Hirai Minoru, à l’origine de l’Aïkido
Hirai Minoru est l'un des maîtres méconnus de l'Aïkido. L'étude de sa vie est intéressante dans la mesure où elle nous éclaire sur l'histoire de l'Aïkido, la place qu'occupait la discipline parmi les autres arts martiaux, et la façon dont elle était perçue.
Je me suis attaché à quelques éléments notables pour développer quelques réflexions.
Les informations sur lesquelles je me base sont issues essentiellement de :
- - Une interview de Stanley Pranin
- - Un article de Eric Grousilliat
- - Une biographie de Nicolas de Araujo
La valeur n'attend pas le nombre des années
Né en 1903, Hirai Minoru débute la pratique martiale dès son plus jeune âge. Expert reconnu, il ouvre en 1938 le Kogado dojo dans la ville d'Okayama.
Il est fréquent aujourd'hui de dire "Pratique et tu comprendras plus tard.". Et l'idée est répandu que la maîtrise nécessite plusieurs décennies. Si après 35 ans de pratique il me serait aisé de commencer à user de cette idée pour me légitimer et dénigrer des pratiquants plus jeunes, je m'érige totalement contre cette opinion. Oui, il y a toujours une marge de progrès. Mais les documents anciens nous apprennent que l'obtention d'un menkyo kaiden, la transmission intégrale d'une école, ne prenait que quelques années dans le Japon féodal. Comment imaginer d'ailleurs que des individus qui pouvaient se retrouver sur un champ de bataille dès l'âge de douze ans comptent sur la chance pour survivre le temps de cumuler les décennies leur donnant une maîtrise de la pratique martiale ?! Les compétences acquises par les membres des forces spéciales aujourd'hui ne nécessitent d'ailleurs pas non plus trente ou quarante ans.
En 1938 le Japon est un pays en guerre, et qui connaît le conflit depuis des décennies. Si les batailles ne se font naturellement plus à l'arme blanche, ouvrir un dojo n'est pas une plaisanterie et nécessite une capacité martiale réelle. Les défis qui disparaîtront dans les années soixante sont encore monnaie courante. L'exemple de Hirai senseï nous montre, et il est loin d'être une exception, que l'on peut atteindre compétence et légitimité lorsque l'on a la trentaine et même avant. Pas sur la base de 3 heures de pratique hebdomadaires cela va de soi :-)
Contrôler, standardiser, uniformiser
En 1939, un an après sa rencontre avec Ueshiba Moriheï, Hirai Minoru entre au Kobukan dojo. Il en devient Directeur des affaires générales en 1942. A ce titre il le représente notamment au Dai Nippon Butokukai, l'organisme chargé de contrôler, préserver et standardiser les pratiques martiales. C'est notamment lui qui sera l'acteur principal du changement de nom de l'art d'Osenseï qui, après avoir entre autres été désignés sous les noms Daïto ryu, puis Aïkibudo à l'époque, devient Aïkido.
La première chose notable est que Hirai senseï devient l'un des responsables du Kobukan trois ans après l'avoir intégré. Ici encore, son exemple comme celui de nombreux disciples de Ueshiba Moriheï, montre qu'une maîtrise de la discipline peut être acquise en quelques années. Et si maître Hirai avait un passé martial, ce ne fut pas, contrairement aux légendes urbaines, le cas de beaucoup d'élèves d'Osenseï (Je ne compte pas ici la pratique imposée dans le cycle scolaire.).
Il est aussi intéressant de noter l'importance du Butokukaï. Cet organisme créé en 1895, est représentatif du mouvement d'uniformisation qui naquit à l'ère Meïji. Une ère durant laquelle les arts martiaux connurent probablement leur plus grand bouleversement. La majorité des rituels que l'on qualifie de "traditionnels" datent de cette époque moderne, et n'ont ainsi qu'un petit siècle d'existence. Ce sont à juste titre des traditions. Simplement elles ne remontent pas à l'époque des samouraïs, mais à celle des militaires. Et je sourie souvent lorsque j'entends de fervents défenseurs de l'étiquette qui désignent ou considèrent leur pratique comme un art de paix. Le mode de transmission auquel ils souscrivent, le fonctionnement hiérarchique pyramidal, la standardisation, etc, sont autant d'éléments qui ont bien plus à voir avec les soldats impérialistes que les bushis.
