L'art martial du côté artistique
Voici une discussion qui a eu lieu en partie dans les commentaires suite aux articles "Budo, l'attitude des maîtres au quotidien" et "Budo, l'attitude des maîtres au quotidien. Commentaires."
Elle concerne la comparaison entre maîtres d'art et maîtres d'arts martiaux puis le lien entre l'art et les arts martiaux. Pour plus de clarté j'ai repris certains extraits déjà publiés.
"J'ai fais des études d'art et en peinture un maître est souvent... mort déjà, maîtrise les techniques picturales mais peut être torturé, par exemple pas forcément équilibré et serein (cf Van Gogh, Picasso..)."
virginie
Dans la pratique martiale un maître mort, mais surtout que l'on n'a pas rencontré, ne peut, à mon avis, qu'être une référence idéalisée. Si ses écrits peuvent nous éclairer, son image nous motiver, et pour les plus récents, des films de lui nous donner une idée de son travail, cela ne peut remplacer la pratique avec un maître en chair et en os.
Quand au fait de ne pas être équilibré et serein, dans l'état actuel de ma réflexion, je dirai que pour la pratique martiale c'est alors d'un expert et non d'un maître dont nous parlons. Mais il n'y a aucun mal à suivre un expert tant qu'on ne le confond pas avec un maître.
"Je partage la vision que Virginie a du Maître en général (je me faisais une réflexion similaire sur le déséquilibre que manifestent/ont manifesté beaucoup de maîtres reconnus en diverses disciplines)."
Mat.
Je crois qu'il ne faut pas confondre les domaines. Celui qu'on appelle un maître dans le domaine des arts est jugé sur son œuvre artistique tandis qu'un maître de budo est jugé sur son achèvement personnel. Et si en effet beaucoup d'artistes étaient plus ou moins déséquilibrés, il ne faut pas en faire une généralité non plus et beaucoup furent des êtres équilibrés. On ne retient souvent que les images les plus romantiques des peintres torturés et il n'est pas non plus à exclure que cette image ait, dans certains cas, aidé à leur célébrité (involontairement).
"…en ce qui concerne les maîtres en peinture et arts martiaux, il ne faut pas confondre et mélanger les genres évidemment, mais on peut faire le parallèle et comparer, d'autant plus que les maîtres de Budo pratiquent souvent un art en annexe (calligraphie, musique..)."
virginie
Concernant les parallèles entre maîtres de peinture et d'arts martiaux je ne trouve toujours pas, personnellement, que cela soit très judicieux.
"Quant à Van Gogh ou Picasso, ils sont connus pour leurs talents et ont fait leurs preuves (concours gagnés, etc, commandes, maîtrise de leurs arts : gestes, dessin, couleurs) d'une manière aussi académique que modernes.
Leurs vies privés et anecdotiques sont souvent là pour faire parler les langues, conséquences de leurs célébrités et non pas la cause."
virginie
Je n'ai pas étudié l'art mais mon père est artiste peintre et j'ai grandi dans les musées et entourées de peintres. Les avis par exemple sur l'importance d'un Van Gogh sont très très divergents. Certains l'estiment comme, au moins, le plus grand peintre du vingtième siècle, tandis que d'autres estiment que, tout grand peintre qu'il soit, c'est aussi sa passion qui est célébrée. (Quand à ses preuves il n'a d'ailleurs à ma connaissance gagné aucun concours et vendu qu'une seule œuvre en dehors de sa famille.)
L'art est, plus que toute autre chose, subjectif. Les concours de peinture ne me semblent d'ailleurs pas, par exemple, d'un intérêt majeur… Comment détermine donc d'une personne qu'elle est "maître de peinture"? Bien sûr, aujourd'hui que la pratique ne peut être mise en action, je t'accorde que le problème se pose aussi dans les voies martiales. Mais c'est un autre sujet.
Quand au fait que des maîtres d'arts martiaux pratiquent ou aient pratiqué d'autres voies en annexe, dans le passé cela faisait tout simplement partie de l'éducation d'un samouraï. Aujourd'hui j'en connais peu qui le font, et de ceux qui le font, les productions sont loin de toujours être du niveau de leur pratique martiale :D N'est pas Musashi qui veut!
