Entretien avec Shimizu senseï (4): l'Aïkido est-il une religion?
Beaucoup de gens considèrent l'Aïkido comme une religion. Qu'en pensez-vous?
Je comprends ce point de vue. Personnellement j'apprécie l'expression "Ugoku zen", le zen en mouvement. Bien sûr certains considèrent le zen comme une religion mais je crois que, dans le cas présent, le zen est considéré comme une philosophie, un état d'esprit et d'être.
Le fondateur de l'Aïkido, Ueshiba Moriheï, était un homme profondément croyant. Baigné dans la religion dès son enfance, il aura durant toute son existence une intense vie spirituelle. Certains chercheurs martiaux considèrent qu'il voyait la discipline qu'il avait créée comme une pratique de purification, un misogi, et c'est une opinion que je partage.
Bien entendu pratiquer l'Aïkido comme une ascèse n'empêche pas de le faire en gardant une cohérence martiale et même en recherchant l'efficacité dans ce domaine, ce que semble avoir fait Osenseï toute sa vie. On est toutefois en droit de se demander, au regard de cette conception, si l'aspect martial est essentiel ou même nécessaire.
A titre personnel je suis très attaché à la martialité de la pratique pour deux raisons.
Tout d'abord l'Aïkido pratiqué intensément dans un esprit martial nous met dans des situations où la pensée doit s'effacer au risque d'être frappé ou coupé par aïte. L'adepte poursuivant son chemin arrivera immanquablement à un stade où il devra intégrer des concepts tels que Mushin, l'esprit vide, afin de pouvoir continuer à avancer et progresser. Ses progrès dans la pratique induiront et nécessiteront une évolution spirituelle.
La seconde raison est que… cela est distrayant. C'est un point qui est très important car il est très difficile de s'investir pleinement sa vie durant dans une pratique qui ne nous amuse pas.
Le Bouddha du Tendokan
Alors que je retrouve en Shimizu senseï ce que j'ai pu découvrir de la manière d'enseigner du Fondateur et sa façon de bouger, un point sur lequel ils diffèrent est l'absence de discours religieux. Le Tendokan de Shimizu senseï n'abrite d'ailleurs pas d'autel Shinto. Shimizu senseï eut pourtant la gentillesse de me montrer une chose que peu de personnes, même parmi ses élèves, connaissent. Le Bouddha du Tendokan…
Derrière la calligraphie représentant les caractères de Tendo, la Voie du ciel, vers qui Shimizu senseï et les élèves s'inclinent au début et à la fin du cours, se trouve une petite cavité. Dans cette minuscule grotte artificielle repose un Bouddha. Ainsi, sans que quiconque ait à s'incliner devant lui, Shimizu senseï peut le saluer en paix. D'aucuns trouveront probablement à critiquer en disant qu'il oblige ses élèves à saluer contre leur gré. J'y vois personnellement un exemple de plus de sa délicatesse.
Un passage de l'interview de Shimizu senseï où il aborde la question du Zen:
Quelle qualité le pratiquant doit-il chercher à développer?
Il est important de développer l'instinct juste, d'apprendre au corps à agir spontanément en accord avec les lois de la nature. Les techniques s'ajoutent mais ce n'est pas avec la tête qu'on doit les comprendre mais avec le corps. Dans les moments critiques lorsque l'on est attaqué c'est le corps qui réagit naturellement.
L'Aïkido s'étudie par la répétition. La force de la pratique constante est qu'elle permet d'apprendre avec le corps. Le kokyu, la capacité de lire le ma aï, sont des choses que l'on doit sentir avec son corps afin de pouvoir continuer à progresser. La technique se développe ainsi naturellement avec le temps.
Mais la forme est aussi quelque chose que l'on doit abandonner pour avancer. Il faut l'étudier précisément mais ne pas en être prisonnier. On ne la perd pas mais elle devient une partie de vous-même et vous l'oubliez parce que vous n'en avez plus conscience. Si vous en êtes encore conscient vous ne pouvez plus avancer.
C'est comme une tasse qui serait pleine, il n'est plus possible d'y mettre quoi que ce soit de nouveau. Pratiquer au point que la technique devient si naturelle qu'on l'oublie est ce qui nous permet de préserver notre capacité à apprendre de nouvelles choses…
C'est quelque chose de très proche des concepts du zen.
Vous avez écrit un livre sur le zen et l'Aïkido avec le professeur Kamata Shigeo…
C'est surtout Kamata senseï. Moi je n'ai abordé que l'aspect technique et anecdotique. (Rires)
Vous avez étudié le Zen?
