Entretien avec Shimizu senseï (6): l'enseignement de l'Aïkido
Osenseï enseignait-il en expliquant des détails techniques?
Il ne rentrait jamais dans les détails. Je me suis souvent fait rabrouer mais sans que pour autant il explique en détails. (rires) C'est nous qui devions faire le chemin et étudier.
J'agis de même avec mon fils. Je ne lui enseigne pas en expliquant des détails. Il apprend en chutant comme l'ont fait mes autres uchi-deshis et comme je l'ai fait moi-même. C'est en recevant la technique que le corps l'intègre.
Considérez-vous que ce soit la meilleure façon d'enseigner?
Il n'est pas possible de donner une réponse définitive à cette question mais personnellement j'admire l'enseignement traditionnel. On n'enseigne pas de 1 à 10 mais deux ou trois choses qui donneront l'étincelle et permettront de découvrir le reste et de développer à partir de là.
Kenta et moi sommes père et fils et pourtant nous ne sommes pas identiques. Nous avons chacun notre façon de penser, des corps différents. Evidemment si j'essayais de transmettre en lui faisant faire exactement ce que je fais, une grande partie serait réalisable. Mais il en resterait une partie non négligeable qu'il ne pourrait faire à ma façon. Il a sa propre individualité comme chacun de mes élèves.
Chaque personne a sa manière d'intégrer les choses. Si on prend cela en compte je crois qu'apprendre en chutant développe la compréhension par le ressenti et permet par la suite de développer sa propre pratique.
J'attends toujours que les élèves étudient d'eux-mêmes.
L'Aïkido est donc un Budo que l'on étudie en chutant?
C'est ainsi qu'Osenseï me l'a enseigné et c'est ainsi que je le transmets. Quel que soit l'endroit et le public auquel j'enseigne.
J'enseigne en exécutant la technique. Je crois qu'apprendre avec le corps est la plus rapide des méthodes d'apprentissage. Bien entendu cela ne signifie pas que les théories qui sous-tendent la pratique n'existent pas. Simplement c'est le corps qui doit les comprendre. Je crois que c'est important que ce soit le corps qui reçoive l'enseignement.
Pensez-vous qu'il faut pratiquer pour comprendre la théorie ou comprendre la théorie pour pratiquer?
Avant tout il faut arriver l'esprit vide, être comme une feuille blanche, apprendre avec le corps. C'est après que l'on peut réfléchir et étudier la théorie.
Si l'on commence la pratique par la théorie on attrape vite la grosse tête tandis que la main droite et la main gauche ne savent pas bouger correctement! (rires) C'est pourquoi je crois qu'il est plus simple de commencer par apprendre avec le corps. C'est pour moi le véritable apprentissage dans la liberté. Les choses se font naturellement.
Pourtant généralement les gens veulent pratiquer en commençant par comprendre la théorie. Ce n'est pas que ce soit une erreur en soi et que cela soit impossible. Simplement je crois qu'il est plus simple et efficace de le faire d'abord par le corps. Trop souvent la tête va trop vite et le corps ne peut pas suivre. Si l'on veut étudier le Bujutsu il faut commencer par travailler avec son corps.
Ce n'est pas un débat que l'on peut trancher définitivement mais c'est mon opinion personnelle.
La question de l'enseignement de l'Aïkido est un problème essentiel concernant le futur de la discipline. Il est évident que la transmission ne peut se faire en reproduisant tels quels certains schémas du passé. D'une part parce que cette façon de faire rebuterait les élèves et ne permettrait pas à l'enseignant de vivre. D'autre part parce que tous les paramètres ou presque de la transmission ont changés.
Nous vivons à une époque où tout s'acquiert rapidement, où la pensée occidentale, "cartésienne", domine le monde. Et les maîtres sont conscients de cela. Si certains persistent à vouloir enseigner de façon "traditionnelle", ils n'en ont pas moins adapté leur façon de faire. Même si des pratiquants n'étant pas familiers avec les méthodes du passé ne peuvent s'en rendre compte. Tamura senseï qui est réputé pour son austérité est par exemple probablement infiniment plus ouvert dans l'échange et dans sa façon d'enseigner que ne l'était Osenseï. Les maîtres Kuroda, Akuzawa sont aussi des exemples d'enseignants ayant adapté leur façon de transmettre. Chacun à sa manière. Chacun à des degrés divers.
