"Saisir l'intention", réflexions sur l'enseignement de Hino senseï
Hino senseï est l'un des enseignants qui m'ont le plus inspiré. La relecture de sa dernière interview par Horst Schwieckerath a, comme toujours été source de réflexions. Je les partagerai ici dans quelques articles.
On dit souvent qu'en Aïkido il faut utiliser la force de l'attaque, mais lorsque l'on observe attentivement les vidéos, on voit toujours maître Ueshiba bouger le premier.
Oui. Tout le monde est fixé sur les apparences, et comme Osenseï bouge le premier, il semble que c'est lui qui initie l'action. Mais en réalité ce n'est pas cela. C'est lorsqu'aïte a l'intention d'attaquer qu'il bouge. C'est à cela qu'il réagit.
Je n'ai pas étudié l'Aïkido, aussi je ne sais pas ce qui est enseigné dans cette discipline. Mais en regardant les vidéos de Ueshiba Moriheï, en pratiquant avec Tojima senseï, en allant voir Shioda Gozo, j'ai le sentiment que pouvoir saisir cette intention est au cœur de l'Aïkido. Car si on n'est pas capable de cela, il est nécessaire d'avoir beaucoup de force pour effectuer une technique.
Quant au fait d'utiliser la force de l'autre, tout le monde en parle mais ceux qui sont capables d'appliquer au lieu de discourir sont très rares. Car c'est quelque chose d'extrêmement difficile. Il faut avoir la capacité de percevoir la quantité de puissance générée, et les directions où s'applique la force. Et toutes ces choses compliquées ne sont que des prérequis à la capacité d'utiliser la force de l'autre ! Par ailleurs l'autre perçoit aussi. Et si notre mouvement est perçu, il sera bloqué ou retourné. Il est donc extrêmement difficile de réellement utiliser la force de l'autre. Ce qui fait qu'aujourd'hui beaucoup de monde mime des choses qu'ils sont en réalité incapables d'exécuter. (rires)
Saisir l'intention
"Oui. Tout le monde est fixé sur les apparences, et comme Osenseï bouge le premier, il semble que c'est lui qui initie l'action. Mais en réalité ce n'est pas cela. C'est lorsqu'aïte a l'intention d'attaquer qu'il bouge. C'est à cela qu'il réagit."
Il est fréquent lorsque l'on regarde une vidéo d'un maître d'Aïkido, et en particulier d'Osenseï, de voir qu'il est le premier à se mouvoir. On peut en déduire quelques hypothèses :
1 Uke est complaisant. Il ne cherche pas réellement à attaquer, et n'est pas "aspiré".
2 Uke cherche une ouverture pour lancer son attaque. Le mouvement de tori est une opportunité qu'il saisit en déclenchant son geste.
3 Uke attaque quand il le souhaite. Un infime instant avant que son mouvement se matérialise physiquement, avant même que sa décision soit conscientisée, tori a déjà bougé.
4 Uke est "aspiré" par le geste de tori. L'attaque est la moins mauvaise des solutions qui se présentent à lui.
Je crois que sont schématisés ici les principales possibilités (des variations sont possibles, et plusieurs peuvent être intriquées).
Malheureusement dans la majorité des situations que l'on peut observer, c'est à la première situation que l'on à affaire. Uke est simplement complaisant, et cela peut prendre des proportions telles qu'il attaque dans le vide bien après que sa cible se soit déplacée. Si je conçois parfaitement qu'un cours ou une démonstration sont des situations particulières qui rendent difficiles l'émergence de "vérité" dans la pratique, je crois néanmoins que c'est un objectif que nous devrions nous fixer.
Si l'on exclut la première hypothèse qui ne présente évidemment aucun intérêt, il reste alors trois possibilités. Certains adeptes se spécialisent exclusivement dans l'un ou l'autre de ces types de travail, tandis que d'autres peuvent en pratiquer et enseigner plusieurs. Je n'aborderai ici que le troisième cas :
Uke attaque quand il le souhaite. Un infime instant avant que son mouvement se matérialise physiquement, avant même que sa décision soit conscientisée, tori a déjà bougé.
Mais est-il réellement possible de saisir l'intention ?
A mon sens, définitivement et avec certitude, oui.
La preuve par Hino senseï et Kuroda senseï
Saisir l'intention est une capacité dont j'ai été le témoin de façon répétée chez Hino senseï et Kuroda senseï.
Je vous invite tout d'abord à lire le 5ème entretien avec Hino senseï intitulé : Kehaï, percevoir l'intention. Extraits :
"Percevoir l'intention est essentiel en combat réel car il n'y a pas le temps d'esquiver. Mais cela n'est possible que si on sait percevoir le kehaï…"
Est-ce une chose que l'on perçoit avec l'esprit ou que l'on sent avec le corps ?
"C'est une chose que l'on sent avec le corps. La tête réagit trop lentement. (rires)
Bien entendu au départ on utilise la tête, la conscience. On n'y peut rien. Mais peu à peu le corps réagit seul sans que la conscience intervienne. L'action terminée on ne sait pas ce que l'on a fait. C'est cela qui est correct."
