Budo no Nayami

La transmission dans les arts martiaux, commentaires

12 Novembre 2008 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Novembre 2008

Le sujet sur la transmission dans les arts martiaux à généré plusieurs commentaires. En voici quelques uns et leurs réponses.


Ueshiba Moriheï


Cher Léo,

Tes textes sur la transmission d’un savoir tel que les arts martiaux m’intéressent beaucoup.
Mais, étranger à l’Aïkido, je voulais t’interroger sur la relation enseignant-élève……Les plus brillants professeurs d’université que j’ai eu la chance de fréquenter n’étaient pas ceux disposant du plus d’expérience dans un domaine ou de connaissances académiques, mais ceux qui savaient « nous apprendre à penser », à innover, à construire une analyse pertinente……. Il fallait être très autonome pour les suivre.

Selon toi, est-ce que la qualité principale d’un Maître d’arts martiaux se situe dans sa technique individuelle ou bien dans sa capacité à inspirer à chacun de ses élèves une intense recherche personnelle pour une plus grande efficacité. Chaque éleve devant ainsi le Maître de sa propre voie.

Amicalement

Michael



Cher Michael,
 
Merci pour ta lecture.
 
Tu évoques là un sujet particulièrement important. J'aborderai la relation enseignant-élève d'un point de vue plus large que celui de l'Aïkido en l'étendant aux arts martiaux en général.
 
J'ai le sentiment que d'une certaine manière ta question se résume à "mieux vaut-il être un bon pratiquant ou un bon enseignant" pour un professeur. Evidemment à partir du moment où l'on enseigne il semble évident qu'il vaut mieux être un bon pédagogue, apprenant à l'élève à penser et être autonome, qu'un brillant technicien (dans le domaine martial).
Ce n'est pas faux.
 
Dans certaines disciplines telles que les sports de combat (kakutogi) où les qualités naturelles sont d'une importance majeure, celui qui va donner l'envie de se dépasser est essentiel. Et même si le bagage technique n'est en aucun cas négligeable, de grandes aptitudes naturelles permettent souvent à une personne d'en dépasser une autre à la technique plus fine.
En revanche, dans les écoles traditionnelles (koryu) où sont enseignées les techniques martiales (bujutsu), on ne peut faire l'économie de suivre un maître ayant acquis la maîtrise totale de l'école. A notre époque un maître d'exception comme Kuroda senseï dont de nombreux élèves le suivent depuis plusieurs dizaines d'années, 41 ans pour le plus ancien, dit la chose suivante:
"…les élèves de mon grand-père qui ont atteint le mokuroku avant la guerre bougeaient exactement comme lui. Il n'y avait rien. Juste les gestes purs sans maniérisme.
Au Shinbukan il existait un système de kyu mais pas de dan. Après le premier kyu on recevait la transmission, le mokuroku.
Jusqu'au 5ème ou 4ème kyu il restait encore des tics. Le pratiquant pouvait être fort en combat mais c'était autre chose.
A partir du 3ème kyu, quel que soit le pratiquant qui l'exécutait, le kata était identique. On pouvait donc l'apprendre de n'importe lequel d'entre eux. C'est un niveau auquel je n'ai pas encore réussi à amener d'élèves."

 

Kuroda Tetsuzan (photo Sébastien Chaventon)


Dans la pratique martiale traditionnelle où l'on cherche à modifier l'utilisation du corps, l'enseignement se faisait au moyen des katas. Leur enseignement nécessitait leur connaissance et leur maîtrise totale. C'est pourquoi dans le passé très peu d'élèves de chaque école étaient autorisés à enseigner.
Bien sûr aujourd'hui nous vivons dans un monde aux valeurs différentes. L'excellence martiale n'est généralement plus une question de survie et ceux pour qui elle l'est n'ont pas les moyens d'accéder à leur enseignement. Il n'existe plus de caste de guerriers professionnels entraînés dès leur enfance et tout cela peut sembler un peu archaïque et vain.
 
Revenons à ta question. Dans le domaine des bujutsu, par le passé, être bon pédagogue n'était pas essentiel. Chacun était naturellement motivé car sa vie en dépendait. Aujourd'hui en revanche cela est nécessaire car à de très rares exceptions comme Akuzawa senseï qui suivit un enseignement très difficile avec un maître qui le laissait face à lui-même, personne à notre époque ne songerait à s'engager dans une voie aussi ardue et exigeante sans cela. Je dirai même que plus les exigences du maître sont élevés, plus il a besoin d'être charismatique dans un monde où tout est dédié à la recherche de facilité et de confort…
 
Je citerai à nouveau Kuroda senseï:
"Dans l'absolu il n'y a besoin d'aucune paroles et la véritable transmission se fait "I shin den shin".
Dans le monde actuel si les gens veulent étudier les théories supérieures il est nécessaire de les expliquer. Le problème ne se pose plus vraiment de savoir quel est le mode de transmission."