Je reste pourtant convaincu comme Shimizu senseï qu'il est nécessaire que le corps travaille avant tout. Cela ne signifie pas que cela soit fait bêtement et sans indications. Simplement que lorsque l'on a décidé de suivre l'enseignement d'un maître il convient de suivre ses indications, même lorsqu'on n'en comprend pas encore le sens. Un point qui sera d'autant plus utile que l'on a du mal à l'accepter…
"Avant tout il faut arriver l'esprit vide, être comme une feuille blanche, apprendre avec le corps. C'est après que l'on peut réfléchir et étudier la théorie.
Si l'on commence la pratique par la théorie on attrape vite la grosse tête tandis que la main droite et la main gauche ne savent pas bouger correctement! (rires)"
" Pourtant généralement les gens veulent pratiquer en commençant par comprendre la théorie. Ce n'est pas que ce soit une erreur en soi et que cela soit impossible. Simplement je crois qu'il est plus simple et efficace de le faire d'abord par le corps. Trop souvent la tête va trop vite et le corps ne peut pas suivre. Si l'on veut étudier le Bujutsu il faut commencer par travailler avec son corps."
Un extrait de l'interview de Shimizu senseï où il évoque son étude:
Avec qui avez-vous étudié la technique?
Il y avait beaucoup de senseïs et j'allais à tous les cours que je pouvais quand je suis devenu uchi-deshi, mais ce qui m'a le plus aidé a été d'être le uke d'Osenseï.
Au-delà de la technique en tant que telle, c'est son âme que j'ai pu observer. Il fallait lire son intention dans son esprit et réagir immédiatement pour pouvoir suivre sa technique. Il était très strict dans le choix de ses partenaires. Osenseï était quelqu'un de sévère. Si le uke n'arrivait pas à suivre correctement il se mettait en colère et hurlait "Que fais-tu?!" (Rires) Il fallait être capable de suivre parfaitement au millimètre près.
Il n'acceptait aucun moment d'inattention. Par exemple une fois projeté il ne fallait pas aller s'asseoir en lui tournant le dos. Il fallait retourner à sa place en continuant à le regarder. Son souci d'une pratique authentiquement martiale allait jusqu'au moindre détail.
Aujourd'hui il y a peu d'enseignants exigeants sur ce genre de points. Pourtant sans un reigisaho correct il ne peut y avoir de Budo.
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
Il ne rentrait jamais dans les détails. Je me suis souvent fait rabrouer mais sans que pour autant il explique en détails. (rires) C'est nous qui devions faire le chemin et étudier.
J'agis de même avec mon fils. Je ne lui enseigne pas en expliquant des détails. Il apprend en chutant comme l'ont fait mes autres uchi-deshis et comme je l'ai fait moi-même. C'est en recevant la technique que le corps l'intègre.
Considérez-vous que ce soit la meilleure façon d'enseigner?
Il n'est pas possible de donner une réponse définitive à cette question mais personnellement j'admire l'enseignement traditionnel. On n'enseigne pas de 1 à 10 mais deux ou trois choses qui donneront l'étincelle et permettront de découvrir le reste et de développer à partir de là.
Kenta et moi sommes père et fils et pourtant nous ne sommes pas identiques. Nous avons chacun notre façon de penser, des corps différents. Evidemment si j'essayais de transmettre en lui faisant faire exactement ce que je fais, une grande partie serait réalisable. Mais il en resterait une partie non négligeable qu'il ne pourrait faire à ma façon. Il a sa propre individualité comme chacun de mes élèves.
Chaque personne a sa manière d'intégrer les choses. Si on prend cela en compte je crois qu'apprendre en chutant développe la compréhension par le ressenti et permet par la suite de développer sa propre pratique.
J'attends toujours que les élèves étudient d'eux-mêmes.
Shimizu senseï et son fils Kenta
L'Aïkido est donc un Budo que l'on étudie en chutant?
C'est ainsi qu'Osenseï me l'a enseigné et c'est ainsi que je le transmets. Quel que soit l'endroit et le public auquel j'enseigne.
J'enseigne en exécutant la technique. Je crois qu'apprendre avec le corps est la plus rapide des méthodes d'apprentissage. Bien entendu cela ne signifie pas que les théories qui sous-tendent la pratique n'existent pas. Simplement c'est le corps qui doit les comprendre. Je crois que c'est important que ce soit le corps qui reçoive l'enseignement.
Pensez-vous qu'il faut pratiquer pour comprendre la théorie ou comprendre la théorie pour pratiquer?
