Budo no Nayami

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

21 Septembre 2015 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Interviews

L'interview qui suit de Hino Akira a été réalisée par Horst Schwieckerath et Martine Chéradame. J'en ai assuré la traduction et elle a été publiée dans le n°54 d'AikidoJournal.

J'ai déjà dit à plusieurs reprises à quel point j'estimais important le travail que fait Horst. Son ouverture à TOUT l'Aïkido, son exigence d'authenticité, mais aussi comme ici sa curiosité pour ce qui peut enrichir la discipline. L'interview est aussi intéressante car les questions posées sont souvent centrées sur le point de vue de Hino senseï sur l'Aïkido.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Pourquoi avez-vous commencé le Budo ?

Les enfants sont curieux de ce genre de choses dès l'enfance. Vers l'âge de dix ans j'ai vu des images de "Mifune judan" du Judo, et c'est aussi à cette époque que j'ai entendu pour la première fois "Ju yoku go o sei suru", le souple vainc le dur. Bien sûr à cette époque je ne comprenais rien de tout cela, et je voyais simplement un petit homme âgé en projeter des grands. Et surtout, on avait l'impression qu'il ne les touchait pas ! Ca a fortement éveillé ma curiosité, mais ce n'est pas allé plus loin.

C'est lorsque je suis devenu batteur de Jazz professionnel que j'ai réellement débuté la pratique. La puissance des joueurs étrangers est impressionnante, et je cherchais une solution pour arriver au même résultat. Je réfléchissais et je me suis dit que certains gestes des arts martiaux étaient similaires à ceux que j'utilisais. C'est alors que je me suis mis à la recherche d'un dojo, et j'ai d'abord débuté par le Fudosen Shorinji Kempo.

 

(Note du traducteur : -Mifune judan : surnom donné à Mifune Kyuzo, 10ème dan, l'un des plus grands experts du Judo.)

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Comment se sont passés vos débuts ?

J'ai un petit gabarit et je me souvenais de cette maxime que j'avais découverte à l'âge de dix ans, "Ju yoku go o sei suru". J'ai alors demandé à l'enseignant si un petit pouvait vaincre un grand. Il m'a répondu "Pas de problèmes, c'est possible.". J'ai alors commencé à pratiquer. Mais en fait les grands gabarits étaient plus forts. (rires)

A partir de là, tout en continuant à pratiquer le Shorinji Kempo, je suis allé visiter des dojos de Karaté, de Kung-Fu, etc. Au final les grands gabarits étaient toujours les plus forts !

Je cherchais une solution mais à l'époque ce n'était pas comme aujourd'hui avec internet, et les informations étaient très limitées. Comme je ne trouvais pas ce que je cherchais, je me suis mis à réfléchir au problème moi-même. C'est là qu'ont réellement débuté mes recherches personnelles.

 

Quel âge aviez-vous ?

Environs vingt-deux, vingt-trois ans.

 

Et depuis combien de temps pratiquiez-vous à l'époque ?

A peu près deux ans.

 

Et continuiez-vous à jouer de la musique professionnellement en parallèle ?

En fait il n'y avait pas d'un côté l'entraînement martial de l'autre la musique. Par exemple lorsque je jouais de la batterie, je le faisais en pensant aux paroles de Miyamoto Musashi dans le Gorin no Sho. Tout cela ne faisait qu'un pour moi.

 

Peut-on développer une grande puissance avec un petit gabarit ?

Oui, si on utilise correctement le corps, on en devient capable.

 

Mais si deux personnes modifient la façon d'utiliser le corps, alors la plus grande sera plus puissante ?

Non, ce rapport n'a plus réellement d'impact. Sans compter que généralement la question ne se pose même pas, dans la mesure où les personnes de grand gabarit ne cherchent pas à modifier la façon dont ils utilisent leur corps. Elles ne l'utilisent généralement pas de façon optimale, mais comme elles obtiennent tout de même des résultats, elles ne vont pas plus loin. C'est d'ailleurs même le cas de la majorité des gens.

On naît, on marche, on court. Notre corps bouge dans de multiples activités, et nous acquérons des habitudes. Et ce sont ces habitudes que nous utilisons lorsque l'on pratique le Karaté, la Boxe, etc. La plupart des gens bouge simplement sans jamais avoir réfléchi à la façon de le faire.

"J'ai envie de battre mon adversaire.", "Je suis plus fort.", c'est simplement ce genre de choses qui sont exprimées. Il n'y a pas de réelle réflexion ni recherche.

 

Peut-on arriver à des résultats immédiatement ?

Non. Le but n'est pas simplement d'arriver à reproduire une forme extérieure. Comme je le disais précédemment, on ne bouge qu'avec nos habitudes. Et en réalité nous n'avons pas une connaissance et une conscience correctes de notre corps. L'entraînement vise à modifier cela, et c'est quelque chose qu'il est impossible de réussir instantanément.

 

Est-ce que votre art est un Budo en lui-même, ou une façon d'utiliser le corps pour pratiquer les Budos ?