 
Je ne suis pas un grand amateur de métaphores mais envisageons les pratiques martiales (où l'on cherche une modification de l'utilisation du corps) comme des montagnes. Certains maîtres du passé sont arrivés à des sommets. On peut imaginer, mais aucun nom ne me vient à l'esprit, que quelques uns, extrêmement rares, l'aient fait seuls. Parmi les autres il existe deux catégories.
D'une part ceux qui ont suivi un guide, mettant leurs pas dans les siens et gagnant ainsi une expérience unique. S'ils étaient talentueux cela a pu leur permettre par la suite de découvrir eux-mêmes d'autres sommets. Ces maîtres ont été élèves d'une tradition martiale. On peut citer parmi les plus illustres Kano senseï ou Ueshiba senseï, et, plus proches de nous, Toheï senseï, Saïto senseï, Tamura senseï ou Kuroda senseï.
D'autre part il y a les maîtres qui n'ont pas suivi le cursus d'une école dans son intégralité. Après une formation de base ils ont cherché et pratiqué inlassablement. Parmi eux je citerai notamment Kono senseï, Hino senseï ou Akuzawa senseï. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ces maîtres ont puisé leur inspiration à de nombreuses sources. Et aucun, à ma connaissance, ne prétend avoir "inventé" quoi que ce soit. Ils ont "simplement" redécouvert certains sommets. Mais pour cela ils ont regardé même s'ils n'ont pas mis leurs pas dans les leurs, des guides marcher sur les sommets. Les maîtres Shioda ou Hatsumi pour Hino senseï, maître Sagawa et un maître de Yagyu Shingan ryu pour Akuzawa senseï, etc… Et j'ajouterai qu'ils sont, encore plus que les maîtres qui ont suivi le cursus d'une école, des génies. Car s'il faut un immense talent pour suivre un géant à la trace, il en faut encore plus pour le faire en l'observant occasionnellement et de loin. Et on ne peut s'empêcher de se demander s'ils ne seraient pas allés encore plus loin s'ils avaient reçu une tradition. Mais le hasard et/où leur caractère en ont décidé autrement. On peut aussi se dire que le temps qu'ils ont passé à redécouvrir leur à donné une méthode qui leur servira à aller explorer plus facilement d'autres pics.
Dans tous les cas il me semble impossible de faire l'économie de contacts réguliers ou occasionnels avec le plus haut niveau. Ne serait-ce que pour élargir notre horizon et prendre conscience des possibles.
 

Akuzawa Minoru (photo Jean-Baptiste Rosello)


Malheureusement je vois qu'à chaque ligne que j'ajoute la fatigue m'éloigne du sujet ;-)
A ta question, "Selon toi, est-ce que la qualité principale d’un Maître d’arts martiaux se situe dans sa technique individuelle ou bien dans sa capacité à inspirer à chacun de ses élèves une intense recherche personnelle pour une plus grande efficacité. Chaque élève devant ainsi le Maître de sa propre voie." je répondrais ceci.
 
Aujourd'hui un maître de techniques martiales traditionnelles ne peut faire l'impasse sur l'un ou l'autre. Il se doit de posséder à la fois la maîtrise de ce qu'il enseigne et un charisme exceptionnel de façon à donner envie à ses élèves de faire les efforts nécessaires à le suivre.
Dans le cas où l'on cherche un simple loisir, sans rien de péjoratif, alors il devient plus important que l'enseignant (qui n'a aucun besoin d'être un maître) donne envie de pratiquer. La seule limite est que ses compétences techniques soient suffisantes pour qu'il n'enseigne pas de gestes nocifs pour le corps.
 
Amicalement,
 
Léo
 

Salut Leo,
 
Existe t-il des écoles japonaises ayant un apprentissage différent des budo classiques, recherchant l'utilisation maximale du potentiel du corps pour une efficacité immédiate.

Est t-il possible de mettre en place une telle méthode ?
 
Les budo type judo et aikido ont des mouvements basés sur des déplacements, des déséquilibres somme toute assez simple d'application.
 
Certains ont réussi a atteindre un niveau quasi incomparable tel Mifune et son maitre Kano, très peu de vidéos à son sujet malheureusement, idem pour Ueshiba père.
 
A mon sens l’efficacité dépend surtout du degré d'implication et de compréhension dans l'étude, plutôt qu'une utilisation différente du corps à proprement parler dès le début de ton apprentissage.
 
Les budo moderne n’ont pas ce type de fonctionnement, mais beaucoup basé sur la sensation de la technique auprès du maitre et l’apprentissage des chutes à répétitions, ce qui ramène à la première question.
 
Le principe n'est t-il pas finalement l'alpha et l'omega de la pratique pour faire évoluer la technique vers des sommets ?
 
L’exemple du judo est très parlant avec son seiryoku zenyo par exemple.
 

Merci à toi,

Eric du club de Jacques

 

Bonjour Eric,

Merci pour ton message.

Tu écris:
"Existe t-il des écoles japonaises ayant un apprentissage différent des budo classiques, recherchant l'utilisation maximale du potentiel du corps pour une efficacité immédiate."
Tout d'abord le terme budo recouvre beaucoup de choses. C'est pourquoi je disais dans l'article:
"La grande diversité des pratiques des budo rend une analyse précise de leur transmission impossible, certains étant là encore très proche des bujutsu tandis que d'autres adoptent une démarche semblable à celle des kakutogi."
Ainsi quand tu parles de budo classique ce n'est pas très clair à mes yeux tant les approches peuvent être éloignées. Ne serait-ce qu'à l'intérieur de la même discipline, selon les courants, ou selon les époques.

En fait chaque école ou presque te dira que sa méthode vise à utiliser le potentiel du corps au maximum le plus rapidement possible. Mais cela recouvre des approches très différentes. De quel potentiel parlons-nous? Sa vitesse? Sa force? Sa capacité à endurer les coups? Sa précision dans le geste?...
Ensuite quand tu parles d'efficacité immédiate qu'entends-tu par là? Une semaine? Un mois? Un an? A quelle intensité et fréquence d'entraînement?

"Est t-il possible de mettre en place une telle méthode ?"

