De la Chine au Japon, frapper avec l'intention
L'empire du Milieu et l'empire du Soleil-levant ont de tout temps entretenu des relations paradoxales, émaillées de conflits, de mépris parfois, mais aussi de respect et… d'emprunts ! Si la Chine et la Corée modernes se sont inspirées de l'esprit et des méthodes qui ont permis la réussite du Japon d'après-guerre, l'archipel s'est en revanche développé en copiant nombre d'éléments de ces deux pays. Des emprunts parfois admis, souvent contestés, mais dont la véracité peut rarement être mise en doute pas un observateur impartial.
La pratique martiale reste toutefois un domaine où le sujet reste très polémique. Si chacun s'accorde sur les racines chinoises du Karaté, beaucoup réfutent l'importance des apports continentaux dans les techniques de combat qui se sont développées dans le Japon féodal. Et il est vrai que les Koryus ont un parfum particulier, et l'évolution qui eut lieu durant les deux siècles et demi d'isolation sous les Tokugawa finirent de leur donner une identité unique, quelles qu'aient été les apports d'origine. Près de nous toutefois est née une école japonaise qui non seulement ne nie pas, mais revendique ses racines chinoises, le Taïkiken.
O Kosaï / Wang Xiang-Zhaï
Wang Xiang-Zhaï est une légende des arts martiaux chinois. Né en 1885, ses parents lui firent étudier le Xing Yi Quan (boxe de la forme et l'intention) dès son enfance en raison de sa faible constitution. Après avoir été soldat, il voyagea durant sept ans à travers la Chine pour étudier et combattre avec les plus grands experts. Il s'installa alors à Pékin et déclara publiquement avoir combattu avec plus de milles adeptes, et donna le nom des trois seuls combattants qui réussirent à le vaincre.
Reconnu par ses pairs, il attira immédiatement de nombreux combattants d'exception. Très rapidement, il s'aperçut toutefois que nombre de ses élèves ne s'intéressaient qu'à la forme au détriment de l'esprit. Il modifia alors sa méthode en la débarrassant de tout ce qui n'était pas utile au combat, et lui donna le nom de Yi Quan, poing de l'intention. Son audience se développant, il reçut de nombreux défis dont il sortit toujours vainqueur. Durant l'occupation japonaise il reçut la "visite" d'adeptes japonais tels que Sawaï Ken'ichi. O Kosaï, son nom japonais, battit tous ceux qui l'affrontèrent. Sa réputation atteignit alors un point tel qu'il fut surnommé… "les mains de la Nation".
L'enseignement de Wang Xiang-Zhaï évolua constamment, et après le combat, il s'intéressa notamment à l'aspect santé de la pratique en collaborant avec de nombreux hôpitaux. Dans les dernières années de sa vie, son art était communément appelé Da Cheng Quan, la boxe du grand accomplissement.
Sawaï Ken'ichi
Sawaï Ken'ichi est né en 1903 à Kumamoto, sur l'ile de Kyushu, au sud du Japon. Grandissant à l'ombre du château qui où Miyamoto Musashi passa les dernières années de sa vie, il côtoya dans son enfance les derniers samouraïs du Japon. S'initiant très tôt aux arts martiaux il étudia le Jujutsu, le Iaïjutsu, puis le Judo et le Kendo. Il pratiqua notamment la voie du sabre au Butokuden de Kyoto avec le fameux Naito Takaharu, et le Judo avec le légendaire Mifune Kyuzo.
Sawaï Ken'ichi vivait en Chine durant l'occupation japonaise, où il semble qu'il officiait en tant qu'espion. Profitant de sa liberté de mouvement, il rendit visite au célèbre Wang Xiang-Zhaï et le défia. 5ème dan de Judo et de Kendo (des grades au niveau bien supérieur à leurs équivalents actuels), il était confiant dans ses chances. Toutefois il fut sévèrement battu à chacune de ses tentatives, même lorsque maître Wang prit un bâton pour l'affronter avec son shinaï. Il l'implora alors de le prendre comme élève.
Quel fut la profondeur de l'enseignement reçu par maître Sawaï ? Il est difficile de le dire. Etudiant d'abord avec un des assistants de Wang Xiang-Zhaï qui déclara ultérieurement ne pas lui avoir révélé l'essence de son art, il aurait ensuite reçu l'enseignement direct du maître.
