Kamae, le potentiel de mouvement
Tai sabaki ≠ déplacement ; kote gaeshi ≠ torsion du poignet ; kamae ≠ garde… Les mauvaises traductions sont aussi nombreuses que communes dans le monde du Budo. Loin d'être anecdotiques, ces erreurs sont à la source de modifications dans la pratique physique de nos disciplines.
Kamae 構え
Kamae est généralement traduit par garde. S'il est toujours complexe de traduire un terme, posture est bien plus proche de l'idée qui sous-tend la notion de kamae, en particulier dans la pratique martiale.
La garde, un avatar de la civilisation de la pierre ?
Les cultures sont largement façonnées par l'environnement. Ainsi Sasaki Masando me confia :
L'origine japonaise de l'Aïkido est donc partie intégrante de sa nature ?
(…) Chaque peuple est lié à des éléments et voit, conçoit et mesure les choses à travers eux.
(…) La Terre, comme l'Aïkido, est unique mais multiple dans ses manifestations. Elle abrite des environnements chauds et d'autres froids, des climats doux ou hostiles. Et chaque culture, chaque pays a été modelé par l'environnement qui lui a donné naissance.
(…) La France, qui est au cœur de l'Europe, est de la civilisation de la pierre. La civilisation de la pierre est née dans des contrées où les terres étaient souvent arides, où il était difficile de survivre. Il était donc nécessaire de préserver ses ressources et protéger ses réserves. C'est pourquoi s'y sont développés les bâtiments de pierre. C'est dans cette civilisation et sur cet esprit que la science moderne s'est développée. Mais le réchauffement climatique est aussi la conséquence de cette culture de la pierre…
J'ajouterai que les choix agricoles ont aussi modelé la psyché de nos ancêtres. Si une famille se serrant les coudes pouvaient labourer et récolter seule son champ, c'est impossible avec une rizière. Dès lors l'unité de survie en Occident (la famille) et en Orient (le village) avait une taille très différente. Une différence fondamentale a sans aucun doute participé à l'importance du groupe en Asie, et l'individualisme occidental. Point de jugement de valeur ici, où comme ailleurs seuls les excès sont néfastes.
La civilisation de la pierre considère comme une évidence que l'on peut protéger, garder ses biens, son espace. Des murets aux châteaux-forts, tout l'environnement en témoigne. Il n'est donc pas surprenant que l'on traduise kamae par… "garde".
Le potentiel de mouvement
Un kamae utilisé comme une garde, est semblable à la ligne Maginot. Pas totalement inutile, mais peu efficace. Si en boxe anglaise la largeur des gants et le peu de coups autorisés donne un sens à l'idée de protéger une cible, cela devient risible au sabre. Large de quelques millimètres et longue de moins d'un mètre, la lame du sabre ne ferme concrètement qu'un espace anecdotique.
En revanche si l'on traduit kamae par posture, et que l'on juge de sa pertinence par rapport à son potentiel de mouvement (défensif ET offensif), la notion prend tout son sens.
Kamae du Kishinkaï
Chaque école a ses spécificités en termes de contexte d'application, choix de stratégies, etc. Au Kishinkaï nous considérons que les adversaires nous sont supérieurs physiquement, que cela soit par leur nombre, leur armement, et/ou leur gabarit. Dès lors le blocage présente un intérêt très limité. C'est pourquoi nous avons développé un style très proactif, insistant sur la simultanéité de l'awase (harmonisation) et irimi (entrée, frappe).
Nous travaillons essentiellement à partir de trois kamae aux armes, et trois à mains nues. L'idée est d'avoir un nombre de postures restreint, mais qu'elles soient aussi versatiles que possibles. L'accent est mis sur le potentiel d'action qu'elles permettent.
Un brin de parano ?