"Budo, l'attitude des maîtres au quotidien" commentaires
"Budo, l'attitude des maîtres au quotidien" a généré plusieurs réactions intéressantes auxquelles je réponds ci-dessous.
"L'image du maître que je me fais est qu'il se comporte simplement en toute circonstance. Il ne porte pas de grande ceinture de toute les couleurs et ne se dit pas "maître". Si personne non avertie le croise dans la rue, jamais un instant cette personne pourrait savoir que c'est un maître."
hervé
La simplicité semble en effet être une qualité qui devrait naturellement être associée à la maîtrise. Et sans doute son absence range-t-elle le pratiquant dans le rang des experts bien plus que celui des maîtres.
Cela dit je pense qu'un maître est aussi quelqu'un qui vit avec ses défauts. Il travaille sur eux, en est conscient mais les accepte aussi comme partie intégrante de lui-même. Certains maîtres aiment les belles choses, certains aiment paraître, certains aiment être originaux… Tous, à ma connaissance, ont un fort égo. Mais il est généralement maîtrisé, apprivoisé, accepté.
Quand au fait de ne pas être reconnu je me souviens d'avoir vu plus d'une fois Tamura senseï traverser les vestiaires de l'Aïkikaï, invisible et sans être remarqué. Quel changement lorsqu'il pénétrait dans le dojo, emplissant l'espace de sa présence. Cela qu'il donne le cours ou qu'il vienne simplement pratiquer.
"Le maître est effectivement un homme, mais qui s'est entraîner bien plus que nous."
hervé
Ou qui est bien plus doué :D
"J'ai fais des études d'art et en peinture un maître est souvent... mort déjà, maîtrise les techniques picturales mais peut être torturé, par exemple pas forcément équilibré et serein (cf Van Gogh, Picasso..)."
virginie
Dans la pratique martiale un maître mort, mais surtout que l'on n'a pas rencontré, ne peut, à mon avis, qu'être une référence idéalisée. Si ses écrits peuvent nous éclairer, son image nous motiver, et pour les plus récents, des films de lui nous donner une idée de son travail, cela ne peut remplacer la pratique avec un maître en chair et en os.
Quand au fait de ne pas être équilibré et serein, dans l'état actuel de ma réflexion, je dirai que pour la pratique martiale c'est alors d'un expert et non d'un maître dont nous parlons. Mais il n'y a aucun mal à suivre un expert tant qu'on ne le confond pas avec un maître.
"Je partage la vision que Virginie a du Maître en général (je me faisais une réflexion similaire sur le déséquilibre que manifestent/ont manifesté beaucoup de maîtres reconnus en diverses disciplines)."
Mat.
Je crois qu'il ne faut pas confondre les domaines. Celui qu'on appelle un maître dans le domaine des arts est jugé sur son œuvre artistique tandis qu'un maître de budo est jugé sur son achèvement personnel. Et si en effet beaucoup d'artistes étaient plus ou moins déséquilibrés, il ne faut pas en faire une généralité non plus et beaucoup furent des êtres équilibrés. On ne retient souvent que les images les plus romantiques des peintres torturés et il n'est pas non plus à exclure que cette image ait, dans certains cas, aidé à leur célébrité (involontairement).
"Effectivement, Léo je trouve qu'il y a une certaine confusion dans ce que tu as écris. Si tu ne parles pas de jutsu, si tu parles de budo, alors je comprends. Effectivement dans le budo, la vocation "éducative" vient ajouter une dimension supplémentaire à la maîtrise technique, qui implique que de véritable maîtres en la matière manifestent un certain équilibre psychique."
Mat.
Même si j'ai titré le sujet "Budo…" je n'avais pas à l'esprit de séparer le do du jutsu mais d'aborder la pratique du bu dans son ensemble. Il faut d'ailleurs noter que si j'ai souvent voulu expliquer la différence car l'amalgame est source d'incompréhension, dans la pratique les maîtres japonais usent généralement des mots bujutsu et budo comme de synonymes. Comme je l'avais déjà évoqué le japonais est une langue très vague, mais dans le contexte ce dont il est question est très clair pour les protagonistes.