Une méthode qui développerait spécifiquement quelles qualités et en combien de temps? Je pense que les générations qui nous ont précédées ont fait le maximum. Si nous arrivons à maîtriser ce qu'ils nous ont légué peut-être arriverons-nous à l'améliorer. Mais pour être sincère j'en doute à l'heure actuelle. Je pense que nous devons aujourd'hui surtout chercher à perdre le moins possible ce qui a été créé, ce qui n'est pas une mince affaire. Il y a déjà tant d'écoles qui ont disparues, tant d'autres qui ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient…

"Les budo type judo et aikido ont des mouvements basés sur des déplacements, des déséquilibres somme toute assez simple d'application."
Je ne suis pas certain de te suivre du tout. J'ai rencontré des milliers de pratiquants, beaucoup d'experts et quelques maîtres. Je n'ai jamais eu l'impression, pour ceux que j'estimais bons, que ce qu'ils faisaient était facile à appliquer. J'ai plutôt eu le sentiment que cela exigeait une vie de travail.
La théorie est simple sur le plan intellectuel mais souvent il s'agit de concepts qui au final éclairent les génies mais sont bien insuffisants pour les autres.

"Certains ont réussi à atteindre un niveau quasi incomparable tel Mifune et son maitre Kano, très peu de vidéos à son sujet malheureusement, idem pour Ueshiba père."

Là tout à fait d'accord ;-)


Mifune Kyuzo


"A mon sens l’efficacité dépend surtout du degré d'implication et de compréhension dans l'étude, plutôt qu'une utilisation différente du corps à proprement parler dès le début de ton apprentissage."
Concernant le fait que l'efficacité dépend du degré d'implication et de compréhension je suis parfaitement d'accord. Concernant le fait que l'utilisation différente du corps n'est pas nécessaire je suis d'avis totalement opposé. Malheureusement les mots ne me serviraient à rien pour te convaincre et je crois avoir déjà dit suffisamment ce que je pensais à ce sujet dans mes écrits ;-) Malheureusement rien ne remplace l'expérience directe. Si la parole de personnes que je suppose que tu respectes peut t'inciter à y croire et à faire le pas pour aller expérimenter alors n'hésite pas à en parler à Jacques, ou à d'autres élèves du dojo comme David Dumas, Sébastien Chaventon, etc… qui ont tous rencontré un ou plusieurs des experts dont je parle.
Peut-être aussi la vision de vidéos de maîtres tels que Kuroda Tetsuzan ou Kono Yoshinori pourra t'éclairer mais j'imagine que tu en as déjà vues et que cela ne t'a pas convaincu.

"Les budo modernes n’ont pas ce type de fonctionnement, mais beaucoup basé sur la sensation de la technique auprès du maitre et l’apprentissage des chutes à répétitions, ce qui ramène à la première question."
Je m'excuse mais je ne suis pas sûr de comprendre quel fonctionnement les budo modernes n'ont pas. Quoi qu'il en soit l'enseignement traditionnel nécessite aussi beaucoup de répétitions.

"Le principe n'est t-il pas finalement l'alpha et l'omega de la pratique pour faire évoluer la technique vers des sommets ?"
La technique en effet n'est qu'un outil permettant d'intégrer dans notre corps les principes de l'école qui sont son essence.

"L’exemple du judo est très parlant avec son seiryoku zenyo par exemple."
 Seiryoku zenyo (meilleur emploi de l'énergie) est un principe magnifique, malheureusement il n'est pas attaché à quelque chose en particulier et chaque école peut le revendiquer. Il s'agit plus d'un principe spirituel, un idéal. Très important bien entendu et remarquable, mais très éloigné de principes techniques précis tels qu'ils étaient et sont parfois encore enseignés dans les ryu.

Merci pour ta lecture et au plaisir de repratiquer avec toi prochainement.

Amicalement,

Léo

 

Bonjour Leo!

Oui comme tu le dis à charge pour le pratiquant d'aller chercher plus loin et de s'ouvrir d'autres portes que la compréhension dun Budo uniquement en termes physiques et anatomiques.

Si effectivement beaucoup pratiquent et enseignent dans ce système c'est que comme tu le soulignes, ils n'ont pas le temps nécessaire à une étude et un enseignement approfondi. En revanche d'autres pratiquants sont hermétiques à des méthodes plus "ésotériques" parce qu'ils n'y croient pas ou ne les comprennent pas ou simplement ne les intéressent pas.

J'estime qu'effectivement la pratique sur des axes mécaniques permettent pour nous occidentaux une plus rapide compréhension et qu'elle est nécessaire dans un premier temps, toutefois il faut dépasser ce degré tout au long de sa pratique sous peine de se voir stagner. Pour éclairer mon propos je qualifierai d'"aura" ce que le pratiquant doit acquerir afin d'agir avec et envers tous les composants de son univers.

Nous avons tous en mémoire des vidéos d' O'sensei projettant un uke juste en levant le bras. "Pure utopie" diront les non-converties! moi je parle du summum de l'acquisition des principes. Evidemment avant d'en arriver là Ueshiba sensei a assimilé et inclus toute la mécanique corporelle et d'ailleurs toutes ses techniques jusqu'à la fin de sa vie incluent cette mécanique mais sa recherche étant devenue telle, de nombreuses notions sont venues se greffer dessus reléguant à l'arrière plan la technique purement anatomique.

Notre DTR nous explique que ceci ne peut qu'exister lorsque le partenaire y croit. Pour projeter son partenaire, il faut effectivement qu'il soit conscient de la potentialité d'efficacité de Tori. Je n'aborde pas là la complaisance de la chute mais la conscience d'Uke de sa préservation lorsque que Tori prend l'avantage lors de l'action. Dans le cas contraire il y a toujours la possibilité pour Tori de contraindre Uke gentiment  sur le tatami ou moins amicalement lors d'une agression.