Si le Butokukaï fut dissous durant l'occupation américaine, il se réinventa quelques années plus tard et existe encore aujourd'hui, même si son influence est aujourd'hui anecdotique. Le processus de standardisation est en revanche plus que jamais à l'œuvre, et l'Aïkido n'y échappe pas. C'est d'ailleurs un secret de polichinelle entre "initiés" que l'Aïkikaï qui a toléré les expressions variées de l'Aïkido des "super shihans", les disciples directs de Ueshiba Moriheï, met tout en œuvre à l'heure de leur disparition pour formater la discipline. Une tentative qui me semble vouée à l'échec, notamment parce qu'elle a été anticipée par des maîtres tels que Yamada Yoshimitsu qui a créé avec le Sansuikai, une structure permettant à ses élèves de continuer leur évolution indépendamment en cas de conflit après sa disparition.
Lire à ce sujet cet article intéressant sur le site Sangenkai.
Rationalisation
Je reproduis ici un extrait de l'interview de Hirai Minoru par Stanley Pranin évoquant l'adoption du nom Aïkido.
"I was the Director of General Affairs of the Kobukan beginning around 1942 and I helped out Ueshiba Sensei in daily matters. “Aikido,” rather than being a specifically selected name, was the term used to refer to “Butokukai-Ryu” aiki budo within the Dai Nippon Butokukai. The headquarters of the Dai Nippon Butokukai was located in Kyoto and Butokuden centers were set up in all prefectures. Tatsuo Hisatomi from the Kodokan, and Shohei Fujinuma from kendo, were close friends of mine. The Butokukai was an independent, umbrella organization for the martial arts, and it also was in charge of martial arts in the police departments.
It was very difficult to create a new section in the Butokukai at that time. Mr. Hisatomi proposed the establishment of a new section including arts for actual fighting based on jujutsu techniques. The techniques of yawara (an alternate term for jujutsu) are comprehensive and also include the use of the ken and jo. I also made a number of suggestions and Mr. Fujinuma and Mr. Hisatomi understood my ideas. However, had I insisted on these things nothing would have been decided.
There was discussion within the Butokukai about the choice of a name for this new section. It was discussed many times in meetings of the Board of Directors, and particularly in the judo and kendo sections. We had to consider all of the different individual arts encompassed when we tried to come up with an all-inclusive name. It was decided to select an inoffensive name to avoid future friction among the different martial arts.
Mr. Hisatomi argued for his proposal energetically and explained that “aikido” would be a better name than aiki budo for this new section, because it would be better to stress the idea of “michi” or way. He proposed that the name “aikido” be used as term to designate an all-inclusive budo and I agreed with him.
In other words, the term “aikido” was a cover-all term that could include other things as well. Mr. Hisatomi’s idea was to intentionally select a name that would not be opposed by kendo or other martial arts, but rather an inoffensive, comprehensive term to group together all of the yawara schools. In the end, no one opposed this proposal.
Of course, this was certainly a big problem at the time. I can’t say anything more specific about it. Everyone should follow the path they believe in."
Deux choses intéressantes. La première est que l'Aïkido, Aïkibudo à l'époque, est inclus dans une section incluant les arts destinés au combat basés sur le Jujutsu. La seconde est que le nom sur lequel beaucoup se basent pour évoquer la nature harmonieuse de l'Aïkido, etc, est postérieur à sa création. Très symptomatique de la rationalisation qui a très souvent cours en Aïkido.
Nature martiale de l'Aïkido
En 1942, Hirai senseï dirige le département de Jujutsu de la police militaire. Les techniques d'arrestation qu'il développe dans ce cadre sont alors publiées dans le manuel "Rikugun kenpei gakko taijutsu kyohan, et sont encore partiellement utilisées aujourd'hui.
Si l'efficacité martiale de l'Aïkido est discutée aujourd'hui, force est de constater qu'il s'agit d'un débat récent. Hirai senseï comme Ueshiba Moriheï lui-même, furent ainsi sollicités pour enseigner en raison de l'efficacité de leurs pratiques. Si je suis le premier partisan d'une éthique pacifiste, je suis aussi profondément convaincu que cela ne doit pas nous amener à amputer en chemin l'Aïkido de son efficacité martiale qui participe de sa nature même.
La pratique de Hirai Minoru
J'ai beaucoup apprécié les rares vidéos disponibles de Hirai senseï. Il présente un système cohérent où l'on sent une véritable intégration entre le travail aux armes et à mains nues. Son art présente à la fois un parfum "moderne" et "ancien". On y perçoit clairement tant la préservation des racines anciennes, que l'adaptation à son époque.
J'évoquais récemment l'intérêt de connaître l'histoire de notre discipline et de nos anciens. Hirai Minoru qui fut le confident de Ueshiba Moriheï et l'un des mentors de Ueshiba Kisshomaru est l'un de ces adeptes méconnus dont le parcours est riche d'enseignements. Un exemple qui nous inspire et nous oblige.
Un exemple qui nous inspire et nous oblige.