Budo no Nayami

Au-delà de ses larmes de rage…

11 Mars 2015 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

La pratique martiale est d'une richesse inouïe. Elle peut apporter à ses adeptes une évolution et des bienfaits insoupçonnables pour les néophytes. Pour autant tout cela vient rarement sans douleur, et plus l'investissement d'un pratiquant est important, plus il est probable qu'il passe par des moments de doutes, de désillusions et de frustrations. Et la façon dont il y fera face sera déterminante dans son parcours.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

"Happy pain"

Je suis l'enseignement de Kuroda senseï depuis onze ans aujourd'hui. Si chaque rencontre offre son lot de difficultés, paradoxalement les instants les plus douloureux que j'ai vécus n'eurent pas lieu lors de ses stages en Europe, mais lorsque je vivais au Japon et suivait ses cours réguliers. Car si la possibilité de suivre ses cours hebdomadaires était une chance inestimable, elle me mettait aussi face à une frustration brutale et sans issue.

Lors de ses venues, d'une part maître Kuroda prend la peine de donner des explications plus détaillées qu'il ne le fait dans l'archipel, et d'autre part il présente un vaste éventail d'exercices et de formes. Le tout fait que même sans réussir on a au moins l'impression - parfois trompeuse - de comprendre ce ont il s'agit; et le fait de ne pas s'éterniser sur un exercice qui nous met en échec permet de garder le niveau de frustration à un niveau supportable.

Rien de tout cela au Japon. Là-bas les explications se réduisent à leur forme la plus succincte, et les mêmes exercices sont travaillés durant des semaines voire des mois ! Si aujourd'hui la façon d'enseigner de maître Kuroda a sensiblement évoluée, de même que celle de s'entraîner des élèves, il y a quelques années seul le geste parfaitement juste était acceptable. En conséquence de quoi il m'est arrivé de rester bloquer sur un mouvement de kata ou un exercice durant… des années avant de pouvoir le réaliser ne serait-ce qu'une fois !

 

Combien de fois suis-je rentré chez moi des larmes de rage plein les yeux…

 

Au-delà de ses larmes de rage…

Kuroda senseï aime à utiliser l'expression "happy pain" pour décrire l'entraînement. Et il est vrai qu'aujourd'hui, l'âge et l'expérience aidant sans doute, j'accueille les difficultés avec le sourire. Mais ce fut longtemps très différent. Et je retrouve parfois, attendri et ému, mon regard embué dans les yeux de certains pratiquants.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

Grande Marie

Quatre ans. Quatre ans déjà que j'ai rencontré Marie Apostoloff, et qu'elle est venue s'installer à Paris pour se plonger dans la pratique martiale. Quatre années où j'ai pu l'observer à travers les hauts et les bas, les espoirs et les désillusions.

 

Marie se fait aisément remarquer. Son sourire, ses rires et son énergie sont connus de tous les pratiquants du Kishinkaï et des participants aux stages des maîtres Kuroda, Hino ou Kono. Mais ce n'est pas ce que je trouve de plus remarquable chez elle. Loin de là.

Ce que je trouve admirable c'est la façon dont elle fait face aux difficultés et aux frustrations qui jalonnent la vie de tout adepte qui s'engage totalement dans la pratique martiale.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

Marie a fait face à de nombreuses difficultés. Les difficultés du quotidien et les blessures de la vie bien entendu, et les frustrations de la pratique martiale surtout. Je l'ai vu vaciller dans des moments difficiles, douter bien sûr, mais je l'ai vu continuer surtout, s'accrocher envers et contre tout.

Depuis quatre ans je l'ai vue se donner les moyens de suivre les cours et les stages, d'aller en Espagne, Hollande, Belgique et au Japon pour pratiquer. En cela elle a fait les mêmes efforts que Julien Coup, Alexandre Grzegorczyk et quelques autres passionnés. Mais elle a aussi fait face à des difficultés auxquelles ils ne se trouveront jamais confrontées. Celle d'être une femme, celle de faire un mètre cinquante-deux.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

It's a man's world

Le monde martial est très misogyne. Les femmes y sont rares, et elles sont plus souvent tolérées que respectées. On y loue leur progrès comme ceux des enfants. On flatte souvent notre égo à leurs dépens dans des situation qui sont tout sauf martiales, où on bloque en connaissant le mouvement travaillé, et sans prendre conscience que notre posture rigide fait de nous une victime idéale.

 

Comme la très large majorité des femmes, Marie a dû faire face à cela.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

La taille d'Osenseï

Ueshiba Moriheï faisait 1m52 dit-on. Mais certains de ses élèves m'ont dit qu'il exagérait sa taille et était même plus petit. C'est la taille de Marie.