Ces propos n'engagent que moi et je serai ravi d'avoir l'avis de ceux qui interviendront en commentaires  :-)

A bientôt Léo

Amicalement

Shotokan



Ueshiba Moriheï


Bonjour Shotokan,

"Oui comme tu le dis à charge pour le pratiquant d'aller chercher plus loin et de s'ouvrir d'autres portes que la compréhension d'un Budo uniquement en termes physiques et anatomiques.
Si effectivement beaucoup pratiquent et enseignent dans ce système c'est que comme tu le soulignes, ils n'ont pas le temps nécessaire à une étude et un enseignement approfondi. En revanche d'autres pratiquants sont hermétiques à des méthodes plus "ésotériques" parce qu'ils n'y croient pas ou ne les comprennent pas ou simplement ne les intéressent pas."


En effet un enseignement "mécaniste" permet d'être facilement compris. Cela "rassure" aussi beaucoup de pratiquants qui veulent savoir et comprendre ce qu'ils font.
Daniel Toutain aborde ce sujet dans sa dernière interview dans le numéro actuel de Dragon:

"Pensez-vous que les explications sont importantes ou les démonstrations peuvent-elles représenter la majeure partie de l'enseignement?
Au Japon les gens ne se posent pas de question par rapport à un enseignant et font d'emblée confiance. Ils appliquent tout de suite même s'ils ne comprennent pas, quitte à comprendre plus tard. Ca fait partie de la culture des japonais, c'est leur façon de penser.
Par contre en occident on fonctionne de manière différente. Les gens veulent comprendre avant de faire parce que c'est ce qui va leur donner confiance. On ne peut pas chasser ça parce que cela fait des siècles que c'est comme ça. C'est une autre manière de fonctionner…"


Il ajoute ensuite qu'il essaye de prendre le meilleur des deux systèmes. Personnellement, à partir du moment où l'on a choisi un professeur (pour ses capacités personnelles et son aptitude à former des gens) j'estime que l'on doit s'engager totalement et faire confiance. Même si certaines choses peuvent sembler illogiques ou inutiles.
En stage et dans une certaine mesure en cours, je m'applique toujours à répondre aux questions qui ne manquent pas d'être posées. Mais cela ne me semble pas quelque chose de fondamentalement bon. D'abord parce qu'il ne sert à rien d'aborder certains sujets sans une certaine expérience. Ensuite parce que s'il est bon de se poser des questions, une fois l'enseignant choisi, il vaut mieux partir du principe qu'il a raison et essayer de comprendre pourquoi, plutôt que de se demander s'il a raison ou pas.
Au Japon il était impensable de poser des questions à un maître et même simplement de lui adresser la parole comme le rapportent les élèves de Ueshiba. Aujourd'hui encore il est délicat de s'adresser informellement à des maîtres éduqués à l'ancienne tels que Kuroda senseï entre autres. C'est un système qui a fait ses preuves contrairement à celui où l'on remet tout en question et pose des questions à tort et à travers… A mes yeux le questionnement doit être présent mais les réponses doivent être recherchées seul et dans l'enseignement reçu, on ne doit pas les attendre.
En outre les questions, souvent du type "oui mais…" ou "mais si là je fais ça…" sont souvent futiles. Par ailleurs répondre à une personne fait perdre du temps. Souvent un questionneur intempestif me prend autant d'énergie et de temps que 5 ou 10 élèves attentifs et réceptifs.

"J'estime qu'effectivement la pratique sur des axes mécaniques permet pour nous occidentaux une plus rapide compréhension et qu'elle est nécessaire dans un premier temps, toutefois il faut dépasser ce degré tout au long de sa pratique sous peine de se voir stagner. Pour éclairer mon propos je qualifierai d'"aura" ce que le pratiquant doit acquérir afin d'agir avec et envers tous les composants de son univers."

Effectivement il peut sembler logique de passer par une étape mécaniste pour aller plus vite. Personnellement je ne suis pas convaincu. Je pense que cela ne mène, finalement, qu'à une impasse ou au moins à une perte de temps. Pas dans les domaines des kakutogi ni, pourquoi pas, dans certains budo. Mais certainement si l'on cherche à modifier l'utilisation de son corps.
Comme je l'ai expliqué dans quelques articles les gestes les plus efficients que j'ai pu observer ou sentir jusqu'à présent nécessitent l'intervention du corps dans sa globalité et dans une simultanéité. Cela peut sembler simple mais ce n'est absolument pas le cas car nous utilisons en fait les différentes parties du corps indépendamment les unes des autres, sans lien dans le temps ou entre elles. L'efficacité est ainsi très limitée. Notre cerveau conscient n'étant pas capable de gérer toutes les parties simultanément il faut passer à une autre manière d' "être". Et cela commence par une autre façon d'aborder les choses. Laisser la pensée au placard par exemple.
A ce sujet on peut se demander si l'importance que les bushi portaient à des voies telles que le zen, le chado ou le shodo ne leur ont pas, au même titre que la langue japonaise, facilité cette façon d' "être". Qu'ils en aient été ou non conscients. Je crois en tout cas que toute personne qui désire modifier son utilisation du corps selon les méthodes traditionnelles japonaise ne peut faire l'économie d'un changement dans sa façon d'aborder les choses. Mais n'est-ce pas au final une des choses les plus importantes que peut nous apporter la pratique, une autre façon de voir les choses?

