Le Shotokan, Funakoshi et Ueshiba dans l'histoire…
J'ai lu récemment un article très intéressant de Graham Noble sur le Karaté de maître Funakoshi. Funakoshi senseï est la pièce maîtresse du développement du Karaté. Sans son dévouement à son art il est possible et probable que cette discipline soit restée confidentielle. Le paysage des arts martiaux contemporain serait d'ailleurs totalement différent tant le Karaté a influencé toutes les autres disciplines pieds-poings, notamment le Taekwondo et le Kung-fu, que ce soit au niveau technique, spirituel, ou dans la façon d'enseigner.
Funakoshi senseï dédia sa vie à sa discipline. C'est une incroyable leçon d'humilité que de lire sa biographie. Suga senseï me disait un jour qu'il avait pleuré en lisant qu'il était venu à Tokyo seul, âgé de plus de cinquante ans et qu'il travaillait comme concierge afin de subvenir à ses besoins pour développer son art…
Le Shotokan, style issu de son enseignement est aujourd'hui encore l'école de Karaté la plus répandue dans le monde bien que ses effectifs aillent à présent probablement en diminuant. C'est aussi le premier style de Karaté que j'ai pratiqué sous la direction de Jean-Pierre Vignau et j'en garde de très bons souvenirs.
L'article est intéressant à de nombreux points de vue. Tout d'abord il évoque le rôle de Funakoshi Yoshitaka, l'un des fils du maître à l'influence indéniable bien que difficilement quantifiable. J'ai notamment appris que celui-ci avait créé plusieurs kata, Ten (ciel), Ji (terre), Jin (homme) et Shoto. Malheureusement seul le premier a été préservé et il est de moins en moins pratiqué.
Le combat à mains nues était aussi inclus et l'instructeur d'origine était Moriheï Ueshiba
Harada senseï, un ami de maître Tamura, donne ensuite d'intéressantes indications sur la pratique. Le passage qui m'intéressa le plus de son récit est celui-ci:
"The institution concerned was the Nakano School, a training school for military espionage analogous to our MI5. Trainees were on a one year course covering undercover work, guerrilla warfare and so on. Unarmed combat was also included and the original teacher for this was Morihei Uyeshiba (of Aikido). Uyeshiba himself was good but when the students tried to apply the techniques they couldn't make them work under real conditions. In a way, Aikido had too much "technique" for the limited one year of training. The military leaders decided to look at karate as an alternative, and they observed the different styles, such as Goju, Wado, and Shotokan."
Traduction approximative:
"L'institution en question était l'Ecole Nakano, une école formant à l'espionnage militaire similaire à notre MI5. Les élèves suivaient une formation d'un an qui couvrait le travail sous couverture, les techniques de guérilla, etc… Le combat à mains nues était aussi inclus et l'instructeur d'origine était Moriheï Ueshiba (de l'Aïkido). Ueshiba lui-même était bon mais quand les élèves essayaient d'appliquer les techniques ils ne pouvaient les faire marcher en conditions réelles. D'une certaine façon l'Aïkido avait trop de techniques (ou était trop technique) pour une formation limitée d'un an. Les dirigeants militaires envisagèrent le Karaté comme alternative et observèrent alors les différents styles tels que le Goju, le Wado et le Shotokan."
Il y a dans ce passage beaucoup d'informations très intéressantes. Tout d'abord le fait que maître Ueshiba, contrairement à l'image pacifiste que beaucoup cherchent à donner de lui aujourd'hui, était impliqué dans la guerre en tant qu'instructeur. Il ne faut pas oublier qu'il fit d'énormes efforts pour être incorporé étant jeune et que nombre de ses proches étaient d'important membres de groupes d'extrême-droite. Yoshida Kotaro qui présenta Ueshiba à Takeda Sokaku étant l'un des plus virulents d'entre eux. La famille Ueshiba qui n'était pas de d'ascendance noble utilise d'ailleurs le mon (blason) de la famille Yoshida.