Le but premier du bujutsu n'est pas humaniste. En revanche on s'aperçoit que les maîtres tels que Miyamoto Musashi, Yagyu Munenori ou Iizasa Choisai entre autres, avaient probablement pour le moins atteint un équilibre et une certaine sérénité. C'est pourquoi, même si les buts diffèrent au départ, au final un bujutsuka ou un budoka ont beaucoup en commun… Pour simplifier on dira que la recherche d'efficacité martiale du bujutsuka nécessite d'atteindre un certain état spirituel tandis que la poursuite du budo en tant que méthode d'éducation physique et spirituelle amène à une efficacité martiale potentielle.
"D'un autre côté, tu justifies l'abandon du masque par ce que tu appelles une certaine "contre-productivité". Contre-productivité vis à vis de quoi ? Vis à vis de la maîtrise technique ? Vis à vis des objectifs de la voie (pour un budo) ? Vis à vis de la transmission (auquel cas le masque peut faire partie de l'étiquette) ?"
Mat.
Je pense que "jouer" au maître est contre-productif à la fois dans la poursuite de sa propre pratique aux niveaux techniques et spirituels, mais aussi dans la transmission. L'énergie que l'on met à tenir un rôle qui ne nous est pas naturel est autant d'énergie qui n'est pas employée à travailler sur l'essentiel.
Le budo doit nous apprendre à être, non à paraître.
Quand à la transmission l'étiquette est une chose sur laquelle il ne faut pas, à mon sens, transiger. Mais cela n'implique aucunement de ne pas être soi-même. Actuellement le souci est que l'image d'Epinal que les pratiquants ont d'un maître est un mélange de Yoda, Miyagi et du maître de Kwaï Chang Caine dans Kung-fu. Il est vieux, impassible et quelque part très inspiré de… maître Ueshiba ;-)
"La vocation première des Maitres d'AM (avec un petit ou un grand M ?) n'est pas d'être des guides spirituels, toutefois cela soulève une question relative au "do" qui se veut différent du jutsu."
Eric
Sur la différence entre le do et le jutsu j'ai déjà abordé le sujet plus haut. Concernant le fait d'être un guide je dirai qu'un maître l'est indirectement, par sa manière d'être. Il enseigne par l'exemple, simplement en étant. Mais il est rare qu'il aborde l'éducation spirituelle autrement que par la pratique de son art.
"Je partirai aujourd'hui de l'idée que le maître est une référence technique et l'exemple d'un être humain équilibré et réalisé. En ce sens il va plus loin qu'un expert technique mais ne doit pas pour autant être confondu avec un guide spirituel. S'il en fait office dans certains cas je considère qu'il s'agit d'un rôle supplémentaire qui va au-delà de ce que l'on est en droit d'attendre d'un maître d'arts martiaux."
Cela dit ce n'est pas impossible et c'est sans doute souhaitable que cela évolue aujourd'hui où la perte de repères est un véritable problème de fond. Mais c'est un autre sujet.
"Brièvement le do est une voie d'accomplissement de l'être (donc dans sa totalité) là où le jutsu n'est qu'un art (si j'ose m'exprimer ainsi) avec pour fin en soi la technique, aussi génial et efficace soit-elle avec les indéniables qualités mentales, psycho-physiques qu'il apporte."
Eric
Sujet abordé plus haut.
"Comment différencier nettement un do d'un jutsu si ce n'est par l'aspect spirituel que le "do" prétend apporter, et ce non pas uniquement sur un plan de l'évolution de la technique à travers l'histoire."
Eric
Le do ne prétend rien. Quand à l'évolution technique à travers l'histoire, le do est surtout synonyme d'une simplification (appauvrissement du point de vue du bujutsu), les techniques devenant un support dont l'application pratique n'est plus un but.
Encore une fois si j'ai souvent voulu préciser les différences qui pouvaient exister, ce qui est partagé est souvent plus important que ce qui différencie.
Si on compare l'enseignement technique, les différences sont flagrantes. Et c'est la modification de ces techniques qui fait que les budo permettent de transmettre par la pratique des valeurs morales. Alors que de nombreux katas de bujutsu sont des situations où l'on attaque par surprise des visiteurs ou des messagers, les budo sont généralement basés sur l'idée de ne pas attaquer le premier comme le démontre l'un des préceptes du Karaté, "Karate ni sente nashi" ("il n'y a pas d'attaque en Karaté"). Attention toutefois à ne pas prendre cela non plus de façon trop littérale (j'aborderai ce sujet dans un post ultérieur).