"Nous avons tous en mémoire des vidéos d' O'sensei projettant un uke juste en levant le bras. "Pure utopie" diront les non-converties! Moi je parle du summum de l'acquisition des principes. Evidemment avant d'en arriver là Ueshiba sensei a assimilé et inclus toute la mécanique corporelle et d'ailleurs toutes ses techniques jusqu'à la fin de sa vie incluent cette mécanique mais sa recherche étant devenue telle, de nombreuses notions sont venues se greffer dessus reléguant à l'arrière plan la technique purement anatomique."

Il y a évidemment un aspect "mécanique". Mais il faut faire attention car ce que l'on voit de l'extérieur, angles et leviers, n'est parfois que le vernis. Des formes totalement inutiles si à l'intérieur le corps ne fonctionne pas correctement. Et n'oublions pas que Osenseï n'a probablement jamais reçu un enseignement "mécaniste"…


Ueshiba Moriheï


"Notre DTR nous explique que ceci ne peut qu'exister lorsque le partenaire y croit. Pour projeter son partenaire, il faut effectivement qu'il soit conscient de la potentialité d'efficacité de Tori. Je n'aborde pas là la complaisance de la chute mais la conscience d'Uke de sa préservation lorsque que Tori prend l'avantage lors de l'action. Dans le cas contraire il y a toujours la possibilité pour Tori de contraindre Uke gentiment  sur le tatami ou moins amicalement lors d'une agression."

Je crois que le mot "croire" n'est pas juste ici. Je dirai qu'il faut que l'attaquant "comprenne". Sinon comme tu le dis il ne restera pas d'autre alternative que de le couper ou frapper réellement. Tokitsu senseï parle très justement de ce sujet dans son ouvrage sur Miyamoto Musashi lorsqu'il explique le combat de ki. Mais il ne faut pas imaginer ici des échanges de boules de feu bien sûr. Enfin encore une fois on se retrouve limité car aucune explication verbale ne peut remplacer l'expérience vécue.

Amicalement,

Léo


Intéressant et vaste sujet.

Pour la relation prof-élève, je rejoinds ce qui a été dit. Je crois qu'il n'est pas forcément facile de trouver un bon technicien simultanément bon pédagogue, mais je crois qu'un autre critère peut/(doit?) aussi rentrer en ligne de compte, pouvant parfois contrebalancer tout autre choix précédent: l'"ambiance" 

Parfois observer les élèves présents depuis plusieurs années semble être assez instructif sur la mentalité, la pédagogie et le potentiel technique du club.

Une proposition de "critères décisifs": celui qui insuffle à l'élève une structuration psychomotrice et des stratégies propres à la discipline choisie et qui laisse l'élève sélectionner et approfondir peu à peu ce qui lui va à lui (et qui n'ira pas forcément au prof ou à un autre élève et inversement)??? Le risque de "devenir une copie de son prof mais en moins aguerri" est il alors grand? Dans quelle mesure?

 Je crois que le 'processus d'identification au professeur" est probablement une étape, mais ça me semble un thème vaste et complexe.
Car comment expliquer que "relativement souvent" un élève, même devenu expert n'enseigne pas exactement les mêmes choses que son maitre?  Outre la méthode et les orientations purement personelles, le "talent " est il vraiment transmissible? Si oui,  jusque dans quelle mesure? 

Croire que l'on pourra forcément faire comme le prof ou comme les sempai les plus avancés me semble être dangereux.  Le but est-il de "devenir bon combattant" ou plutôt  de "découvrir ce pour quoi on est fait et que l'art nous permet de faire en accord avec nos capacités propres"?

Cela étant, avant de risquer de vouloir "tout laisser reposer sur l'enseignant" je crois qu'une relation élève professeur se fait à deux, et je n'ai donc effleuré ici que 50% des paramètres existant... ( car les écoles qui n'hesitent pas à refuser ou exlure ou sélectionner un élève me semblant de plus en plus rares)

Pour les "principes techniques" je crois que "simple" est très différent de "facile". Et ces principes me semblent avoir le chic pour être "simples" (parceque dans le cas contraire , je doute que l'on aurait alors pu les faire ressortir et les théoriser sous forme de "principes")

Pour le reste , est -il hasardeux de découper le problème en globalement deux catégories????

(dans ce cas je pensais à):
A ) les approches cherchant à surtout ne jamais se reposer sur des capacités athlétiques, pronant dès le départ l'économie de moyens même pour les "débutants".

B ) les approches cherchant à rajouter du physique dans sa technique, (disant généralement aux élèves que l'"économie de moyens" n'est accessible qu'à l'élève avancé ... )

Cela dit, pour pouvoir dire "art martial" , ne faut-il pas toutefois garder une "clé de voute" ( d'une manière ou l'autre) : l'efficience psychomotrice?

La "préservation du corps" entrant à un moment ou l'autre dans l'équation, peut on dire que pour être qualifié de traditionnel un art doit forcément comporter, outre l'efficience psychomotrice, une partie "santé"? Ou alors cela n'est pas une règle absolue?  (parfois on isole martial et santé en disciplines distinctes)
 
voila du moins mon avis
amicalement
benoit



Bonjour Benoît,
 
"Pour la relation prof-élève, je rejoins ce qui a été dit. Je crois qu'il n'est pas forcément facile de trouver un bon technicien simultanément bon pédagogue, mais je crois qu'un autre critère peut/(doit?) aussi rentrer en ligne de compte, pouvant parfois contrebalancer tout autre choix précédent: l'"ambiance"  

Parfois observer les élèves présents depuis plusieurs années semble être assez instructif sur la mentalité, la pédagogie et le potentiel technique du club. "
 
Je dirai qu'une ambiance correcte est la conséquence d'une pédagogie juste et non un critère indépendant pouvant contrebalancer les autres. Effectivement l'attitude et le niveau d'élèves anciens permet de se faire une idée de l'efficacité d'une méthode.
 