A la défait du Japon, Sawaï Ken'ichi est effondré et envisage de se suicider avec sa famille. C'est maître Wang lui-même qui l'en aurait dissuadé, et lui aurait proposé de rester en Chine. Finalement Sawaï senseï s'installe à Tokyo. Continuant son entraînement quotidien en extérieur dans le parc du sanctuaire Meïji, il attire rapidement autour de lui de jeunes adeptes enthousiastes. Il devient par ailleurs l'intime d'Oyama Masutatsu, Fondateur du Kyokushin Karaté, qui vanta à de nombreuses reprises la maîtrise de son ami. Ce qui contribua au fait que de nombreux pratiquants de cette école exigeante tels Royama Hatsuo allèrent étudier auprès de lui pour compléter leur formation.
Avec l'autorisation de son maître, Sawaï Ken'ichi nomma Taï Ki Shi Seï Kempo, généralement condensé en Taïkiken, son enseignement combinant son expérience des Budo/Bujutsu aux méthodes internes qu'il avait apprises en Chine. Ne cherchant pas à développer un enseignement de masse, il déclarait "Un élève de plus, un nouveau problème.", et préférait s'entraîner qu'enseigner. Il fut en revanche ouvert d'esprit et accepta des élèves étrangers tels que Jan Kallenbach et Jean-Luc Lesueur. Exigeant, il faisait s'affronter ses élèves sans règles et sans protections, et combattit lui-même jusqu'à plus de 75 ans, maîtrisant les jeunes combattants du Kyokushinkaï. Sawaï Ken'ichi s'éteint en 1988, laissant une école axée sur l'application au combat, et prouvant par l'exemple que l'on pouvait conserver un haut niveau de pratique jusqu'à un âge avancé.
Reconnu à l'est comme à l'ouest, dans l'empire du milieu et celui du soleil-levant
Jean-Luc Lesueur célèbre cette année cinq décennies de pratique martiale. Du Judo au Shuaï Jiao, du Taïkiken au Yi Quan, maître Lesueur a non seulement pratiqué mais surtout saisi l'essence de plusieurs disciplines.
Un nombre de pratiquants non négligeable a débuté les arts martiaux il y a 50 ans. Et beaucoup d'entre eux se glorifient de ces lointains débuts qui, supposent-ils, leur donnent autorité et maîtrise. Malheureusement la compétence ne se mesure pas aux années qui nous séparent de nos débuts, mais aux heures que nous avons passées à travailler. Jean-Luc Lesueur est l'un des rares qui puisse s'enorgueillir d'avoir pratiqué sans relâche pendant un demi-siècle. Allant s'installer en Asie, et continuant à y faire des voyages réguliers après son retour, il a toujours eu à cœur de dépasser les clivages pour aller au cœur des disciplines qu'il a étudiées. Son engagement et sa sincérité lui ont gagné le respect de ses pairs, et sa maîtrise est reconnue en Chine comme au Japon.
Jean-Luc Lesueur a obtenu le 6ème dan et le titre de Kyoshi en Taïkiken qu'il étudia avec son Fondateur, Sawaï Ken'ichi. Il est 7ème duan de Shuaï Jiao et, privilège très rare pour un occidental, a été nommé successeur du maître Wang Wenyong. Il est aussi 7ème duan, et successeur en Europe de shifu Li Jianyu (Yi Quan). Maîtrisant aussi le Da Cheng Quan qu'il étudia avec Wang Xuanjié et Wang Shangwen, maître Lesueur est le seul adepte à avoir étudié les trois courants issus de l'enseignement de maître Wang Xiang-Zhaï. Ayant formé de nombreux compétiteurs titrés aux niveaux mondial, européen et national, il s'attache pourtant avant tout à la transmission correcte des arts dont il a hérité.
Jean-Luc Lesueur, l'un des rares occidentaux dont la maîtrise est reconnue en Asie, et sans doute le seul respecté en Chine comme au Japon
Les pratiquants d'arts martiaux asiatiques ont souvent une attirance naïve pour les "experts" à la peau dorée. L'occident et la France en particulier comptent de nombreux adeptes à faire jeu égal avec les plus grands experts d'extrême orient. Et Jean-Luc Lesueur est indéniablement l'un d'entre eux. C'est un grand honneur pour moi que maître Lesueur ait accepté de participé à la Nuit des Arts Martiaux Traditionnels et à l'AïkiTaïkaï. Il présentera cette année les trois écoles issues de l'enseignement de maître Wang : Yi Quan, Da Cheng Quan et Taïkiken. Ne manquez pas cette opportunité de découvrir un art aussi efficace dans le développement de la santé que des capacités martiales !