Il y a un temple appelé Ryutakuji où Yamaoka Tesshu pratiquait le zen à Mishima près de Shizuoka. J'étais proche du supérieur de ce temple qui est aujourd'hui disparu, Suzuki Sochu. Un jour que nous mangions ensemble il me dit "Le saké doit être bu en grande quantité, la nourriture doit être mangée en abondance.".
Il était nettement plus âgé que moi et je lui dis "Senseï pardonnez-moi mon impolitesse mais malgré votre âge vous buvez des quantités incroyables de saké.". Il me répondit "C'est parce que je suis toujours vide.". (Rires)
C'était vraiment quelqu'un de particulier. Et il a eu la gentillesse de me faire deux magnifiques calligraphies de Tendo. Celle qui est accrochée dans le dojo et une autre superbe qu'il a faite en étant ivre. (Rires)
Plutôt que d'aller écouter les leçons de ces personnes j'aime aller manger et boire avec eux car leur véritable nature apparaît. Je n'aime pas beaucoup aller au temple pour écouter les prêches des bonzes même s'ils disent bien sûr des choses intéressantes. Je préfère les entendre parler naturellement de choses simples.
Même un bonze lorsqu'il s'adresse à une large assemblée ne parle pas naturellement. C'est son personnage dans son costume qui s'adresse à un public. Mais c'est l'homme nu qui m'intéresse.
Vous avez cette magnifique calligraphie au shomen mais je n'ai pas vu de kamidana?
Je n'ai pas de kamidana au shomen parce qu'il y a des gens qui sont shintoïstes mais aussi des bouddhistes, des chrétiens, des gens de toutes religions qui viennent s'entraîner.
Les cultures occidentales et japonaises peuvent paraître très éloignées. Par exemple le christianisme considère que la vie est quelque chose de fondamentalement merveilleux tandis que le bouddhisme enseigne que la base de la vie est la souffrance et qu'on ne peut atteindre le merveilleux qu'en la surmontant. Mais la nature humaine est la même.
Que le pays soit différent, que les coutumes soient différentes, l'homme a la même essence. Et le but de l'Aïkido est de se réaliser en tant qu'être humain.
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
Je comprends ce point de vue. Personnellement j'apprécie l'expression "Ugoku zen", le zen en mouvement. Bien sûr certains considèrent le zen comme une religion mais je crois que, dans le cas présent, le zen est considéré comme une philosophie, un état d'esprit et d'être.
Ueshiba Moriheï
Le fondateur de l'Aïkido, Ueshiba Moriheï, était un homme profondément croyant. Baigné dans la religion dès son enfance, il aura durant toute son existence une intense vie spirituelle. Certains chercheurs martiaux considèrent qu'il voyait la discipline qu'il avait créée comme une pratique de purification, un misogi, et c'est une opinion que je partage.
Bien entendu pratiquer l'Aïkido comme une ascèse n'empêche pas de le faire en gardant une cohérence martiale et même en recherchant l'efficacité dans ce domaine, ce que semble avoir fait Osenseï toute sa vie. On est toutefois en droit de se demander, au regard de cette conception, si l'aspect martial est essentiel ou même nécessaire.
Ueshiba Moriheï et Shimizu Kenji
A titre personnel je suis très attaché à la martialité de la pratique pour deux raisons.
Tout d'abord l'Aïkido pratiqué intensément dans un esprit martial nous met dans des situations où la pensée doit s'effacer au risque d'être frappé ou coupé par aïte. L'adepte poursuivant son chemin arrivera immanquablement à un stade où il devra intégrer des concepts tels que Mushin, l'esprit vide, afin de pouvoir continuer à avancer et progresser. Ses progrès dans la pratique induiront et nécessiteront une évolution spirituelle.
La seconde raison est que… cela est distrayant. C'est un point qui est très important car il est très difficile de s'investir pleinement sa vie durant dans une pratique qui ne nous amuse pas.
Le Bouddha du Tendokan
Alors que je retrouve en Shimizu senseï ce que j'ai pu découvrir de la manière d'enseigner du Fondateur et sa façon de bouger, un point sur lequel ils diffèrent est l'absence de discours religieux. Le Tendokan de Shimizu senseï n'abrite d'ailleurs pas d'autel Shinto. Shimizu senseï eut pourtant la gentillesse de me montrer une chose que peu de personnes, même parmi ses élèves, connaissent. Le Bouddha du Tendokan…
Derrière la calligraphie représentant les caractères de Tendo, la Voie du ciel, vers qui Shimizu senseï et les élèves s'inclinent au début et à la fin du cours, se trouve une petite cavité. Dans cette minuscule grotte artificielle repose un Bouddha. Ainsi, sans que quiconque ait à s'incliner devant lui, Shimizu senseï peut le saluer en paix. D'aucuns trouveront probablement à critiquer en disant qu'il oblige ses élèves à saluer contre leur gré. J'y vois personnellement un exemple de plus de sa délicatesse.