"Une proposition de "critères décisifs": celui qui insuffle à l'élève une structuration psychomotrice et des stratégies propres à la discipline choisie et qui laisse l'élève sélectionner et approfondir peu à peu ce qui lui va à lui (et qui n'ira pas forcément au prof ou à un autre élève et inversement)??? Le risque de "devenir une copie de son prof mais en moins aguerri" est il alors grand? Dans quelle mesure? "
 
Je ne crois pas que l'élève soit en droit, comme dans un supermarché, de venir sélectionner ce qui lui convient. Il me semble plutôt qu'il doit suivre les indications de son enseignant, qui pourront être de faire quelque chose de différent ou de semblable. L'élève n'a pas, avant très longtemps si l'on considère une pratique de quelques heures hebdomadaires, la capacité de juger ce qui est bon ou pas pour lui.

"Je crois que le 'processus d'identification au professeur" est probablement une étape, mais ça me semble un thème vaste et complexe.
Car comment expliquer que "relativement souvent" un élève, même devenu expert n'enseigne pas exactement les mêmes choses que son maitre?  Outre la méthode et les orientations purement personnelles, le "talent " est il vraiment transmissible? Si oui,  jusque dans quelle mesure?  "

 
Tout dépend du but de la pratique. Si l'on cherche un loisir, l'identification au professeur est superflue. Une imitation lors de l'apprentissage est suffisante. En revanche si l'on cherche la maîtrise de l'art c'est une étape indispensable. Voici ce qu'en dit Toshiro Suga dans sa dernière interview:
"… Shu, ha et ri sont trois étapes qui sont suivis par les voies traditionnelles japonaises classiques. En simplifiant on peut dire que shu correspond à l'intégration, c'est une période où l'élève travaille dans une imitation totale de son maître. Ha est la période "destructrice". L'élève travaille dans des directions parfois opposées à celle de son maître et fais le maximum d'expériences possibles afin de s'approprier ce qu'il a reçu dans l'étape précédente. Finalement le dernier stade, ri, est l'expression véritable de l'art que l'élève, devenu maître à son tour, a développé. Il est au-delà de la dualité et ne cherche ni à imiter ni à se différencier. Il est devenu son art et l'art s'exprime spontanément à travers lui…"
 

Suga Toshiro, uke Julien Coup (photo Frédérick Carnet)


Ainsi il est naturel que l'élève, devenu maître à son tour n'enseigne pas obligatoirement, et même rarement les mêmes choses ou de la même manière que celui auprès duquel il a étudié. Attention, cela ne se mesure pas en termes d'années. Je connais très peu de personnes qui ont dépassé le premier niveau, quels que soient leurs grades. Pourtant j'en rencontre énormément qui agissent comme s'ils étaient au troisième.
Concernant le talent, il n'est bien sûr pas transmissible. En revanche la compétence l'est. Quelqu'un de talentueux arrivera simplement plus rapidement à la compétence. Mais dans le long terme ce n'est pas toujours un atout…

"Croire que l'on pourra forcément faire comme le prof ou comme les sempai les plus avancés me semble être dangereux.  Le but est-il de "devenir bon combattant" ou plutôt  de "découvrir ce pour quoi on est fait et que l'art nous permet de faire en accord avec nos capacités propres"? "

Je ne sais pas si l'on peut dire qu'il est dangereux de croire que l'on arrivera, dans le futur, à être aussi compétent que nos anciens ou notre professeur. N'est-ce pas une motivation nécessaire? Si l'investissement en temps et énergie est là n'est-ce pas là le but de la pratique?
Devenir bon combattant est une illusion tant cela est lié au contexte dans lequel on considère cela. Etre bon combattant est-ce être capable de répondre efficacement à une agression? Capable de remporter un combat sur un ring ou dans une cage? Tout cela est très lié aux buts que l'on s'est fixé, à la discipline et au professeur que l'on a choisis.
Quand à nos capacités propres nous devons pratiquer pour les développer. La conscience de nos limites est très souvent fausse et un véritable maître saura nous guider là où nous n'aurions rêvé d'aller. Je crois qu'il faut faire très attention à ne pas chercher à adapter l'art à nos besoins, mais prendre le temps de chercher la voie qui nous convient car il s'agit d'un tout. Vouloir n'en prendre qu'une partie rend généralement l'ensemble inefficient et est en outre un manque de respect envers le maître et ses prédécesseurs.

"Cela étant, avant de risquer de vouloir "tout laisser reposer sur l'enseignant" je crois qu'une relation élève professeur se fait à deux, et je n'ai donc effleuré ici que 50% des paramètres existant... ( car les écoles qui n'hésitent pas à refuser ou exclure ou sélectionner un élève me semblant de plus en plus rares)"
 
Un très bon livre parle de l'attitude dans l'enseignement traditionnel. Il s'agit de "Traditions martiales" d'Ellis Amdur que je conseille vivement.


Traditions martiales, Ellis Amdur


"Pour les "principes techniques" je crois que "simple" est très différent de "facile". Et ces principes me semblent avoir le chic pour être "simples" (parce que dans le cas contraire , je doute que l'on aurait alors pu les faire ressortir et les théoriser sous forme de "principes")"

 
Je suis d'accord avec toi, les principes s'expriment verbalement très simplement. Je répondais en fait à Eric qui évoquait des "principes assez simples d'application". Je crois que les principes techniques ne sont ni simples ni faciles à appliquer.

