Violence et Budo
Suite à l'entretien numéro 15 avec Hino senseï, un de mes contacts Facebook a posté le commentaire suivant :
"Je pense que celui qui peut dire qu'il a subi un plus grand stress en ayant été attaqué par un maître d'arts martiaux en dojo qu'en ayant combattu dans la rue, n'a pas véritablement craint pour sa vie dans ladite rue, ou alors il était dans l'inconscience de ce qui se passait.
Bref, ce que j'ai lu dans l'ouvrage est assez dérageant lorsqu'on parle d'arts martiaux et d'utilité de ceux-ci dans des situations de vie ou de mort. Il est vrai qu'une bonne part des maîtres indiquent que si les techniques ne fonctionnent pas en situation de combat sportif c'est parce qu'elles sont désignées pour les situations de vie ou de mort. Or, d'après ce que dit l'auteur, dans ces situations, le stress devient si intense que l'on perd pour une grande partie ses capacités motrices fines, et cela vaut pour tout le monde, du quidam au personnel du GIGN surentraîné surpris par l'agression.
Or l'Aîkido au vu de sa complexité et de sa finesse ne repose quasiment que sur les capacités motrices fines (travail des hanches, saisies, mobilisation des articulations etc...) de plus, ce même déluge hormono chimique qui advient dans une situation de vie ou de mort, permet de ne pas sentir les techniques de blocages articulaires même extrêmement douloureuses. Exit donc le beau nikkyo ou le beau sankyo...
Bref je ne comprends pas vraiment l'assertion selon laquelle il faudrait avoir connu le stress du combat réel, pour pouvoir enseigner le budo puisqu'en ce qui concerne l'aikido notamment, cela n'a rien à voir… Ou alors peut-être s'agit-il d'avoir connu le combat véritable pour pouvoir éviter d'égarer ses élèves dans l'illusion que la violence réelle a un quelconque rapport avec le budo..."
Bonjour Chrys,
Les livres de Rory Miller sont sans aucun doute intéressants. J'ai son nom sur la longue liste des auteurs que j'aimerai lire. Toutefois si son expérience est très riche, il ne peut comme chacun de nous que rapporter ce qu'il a expérimenté de son passé sur le terrain, ou ce qu'on lui a rapporté. Cela suffit à en faire un point de vue intéressant. En aucun cas à en faire une vérité absolue.
"Je pense que celui qui peut dire qu'il a subi un plus grand stress en ayant été attaqué par un maître d'arts martiaux en dojo qu'en ayant combattu dans la rue, n'a pas véritablement craint pour sa vie dans ladite rue, ou alors il était dans l'inconscience de ce qui se passait."
Je pense que tu devrais te garder d'assertions sur la vie des gens, surtout s'il s'agit d'opinions basées sur des lectures. Ce n'est pas un sujet que j'aime aborder, mais il m'est arrivé plusieurs fois de faire face à des individus armés de couteaux, et à l'occasion en surnombre. Et il est probable que seule la chance m'a permis de finir à l'hôpital et non au cimetière et de pouvoir en parler aujourd'hui.
Je parle donc d'expérience lorsque je te dis que je n'ai jamais autant perdu mes moyens que face à certains maîtres lorsqu'ils me mettaient vraiment la pression. Un cadeau rare que chacun ne m'a fait qu'avec la plus grande parcimonie, malgré les centaines d'heures passées à étudier sous leur férule.
Avec Tamura senseï.
Cette photo n'est pas l'un des moments où l'un de mes maîtres m'a effrayé.
J'avoue humblement que dans ces moments j'étais totalement décomposé et en état de panique.
"Bref, ce que j'ai lu dans l'ouvrage est assez dérageant lorsqu'on parle d'arts martiaux et d'utilité de ceux-ci dans des situations de vie ou de mort. Il est vrai qu'une bonne part des maîtres indiquent que si les techniques ne fonctionnent pas en situation de combat sportif c'est parce qu'elles sont désignées pour les situations de vie ou de mort. Or, d'après ce que dit l'auteur, dans ces situations, le stress devient si intense que l'on perd pour une grande partie ses capacités motrices fines, et cela vaut pour tout le monde, du quidam au personnel du GIGN surentraîné surpris par l'agression."
La perte de ses moyens en situations de stress est effectivement quelque chose de factuel. Comme la capacité de certains à dominer cela par la pratique. Qu'il suffise de penser aux pilotes de chasse lors de combats aériens. Qu'utilisent-ils si ce n'est leurs capacités motrices fines ? Et les grimpeurs qui n'utilisent pas de harnais de sécurité ?