Il est dur de s'imaginer ce que cela représente. En gros, cela revient à vivre en permanence entouré de gens faisant vingt à trente centimètres de plus que nous. Pour rencontrer régulièrement en stage des pratiquants de deux mètres et plus, je sais que ce n'est pas quelque chose de facile à gérer. Et si je rappelle souvent à Marie que c'était la taille du Fondateur de l'Aïkido, je n'en mesure pas moins la difficulté réelle et constante que cela représente.

 

Avec Jérôme Dubois, un pratiquant de deux mètres

Avec Jérôme Dubois, un pratiquant de deux mètres

Les larmes de Marie

J'ai souvent vu Marie les yeux humides. Mais je n'ai jamais vu d'apitoiement sur soi-même dans son regard. Je ne l'ai pas vue triste d'être une femme en Aïkido, ou de faire un mètre cinquante. J'ai vu dans ses yeux la même rage, la même frustration que j'ai connues des années plus tôt. Celles de ceux qui ont l'orgueil de ne se mesurer qu'à l'excellence et qui souffrent de leurs échecs.

J'ai vu dans les yeux de Marie les larmes que seuls connaissent les adeptes qui s'engagent totalement.

 

Au-delà de ses larmes de rage…

L'envol de Marie

Aujourd'hui Marie fait partie des meilleurs pratiquants du Kishinkaï. J'ai la plus grande affection pour elle, mais surtout un énorme respect pour son engagement et le niveau qu'elle a atteint.

 

Marie est un des piliers de mon dojo, et un fleuron de l'école. Si elle me remplace régulièrement lorsque je suis en déplacement, c'est la première fois qu'elle donnera prochainement un stage à Bordeaux chez Taro Ochiaï. C'est avec joie et fierté que je la vois prendre son envol. J'ai toute confiance en elle et dans la qualité de sa pratique et son enseignement, et j'espère que vous serez nombreux à aller suivre ce premier stage d'une longue série. 

 