"Pour le reste , est -il hasardeux de découper le problème en globalement deux catégories????

(dans ce cas je pensais à):
A ) les approches cherchant à surtout ne jamais se reposer sur des capacités athlétiques, pronant dès le départ l'économie de moyens même pour les "débutants".

B ) les approches cherchant à rajouter du physique dans sa technique, (disant généralement aux élèves que l'"économie de moyens" n'est accessible qu'à l'élève avancé ... )"

 
Oui cela résume bien les deux approches les plus fréquentes.

"Cela dit, pour pouvoir dire "art martial" , ne faut-il pas toutefois garder une "clé de voute" ( d'une manière ou l'autre) : l'efficience psychomotrice? "
 
Dans la pratique à but réellement martial l'efficience en combat total, sans aucunes limitations est le but. Mais aujourd'hui quasiment personne n'enseigne cela et ce n'est pas non plus, et tant mieux, ce que recherche la plupart des gens. L'art martial désigne aujourd'hui des sports de combat et des voies martiales pratiqués en tant que loisir. Ils permettent généralement d'apprendre à mieux vivre dans son corps et si cela se fait sans être nocif cela me semble déjà énorme.

"La "préservation du corps" entrant à un moment ou l'autre dans l'équation, peut on dire que pour être qualifié de traditionnel un art doit forcément comporter, outre l'efficience psychomotrice, une partie "santé"? Ou alors cela n'est pas une règle absolue?  (parfois on isole martial et santé en disciplines distinctes)"


L'aspect santé n'était pas un élément majeur dans les écoles traditionnelles. Bien sûr la sagesse et l'empirisme ont fait que ces méthodes en s'affinant ont aussi préservé la santé mais il ne faut pas perdre de vue que l'essentiel était de survivre à des combats à mort. L'aspect longévité était alors relégué loin derrière…
 