Le développement de l'esprit est présent dans les pratiques du budo et du bujutsu. Si l'on veut absolument les différencier sur ce point je dirai que cela tient au concept de morale. Luxe que l'on peut se permettre en temps de paix…
D'ailleurs il faut noter qu'implicitement la quasi-totalité des ryu a adopté un état d'esprit très proche de celui du budo. Leur pratique n'ayant plus d'utilité pratique, les principales motivations de leurs adeptes sont les mêmes que celle des budoka, le développement du corps et de l'esprit. Simplement ils font cela en préservant les formes techniques d'écoles traditionnelles telles que le Katori shinto ryu.
"Qu'est-ce qui peut amener un (M)aitre à changer son art (jutsu) en voie (do) ?"
Eric
C'est encore une vision dualiste des choses tant pour beaucoup les deux se confondent. Voilà toutefois quelques éléments de réponse.
Kano Jigoro a voulu transformer les techniques de combat du Jujutsu en méthode d'éducation. Il n'était plus nécessaire d'être destructeur et il était au contraire important qu'une telle pratique soit sans danger pour ses adeptes. C'est la raison pour laquelle il a modifié, supprimé, ajouté, certains éléments.
L'art qu'il avait créé étant bien moins dangereux que ceux qu'il avait étudiés, petit à petit les critères d'admission dans son école se sont assouplis. En comparaison ils restèrent très stricts dans le dojo de Ueshiba jusqu'après-guerre.
Le Karaté a suivi une évolution similaire au Judo. Quand il est devenu une méthode d'éducation pratiqué dans les écoles, les techniques ont été modifiées par Itosu Anko. La main ouverte étant notamment transformé en poing fermé. Ainsi on voit que les transformations techniques sont liées en premier lieu à la volonté de sécuriser la pratique, mais aussi à celle de ne pas mettre entre les mains d' "inconnus" des techniques trop destructrices.
Maintenant un art qui n'a pas subi ces transformations techniques ne peut-il revendiquer d'être un budo? Cela est moins évident mais cela me semble possible.
"N'est-ce pas tout simplement lié à une évolution de la société, ou de l'humanité ?"
Eric
Si, bien entendu. Les budo sont d'ailleurs une pratique bien plus adaptée à notre époque. Cela dit comme je le disais dans l'interview de Dragon "Les voies martiales sont pour moi une méthode d'éducation du cœur, du corps et de l'esprit. Pour beaucoup le budo est une pratique issue des bujutsu mais qui s'en est éloigné dans la pratique. Mais à mon sens le budo doit être plus que le bujutsu dans le sens où il devrait intégrer celui-ci tout en y ajoutant une composante éthique. Je comprends que pour certains l'aspect martial ne soit pas important dans la quête de développement personnel qu'ils ont entreprise. Mais pourquoi alors s'embarrasser d'un décorum martial superflu? Il existe beaucoup de méthodes de développement comme le Yoga qui ne font pas référence au monde martial et qui sont autant sinon plus efficaces. J'ai choisi la pratique martiale parce que c'est un univers que j'aime. Pour moi il est important de garder la cohérence martiale si nous désirons atteindre les résultats que nous cherchons par cette voie. Le budo que j'essaie d'enseigner contient donc l'aspect martial issu du bujutsu, mais il est important et nécessaire d'y ajouter une dimension éthique."
La pratique de l'Aïkido me semble permettre cela.
Certes j'en conviens les arts martiaux ne sont pas la voie idéale, la plus direct pour l'élévation de soi, il y a effectivement des voies beaucoup plus directs et sûres, mais cela n'enlève pas le problème de la signification du "do"
Eric
Je ne serai pas aussi catégorique sur le fait que d'autres voies soient plus sûres et directes. C'est toutefois possible comme je le mentionnais avec le Yoga. Cela dit, la meilleure voie n'est-elle pas celle qui nous correspond? Par ailleurs ne sachant pas à quoi peut ressembler le but avant de l'avoir atteint, comment pouvons nous être sûrs du meilleur chemin?
La signification du do est une question qui pourrait être débattue sans fin et il existe de nombreux écrits, notamment chinois, qui abordent ce point. Sur cela comme sur beaucoup d'autres sujets ma réflexion est encore en cours et je n'ai aucunes certitudes. Comme sur la nature de Dieu, à chacun de trouver sa réponse…
Kono senseï, un maître au quotidien...