Au final mon point de vue est qu'un artiste reconnu n'a pas besoin d'être équilibré ni serein, tandis que c'est, à mon sens, la marque d'un maître. Je ne vois donc pas dans le cas présent où le parallèle peut s'inscrire.
"Les férus d'art regardent en premier le tableau et après l'artiste.
En aïkido aussi, je regarde la technique en premier et le reste après."
virginie
Tu dis en Aïkido "regarder la technique en premier". J'ai personnellement rencontré des gens dont la technique n'était pas parfaite mais que je considère comme des maîtres. Et j'ai rencontré des adeptes à la technique phénoménale qui étaient des individus malsains. Alors que pour un artiste je regarderai l'œuvre, pour un maître je regarderai l'homme.
"Penses-tu que l'art martial peut être vu du côté artistique (le côté art et le côté martial)?"
virginie
Pourquoi pas. Malheureusement à l'heure actuelle ce qui est appelé "art martial artistique" est, pour moi, totalement dénué d'intérêt et généralement aussi éloigné de l'art que du martial.
Les origines latines du mot art signifient "habileté, métier, connaissance technique". C'est pour moi dans ce sens qu'il faut comprendre le mot "art" dans art martial et non comme quelque chose d'artistique. Les mots japonais que l'on traduit part "art martial" sont généralement budo et bujutsu, traduits littéralement cela donne en réalité "voie martiale" et "technique martiale". Aucune connotation artistique directe donc.
Si une technique "juste" peut être considérée belle, une technique belle n'est pas forcément juste du point de vue martial. Kono senseï et Hino senseï qui travaillent avec des danseurs, des musiciens, des acteurs… et leur trouvent des qualités certaines, m'ont plusieurs fois confiés qu'ils n'étaient pas plus doués que d'autres pour la pratique martiale. Leur capacité de travail est une aide, leur sensibilité éventuellement mais leur utilisation du corps laisse souvent à désirer selon le point de vue martial.
"Je pense que la pratique d'un art en annexe peut enrichir la pratique de l'aïkido : rythme (musique), tempo, intensité, le sens de l'observation (la photo par exemple)."
virginie
Là aussi, pourquoi pas. Cela dit personnellement je considère que la pratique martiale, si elle nécessite par exemple de sentir le rythme du partenaire, nous amène souvent à le briser, même si cela est de manière douce. Toute activité source d'évolution personnelle peut avoir à ce titre un impact positif sur notre pratique. Mais je pense que cela est limité et la frontière est ténue entre "enrichir" et "parasiter". Les voies qui permettent le plus grand enrichissement de ce point de vue me semblent être le chado (la voie du thé), le zen, et, mais de façon un peu moins évidente, le shodo (la calligraphie).
Le risque toutefois avec toute activité annexe comme avec une activité professionnelle est de voir la pratique martiale trop fortement teintée. Les arts martiaux ont un fonctionnement propre, une culture et une logique qui leurs sont propres. Une intégration irréfléchie peut se faire à leur détriment.
Prenons par exemple le cas d'un kinésithérapeute. S'il cherche à comprendre certains mouvements d'après ce qu'il connaît il risque de passer à côté de certaines choses. J'ai plusieurs élèves kinés et osthéos. Lorsqu'ils ont rencontré certains maîtres que je fais venir ils ont découvert de nouvelles façons d'utiliser le corps. Et la plupart m'ont au contraire dit que c'est cela qui avait changé leur façon de travailler, plutôt que leur travail qui leur a permis d'être meilleur. Ils viennent l'esprit ouvert et ne sont pas limités par les frontières actuelles des connaissances de leur discipline. Les danseurs et autres musiciens qui viennent aux stages enrichissent aussi leurs pratiques en découvrant de nouvelles choses.
"Pour expliquer, lorsque je vois la technique, je vois déjà l'homme car les gestes trahissent la pensée. Plus facile pour Hino Akira très expressif corporellement dans son kata que pour une école traditionnelle où tout les gestes sont codifiés."
virginie
Si tu vois la pensée d'un maître dans ses gestes alors… il est à douter qu'il soit un maître. Sans doute peux-tu y déceler certaines qualités mais quand à l'intention…
"Pour Kono senseï, on peut voir sa rigueur et sa rapidité, sa concentration, l'esprit acéré."
virginie
Oui dans ce sens, déceler des qualités, pourquoi pas.