Avant tout il faut arriver l'esprit vide, être comme une feuille blanche, apprendre avec le corps. C'est après que l'on peut réfléchir et étudier la théorie.
Si l'on commence la pratique par la théorie on attrape vite la grosse tête tandis que la main droite et la main gauche ne savent pas bouger correctement! (rires) C'est pourquoi je crois qu'il est plus simple de commencer par apprendre avec le corps. C'est pour moi le véritable apprentissage dans la liberté. Les choses se font naturellement.
Pourtant généralement les gens veulent pratiquer en commençant par comprendre la théorie. Ce n'est pas que ce soit une erreur en soi et que cela soit impossible. Simplement je crois qu'il est plus simple et efficace de le faire d'abord par le corps. Trop souvent la tête va trop vite et le corps ne peut pas suivre. Si l'on veut étudier le Bujutsu il faut commencer par travailler avec son corps.
Ce n'est pas un débat que l'on peut trancher définitivement mais c'est mon opinion personnelle.
La question de l'enseignement de l'Aïkido est un problème essentiel concernant le futur de la discipline. Il est évident que la transmission ne peut se faire en reproduisant tels quels certains schémas du passé. D'une part parce que cette façon de faire rebuterait les élèves et ne permettrait pas à l'enseignant de vivre. D'autre part parce que tous les paramètres ou presque de la transmission ont changés.
Nous vivons à une époque où tout s'acquiert rapidement, où la pensée occidentale, "cartésienne", domine le monde. Et les maîtres sont conscients de cela. Si certains persistent à vouloir enseigner de façon "traditionnelle", ils n'en ont pas moins adapté leur façon de faire. Même si des pratiquants n'étant pas familiers avec les méthodes du passé ne peuvent s'en rendre compte. Tamura senseï qui est réputé pour son austérité est par exemple probablement infiniment plus ouvert dans l'échange et dans sa façon d'enseigner que ne l'était Osenseï. Les maîtres Kuroda, Akuzawa sont aussi des exemples d'enseignants ayant adapté leur façon de transmettre. Chacun à sa manière. Chacun à des degrés divers.
Je reste pourtant convaincu comme Shimizu senseï qu'il est nécessaire que le corps travaille avant tout. Cela ne signifie pas que cela soit fait bêtement et sans indications. Simplement que lorsque l'on a décidé de suivre l'enseignement d'un maître il convient de suivre ses indications, même lorsqu'on n'en comprend pas encore le sens. Un point qui sera d'autant plus utile que l'on a du mal à l'accepter…
"Avant tout il faut arriver l'esprit vide, être comme une feuille blanche, apprendre avec le corps. C'est après que l'on peut réfléchir et étudier la théorie.
Si l'on commence la pratique par la théorie on attrape vite la grosse tête tandis que la main droite et la main gauche ne savent pas bouger correctement! (rires)"
" Pourtant généralement les gens veulent pratiquer en commençant par comprendre la théorie. Ce n'est pas que ce soit une erreur en soi et que cela soit impossible. Simplement je crois qu'il est plus simple et efficace de le faire d'abord par le corps. Trop souvent la tête va trop vite et le corps ne peut pas suivre. Si l'on veut étudier le Bujutsu il faut commencer par travailler avec son corps."
Un extrait de l'interview de Shimizu senseï où il évoque son étude:
Avec qui avez-vous étudié la technique?
Il y avait beaucoup de senseïs et j'allais à tous les cours que je pouvais quand je suis devenu uchi-deshi, mais ce qui m'a le plus aidé a été d'être le uke d'Osenseï.
Au-delà de la technique en tant que telle, c'est son âme que j'ai pu observer. Il fallait lire son intention dans son esprit et réagir immédiatement pour pouvoir suivre sa technique. Il était très strict dans le choix de ses partenaires. Osenseï était quelqu'un de sévère. Si le uke n'arrivait pas à suivre correctement il se mettait en colère et hurlait "Que fais-tu?!" (Rires) Il fallait être capable de suivre parfaitement au millimètre près.
Il n'acceptait aucun moment d'inattention. Par exemple une fois projeté il ne fallait pas aller s'asseoir en lui tournant le dos. Il fallait retourner à sa place en continuant à le regarder. Son souci d'une pratique authentiquement martiale allait jusqu'au moindre détail.
Aujourd'hui il y a peu d'enseignants exigeants sur ce genre de points. Pourtant sans un reigisaho correct il ne peut y avoir de Budo.
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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