Un passage de l'interview de Shimizu senseï où il aborde la question du Zen:
Quelle qualité le pratiquant doit-il chercher à développer?
Il est important de développer l'instinct juste, d'apprendre au corps à agir spontanément en accord avec les lois de la nature. Les techniques s'ajoutent mais ce n'est pas avec la tête qu'on doit les comprendre mais avec le corps. Dans les moments critiques lorsque l'on est attaqué c'est le corps qui réagit naturellement.
L'Aïkido s'étudie par la répétition. La force de la pratique constante est qu'elle permet d'apprendre avec le corps. Le kokyu, la capacité de lire le ma aï, sont des choses que l'on doit sentir avec son corps afin de pouvoir continuer à progresser. La technique se développe ainsi naturellement avec le temps.
Mais la forme est aussi quelque chose que l'on doit abandonner pour avancer. Il faut l'étudier précisément mais ne pas en être prisonnier. On ne la perd pas mais elle devient une partie de vous-même et vous l'oubliez parce que vous n'en avez plus conscience. Si vous en êtes encore conscient vous ne pouvez plus avancer.
C'est comme une tasse qui serait pleine, il n'est plus possible d'y mettre quoi que ce soit de nouveau. Pratiquer au point que la technique devient si naturelle qu'on l'oublie est ce qui nous permet de préserver notre capacité à apprendre de nouvelles choses…
C'est quelque chose de très proche des concepts du zen.
Vous avez écrit un livre sur le zen et l'Aïkido avec le professeur Kamata Shigeo…
C'est surtout Kamata senseï. Moi je n'ai abordé que l'aspect technique et anecdotique. (Rires)
Vous avez étudié le Zen?
Il y a un temple appelé Ryutakuji où Yamaoka Tesshu pratiquait le zen à Mishima près de Shizuoka. J'étais proche du supérieur de ce temple qui est aujourd'hui disparu, Suzuki Sochu. Un jour que nous mangions ensemble il me dit "Le saké doit être bu en grande quantité, la nourriture doit être mangée en abondance.".
Il était nettement plus âgé que moi et je lui dis "Senseï pardonnez-moi mon impolitesse mais malgré votre âge vous buvez des quantités incroyables de saké.". Il me répondit "C'est parce que je suis toujours vide.". (Rires)
C'était vraiment quelqu'un de particulier. Et il a eu la gentillesse de me faire deux magnifiques calligraphies de Tendo. Celle qui est accrochée dans le dojo et une autre superbe qu'il a faite en étant ivre. (Rires)
Calligraphie mentionnée ci-dessus par Shimizu senseï...
Plutôt que d'aller écouter les leçons de ces personnes j'aime aller manger et boire avec eux car leur véritable nature apparaît. Je n'aime pas beaucoup aller au temple pour écouter les prêches des bonzes même s'ils disent bien sûr des choses intéressantes. Je préfère les entendre parler naturellement de choses simples.
Même un bonze lorsqu'il s'adresse à une large assemblée ne parle pas naturellement. C'est son personnage dans son costume qui s'adresse à un public. Mais c'est l'homme nu qui m'intéresse.
Vous avez cette magnifique calligraphie au shomen mais je n'ai pas vu de kamidana?
Je n'ai pas de kamidana au shomen parce qu'il y a des gens qui sont shintoïstes mais aussi des bouddhistes, des chrétiens, des gens de toutes religions qui viennent s'entraîner.
Les cultures occidentales et japonaises peuvent paraître très éloignées. Par exemple le christianisme considère que la vie est quelque chose de fondamentalement merveilleux tandis que le bouddhisme enseigne que la base de la vie est la souffrance et qu'on ne peut atteindre le merveilleux qu'en la surmontant. Mais la nature humaine est la même.
Que le pays soit différent, que les coutumes soient différentes, l'homme a la même essence. Et le but de l'Aïkido est de se réaliser en tant qu'être humain.
Shimizu Kenji par Frédérick Carnet
Shimizu senseï donnera un stage en France les 27 et 28 février.
Note: Ces entretiens font partie d'une nouvelle série enregistrée. Il est possible que des erreurs se soient glissées dans mes retranscriptions mais j'ai pensé que l'intérêt des réponses dépassait le risque de mes fautes. Je prie les lecteurs de considérer ces entretiens comme des conversations rapportées qui pourront nourrir des réflexions et non comme paroles d'évangiles.
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