Sans doute Ueshiba a-t-il tenté de désamorcer la guerre comme on peut le lire dans certains récits. Mais il est certain aussi que, même s'il semble avoir très tôt intégré un idéal spirituel à sa pratique, celle-ci restait à ses yeux une technique martiale utilisable lorsque nécessaire.
Une autre information intéressante est le fait que les élèves de Ueshiba n'arrivaient pas à appliquer son enseignement. La même "mésaventure" arriva d'ailleurs au grand-père de Kuroda senseï dans l'enseignement de l'art du sabre.
"Il y en a une qui s'est passée à l'académie militaire de Toyama pendant la guerre. On lui avait demandé de venir enseigner la coupe aux soldats. A cette époque l'entraînement consistait à couper des bambous plantés dans le sol.
Mon grand-père leur dit: "Vous êtes des militaires et vous ne ferez pas face à des adversaires qui attendent simplement assis ou debout. Entraînez-vous plutôt à couper en courant!"
L'instructeur lui répondit que c'était plus facile à dire qu'à faire et lui demanda une démonstration. Il prit alors un sabre militaire et coupa en courant tous les bambous.
Ce qui est important ce n'est pas qu'il ait coupé tous les bambous mais la manière dont il l'a fait. Il ne s'est pas arrêté pour prendre appui et couper en diagonale. Il les a tous coupés à l'horizontale en courant avec juste un léger mouvement du poignet!
L'instructeur lui a alors dit: "Vous pouvez couper ainsi mais c'est impossible pour des soldats." Mon grand-père est alors parti. (rires)"
L'efficacité des techniques ne semble pas être mise en question dans le passage sur maître Ueshiba. Mais, bien que les élèves aient été sur le départ pour la guerre, ils ne disposaient pas d'un temps d'apprentissage suffisant. L'enseignement des bujutsu du passé qui passait par des années de pratique régulière et intensive ne pouvait se faire en quelques mois entre le tir aux armes à feu, l'apprentissage de la guérilla, etc… Dans ce contexte de guerre moderne il est aujourd'hui évident que des méthodes plus "basiques" ne nécessitant pas de modification de l'utilisation du corps sont plus efficaces.
"… peu de jeunes élèves voulaient étudier d'un maître de 80 ans qui ne s'intéressait qu'aux katas…"
Dans la suite de l'article un autre passage m'a frappé. Il évoque Funakoshi senseï à plus de 80 ans.
"His class at Waseda was held on a Saturday, but attendance was poor. Things had moved on and few of the young trainees wanted to learn from an eighty-year-old teacher who was interested only in kata--especially when they wanted to practice kumite."
Traduction approximative:
"Ses cours à Waseda se tenaient le samedi mais l'audience était très limitée. Les choses avaient changées et peu de jeunes élèves voulaient étudier d'un maître de 80 ans qui ne s'intéressait qu'aux katas, surtout lorsqu'ils voulaient pratiquer le kumite".
Le passage d'une pratique traditionnelle à une pratique moderne s'est fait principalement par l'appauvrissement de la pratique des kata et parfois sa perte comme dans le cas de ceux de Yoshitaka Funakoshi. Alors qu'il est difficile de juger de l'intérêt des kata récents, celui des kata antiques ayant traversé les siècles est indéniable. Malheureusement il est bien plus gratifiant de s'amuser et flatter son égo en combattant à toute occasion que de répéter inlassablement les kata en cherchant à en comprendre l'essence. Pourtant comment ne pas comprendre la richesse de ces formes sur lesquelles les adeptes du passé misaient leurs vies...
Articles
J'ai aussi lu récemment deux articles intéressants sur les blogs de Stéphane Crommelynck et Ivan Bel. Le premier présente une triste anecdote que je vous laisse découvrir. Dans les arts martiaux la situation est parfois la même. Aucun doute sur le fait que les plus grands shihan se feraient corriger par leurs partenaires s'ils n'étaient reconnus. Et j'ai connu nombre d'experts à qui cela est arrivé.
