques.
La suite de l'entretien se déroulera alors dans le dojo où Kondo senseï m'expliquera et me fera sentir les principes de son enseignement. Le dojo se trouve au dernier étage du bâtiment. Spacieux et lumineux il abrite un grand nombre de trésors dont la vision toucherait n'importe quel pratiquant. Les calligraphies de Yamaoka Tesshu entourent celle de Ueshiba, les bokkens de Takeda Sokaku y côtoient ceux de son fils et de l'amiral Takeshita…
Aujourd'hui la plupart des enseignants ne savent pas ce qu'est l'Aïki. Demandez à un professeur ce qu'est l'Aïki. Il vous répondra univers, harmonie… Mais c'est le waza, le waza ! Les enseignants d'aujourd'hui ne peuvent pas répondre à cette question car ils ne savent pas eux-mêmes de quoi il s'agit. L'harmonie, l'univers n'ont pas de lien avec le waza !
Techniquement l'Aïki est un principe concret, précis, démontrable, enseignable et transmissible. Son application est ce qui sépare les techniques de Daïto ryu Aïkijujutsu de celles de Daïto ryu Jujutsu. La même technique dans sa forme Aïkijujutsu et Jujutsu est très différente.
(N.d.a. -Waza signifie technique mais aussi principe par extension.)
Ce que l'on voit généralement aujourd'hui en Aïkido sous le nom de shomen uchi ikkyo et que nous appelons ippon dori, c'est exécuté sous une forme de type Jujutsu. Au contraire, la discipline se nommant Aïkido, il faudrait toujours utiliser l'Aïki. En l'absence d'Aïki les techniques ne fonctionnent pas face à une personne forte ou avec un grand gabarit.
Maintenant il y a une connivence à l'entraînement entre le professeur et les élèves dont je ne suis même pas sûr qu'ils soient conscients. Mais s'ils essayent réellement ça ne marchera pas. Parce qu'ils n'utilisent pas l'Aïki et ne savent pas de quoi il s'agit. Dans shiho nage, ikkyo, kotegaeshi, il faut toujours utiliser l'Aïki.
Est-ce visible jusque dans la forme extérieure ?
Bien sûr, jusque dans la forme extérieure c'est totalement différent.
L'Aïkijujutsu implique que dés l'instant du contact le partenaire soit déséquilibré. Déséquilibrer après avoir pris position est du Jujutsu. L'Aïki est immédiat.
Il n'y a pas de placement avant le déséquilibre. Ni en shiho nage, ni en kotegaeshi ni dans n'importe quelle technique. Contre n'importe quelle attaque, des saisies à shomen uchi en passant par les coups de poings la création du déséquilibre par l'Aïki doit être instantanée. Il y a de nombreuses façons de le créer selon la technique. C'est l'enseignement concret de l'Aïki.
Le Jujutsu est un contrôle après le contact, la saisie par exemple. Ce sont des techniques qui reposent sur la douleur. Cela rend leur application difficile face à des gens plus forts que soi. De plus si on se repose sur un contrôle articulaire une personne plus forte pourra résister.
Kondo senseï m'appliquera alors plusieurs techniques à la manière Jujutsu. Si effectivement le déséquilibre n'est pas immédiat, le contrôle par la douleur lui l'est. Les mêmes techniques appliquées avec l'Aïki seront effectivement exécutées différemment et le résultat sera différent. Les techniques, très efficaces, permettent de provoquer un déséquilibre qui peut-être maintenu. En outre elles sont aussi douloureuses que celles de Jujutsu.
Les gens ne savent pas ce qu'est l'Aïki. Ils trompent les gens avec de belles paroles. L'Aïki est la méthode de création du kuzushi, le déséquilibre. Mais il faut aussi conserver le kuzushi de façon souple et continue. Sinon la technique est terminée. En faisant de larges kote gaeshi on perd non seulement le kuzushi mais on reçoit aussi une frappe, c'est évident. Faire de grands gestes circulaires est spectaculaire mais inutile et dangereux. C'est souvent utilisé en démonstrations mais nous ne faisons jamais cela en Daïto ryu car aujourd'hui même une personne au regard non aiguisé peut comprendre cela en regardant une vidéo au ralenti. Un embu ne doit pas être une occasion de se couvrir de honte.
Quel est le lien avec le sabre dans votre enseignement ?
Il faut toujours imaginer la technique avec l'image du sabre. Cela change tout car certaines choses possibles à mains nues ne le sont plus dès lors qu'on à cette image. Imaginez votre pratique face à une personne armée d'un bokken. Puis d'un iaïto. Et enfin d'un vrai sabre. Vous comprendrez tout ce qui est impossible…
Merci senseï.
Venu pour un entretien d'une heure, j'aurai finalement passé sept heures avec Kondo senseï. Celui qu'on surnommait "oni no Kondo" dans sa jeunesse, Kondo le démon, aura eu la générosité de me faire admirer les incroyables trésors dont il a la garde et m'aura démontré la richesse et l'efficacité des techniques du Daïto ryu Aïkijujutsu.
Guidé par l'esprit de Yamaoka Tesshu et l'enseignement des plus grands maîtres de son école, de Takeda Tokimune à Kotaro Yoshida en passant par Takuma Hisa et Kodo Horikawa, Kondo Katsuyuki a aujourd'hui indéniablement trouvé la paix.
Photos de Stanley Pranin, Kondo Katsuyuki et Tamaki Léo. Reproduction interdite sans autorisation écrite.