"L'image du maître que je me fais est qu'il se comporte simplement en toute circonstance. Il ne porte pas de grande ceinture de toute les couleurs et ne se dit pas "maître". Si personne non avertie le croise dans la rue, jamais un instant cette personne pourrait savoir que c'est un maître."
hervé
Hino Akira, peut-on reconnaître un maître en le croisant dans la rue ;-)
La simplicité semble en effet être une qualité qui devrait naturellement être associée à la maîtrise. Et sans doute son absence range-t-elle le pratiquant dans le rang des experts bien plus que celui des maîtres.
Cela dit je pense qu'un maître est aussi quelqu'un qui vit avec ses défauts. Il travaille sur eux, en est conscient mais les accepte aussi comme partie intégrante de lui-même. Certains maîtres aiment les belles choses, certains aiment paraître, certains aiment être originaux… Tous, à ma connaissance, ont un fort égo. Mais il est généralement maîtrisé, apprivoisé, accepté.
Kono Yoshinori, un maître original
Quand au fait de ne pas être reconnu je me souviens d'avoir vu plus d'une fois Tamura senseï traverser les vestiaires de l'Aïkikaï, invisible et sans être remarqué. Quel changement lorsqu'il pénétrait dans le dojo, emplissant l'espace de sa présence. Cela qu'il donne le cours ou qu'il vienne simplement pratiquer.
"Le maître est effectivement un homme, mais qui s'est entraîner bien plus que nous."
hervé
Ou qui est bien plus doué :D
"J'ai fais des études d'art et en peinture un maître est souvent... mort déjà, maîtrise les techniques picturales mais peut être torturé, par exemple pas forcément équilibré et serein (cf Van Gogh, Picasso..)."
virginie
Dans la pratique martiale un maître mort, mais surtout que l'on n'a pas rencontré, ne peut, à mon avis, qu'être une référence idéalisée. Si ses écrits peuvent nous éclairer, son image nous motiver, et pour les plus récents, des films de lui nous donner une idée de son travail, cela ne peut remplacer la pratique avec un maître en chair et en os.
Quand au fait de ne pas être équilibré et serein, dans l'état actuel de ma réflexion, je dirai que pour la pratique martiale c'est alors d'un expert et non d'un maître dont nous parlons. Mais il n'y a aucun mal à suivre un expert tant qu'on ne le confond pas avec un maître.
Ueshiba Moriheï, une référence idéalisée
"Je partage la vision que Virginie a du Maître en général (je me faisais une réflexion similaire sur le déséquilibre que manifestent/ont manifesté beaucoup de maîtres reconnus en diverses disciplines)."
Mat.
Je crois qu'il ne faut pas confondre les domaines. Celui qu'on appelle un maître dans le domaine des arts est jugé sur son œuvre artistique tandis qu'un maître de budo est jugé sur son achèvement personnel. Et si en effet beaucoup d'artistes étaient plus ou moins déséquilibrés, il ne faut pas en faire une généralité non plus et beaucoup furent des êtres équilibrés. On ne retient souvent que les images les plus romantiques des peintres torturés et il n'est pas non plus à exclure que cette image ait, dans certains cas, aidé à leur célébrité (involontairement).
"Effectivement, Léo je trouve qu'il y a une certaine confusion dans ce que tu as écris. Si tu ne parles pas de jutsu, si tu parles de budo, alors je comprends. Effectivement dans le budo, la vocation "éducative" vient ajouter une dimension supplémentaire à la maîtrise technique, qui implique que de véritable maîtres en la matière manifestent un certain équilibre psychique."
Mat.
Même si j'ai titré le sujet "Budo…" je n'avais pas à l'esprit de séparer le do du jutsu mais d'aborder la pratique du bu dans son ensemble. Il faut d'ailleurs noter que si j'ai souvent voulu expliquer la différence car l'amalgame est source d'incompréhension, dans la pratique les maîtres japonais usent généralement des mots bujutsu et budo comme de synonymes. Comme je l'avais déjà évoqué le japonais est une langue très vague, mais dans le contexte ce dont il est question est très clair pour les protagonistes.