Au Japon comme ici, les gens aiment catégoriser. Ceci est le Budo. Cela n'est pas du Budo. Pour pouvoir gagner sa vie on est obligé de déterminer des territoires ainsi, mais tout le monde se laisse prendre par cela et plus personne n'est capable de voir l'essence des choses.

Le Budo est une voie qui nous permet de nous connaître nous-même et d'étudier notre relation aux autres, en travaillant sur le corps. En ce sens ce que j'enseigne est pour moi l'essence du Budo.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Vous enseignez de la même façon aux Budokas de toute origine ?

J'enseigne à des Budokas d'origines diverses, mais aussi à des musiciens professionnels, des médecins, des danseurs, des compétiteurs de sports de combat, mais aussi de sports aussi divers que la course cycliste ou le patinage artistique. Je m'adapte non pas à leur discipline, mais à l'individu auquel je fais face. Hormis cela, il n'y a pas pour moi de frontières dans l'étude du Budo. Donc pas de modification en fonction de leur pratique.

 

Vos élèves viennent-ils pour mieux pratiquer leur discipline, ou vont-ils se consacrer à la voie que vous leur proposez ?

Il n'y a pas de règle, et là aussi c'est fonction de l'individu. Toutefois en règle générale au départ un joueur de Base-ball va chercher à mieux frapper, un lutteur à être meilleur dans sa discipline, et ainsi de suite. Et c'est ce que je les aide à faire. Mais en pratiquant cela évolue car ils adoptent naturellement une certaine façon de penser. Ce qui fait qu'un lutteur va faire du Budo en pratiquant la lutte. C'est sa façon de voir les choses qui évolue.

Lorsque j'ai été enseigner à la Forsythe company, j'ai bien sûr enseigné des techniques de mouvement du corps liées à la danse, mais tout le monde comprenait qu'il s'agissait de Budo. Et c'est cela qui a éveillé leur intérêt.

 

Quels enseignants vous ont influencé ?

Plutôt que des enseignants, ce sont les écrits du passé comme le Gorin no sho de Miyamoto Musashi. Je les étudiais en cherchant comment réaliser les choses dont il parlait aujourd'hui.

 

Etudiez-vous encore les écrits du passé aujourd'hui ?

Oui. Les conclusions auxquelles j'arrivais il y a vingt ans ne sont plus les mêmes que celles auxquelles j'arrive aujourd'hui. Notre compréhension évolue avec le temps, c'est pourquoi il est toujours passionnant de se replonger dans les fondamentaux.

 

Il n'y a pas d'arrivée et il faut se méfier de nos certitudes ! L'étude n'a pas de fin.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

J'ai rencontré quelques enseignants qui avancent la théorie qu'il serait plus correct d'avoir la main droite en avant avec le pied gauche, et vice-versa. Comme lors de la marche contemporaine habituelle. Qu'en pensez-vous ?

Fondamentalement dans les Budos japonais, on utilise la main droite en avant avec le pied droit. Mais c'est au cas par cas, et il faut avant tout être capable de bouger librement.

Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que de toute façon l'autre ne bougera pas de la façon que l'on souhaite, la plus aisée pour nous.

 

Depuis quand enseignez-vous ?

J'ai ouvert mon premier dojo lorsque j'avais trente-deux ans à Osaka.

 

Dix ans après le début de vos recherches.

Oui. Mais évidemment je n'ai pas ouvert un dojo parce que j'estimais avoir terminé mes recherches. En fait des personnes très différentes viennent dans un dojo, et pour dire les choses simplement, cela me donnait aussi matière à approfondir.

 

Comment effectuiez-vous vos recherches sur des partenaires avant d'avoir votre propre dojo ?

Je faisais des dojos yaburis et je me bagarrais dans la rue.

 

(N.d.t. : -Dojo yaburi : littéralement, déchirer le dojo. Pratique qui consiste à visiter à aller défier des adeptes dans leur dojo.)

 

En Aïkido je remarque souvent que les gens n'attaquent pas correctement.

C'est vrai. Cela dit le seul pratiquant d'Aïkido que j'ai réellement connu, Tojima senseï, était vraiment quelqu'un de fort. Nous avons entretenu des relations pendant une dizaine d'années durant lesquelles nous nous sommes régulièrement entrainés ensemble, et c'est là que j'ai compris que l'Aïkido était extraordinaire.

 

Souvent les pratiquants n'arrivent pas à créer un réel déséquilibre, et ils compensent en utilisant la force.

C'est quelque chose que je constate souvent, et qui n'est pas limité à l'Aïkido. On retrouve le même problème en Karaté, Judo, etc. Tout le monde veut tout de suite une ceinture noire. Tout le monde veut réussir sa technique. Tout le monde est pressé et cherche des raccourcis.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

On dit souvent qu'en Aïkido il faut utiliser la force de l'attaque, mais lorsque l'on observe attentivement les vidéos, on voit toujours maître Ueshiba bouger le premier.

Oui. Tout le monde est fixé sur les apparences, et comme Osenseï bouge le premier, il semble que c'est lui qui initie l'action. Mais en réalité ce n'est pas cela. C'est lorsqu'aïte a l'intention d'attaquer qu'il bouge. C'est à cela qu'il réagit.