Amicalement,
 
Léo
 

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P
Bonsoir Léo,<br />  <br /> Vaut-il mieux être un  bon pratiquant ou un bon enseignant ? Ne penses-tu pas que les deux sont liés ? C’est-à-dire que pour devenir un bon pratiquant il est nécessaire d’enseigner à partir d’un certain niveau que je qualifierai d’ ‘intermédiaire’. Ce pourrait être l’étape indispensable, l’étape HA évoquée par Toshiro Suga, permettant d’approfondir l’étude et de s’approprier ce qu’on a reçu de l’étape précédente. Continuer à pratiquer sans enseigner reviendrait simplement à renforcer les automatismes avec tous les défauts inhérents à une reproduction basée sur l’imitation, et donc rester au niveau SHU.<br /> Comme le dit le dicton, c’est en forgeant… Et donc un bon pratiquant ne deviendrait un bon professeur qu’en passant par la case « Enseignant » et en polissant sa capacité à transmettre son art au fil des ans. Enseigner oblige à repenser le pourquoi de la technique. Et la pratique des élèves étant le reflet du niveau du professeur, çà rend forcément humble...<br /> Alors peut-être pourra t’il un jour, à force de transmettre et de donner aux autres, recevoir à son tour et atteindre le dernier stade, RI. Comme tu l’as écrit : « il est devenu son art et s’exprime spontanément à travers lui… ».<br />  <br /> Pascal
Répondre
L
<br /> <br /> Bonjour Pascal,<br /> <br /> La question "Vaut-il mieux être un bon pratiquant ou un bon enseignant" n'est pas de moi ;-)<br /> J'y ai répondu ceci:<br /> "Aujourd'hui un maître de techniques martiales traditionnelles ne peut faire l'impasse sur l'un ou l'autre. Il se doit de posséder à la fois la maîtrise de ce qu'il enseigne et un charisme<br /> exceptionnel de façon à donner envie à ses élèves de faire les efforts nécessaires à le suivre.<br /> Dans le cas où l'on cherche un simple loisir, sans rien de péjoratif, alors il devient plus important que l'enseignant (qui n'a aucun besoin d'être un maître) donne envie de pratiquer. La seule<br /> limite est que ses compétences techniques soient suffisantes pour qu'il n'enseigne pas de gestes nocifs pour le corps."<br /> <br /> "Ne penses-tu pas que les deux sont liés ? C’est-à-dire que pour devenir un bon pratiquant il est nécessaire d’enseigner à partir d’un certain niveau que je qualifierai<br /> d’ ‘intermédiaire’."<br /> Tout d'abord la question portait sur les enseignants. La tienne est un peu différente. Est-ce que les deux sont liés et est-ce qu'un bon pratiquant doit passer par l'enseignement? Je dirai non,<br /> pas obligatoirement.<br /> Tout d'abord il faut bien comprendre que dans le passé très peu de pratiquants enseignaient. Aujourd'hui encore au Japon, il est impossible d'enseigner avant le 4ème dan et très peu d'enseignants<br /> ont un grade aussi bas. On peut même dire qu'il y a probablement plus de hauts gradés n'enseignant pas qu'enseignant. Par ailleurs dans les écoles traditionnelles seuls les élèves ayant atteint<br /> le plus haut niveau étaient autorisés à enseigner. Enseigner ne faisait donc pas partie de leur formation.<br /> <br /> En outre dans le passé ceux qui enseignaient le faisaient à la manière d'Osenseï ou de Takeda Sokaku. La pédagogie par objectifs et les plans de cours les auraient fait hurler de rire. Et on les<br /> comprendrait au vu des résultats… L'enseignement était surtout de la pratique, de la pratique et encore de la pratique. D'une part parce que le cerveau conscient n'est pas capable de gérer<br /> consciemment le corps dans une utilisation<br /> "supérieure", d'autre part parce que dans une situation de combat il a tendance à perdre le contrôle. L'enseignement consistait donc à pratiquer avec certaines personnes plus qu'avec d'autres et<br /> à leur donner occasionnellement quelques corrections. L'élève apprenait à apprendre, à être autonome. Pour le maître enseigner était donc plus une charge qu'autre chose.<br /> <br /> "Ce pourrait être l’étape indispensable, l’étape HA évoquée par Toshiro Suga, permettant d’approfondir l’étude et de s’approprier ce qu’on a reçu de l’étape précédente. Continuer à pratiquer<br /> sans enseigner reviendrait simplement à renforcer les automatismes avec tous les défauts inhérents à une reproduction basée sur l’imitation, et donc rester au niveau SHU. "<br /> Non je ne le crois pas. Shu, ha et ri sont des étapes d'apprentissage. Comme je le disais, dans le passé on ne pouvait enseigner qu'une fois la maîtrise atteinte. Il<br /> faut bien comprendre qu'on parle de techniques martiales à une époque où elles étaient encore nécessaires, où le risque de devoir un jour miser sa vie sur leur maîtrise était très important. Dans<br /> ce cas qui aurait voulu étudier avec quelqu'un ne maîtrisant pas son art?<br /> Aujourd'hui l'enseignement des pratiques martiales se fait avec les méthodes d'enseignement du sport! On apprend à se battre comme à jouer d'un instrument. Je suis heureux que nous vivions à une<br /> époque de sécurité "relative" bien entendu, mais il faut bien comprendre toutes les conséquences que cela a. Concrètement, au niveau martial, c'est une baisse phénoménale du niveau des<br /> enseignants, et par conséquent des pratiquants dans leur ensemble.<br /> <br /> Bien sûr enseigner nous met face aux questions des élèves et nous permet de nous poser des questions nouvelles. Cela est intéressant pour l'enseignant. Malheureusement c'est très mauvais pour<br /> celui qui apprend des techniques non maîtrisées. Et généralement celui qui enseigne finit par croire qu'il a une certaine maîtrise de son sujet…<br /> Pratiquer sans enseigner c'est chercher à polir encore et encore. Mais cela ne veut pas dire que l'on ne fait qu'imiter. Comme je le disais shu, mais aussi ha et finalement<br /> ri sont trois étapes d'apprentissage.<br /> <br /> "Comme le dit le dicton, c’est en forgeant… Et donc un bon pratiquant ne deviendrait un bon professeur qu’en passant par la case « Enseignant » et en polissant sa capacité à<br /> transmettre son art au fil des ans."<br /> C'est donc en pratiquant que l'on devient un bon pratiquant, et en enseignant que l'on devient un bon enseignant. Mais il faut déjà un bon pratiquant pour espérer faire un bon enseignant et je<br /> pense qu'il est bon de ne pas brûler les étapes. Après être devenu un bon pratiquant on commence par être un enseignant mauvais, ou moyen dans le meilleur des cas. Puis on s'améliore dans ce<br /> domaine aussi ;-)<br /> <br /> "Enseigner oblige à repenser le pourquoi de la technique."<br /> Normalement on ne commence à enseigner que lorsqu'on a déjà pensé le pourquoi de la technique. Sous toutes ses coutures.<br /> <br /> "Et la pratique des élèves étant le reflet du niveau du professeur, çà rend forcément humble..."<br /> Je ne crois pas. La pratique des élèves reflète, d'une certaine manière, le niveau de l'enseignant en tant que professeur. Pas en tant que pratiquant. J'ai rencontré des maîtres à la pratique<br /> incroyable mais qui n'avaient pas d'élèves réellement avancés. Et d'autres de niveau moindre mais qui arrivaient à amener leurs élèves très loin. Il semble par exemple que Musashi, comme de<br /> nombreux grands adeptes, n'ait pas eu d'élèves exceptionnels approchant ne serait-ce qu'un peu sa maîtrise.<br /> <br /> "Alors peut-être pourra t’il un jour, à force de transmettre et de donner aux autres, recevoir à son tour et atteindre le dernier stade, RI. Comme tu l’as écrit : « il est devenu<br /> son art et s’exprime spontanément à travers lui… ». "<br /> Comme je le disais plus haut, je crois que les stades shu, ha et ri sont dissociés de l'enseignement.<br /> <br /> Aujourd'hui la situation n'exige plus de celui qui enseigne un niveau élevé. Cela a eu pour conséquence positive que les disciplines martiales se sont développées à une échelle incroyable. Mais<br /> le malheureux corollaire est que quelqu'un qui commence son apprentissage avec un professeur dont la technique laisse encore beaucoup à désirer aura un énorme travail à faire pour corriger ses<br /> mauvaises habitudes. Un jeune shodan ou nidan enseignant progressera sans doute un peu plus vite mais en revanche il est probable qu'il freinera ceux à qui il aura enseigné…<br /> Sans attendre comme dans les temps anciens que l'on soit un maître pour enseigner, je crois que le système japonais qui exige un quatrième dan est un compromis intéressant. Mais cela restera bien<br /> sûr une utopie puisque cela laisserait le champ libre aux autres disciplines qui laissent enseigner dès le shodan…<br /> <br /> Amicalement,<br /> <br /> Léo<br /> <br /> <br /> <br /> <br />