Elle concerne la comparaison entre maîtres d'art et maîtres d'arts martiaux puis le lien entre l'art et les arts martiaux. Pour plus de clarté j'ai repris certains extraits déjà publiés.
"J'ai fais des études d'art et en peinture un maître est souvent... mort déjà, maîtrise les techniques picturales mais peut être torturé, par exemple pas forcément équilibré et serein (cf Van Gogh, Picasso..)."
virginie
Dans la pratique martiale un maître mort, mais surtout que l'on n'a pas rencontré, ne peut, à mon avis, qu'être une référence idéalisée. Si ses écrits peuvent nous éclairer, son image nous motiver, et pour les plus récents, des films de lui nous donner une idée de son travail, cela ne peut remplacer la pratique avec un maître en chair et en os.
Quand au fait de ne pas être équilibré et serein, dans l'état actuel de ma réflexion, je dirai que pour la pratique martiale c'est alors d'un expert et non d'un maître dont nous parlons. Mais il n'y a aucun mal à suivre un expert tant qu'on ne le confond pas avec un maître.
"Je partage la vision que Virginie a du Maître en général (je me faisais une réflexion similaire sur le déséquilibre que manifestent/ont manifesté beaucoup de maîtres reconnus en diverses disciplines)."
Mat.
Je crois qu'il ne faut pas confondre les domaines. Celui qu'on appelle un maître dans le domaine des arts est jugé sur son œuvre artistique tandis qu'un maître de budo est jugé sur son achèvement personnel. Et si en effet beaucoup d'artistes étaient plus ou moins déséquilibrés, il ne faut pas en faire une généralité non plus et beaucoup furent des êtres équilibrés. On ne retient souvent que les images les plus romantiques des peintres torturés et il n'est pas non plus à exclure que cette image ait, dans certains cas, aidé à leur célébrité (involontairement).
"…en ce qui concerne les maîtres en peinture et arts martiaux, il ne faut pas confondre et mélanger les genres évidemment, mais on peut faire le parallèle et comparer, d'autant plus que les maîtres de Budo pratiquent souvent un art en annexe (calligraphie, musique..)."
virginie
Concernant les parallèles entre maîtres de peinture et d'arts martiaux je ne trouve toujours pas, personnellement, que cela soit très judicieux.
"Quant à Van Gogh ou Picasso, ils sont connus pour leurs talents et ont fait leurs preuves (concours gagnés, etc, commandes, maîtrise de leurs arts : gestes, dessin, couleurs) d'une manière aussi académique que modernes.
Leurs vies privés et anecdotiques sont souvent là pour faire parler les langues, conséquences de leurs célébrités et non pas la cause."
virginie
Je n'ai pas étudié l'art mais mon père est artiste peintre et j'ai grandi dans les musées et entourées de peintres. Les avis par exemple sur l'importance d'un Van Gogh sont très très divergents. Certains l'estiment comme, au moins, le plus grand peintre du vingtième siècle, tandis que d'autres estiment que, tout grand peintre qu'il soit, c'est aussi sa passion qui est célébrée. (Quand à ses preuves il n'a d'ailleurs à ma connaissance gagné aucun concours et vendu qu'une seule œuvre en dehors de sa famille.)
L'art est, plus que toute autre chose, subjectif. Les concours de peinture ne me semblent d'ailleurs pas, par exemple, d'un intérêt majeur… Comment détermine donc d'une personne qu'elle est "maître de peinture"? Bien sûr, aujourd'hui que la pratique ne peut être mise en action, je t'accorde que le problème se pose aussi dans les voies martiales. Mais c'est un autre sujet.
Quand au fait que des maîtres d'arts martiaux pratiquent ou aient pratiqué d'autres voies en annexe, dans le passé cela faisait tout simplement partie de l'éducation d'un samouraï. Aujourd'hui j'en connais peu qui le font, et de ceux qui le font, les productions sont loin de toujours être du niveau de leur pratique martiale :D N'est pas Musashi qui veut!
Peinture de Musashi
Au final mon point de vue est qu'un artiste reconnu n'a pas besoin d'être équilibré ni serein, tandis que c'est, à mon sens, la marque d'un maître. Je ne vois donc pas dans le cas présent où le parallèle peut s'inscrire.