Je n'ai pas étudié l'Aïkido, aussi je ne sais pas ce qui est enseigné dans cette discipline. Mais en regardant les vidéos de Ueshiba Moriheï, en pratiquant avec Tojima senseï, en allant voir Shioda Gozo, j'ai le sentiment que pouvoir saisir cette intention est au cœur de l'Aïkido. Car si on n'est pas capable de cela, il est nécessaire d'avoir beaucoup de force pour effectuer une technique.

 

Quant au fait d'utiliser la force de l'autre, tout le monde en parle mais ceux qui sont capables d'appliquer au lieu de discourir sont très rares. Car c'est quelque chose d'extrêmement difficile. Il faut avoir la capacité de percevoir la quantité de puissance générée, et les directions où s'applique la force. Et toutes ces choses compliquées ne sont que des prérequis à la capacité d'utiliser la force de l'autre ! Par ailleurs l'autre perçoit aussi. Et si notre mouvement est perçu, il sera bloqué ou retourné. Il est donc extrêmement difficile de réellement utiliser la force de l'autre. Ce qui fait qu'aujourd'hui beaucoup de monde mime des choses qu'ils sont en réalité incapables d'exécuter. (rires)

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Est-ce que l'Aïkido est un Budo selon vous ?

Le Budo est un sujet qui m'occupe en permanence. Mais pour moi sa définition est quelque chose de personnel. C'est pourquoi je ne crois pas que l'on puisse dire que ceci est ou n'est pas un Budo. Cela dépend de la conception de chacun.

Ce que je peux dire est que ce que pratiquait Tojima-san correspond à ma conception du Budo.

 

 

Est-ce que la philosophie de l'Aïkido est plus importante que sa technique ?

Hmm… (rires) L'Aïkido n'est pas ma spécialité, et je ne suis probablement pas bien placé pour y répondre. Mais je vais essayer de le faire de la façon la plus pertinente possible.

 

Une technique, quelle qu'elle soit, est extrêmement difficile à réaliser parfaitement. Et quelle que soit la discipline il y a des gens qui masquent leurs lacunes derrière des discours. Car la maîtrise profonde de la technique, la capacité à la réaliser quel que soit l'attaquant, est extrêmement rare. Si une technique ne fonctionne que sur des pratiquants partageant les mêmes codes, on ne peut appeler cela waza.

Mener la recherche technique à son terme est quelque chose d'extrêmement exigeant. Mais c'est lorsque l'on poursuit cette recherche que la façon de penser se modifie. La philosophie de l'Aïkido est ainsi liée à sa maîtrise technique.

 

C'est la même chose dans chaque rencontre. Lorsque l'on a des atomes crochus avec quelqu'un, on peut facilement passer du temps avec lui, aller boire un verre. A l'opposé il est difficile d'établir une relation avec certaines personnes. Mais si l'on se contente d'être toujours avec les mêmes gens, notre horizon se rétrécit. Aller à la rencontre de nombreuses personnes nous ouvre l'esprit. Il en est de même pour la technique. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut réellement progresser.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Hino Akira en Europe

Hino senseï sera en Europe au mois de janvier. En attendant les détails de tous les stages, voici déjà ceux de celui de Paris.

 

"Saisir l'intention est au coeur de l'Aïkido", Hino Akira

Photos Masters Tour

Les photos 1, 5, 6 et 7 ont été prises par Shizuka Sasa-Tamaki lors du Masters Tour 2015. Les images de la visite chez Hino senseï sont disponibles ici. Les deux jours passés chez Hino senseï sont toujours un des points d'orgue du Masters Tour.

 

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A
Pourriez-vous délivrer des conseils, des suggestions, pour permettre de mieux percevoir l'intention, arriver à faire le vide ? <br /> Travail respiratoire, ne pas directement regarder l'adversaire ? Certains coachs ou senseï(s) suggère d'imaginer le combat avant qu'il se déroule, on retrouve cette notion dans le récit de la vie de Musashi, La pierre et le sabre ! Comment puis-je m'entrainer à faire le vide ? Méditation ?
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L
Bonjour,<br /> <br /> Oh, malheureusement ce n'est vraiment pas le genre de choses que l'on peut enseigner en quelques lignes, et par écrans interposés :D Je pense qu'il faut travailler cela sous la direction d'un enseignant expérimenté.<br /> <br /> Pour le regard sur l'adversaire, les avis sont multiples. A titre personnel, je préfère voir aïte. Mais pas le regarder…<br /> <br /> Imaginer le combat avant qu'il se déroule ? Hmm. Cela me laisse un peu dubitatif. Quant à la Pierre et le Sabre, si j'ai beaucoup apprécié le roman, ce n'est qu'un roman. Et à ma connaissance son auteur ne pratiquait même pas les arts martiaux :-)<br /> <br /> Léo
A
Peut-on faire un rapprochement entre le fait de percevoir l'intention adverse et la vacuité de l'esprit (le vide) auquel fait allusion Miyamoto Mushashi dans son Gorin no sho ? Est ce que le vide peut nous permettre de mieux percevoir ?
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L
Oui :-)<br /> <br /> Léo