A quoi pouvait donc servir la pratique martiale aux générations de guerriers qui l'ont utilisée de par le monde et à travers le temps si ce n'est à survivre ? Pourquoi donc pratiquer des mouvements d'une sophistication extrême s'ils n'étaient plus capable que de baver en hurlant et faisant des moulinets avec leurs bras ?
Quant à des membres du GIGN j'ai eu l'occasion d'en rencontrer aux stages de Tamura senseï et aux miens, merci.
La pratique martiale sans mise en situation de stress ne sera d'aucune utilité en situation réelle. Toute personne ayant un minimum d'expérience en est consciente. Mais c'est un élément qui est présent dans toute formation martiale sérieuse. Je conviens toutefois, aujourd'hui c'est une étape à laquelle peu arrivent, et la très large majorité des enseignants eux-mêmes n'ont pas vécu cela, quels que soient leurs titres et grades.
"Or l'Aîkido au vu de sa complexité et de sa finesse ne repose quasiment que sur les capacités motrices fines (travail des hanches, saisies, mobilisation des articulations etc...) de plus, ce même déluge hormono chimique qui advient dans une situation de vie ou de mort, permet de ne pas sentir les techniques de blocages articulaires même extrêmement douloureuses. Exit donc le beau nikkyo ou le beau sankyo..."
Techniquement l'Aïkido est dans son essence, pas dans la plupart des manifestations que l'on voit aujourd'hui, très similaire aux Koryus, les pratiques martiales anciennes. Cela explique d'ailleurs qu'un nombre conséquent d'adeptes pratique les deux, sachant voir ce qui a disparu ou est caché en Aïkido. Là aussi, il s'agit d'un travail qui a traversé les époques, et dont on retrouve des équivalents à travers le monde. N'avons-nous donc été précédés que par d'ineptes abrutis ? Ou y a-t-il autre chose derrière nikyo et sankyo qu'une clé articulaire ? Clés articulaires qui sont je te le concède, à mon sens très peu utile en situation de survie.
"Bref je ne comprends pas vraiment l'assertion selon laquelle il faudrait avoir connu le stress du combat réel, pour pouvoir enseigner le budo puisqu'en ce qui concerne l'aikido notamment, cela n'a rien à voir… Ou alors peut-être s'agit-il d'avoir connu le combat véritable pour pouvoir éviter d'égarer ses élèves dans l'illusion que la violence réelle a un quelconque rapport avec le budo..."
Que tu ne le comprennes pas se conçoit aisément, et se lit à travers ton commentaire. Je t'invite toutefois lorsque quelque chose t'échappe à poser une question, au lieu d'asséner des connaissances dont les sources ne semblent être que livresques. Je t'invite à supposer que nos anciens ne sont sans doute pas stupides, et qu'ils ont beaucoup à nous apprendre. Je connais le plaisir puéril que l'on éprouve lorsque l'on a l'impression de découvrir une vérité méconnue. Dans ces cas-là je lutte contre moi-même et j'essaie d'expérimenter, de questionner avant de céder aux restes de mes pulsions adolescentes qui me poussent à éduquer le reste du monde.
Sans doute agir ainsi aurait-pu te permettre de ne pas être désobligeant envers moi comme tous ceux qui ont une conception de l'Aïkido et des Budos qui ne correspondent pas au livre que tu as lu.
Enfin, je t'invite lorsque tu as une opinion divergente, à l'exposer avec humilité et de façon agréable et mesurée. Cela n'affaiblira en rien ton point de vue, et ne pourra qu'encourager une attitude bienveillante à ton égard, source d'un échange enrichissant.
Bref. Tu parles "d'égarer ses élèves dans l'illusion que la violence réelle a un quelconque rapport avec le budo...". Le Budo est évidemment en rapport étroit avec la violence. C'est croire le contraire qui est la porte ouverte aux modifications sans sens, ou aux archaïsmes illogiques. L'illusion est de faire croire à ses élèves que leur pratique leur permettrait de faire face à la violence. Parce que l'investissement de la très large majorité ne le permet évidemment en aucun cas. Il convient d'ailleurs de noter que ce n'est pas ce que viennent rechercher la plupart d'entre eux. Mais la nature profonde de l'art recèle tout ce qui est nécessaire pour survivre…
Note : Chrys m'a très gentiment indiqué qu'il était désolé et que son intention n'était pas de blesser. Je le crois sincèrement, tant il est clair que l'écrit induit bien plus en erreur que la parole, et que cela est amplifié lorsqu'il ne s'agit pas d'un manuscrit. Toutes mes amitiés donc à Chrys. Je laisse le post dans son intégralité car je pense que son contenu peut nourrir quelques réflexions.