"Les férus d'art regardent en premier le tableau et après l'artiste.
En aïkido aussi, je regarde la technique en premier et le reste après."
virginie
Tu dis en Aïkido "regarder la technique en premier". J'ai personnellement rencontré des gens dont la technique n'était pas parfaite mais que je considère comme des maîtres. Et j'ai rencontré des adeptes à la technique phénoménale qui étaient des individus malsains. Alors que pour un artiste je regarderai l'œuvre, pour un maître je regarderai l'homme.
"Penses-tu que l'art martial peut être vu du côté artistique (le côté art et le côté martial)?"
virginie
Pourquoi pas. Malheureusement à l'heure actuelle ce qui est appelé "art martial artistique" est, pour moi, totalement dénué d'intérêt et généralement aussi éloigné de l'art que du martial.
Les origines latines du mot art signifient "habileté, métier, connaissance technique". C'est pour moi dans ce sens qu'il faut comprendre le mot "art" dans art martial et non comme quelque chose d'artistique. Les mots japonais que l'on traduit part "art martial" sont généralement budo et bujutsu, traduits littéralement cela donne en réalité "voie martiale" et "technique martiale". Aucune connotation artistique directe donc.
Si une technique "juste" peut être considérée belle, une technique belle n'est pas forcément juste du point de vue martial. Kono senseï et Hino senseï qui travaillent avec des danseurs, des musiciens, des acteurs… et leur trouvent des qualités certaines, m'ont plusieurs fois confiés qu'ils n'étaient pas plus doués que d'autres pour la pratique martiale. Leur capacité de travail est une aide, leur sensibilité éventuellement mais leur utilisation du corps laisse souvent à désirer selon le point de vue martial.
Hino senseï, maître de Budo et... batteur
"Je pense que la pratique d'un art en annexe peut enrichir la pratique de l'aïkido : rythme (musique), tempo, intensité, le sens de l'observation (la photo par exemple)."
virginie
Là aussi, pourquoi pas. Cela dit personnellement je considère que la pratique martiale, si elle nécessite par exemple de sentir le rythme du partenaire, nous amène souvent à le briser, même si cela est de manière douce. Toute activité source d'évolution personnelle peut avoir à ce titre un impact positif sur notre pratique. Mais je pense que cela est limité et la frontière est ténue entre "enrichir" et "parasiter". Les voies qui permettent le plus grand enrichissement de ce point de vue me semblent être le chado (la voie du thé), le zen, et, mais de façon un peu moins évidente, le shodo (la calligraphie).
Le risque toutefois avec toute activité annexe comme avec une activité professionnelle est de voir la pratique martiale trop fortement teintée. Les arts martiaux ont un fonctionnement propre, une culture et une logique qui leurs sont propres. Une intégration irréfléchie peut se faire à leur détriment.
Prenons par exemple le cas d'un kinésithérapeute. S'il cherche à comprendre certains mouvements d'après ce qu'il connaît il risque de passer à côté de certaines choses. J'ai plusieurs élèves kinés et osthéos. Lorsqu'ils ont rencontré certains maîtres que je fais venir ils ont découvert de nouvelles façons d'utiliser le corps. Et la plupart m'ont au contraire dit que c'est cela qui avait changé leur façon de travailler, plutôt que leur travail qui leur a permis d'être meilleur. Ils viennent l'esprit ouvert et ne sont pas limités par les frontières actuelles des connaissances de leur discipline. Les danseurs et autres musiciens qui viennent aux stages enrichissent aussi leurs pratiques en découvrant de nouvelles choses.
Enrichir sa pratique grâce à l'art martial
"Pour expliquer, lorsque je vois la technique, je vois déjà l'homme car les gestes trahissent la pensée. Plus facile pour Hino Akira très expressif corporellement dans son kata que pour une école traditionnelle où tout les gestes sont codifiés."
virginie
Si tu vois la pensée d'un maître dans ses gestes alors… il est à douter qu'il soit un maître. Sans doute peux-tu y déceler certaines qualités mais quand à l'intention…
"Pour Kono senseï, on peut voir sa rigueur et sa rapidité, sa concentration, l'esprit acéré."
virginie
Oui dans ce sens, déceler des qualités, pourquoi pas.
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