Le second détaille la marche et précisera certaines choses pour les pratiquants intéressés, notamment au niveau du vocabulaire.
Funakoshi senseï dédia sa vie à sa discipline. C'est une incroyable leçon d'humilité que de lire sa biographie. Suga senseï me disait un jour qu'il avait pleuré en lisant qu'il était venu à Tokyo seul, âgé de plus de cinquante ans et qu'il travaillait comme concierge afin de subvenir à ses besoins pour développer son art…
Funakoshi Gichin
Le Shotokan, style issu de son enseignement est aujourd'hui encore l'école de Karaté la plus répandue dans le monde bien que ses effectifs aillent à présent probablement en diminuant. C'est aussi le premier style de Karaté que j'ai pratiqué sous la direction de Jean-Pierre Vignau et j'en garde de très bons souvenirs.
L'article est intéressant à de nombreux points de vue. Tout d'abord il évoque le rôle de Funakoshi Yoshitaka, l'un des fils du maître à l'influence indéniable bien que difficilement quantifiable. J'ai notamment appris que celui-ci avait créé plusieurs kata, Ten (ciel), Ji (terre), Jin (homme) et Shoto. Malheureusement seul le premier a été préservé et il est de moins en moins pratiqué.
Funakoshi Yoshitaka
Le combat à mains nues était aussi inclus et l'instructeur d'origine était Moriheï Ueshiba
Harada senseï, un ami de maître Tamura, donne ensuite d'intéressantes indications sur la pratique. Le passage qui m'intéressa le plus de son récit est celui-ci:
"The institution concerned was the Nakano School, a training school for military espionage analogous to our MI5. Trainees were on a one year course covering undercover work, guerrilla warfare and so on. Unarmed combat was also included and the original teacher for this was Morihei Uyeshiba (of Aikido). Uyeshiba himself was good but when the students tried to apply the techniques they couldn't make them work under real conditions. In a way, Aikido had too much "technique" for the limited one year of training. The military leaders decided to look at karate as an alternative, and they observed the different styles, such as Goju, Wado, and Shotokan."
Traduction approximative:
"L'institution en question était l'Ecole Nakano, une école formant à l'espionnage militaire similaire à notre MI5. Les élèves suivaient une formation d'un an qui couvrait le travail sous couverture, les techniques de guérilla, etc… Le combat à mains nues était aussi inclus et l'instructeur d'origine était Moriheï Ueshiba (de l'Aïkido). Ueshiba lui-même était bon mais quand les élèves essayaient d'appliquer les techniques ils ne pouvaient les faire marcher en conditions réelles. D'une certaine façon l'Aïkido avait trop de techniques (ou était trop technique) pour une formation limitée d'un an. Les dirigeants militaires envisagèrent le Karaté comme alternative et observèrent alors les différents styles tels que le Goju, le Wado et le Shotokan."
Il y a dans ce passage beaucoup d'informations très intéressantes. Tout d'abord le fait que maître Ueshiba, contrairement à l'image pacifiste que beaucoup cherchent à donner de lui aujourd'hui, était impliqué dans la guerre en tant qu'instructeur. Il ne faut pas oublier qu'il fit d'énormes efforts pour être incorporé étant jeune et que nombre de ses proches étaient d'important membres de groupes d'extrême-droite. Yoshida Kotaro qui présenta Ueshiba à Takeda Sokaku étant l'un des plus virulents d'entre eux. La famille Ueshiba qui n'était pas de d'ascendance noble utilise d'ailleurs le mon (blason) de la famille Yoshida.
Sans doute Ueshiba a-t-il tenté de désamorcer la guerre comme on peut le lire dans certains récits. Mais il est certain aussi que, même s'il semble avoir très tôt intégré un idéal spirituel à sa pratique, celle-ci restait à ses yeux une technique martiale utilisable lorsque nécessaire.
