Au-delà de ses larmes de rage…
La pratique martiale est d'une richesse inouïe. Elle peut apporter à ses adeptes une évolution et des bienfaits insoupçonnables pour les néophytes. Pour autant tout cela vient rarement sans douleur, et plus l'investissement d'un pratiquant est important, plus il est probable qu'il passe par des moments de doutes, de désillusions et de frustrations. Et la façon dont il y fera face sera déterminante dans son parcours.
"Happy pain"
Je suis l'enseignement de Kuroda senseï depuis onze ans aujourd'hui. Si chaque rencontre offre son lot de difficultés, paradoxalement les instants les plus douloureux que j'ai vécus n'eurent pas lieu lors de ses stages en Europe, mais lorsque je vivais au Japon et suivait ses cours réguliers. Car si la possibilité de suivre ses cours hebdomadaires était une chance inestimable, elle me mettait aussi face à une frustration brutale et sans issue.
Lors de ses venues, d'une part maître Kuroda prend la peine de donner des explications plus détaillées qu'il ne le fait dans l'archipel, et d'autre part il présente un vaste éventail d'exercices et de formes. Le tout fait que même sans réussir on a au moins l'impression - parfois trompeuse - de comprendre ce ont il s'agit; et le fait de ne pas s'éterniser sur un exercice qui nous met en échec permet de garder le niveau de frustration à un niveau supportable.
Rien de tout cela au Japon. Là-bas les explications se réduisent à leur forme la plus succincte, et les mêmes exercices sont travaillés durant des semaines voire des mois ! Si aujourd'hui la façon d'enseigner de maître Kuroda a sensiblement évoluée, de même que celle de s'entraîner des élèves, il y a quelques années seul le geste parfaitement juste était acceptable. En conséquence de quoi il m'est arrivé de rester bloquer sur un mouvement de kata ou un exercice durant… des années avant de pouvoir le réaliser ne serait-ce qu'une fois !
Combien de fois suis-je rentré chez moi des larmes de rage plein les yeux…
Kuroda senseï aime à utiliser l'expression "happy pain" pour décrire l'entraînement. Et il est vrai qu'aujourd'hui, l'âge et l'expérience aidant sans doute, j'accueille les difficultés avec le sourire. Mais ce fut longtemps très différent. Et je retrouve parfois, attendri et ému, mon regard embué dans les yeux de certains pratiquants.
Grande Marie
Quatre ans. Quatre ans déjà que j'ai rencontré Marie Apostoloff, et qu'elle est venue s'installer à Paris pour se plonger dans la pratique martiale. Quatre années où j'ai pu l'observer à travers les hauts et les bas, les espoirs et les désillusions.
Marie se fait aisément remarquer. Son sourire, ses rires et son énergie sont connus de tous les pratiquants du Kishinkaï et des participants aux stages des maîtres Kuroda, Hino ou Kono. Mais ce n'est pas ce que je trouve de plus remarquable chez elle. Loin de là.
Ce que je trouve admirable c'est la façon dont elle fait face aux difficultés et aux frustrations qui jalonnent la vie de tout adepte qui s'engage totalement dans la pratique martiale.
Marie a fait face à de nombreuses difficultés. Les difficultés du quotidien et les blessures de la vie bien entendu, et les frustrations de la pratique martiale surtout. Je l'ai vu vaciller dans des moments difficiles, douter bien sûr, mais je l'ai vu continuer surtout, s'accrocher envers et contre tout.
Depuis quatre ans je l'ai vue se donner les moyens de suivre les cours et les stages, d'aller en Espagne, Hollande, Belgique et au Japon pour pratiquer. En cela elle a fait les mêmes efforts que Julien Coup, Alexandre Grzegorczyk et quelques autres passionnés. Mais elle a aussi fait face à des difficultés auxquelles ils ne se trouveront jamais confrontées. Celle d'être une femme, celle de faire un mètre cinquante-deux.
It's a man's world
Le monde martial est très misogyne. Les femmes y sont rares, et elles sont plus souvent tolérées que respectées. On y loue leur progrès comme ceux des enfants. On flatte souvent notre égo à leurs dépens dans des situation qui sont tout sauf martiales, où on bloque en connaissant le mouvement travaillé, et sans prendre conscience que notre posture rigide fait de nous une victime idéale.
Comme la très large majorité des femmes, Marie a dû faire face à cela.
La taille d'Osenseï
Ueshiba Moriheï faisait 1m52 dit-on. Mais certains de ses élèves m'ont dit qu'il exagérait sa taille et était même plus petit. C'est la taille de Marie.
Il est dur de s'imaginer ce que cela représente. En gros, cela revient à vivre en permanence entouré de gens faisant vingt à trente centimètres de plus que nous. Pour rencontrer régulièrement en stage des pratiquants de deux mètres et plus, je sais que ce n'est pas quelque chose de facile à gérer. Et si je rappelle souvent à Marie que c'était la taille du Fondateur de l'Aïkido, je n'en mesure pas moins la difficulté réelle et constante que cela représente.
Les larmes de Marie
J'ai souvent vu Marie les yeux humides. Mais je n'ai jamais vu d'apitoiement sur soi-même dans son regard. Je ne l'ai pas vue triste d'être une femme en Aïkido, ou de faire un mètre cinquante. J'ai vu dans ses yeux la même rage, la même frustration que j'ai connues des années plus tôt. Celles de ceux qui ont l'orgueil de ne se mesurer qu'à l'excellence et qui souffrent de leurs échecs.
J'ai vu dans les yeux de Marie les larmes que seuls connaissent les adeptes qui s'engagent totalement.
L'envol de Marie
Aujourd'hui Marie fait partie des meilleurs pratiquants du Kishinkaï. J'ai la plus grande affection pour elle, mais surtout un énorme respect pour son engagement et le niveau qu'elle a atteint.
Marie est un des piliers de mon dojo, et un fleuron de l'école. Si elle me remplace régulièrement lorsque je suis en déplacement, c'est la première fois qu'elle donnera prochainement un stage à Bordeaux chez Taro Ochiaï. C'est avec joie et fierté que je la vois prendre son envol. J'ai toute confiance en elle et dans la qualité de sa pratique et son enseignement, et j'espère que vous serez nombreux à aller suivre ce premier stage d'une longue série.
Sur Marie
Une interview passionnante sur le blog Aïki-Kohaï.
Une présentation de Taro.
Une présentation d'Alex.
Le blog de Marie.