Entretien avec Shimizu senseï (5): le combat et la répétition
Vous avez longtemps étudié le Judo où l'on pratique le combat et la compétition. Cela vous a-t-il apporté?
Oui. J'ai beaucoup appris grâce à cela.
Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose qui manque à l'Aïkido?
Si je répondais simplement par rapport à mes goûts personnels je serai tenté de dire oui. (rires) Mais la nature même des techniques de l'Aïkido ne permet pas ce travail sans danger. De plus Osenseï a fait un choix très clair sur le sujet et il ne m'appartient pas de revenir dessus.
Paradoxalement ce n'est pas tant sur l'aspect martial que l'absence de combat se fait sentir mais sur la lassitude… L'homme se lasse. La répétition inlassable des mêmes choses finit par ennuyer et en ce sens le combat "distrait". Pourtant c'est lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition. C'est pourquoi plus que tout la répétition est la clé. En toute chose.
"... lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition... "
Les disciplines martiales traditionnelles n'incluaient généralement pas de système de compétition. C'est à l'ère Meïji que ce type de travail se popularisa sous l'influence du Judo de Kano Jigoro. L'intérêt d'un travail de ce type est sujet à discussion et il est impossible d'y donner une réponse tranchée. A mes yeux son intérêt, important, reste simplement inférieur au danger qu'il fait courir à la discipline. Tant du point de vue technique que spirituel.
Il n'en reste pas moins que ceux qui passèrent par cette étape et surent s'en affranchir en tirèrent d'importantes leçons comme en témoigne Shimizu senseï:
"Oui. J'ai beaucoup appris grâce à cela."
Beaucoup de maîtres d'Aïkido ont ou avaient l'esprit de compétition. S'il est évident qu'une partie du travail consiste à s'en libérer, le désir de se dépasser se confond souvent avec celui de dépasser les autres lorsque l'on débute.
"… la nature même des techniques de l'Aïkido ne permet pas ce travail sans danger."
C'est un point très intéressant car on l'oublie trop souvent, le combat est possible en utilisant l'Aïkido. Simplement il est TRES dangereux. De nombreuses techniques placées à pleine vitesse sur un adversaire non consentant surpris par la technique sont destructrices! Deux possibilités s'offrent alors, soit adapter le répertoire lors de ce type de travail comme c'est le cas en Shodokan "Tomiki" Aïkido, soit ne le pratiquer qu'entre adeptes de haut niveau conscients du danger et prêts à l'accepter…
"De plus Osenseï a fait un choix très clair sur le sujet et il ne m'appartient pas de revenir dessus."
La question de l'Aïkido en compétition est récurrente. Si aujourd'hui les mentalités ne sont pas prêtes, sans doute grâce au poids des élèves directs d'Osenseï, il est à craindre que les choses évoluent sur ce point dans le futur. La personnalité d'Osenseï était sans aucun doute extrêmement forte. Ses élèves, sauf très rares exceptions, lui sont restés fidèles par-delà la tombe. Même si dans certains cas leurs goûts personnels auraient pu leur faire prendre une autre direction.
"Paradoxalement ce n'est pas tant sur l'aspect martial que l'absence de combat se fait sentir mais sur la lassitude… L'homme se lasse. La répétition inlassable des mêmes choses finit par ennuyer et en ce sens le combat "distrait". Pourtant c'est lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition. C'est pourquoi plus que tout la répétition est la clé. En toute chose."
Dans la tradition japonaise l'étude repose sur les concepts de Shu Ha Ri. Explication de Suga senseï:
"Shu, ha et ri sont trois étapes qui sont suivis par les voies traditionnelles japonaises classiques. En simplifiant on peut dire que shu correspond à l'intégration, c'est une période où l'élève travaille dans une imitation totale de son maître. Ha est la période "destructrice". L'élève travaille dans des directions parfois opposées à celle de son maître et fais le maximum d'expériences possibles afin de s'approprier ce qu'il a reçu dans l'étape précédente. Finalement le dernier stade, ri, est l'expression véritable de l'art que l'élève, devenu maître à son tour, a développé. Il est au-delà de la dualité et ne cherche ni à imiter ni à se différencier. Il est devenu son art et l'art s'exprime spontanément à travers lui."
Si la répétition est nécessaire durant tout le processus, elle est particulièrement importante lors de la première étape, Shu. C'est un travail austère qui peut lasser s'il est effectué intensément de façon continue. D'autant plus lorsqu'il est demandé de ne pas chercher à comprendre mais de faire comme c'était le cas dans le passé. Il est pourtant le seul jusqu'à aujourd'hui à avoir donné des résultats indiscutables, le "quelque chose de sublime" qu'évoque Shimizu senseï…
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
Oui. J'ai beaucoup appris grâce à cela.
Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose qui manque à l'Aïkido?
Si je répondais simplement par rapport à mes goûts personnels je serai tenté de dire oui. (rires) Mais la nature même des techniques de l'Aïkido ne permet pas ce travail sans danger. De plus Osenseï a fait un choix très clair sur le sujet et il ne m'appartient pas de revenir dessus.
Paradoxalement ce n'est pas tant sur l'aspect martial que l'absence de combat se fait sentir mais sur la lassitude… L'homme se lasse. La répétition inlassable des mêmes choses finit par ennuyer et en ce sens le combat "distrait". Pourtant c'est lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition. C'est pourquoi plus que tout la répétition est la clé. En toute chose.
"... lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition... "
Les disciplines martiales traditionnelles n'incluaient généralement pas de système de compétition. C'est à l'ère Meïji que ce type de travail se popularisa sous l'influence du Judo de Kano Jigoro. L'intérêt d'un travail de ce type est sujet à discussion et il est impossible d'y donner une réponse tranchée. A mes yeux son intérêt, important, reste simplement inférieur au danger qu'il fait courir à la discipline. Tant du point de vue technique que spirituel.
Il n'en reste pas moins que ceux qui passèrent par cette étape et surent s'en affranchir en tirèrent d'importantes leçons comme en témoigne Shimizu senseï:
"Oui. J'ai beaucoup appris grâce à cela."
Beaucoup de maîtres d'Aïkido ont ou avaient l'esprit de compétition. S'il est évident qu'une partie du travail consiste à s'en libérer, le désir de se dépasser se confond souvent avec celui de dépasser les autres lorsque l'on débute.
"… la nature même des techniques de l'Aïkido ne permet pas ce travail sans danger."
C'est un point très intéressant car on l'oublie trop souvent, le combat est possible en utilisant l'Aïkido. Simplement il est TRES dangereux. De nombreuses techniques placées à pleine vitesse sur un adversaire non consentant surpris par la technique sont destructrices! Deux possibilités s'offrent alors, soit adapter le répertoire lors de ce type de travail comme c'est le cas en Shodokan "Tomiki" Aïkido, soit ne le pratiquer qu'entre adeptes de haut niveau conscients du danger et prêts à l'accepter…
"De plus Osenseï a fait un choix très clair sur le sujet et il ne m'appartient pas de revenir dessus."
La question de l'Aïkido en compétition est récurrente. Si aujourd'hui les mentalités ne sont pas prêtes, sans doute grâce au poids des élèves directs d'Osenseï, il est à craindre que les choses évoluent sur ce point dans le futur. La personnalité d'Osenseï était sans aucun doute extrêmement forte. Ses élèves, sauf très rares exceptions, lui sont restés fidèles par-delà la tombe. Même si dans certains cas leurs goûts personnels auraient pu leur faire prendre une autre direction.
"... Osenseï a fait un choix très clair sur le sujet et il ne m'appartient pas de revenir dessus."
"Paradoxalement ce n'est pas tant sur l'aspect martial que l'absence de combat se fait sentir mais sur la lassitude… L'homme se lasse. La répétition inlassable des mêmes choses finit par ennuyer et en ce sens le combat "distrait". Pourtant c'est lorsque l'homme arrive à dépasser ce sentiment de lassitude que quelque chose de sublime peut naître dans la répétition. C'est pourquoi plus que tout la répétition est la clé. En toute chose."
Dans la tradition japonaise l'étude repose sur les concepts de Shu Ha Ri. Explication de Suga senseï:
"Shu, ha et ri sont trois étapes qui sont suivis par les voies traditionnelles japonaises classiques. En simplifiant on peut dire que shu correspond à l'intégration, c'est une période où l'élève travaille dans une imitation totale de son maître. Ha est la période "destructrice". L'élève travaille dans des directions parfois opposées à celle de son maître et fais le maximum d'expériences possibles afin de s'approprier ce qu'il a reçu dans l'étape précédente. Finalement le dernier stade, ri, est l'expression véritable de l'art que l'élève, devenu maître à son tour, a développé. Il est au-delà de la dualité et ne cherche ni à imiter ni à se différencier. Il est devenu son art et l'art s'exprime spontanément à travers lui."
Si la répétition est nécessaire durant tout le processus, elle est particulièrement importante lors de la première étape, Shu. C'est un travail austère qui peut lasser s'il est effectué intensément de façon continue. D'autant plus lorsqu'il est demandé de ne pas chercher à comprendre mais de faire comme c'était le cas dans le passé. Il est pourtant le seul jusqu'à aujourd'hui à avoir donné des résultats indiscutables, le "quelque chose de sublime" qu'évoque Shimizu senseï…
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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