Entretien avec Hino senseï (3): le combat dans les Budos / Bujutsus
Est-il important de combattre dans la pratique des Budo/Bujutsu?
C'est un problème très délicat. Le combat dans l'entraînement régulier transforme la pratique en Kakutogi. On ne peut faire de combat d'entraînement avec un véritable sabre, cela deviendrait koroshiaï, on s'entretuerait.
Une des principales difficultés des Budos/Bujutsus est d'intégrer la sensation du combat dans sa pratique sans y avoir recours… (rires) Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé.
A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose.
L'Aïkido est-il efficace?
Peu de sujets soulèvent autant d'encre dans le monde de la pratique martiale, particulièrement en Aïkido, que son efficacité, la place du combat et le sens de sa pratique.
Un des premiers problèmes auquel on est confronté lorsque l'on aborde un tel sujet, est la multiplicité des interprétations de l'Aïkido. On peut alors à juste titre, et sans que cela remette en cause les évolutions qui ont pu être apportées à la discipline par les différents maîtres, être tenté de se référer à la pratique et la philosophie du fondateur de la discipline. On se heurte alors au fait que ses écrits sont rares, qu'il est possible qu'ils ne reflètent que sa conception à l'instant où il les a produits, conception qui aurait pu évoluer par la suite, et que le japonais écrit et parlé laisse place à de nombreuses interprétations…
L'Aïkido sera efficace en combat s'il est pratiqué pour cela. Comme Voie de réalisation si cela est son propos. Etc… L'Aïkido est efficace dans un contexte donné s'il est pratiqué dans ce but.
Mon sentiment est que l'Aïkido est une Voie de développement personnel physique et spirituel qui a pour support des techniques martiales dont l'efficacité en combat était indubitable. Son développement a fait que cela n'est plus toujours le cas aujourd'hui, volontairement ou pas.
Le combat dans les traditions martiales
Les Budos/Bujutsus font indéniablement partie des méthodes de combat les plus sophistiquées qui ont été développées. Accéder à leur richesse nécessite une pratique longue et régulière. Leur étude s'appuie principalement sur la pratique répétée de formes, katas, et occasionnellement, dans certaines écoles, de combats.
Il est intéressant de noter que la pratique régulière du combat ne s'est développée qu'assez récemment. Son plus grand essor a eu lieu lorsque la pratique n'avait plus d'applications "réelles" à l'époque Meïji.
"Le combat dans l'entraînement régulier transforme la pratique en Kakutogi"
Il est difficile de dire simplement que la pratique régulière du combat est mauvaise. Toutefois il est clair que sa pratique sans recul et trop tôt amène des modifications qui, à terme, transforment totalement la pratique. L'exemple du Judo est probablement le plus frappant sur ce point.
Je cite Hino senseï sur la nature des Kakutogis:
"Les Kakutogis quand à eux sont des sports. Ce sont des affrontements régis par des règles dont le but est bien évidemment de gagner. C'est le monde du kachi/make (la victoire et la défaite). Les Kakutogis sont le monde du désir. C'est une activité que l'on fait pour soi. On veut devenir fort. On veut gagner les bagarres. Ils renforcent l'égo des vainqueurs."
Et la différence de nature entre les pratiques des Kakutogis et des Budos/Bujutsus:
"Oui, elles sont différentes. Les Kakutogis se pratiquent dans un cadre réglementé. Il y a des fautes, des pénalités, dans un cadre prédéfini. Les Budos/Bujutsus servent à protéger la vie dans le monde "réel". Tout y est donc permis.
En Judo quand on a réussi à projeter son adversaire on marque Ippon et c'est terminé. Mais cela ne se termine pas là dans le Bujutsu. Dans la "réalité" si on n'est pas tué on peut s'enfuir, réattaquer…"
Personnellement je considère que la pratique du combat ne devrait pas être abordée avant d'avoir acquis de solides fondations. A un rythme de pratique de deux ou trois cours par semaine cela nécessite de nombreuses années. Ce n'est qu'alors, une fois les bases ancrées dans le corps, que le combat pourra permettre de mesurer sa technique et de développer sa pratique martiale. Pour ceux que cela intéresse.
"On ne peut faire de combat d'entraînement avec un véritable sabre, cela deviendrait koroshiaï, on s'entretuerait"
La pratique régulière du combat pose le problème des limites de ses règles. Doit-on clairement encadrer ce type de travail, au risque de lui faire perdre son intérêt, ou doit-on le pratiquer sans règles, au risque de se blesser gravement.
Hino senseï avait développé la pratique de combats sans règles dans son Dojo d'Osaka. Le fondateur du Taïkiken, Sawaï Kenichi combattait et faisait combattre ses élèves sans règles. Au début du Kyokushinkaï chez Oyama senseï les combats étaient aussi pratiqués sans règles comme me l'expliqua Royama senseï qui a remis cette pratique au goût du jour dans son Dojo.