Le but premier du bujutsu n'est pas humaniste. En revanche on s'aperçoit que les maîtres tels que Miyamoto Musashi, Yagyu Munenori ou Iizasa Choisai entre autres, avaient probablement pour le moins atteint un équilibre et une certaine sérénité. C'est pourquoi, même si les buts diffèrent au départ, au final un bujutsuka ou un budoka ont beaucoup en commun… Pour simplifier on dira que la recherche d'efficacité martiale du bujutsuka nécessite d'atteindre un certain état spirituel tandis que la poursuite du budo en tant que méthode d'éducation physique et spirituelle amène à une efficacité martiale potentielle.
Miyamoto Musashi
"D'un autre côté, tu justifies l'abandon du masque par ce que tu appelles une certaine "contre-productivité". Contre-productivité vis à vis de quoi ? Vis à vis de la maîtrise technique ? Vis à vis des objectifs de la voie (pour un budo) ? Vis à vis de la transmission (auquel cas le masque peut faire partie de l'étiquette) ?"
Mat.
Je pense que "jouer" au maître est contre-productif à la fois dans la poursuite de sa propre pratique aux niveaux techniques et spirituels, mais aussi dans la transmission. L'énergie que l'on met à tenir un rôle qui ne nous est pas naturel est autant d'énergie qui n'est pas employée à travailler sur l'essentiel.
Le budo doit nous apprendre à être, non à paraître.
Quand à la transmission l'étiquette est une chose sur laquelle il ne faut pas, à mon sens, transiger. Mais cela n'implique aucunement de ne pas être soi-même. Actuellement le souci est que l'image d'Epinal que les pratiquants ont d'un maître est un mélange de Yoda, Miyagi et du maître de Kwaï Chang Caine dans Kung-fu. Il est vieux, impassible et quelque part très inspiré de… maître Ueshiba ;-)
Osenseï, l'image du maître la plus marquante
"La vocation première des Maitres d'AM (avec un petit ou un grand M ?) n'est pas d'être des guides spirituels, toutefois cela soulève une question relative au "do" qui se veut différent du jutsu."
Eric
Sur la différence entre le do et le jutsu j'ai déjà abordé le sujet plus haut. Concernant le fait d'être un guide je dirai qu'un maître l'est indirectement, par sa manière d'être. Il enseigne par l'exemple, simplement en étant. Mais il est rare qu'il aborde l'éducation spirituelle autrement que par la pratique de son art.
"Je partirai aujourd'hui de l'idée que le maître est une référence technique et l'exemple d'un être humain équilibré et réalisé. En ce sens il va plus loin qu'un expert technique mais ne doit pas pour autant être confondu avec un guide spirituel. S'il en fait office dans certains cas je considère qu'il s'agit d'un rôle supplémentaire qui va au-delà de ce que l'on est en droit d'attendre d'un maître d'arts martiaux."
Cela dit ce n'est pas impossible et c'est sans doute souhaitable que cela évolue aujourd'hui où la perte de repères est un véritable problème de fond. Mais c'est un autre sujet.
"Brièvement le do est une voie d'accomplissement de l'être (donc dans sa totalité) là où le jutsu n'est qu'un art (si j'ose m'exprimer ainsi) avec pour fin en soi la technique, aussi génial et efficace soit-elle avec les indéniables qualités mentales, psycho-physiques qu'il apporte."
Eric
Sujet abordé plus haut.
"Comment différencier nettement un do d'un jutsu si ce n'est par l'aspect spirituel que le "do" prétend apporter, et ce non pas uniquement sur un plan de l'évolution de la technique à travers l'histoire."
Eric
Le do ne prétend rien. Quand à l'évolution technique à travers l'histoire, le do est surtout synonyme d'une simplification (appauvrissement du point de vue du bujutsu), les techniques devenant un support dont l'application pratique n'est plus un but.
Encore une fois si j'ai souvent voulu préciser les différences qui pouvaient exister, ce qui est partagé est souvent plus important que ce qui différencie.
Si on compare l'enseignement technique, les différences sont flagrantes. Et c'est la modification de ces techniques qui fait que les budo permettent de transmettre par la pratique des valeurs morales. Alors que de nombreux katas de bujutsu sont des situations où l'on attaque par surprise des visiteurs ou des messagers, les budo sont généralement basés sur l'idée de ne pas attaquer le premier comme le démontre l'un des préceptes du Karaté, "Karate ni sente nashi" ("il n'y a pas d'attaque en Karaté"). Attention toutefois à ne pas prendre cela non plus de façon trop littérale (j'aborderai ce sujet dans un post ultérieur).