Au-delà de ses larmes de rage…
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E
Bonsoir Léo, <br /> un joli article en effet. Un hommage aussi , à une pratiquante, presque comme les autres. A ceci près que c'est une femme et qui plus est, une qui peut donner un stage...Le fait qu'un homme évoque les difficultés rencontrées par une femme est d'autant plus...émouvant et oui, rare,il faut bien le reconnaitre. Vaste sujet en effet que notre place sur les tatamis. Nous devons non seulement faire nos preuves, nous battre contre nous mêmes, comme tous les pratiquants mais en plus, faire face à une sorte de comportement mitigé, entre agressivité, tentative de séduction et au final, parfois, un mépris avéré et souvent revendiqué comme de la lucidité de la part de nos partenaires hommes des tatamis. Rien que d'écrire dessus pourrait me faire remonter les larmes aux yeux oui...Heureusement, les choses évoluent et en tant que femmes, nous nous positionnons de manière plus déterminée aussi . En fait, les tatamis ne sont que le reflet, parfois affligeant, mais parfois aussi très beau-comme ton article- comme d'autres pratiquants hommes dont la tendresse et la tempérance sont comme du baume au coeur et à l'âme...-de la réalité du monde extérieur. Ce que je peux dire c'est qu'il peut nous arriver de monter sur les tatamis et de nous prendre pire qu'un atémi: des réflexions abominables sur notre "jolie frimousse" qui risque de s'abimer, de la pratique d'un "sport qui ne nous ressemble pas et peut nous faire du mal", qu'on ne peut pas combattre avec un "ptit visage aussi angélique" et j'en passe, qui sous leur apparence de compliment, sont d'authentiques claques comme les sifflements dont à été victime une ministre à l'assemblée parce qu'elle portait une robe...Oui, les hommes nous tolèrent sur les tatamis, mais le respect...en tant qu'aikidokate, nous devons le mériter...alors qu'il me semble un acquis d'office pour les hommes. Mais je suis convaincue que les choses ne peuvent changer qu'en continuant à nous côtoyer Homme-Femme, les femmes seules, ne règleront rien, les hommes non plus. Nous devons nous aussi, en tant que pratiquante, être certaine de notre place sur les tatamis...ne jamais en douter. Ce que pour ma part je n'ai pas toujours réussi. ALors de voir que des femmes, aujourd'hui, y arrivent mieux, ça me donne plein plein de courage:-)))<br /> Merci pour cet article et du courage plein le coeur pour Marie:-)))<br /> Emmanuelle
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L
Merci pour ton témoignage :-)<br /> <br /> Léo
F
Bonjour Léo,<br /> <br /> Merci pour ce partage de pensées et d'expériences de vie. C'est un très bel article que j'ai pris plaisir à lire. Etant pratiquant d'un autre art martial, je suis admiratif des principes que tu abordes, et surtout, je m'y retrouve. <br /> Je n'ai pas encore eu la chance de rencontrer Marie mais je ne doute pas du fait qu'elle soit aussi passionnée, charismatique et intègre que toi. Si j'ai la possibilité un jour d'aller à sa rencontre, c'est avec joie que je ferai le déplacement. En attendant cette occasion, je te remercie pour ces jolies lignes qui lui sont consacrés et qui m'en apprennent un peu sur plus sur Marie.<br /> <br /> Bonne continuation à toi.
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L
Merci pour ton message :-)<br /> <br /> Léo
L
Bonjour Léo,<br /> <br /> Depuis peu de temps, je lis régulièrement tes articles C'est avec beaucoup de plaisir car tout d'abord ils sont bien écrits, instruisent sans jamais porter de jugement, disent les choses sans détour mais avec élégance et tac, dépassent le cadre de l'aikido et enfin sont plein d'humanité. Chapeau pour l'article sur Marie. Je ne la connais pas la salue. Pour une femme, elle semble en avoir..... du courage et de la détermination :) Laurence.
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L
Bonjour Laurence,<br /> <br /> Merci pour ton message et la lecture :-)<br /> Et effectivement, Marie en a. Du courage et de la détermination !<br /> <br /> Bise,<br /> <br /> Léo
P
J'ai vu Marie débuter l'aikido, ici en terres limousines. Une jeune fille plein de doutes mais qui a révélé très vite un don social permettant de mettre un sourire sur n'importe quel visage! C'est Maie qui m'a donné mon surnom "Pat le Panda" lors d'un été mémorable de cours à La Souterraine... <br /> Je n'ai jamais été inscrit dans le même dojo qu'elle mais nous sommes devenus amis et avons passé du temps sur les tatamis et en dehors. Nous avons découverts Léo ensemble lors de son premier stage à St Yrieix, nous l'avons ensuite suivis pour un stage extraordinaire à Amsterdam. A la suite de cette rencontre, Marie, qui exprimait beaucoup de doutes quant à la possibilité de réussir un jour en aikido avec le handicap de sa taille, décida de suivre l'enseignement de Léo Tamaki et de déménager à Paris. A l'époque j'étais son sempai, et j'étais heureux à l'idée qu'elle trouve enfin un maître qui puisse lui donner des conseils appropriés et lui donner enfin confiance en son corps. <br /> Marie est une battante, une personne exigeante avec elle même et avec les autres. Pourquoi se contenter de la médiocrité lorsqu'on peut viser l'excellence?! A son contact, avec ses conseils, n'importe qui fera d'énormes progrès. <br /> Nous nous revoyons aujourd'hui lors de stages ou lorsqu'elle redescend en Limousin, à défaut on s'appelle de temps en temps. C'est un personne pour qui d'ai beaucoup de tendresse et d'affection et c'est toujours un plaisir de la revoir et d'échanger avec elle. Aujourd'hui je me considère comme son Kohai. Je cherche ses conseils ou son avis comme elle recherchait le mien jadis. Elle a progressé sur le plan technique et sur le chemin martial comme aucun de ses condisciples du début et peu de gens ailleurs. Elle m'inspire le plus grand respect tant par sa recherche que par sa personne.<br /> Si Taro a décidé d'inviter Marie, c'est qu'il a compris lui aussi qui elle est. Aller à ce stage, vous ne regretterez pas. Elle sait donner, il ne lui faut que des gens en face pour recevoir.<br /> <br /> Pour ma part j'essaierai d'y être.
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L
Bonjour Patric,<br /> <br /> Merci pour ton partage.<br /> <br /> Amsterdam, excellent souvenir !<br /> Et comme tu le dis, elle sait donner.<br /> <br /> Amicalement,<br /> <br /> Léo
A
Sacré coup de plume que tu nous as fait là, je n'ai vue Marie qu'une seule fois, lors d'un stage a Gaillac (chez Simon) mais j'ai encore en mémoire son sourire et ses plaisanteries a la pose. Je l'ai trouvée très agréable a côtoyer comme personne. Je ne serai pas a Bordeaux pour son stage mais je lui souhaite beaucoup de plaisir et que son (en) vol soit sans turbulences.
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L
Merci Antoine ;-)<br /> <br /> Léo
S
Super Article. J'adore pratiquer avec Marie, elle est toujours d'une extrême exigence et m'oblige a ne pas utiliser la force. Son gabarit est une vraie chance pour nous. En plus elle a toujours le sourire...<br /> <br /> Quelqu'un disait que l'on mesurait la grandeur d'un Homme non pas au nombre de ses succès mais au mombre de fois qu'il se relève de ses échecs. Vous comprendrez que je la considère beaucoup et que je filerai a son stage s'il m'en était possible.
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L
Merci pour ton partage Sylvain :-)<br /> <br /> Léo