S'il est évident que ce type de travail doit être exclusivement réservé à des pratiquants intéressés par cet aspect et ayant déjà un solide niveau, je pense qu'il s'agit du plus efficace en terme d'étude. En revanche je ne pense pas qu'il doive être effectué trop souvent.
Il est intéressant de noter que pour parler de véritable combat Hino senseï ait parlé de sabre, bien que sa formation de base ait été faite dans des disciplines de combat à mains nues. Les disciplines martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre. Lorsqu'ils parlent de véritable combat les maîtres utilisent d'ailleurs l'expression Shinken shobu, duel à sabres réels.
Une des principales difficultés des Budo/Bujutsu est d'intégrer la sensation du combat dans sa pratique sans y avoir recours… (rires) Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé.
A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose.
Malheureusement aujourd'hui la pratique a souvent perdu son sens. De même que le Judo est souvent pratiqué comme une lutte, le Karaté est souvent pratiqué comme une Boxe et y perd sa richesse. La Boxe est une discipline extrêmement dure et subtile. En faire une mauvaise imitation ne mène pas loin.
L'Aïkido n'échappe pas aux développements… Quelle que soit la richesse de leur travail, la pratique de certains maîtres s'écarte de toute cohérence martiale. Si je suis absolument loin d'être réfractaire à l'expression personnelle et/ou au développement de la discipline, le manque de logique martiale pose le problème de sa classification. On quitte le domaine des voies de développement fondées sur les pratiques martiales pour rentrer dans des voies de développement telles que le Yoga.
Les pratiques martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre. Cela implique de ne pas considérer que les deux protagonistes sont à mains nues, mais qu'il est possible que l'un ou les deux soient armés. Et cela change tout. Il m'est arrivé plusieurs fois de démontrer certaines techniques avec une lame de rasoir à la main. Les réactions de mes partenaires étaient très différentes. C'est pourtant le sens de tegatana (main sabre) et il conviendrait de garder cela à l'esprit à chaque instant de la pratique. Comme le dit Hino senseï, "Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé. A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose."
Hino senseï donnera un stage du 8 au 16 novembre à Paris et fera une démonstration exceptionnelle à la Nuit des Arts martiaux Traditionnels 09 (NAMT09).
Note: Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écrits de mémoire. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
C'est un problème très délicat. Le combat dans l'entraînement régulier transforme la pratique en Kakutogi. On ne peut faire de combat d'entraînement avec un véritable sabre, cela deviendrait koroshiaï, on s'entretuerait.
Une des principales difficultés des Budos/Bujutsus est d'intégrer la sensation du combat dans sa pratique sans y avoir recours… (rires) Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé.
A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose.
Hino senseï en action (photo Jean-Baptiste Rosello)
L'Aïkido est-il efficace?
Peu de sujets soulèvent autant d'encre dans le monde de la pratique martiale, particulièrement en Aïkido, que son efficacité, la place du combat et le sens de sa pratique.
Un des premiers problèmes auquel on est confronté lorsque l'on aborde un tel sujet, est la multiplicité des interprétations de l'Aïkido. On peut alors à juste titre, et sans que cela remette en cause les évolutions qui ont pu être apportées à la discipline par les différents maîtres, être tenté de se référer à la pratique et la philosophie du fondateur de la discipline. On se heurte alors au fait que ses écrits sont rares, qu'il est possible qu'ils ne reflètent que sa conception à l'instant où il les a produits, conception qui aurait pu évoluer par la suite, et que le japonais écrit et parlé laisse place à de nombreuses interprétations…
L'Aïkido sera efficace en combat s'il est pratiqué pour cela. Comme Voie de réalisation si cela est son propos. Etc… L'Aïkido est efficace dans un contexte donné s'il est pratiqué dans ce but.
Mon sentiment est que l'Aïkido est une Voie de développement personnel physique et spirituel qui a pour support des techniques martiales dont l'efficacité en combat était indubitable. Son développement a fait que cela n'est plus toujours le cas aujourd'hui, volontairement ou pas.
Le combat dans les traditions martiales
Les Budos/Bujutsus font indéniablement partie des méthodes de combat les plus sophistiquées qui ont été développées. Accéder à leur richesse nécessite une pratique longue et régulière. Leur étude s'appuie principalement sur la pratique répétée de formes, katas, et occasionnellement, dans certaines écoles, de combats.
Il est intéressant de noter que la pratique régulière du combat ne s'est développée qu'assez récemment. Son plus grand essor a eu lieu lorsque la pratique n'avait plus d'applications "réelles" à l'époque Meïji.
Kuroda Testsuzan à la NAMT07 (photo Pierre Sivisay)
"Le combat dans l'entraînement régulier transforme la pratique en Kakutogi"
Il est difficile de dire simplement que la pratique régulière du combat est mauvaise. Toutefois il est clair que sa pratique sans recul et trop tôt amène des modifications qui, à terme, transforment totalement la pratique. L'exemple du Judo est probablement le plus frappant sur ce point.