Le développement de l'esprit est présent dans les pratiques du budo et du bujutsu. Si l'on veut absolument les différencier sur ce point je dirai que cela tient au concept de morale. Luxe que l'on peut se permettre en temps de paix…
D'ailleurs il faut noter qu'implicitement la quasi-totalité des ryu a adopté un état d'esprit très proche de celui du budo. Leur pratique n'ayant plus d'utilité pratique, les principales motivations de leurs adeptes sont les mêmes que celle des budoka, le développement du corps et de l'esprit. Simplement ils font cela en préservant les formes techniques d'écoles traditionnelles telles que le Katori shinto ryu.
Kanazawa Hirokazu, Karate ni sente nashi
"Qu'est-ce qui peut amener un (M)aitre à changer son art (jutsu) en voie (do) ?"
Eric
C'est encore une vision dualiste des choses tant pour beaucoup les deux se confondent. Voilà toutefois quelques éléments de réponse.
Kano Jigoro a voulu transformer les techniques de combat du Jujutsu en méthode d'éducation. Il n'était plus nécessaire d'être destructeur et il était au contraire important qu'une telle pratique soit sans danger pour ses adeptes. C'est la raison pour laquelle il a modifié, supprimé, ajouté, certains éléments.
L'art qu'il avait créé étant bien moins dangereux que ceux qu'il avait étudiés, petit à petit les critères d'admission dans son école se sont assouplis. En comparaison ils restèrent très stricts dans le dojo de Ueshiba jusqu'après-guerre.
Le Karaté a suivi une évolution similaire au Judo. Quand il est devenu une méthode d'éducation pratiqué dans les écoles, les techniques ont été modifiées par Itosu Anko. La main ouverte étant notamment transformé en poing fermé. Ainsi on voit que les transformations techniques sont liées en premier lieu à la volonté de sécuriser la pratique, mais aussi à celle de ne pas mettre entre les mains d' "inconnus" des techniques trop destructrices.
Maintenant un art qui n'a pas subi ces transformations techniques ne peut-il revendiquer d'être un budo? Cela est moins évident mais cela me semble possible.
"N'est-ce pas tout simplement lié à une évolution de la société, ou de l'humanité ?"
Eric
Si, bien entendu. Les budo sont d'ailleurs une pratique bien plus adaptée à notre époque. Cela dit comme je le disais dans l'interview de Dragon "Les voies martiales sont pour moi une méthode d'éducation du cœur, du corps et de l'esprit. Pour beaucoup le budo est une pratique issue des bujutsu mais qui s'en est éloigné dans la pratique. Mais à mon sens le budo doit être plus que le bujutsu dans le sens où il devrait intégrer celui-ci tout en y ajoutant une composante éthique. Je comprends que pour certains l'aspect martial ne soit pas important dans la quête de développement personnel qu'ils ont entreprise. Mais pourquoi alors s'embarrasser d'un décorum martial superflu? Il existe beaucoup de méthodes de développement comme le Yoga qui ne font pas référence au monde martial et qui sont autant sinon plus efficaces. J'ai choisi la pratique martiale parce que c'est un univers que j'aime. Pour moi il est important de garder la cohérence martiale si nous désirons atteindre les résultats que nous cherchons par cette voie. Le budo que j'essaie d'enseigner contient donc l'aspect martial issu du bujutsu, mais il est important et nécessaire d'y ajouter une dimension éthique."
La pratique de l'Aïkido me semble permettre cela.
Certes j'en conviens les arts martiaux ne sont pas la voie idéale, la plus direct pour l'élévation de soi, il y a effectivement des voies beaucoup plus directs et sûres, mais cela n'enlève pas le problème de la signification du "do"
Eric
Je ne serai pas aussi catégorique sur le fait que d'autres voies soient plus sûres et directes. C'est toutefois possible comme je le mentionnais avec le Yoga. Cela dit, la meilleure voie n'est-elle pas celle qui nous correspond? Par ailleurs ne sachant pas à quoi peut ressembler le but avant de l'avoir atteint, comment pouvons nous être sûrs du meilleur chemin?
La signification du do est une question qui pourrait être débattue sans fin et il existe de nombreux écrits, notamment chinois, qui abordent ce point. Sur cela comme sur beaucoup d'autres sujets ma réflexion est encore en cours et je n'ai aucunes certitudes. Comme sur la nature de Dieu, à chacun de trouver sa réponse…
A chacun de trouver sa réponse...
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