Ueshiba Moriheï
Une autre information intéressante est le fait que les élèves de Ueshiba n'arrivaient pas à appliquer son enseignement. La même "mésaventure" arriva d'ailleurs au grand-père de Kuroda senseï dans l'enseignement de l'art du sabre.
"Il y en a une qui s'est passée à l'académie militaire de Toyama pendant la guerre. On lui avait demandé de venir enseigner la coupe aux soldats. A cette époque l'entraînement consistait à couper des bambous plantés dans le sol.
Mon grand-père leur dit: "Vous êtes des militaires et vous ne ferez pas face à des adversaires qui attendent simplement assis ou debout. Entraînez-vous plutôt à couper en courant!"
L'instructeur lui répondit que c'était plus facile à dire qu'à faire et lui demanda une démonstration. Il prit alors un sabre militaire et coupa en courant tous les bambous.
Ce qui est important ce n'est pas qu'il ait coupé tous les bambous mais la manière dont il l'a fait. Il ne s'est pas arrêté pour prendre appui et couper en diagonale. Il les a tous coupés à l'horizontale en courant avec juste un léger mouvement du poignet!
L'instructeur lui a alors dit: "Vous pouvez couper ainsi mais c'est impossible pour des soldats." Mon grand-père est alors parti. (rires)"
L'efficacité des techniques ne semble pas être mise en question dans le passage sur maître Ueshiba. Mais, bien que les élèves aient été sur le départ pour la guerre, ils ne disposaient pas d'un temps d'apprentissage suffisant. L'enseignement des bujutsu du passé qui passait par des années de pratique régulière et intensive ne pouvait se faire en quelques mois entre le tir aux armes à feu, l'apprentissage de la guérilla, etc… Dans ce contexte de guerre moderne il est aujourd'hui évident que des méthodes plus "basiques" ne nécessitant pas de modification de l'utilisation du corps sont plus efficaces.
"… peu de jeunes élèves voulaient étudier d'un maître de 80 ans qui ne s'intéressait qu'aux katas…"
Dans la suite de l'article un autre passage m'a frappé. Il évoque Funakoshi senseï à plus de 80 ans.
"His class at Waseda was held on a Saturday, but attendance was poor. Things had moved on and few of the young trainees wanted to learn from an eighty-year-old teacher who was interested only in kata--especially when they wanted to practice kumite."
Traduction approximative:
"Ses cours à Waseda se tenaient le samedi mais l'audience était très limitée. Les choses avaient changées et peu de jeunes élèves voulaient étudier d'un maître de 80 ans qui ne s'intéressait qu'aux katas, surtout lorsqu'ils voulaient pratiquer le kumite".
Funakoshi Gichin
Le passage d'une pratique traditionnelle à une pratique moderne s'est fait principalement par l'appauvrissement de la pratique des kata et parfois sa perte comme dans le cas de ceux de Yoshitaka Funakoshi. Alors qu'il est difficile de juger de l'intérêt des kata récents, celui des kata antiques ayant traversé les siècles est indéniable. Malheureusement il est bien plus gratifiant de s'amuser et flatter son égo en combattant à toute occasion que de répéter inlassablement les kata en cherchant à en comprendre l'essence. Pourtant comment ne pas comprendre la richesse de ces formes sur lesquelles les adeptes du passé misaient leurs vies...
Articles
J'ai aussi lu récemment deux articles intéressants sur les blogs de Stéphane Crommelynck et Ivan Bel. Le premier présente une triste anecdote que je vous laisse découvrir. Dans les arts martiaux la situation est parfois la même. Aucun doute sur le fait que les plus grands shihan se feraient corriger par leurs partenaires s'ils n'étaient reconnus. Et j'ai connu nombre d'experts à qui cela est arrivé.
Le second détaille la marche et précisera certaines choses pour les pratiquants intéressés, notamment au niveau du vocabulaire.
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