Je cite Hino senseï sur la nature des Kakutogis:
"Les Kakutogis quand à eux sont des sports. Ce sont des affrontements régis par des règles dont le but est bien évidemment de gagner. C'est le monde du kachi/make (la victoire et la défaite). Les Kakutogis sont le monde du désir. C'est une activité que l'on fait pour soi. On veut devenir fort. On veut gagner les bagarres. Ils renforcent l'égo des vainqueurs."
Et la différence de nature entre les pratiques des Kakutogis et des Budos/Bujutsus:
"Oui, elles sont différentes. Les Kakutogis se pratiquent dans un cadre réglementé. Il y a des fautes, des pénalités, dans un cadre prédéfini. Les Budos/Bujutsus servent à protéger la vie dans le monde "réel". Tout y est donc permis.
En Judo quand on a réussi à projeter son adversaire on marque Ippon et c'est terminé. Mais cela ne se termine pas là dans le Bujutsu. Dans la "réalité" si on n'est pas tué on peut s'enfuir, réattaquer…"
Personnellement je considère que la pratique du combat ne devrait pas être abordée avant d'avoir acquis de solides fondations. A un rythme de pratique de deux ou trois cours par semaine cela nécessite de nombreuses années. Ce n'est qu'alors, une fois les bases ancrées dans le corps, que le combat pourra permettre de mesurer sa technique et de développer sa pratique martiale. Pour ceux que cela intéresse.
Avec Isseï (photo Sébastien Chaventon)
"On ne peut faire de combat d'entraînement avec un véritable sabre, cela deviendrait koroshiaï, on s'entretuerait"
La pratique régulière du combat pose le problème des limites de ses règles. Doit-on clairement encadrer ce type de travail, au risque de lui faire perdre son intérêt, ou doit-on le pratiquer sans règles, au risque de se blesser gravement.
Hino senseï avait développé la pratique de combats sans règles dans son Dojo d'Osaka. Le fondateur du Taïkiken, Sawaï Kenichi combattait et faisait combattre ses élèves sans règles. Au début du Kyokushinkaï chez Oyama senseï les combats étaient aussi pratiqués sans règles comme me l'expliqua Royama senseï qui a remis cette pratique au goût du jour dans son Dojo.
S'il est évident que ce type de travail doit être exclusivement réservé à des pratiquants intéressés par cet aspect et ayant déjà un solide niveau, je pense qu'il s'agit du plus efficace en terme d'étude. En revanche je ne pense pas qu'il doive être effectué trop souvent.
Il est intéressant de noter que pour parler de véritable combat Hino senseï ait parlé de sabre, bien que sa formation de base ait été faite dans des disciplines de combat à mains nues. Les disciplines martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre. Lorsqu'ils parlent de véritable combat les maîtres utilisent d'ailleurs l'expression Shinken shobu, duel à sabres réels.
Ueshiba Moriheï
Les pratiques martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre
Les pratiques martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre
Une des principales difficultés des Budo/Bujutsu est d'intégrer la sensation du combat dans sa pratique sans y avoir recours… (rires) Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé.
A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose.
Malheureusement aujourd'hui la pratique a souvent perdu son sens. De même que le Judo est souvent pratiqué comme une lutte, le Karaté est souvent pratiqué comme une Boxe et y perd sa richesse. La Boxe est une discipline extrêmement dure et subtile. En faire une mauvaise imitation ne mène pas loin.
L'Aïkido n'échappe pas aux développements… Quelle que soit la richesse de leur travail, la pratique de certains maîtres s'écarte de toute cohérence martiale. Si je suis absolument loin d'être réfractaire à l'expression personnelle et/ou au développement de la discipline, le manque de logique martiale pose le problème de sa classification. On quitte le domaine des voies de développement fondées sur les pratiques martiales pour rentrer dans des voies de développement telles que le Yoga.
Hino Akira (photo Jean-Baptiste Rosello)
Les pratiques martiales japonaises sont sous-tendues par l'esprit du sabre. Cela implique de ne pas considérer que les deux protagonistes sont à mains nues, mais qu'il est possible que l'un ou les deux soient armés. Et cela change tout. Il m'est arrivé plusieurs fois de démontrer certaines techniques avec une lame de rasoir à la main. Les réactions de mes partenaires étaient très différentes. C'est pourtant le sens de tegatana (main sabre) et il conviendrait de garder cela à l'esprit à chaque instant de la pratique. Comme le dit Hino senseï, "Il faut pouvoir comprendre et sentir que l'on aurait été coupé. A ceux qui ne le peuvent pas la pratique des Budo ne peut apporter grand-chose."
Hino senseï donnera un stage du 8 au 16 novembre à Paris et fera une démonstration exceptionnelle à la Nuit des Arts martiaux Traditionnels 09 (NAMT09).
Note: Je n'ai pas enregistré ces entretiens et les écrits de mémoire. Il est donc possible que des erreurs se soient glissées dans ces retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes erreurs. Je prie toutefois les lecteurs de ne prendre cela que comme une conversation rapportée qui pourrait nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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