Je vous invite ensuite à lire l'article : Kuroda senseï et le magicien. Extraits :
"La vue n'est pas importante et vous pouvez pratiquer même si vous ne voyez pas à plus d'un mètre. Dans les voies martiales authentiques, agir lorsqu'on a vu l'action du partenaire est trop tard. Tout le travail est basé sur la perception de l'intention de l'adversaire."
Kuroda senseï évoque aussi ce point dans cette interview :
"Nous pratiquons afin d'arriver à un geste qui ne peut être arrêté, à rendre nos mouvements invisibles, et à développer la capacité à saisir le moment où le partenaire a l'intention de bouger."
"Nous cherchons à développer une sensibilité qui nous permette de sentir une attaque avant qu'elle ne se développe."
La preuve par Ueshiba Moriheï, Miyamoto Musashi et les grands adeptes du passé
Pour les personnes n'ayant pas encore rencontré des adeptes du calibre de Kuroda senseï ou Hino senseï, de nombreuses traces permettent de confirmer le fait que les adeptes du passé maîtrisaient cette capacité.
Ueshiba Moriheï en a fait mention et explique par cela plusieurs des exploits dont il est crédité. De même, la littérature martiale produite par les grands adeptes tels que Miyamoto Musashi aborde ces notions. Il s'agit d'une capacité qui revêtait une telle importance que les divers termes qui s'y rattachent tels que yomi ou sakki sont familiers à tous les budokas japonais, que ce travail fasse partie de leur pratique ou pas.
La preuve par l'expérimentation
Enfin, et c'est probablement l'essentiel à titre personnel, c'est une capacité que je travaille et ai expérimenté moi-même. Pour être tout à fait sincère, si j'estime faire cela à un niveau correct, ce n'est néanmoins pas ce que j'estime un de mes points forts. J'ai de nombreux élèves tels que Germain Chamot, qui manifestent cette capacité à un niveau plus fin.
En quoi consiste exactement "saisir l'intention" ?
Dans beaucoup de notions liées à la pratique martiale, les mots ne peuvent donner qu'une idée très vague de ce qu'ils cherchent à désigner. Comme le dit Kuroda senseï :
"Les mots ne permettent de percevoir les choses que d'une manière superficielle et n'en transmettent pas l'essence…".
Bien entendu dans une situation de combat de nombreuses choses entrent en jeu, et la perception de micros mouvements, l'anticipation grâce aux expériences passées, etc… jouent toutes un rôle dans la capacité d'un combattant à "lire" son partenaire. Toutefois il y a bien plus que ça…
Je fais travailler la perception de l'intention en invitant mes élèves à percevoir les yeux fermés les attaques d'un partenaire. Attaques qui se déroulent à vitesse modérée, mais qui peuvent se faire sous n'importe quel angle et forme.
Au départ on a bien entendu tendance à "tricher" pour réussir l'exercice. On utilise les sons, les sensations du mouvement de l'air et de la chaleur sur la peau, les ombres qui persistent même les yeux clos, etc… Mais ce n'est que lorsque l'on arrive à faire abstraction de tout cela que le véritable travail commence, et que les résultats s'améliorent drastiquement.
Pour être sûr qu'il y a vraiment autre chose, de l'ordre de ce qu'évoquent les grands adeptes du passé, j'ai d'ailleurs testé avec des élèves doués cette capacité en me plaçant à une dizaine de mètres, et en ayant simplement l'intention mentale de faire le geste, mais sans la matérialiser. Plus possible donc de recourir aux sensations kinesthésiques, à la vue ou à l'ouïe. Et les résultats étaient clairement probants, même si ce niveau n'est démontré que par les pratiquants les plus avancés dans ce type de travail (j'en suis parfaitement incapable :D).
Saisir l'intention est au cœur de l'Aïkido
"Je n'ai pas étudié l'Aïkido, aussi je ne sais pas ce qui est enseigné dans cette discipline. Mais en regardant les vidéos de Ueshiba Moriheï, en pratiquant avec Tojima senseï, en allant voir Shioda Gozo, j'ai le sentiment que pouvoir saisir cette intention est au cœur de l'Aïkido. Car si on n'est pas capable de cela, il est nécessaire d'avoir beaucoup de force pour effectuer une technique."
Il est bien évidemment possible de réaliser un mouvement en utilisant des leviers et des règles biomécaniques simples. Les résultats sont toutefois limités, et ne permettent de compenser qu'un écart relativement faible de capacités physiques avec l'attaquant. Dès lors, comme l'évoque Hino senseï, seule des aptitudes telles que la perception de l'intention permettent d'obtenir des résultats incroyables.
Utiliser la force de l'autre
"Quant au fait d'utiliser la force de l'autre, tout le monde en parle mais ceux qui sont capables d'appliquer au lieu de discourir sont très rares. Car c'est quelque chose d'extrêmement difficile. Il faut avoir la capacité de percevoir la quantité de puissance générée, et les directions où s'applique la force. Et toutes ces choses compliquées ne sont que des prérequis à la capacité d'utiliser la force de l'autre ! Par ailleurs l'autre perçoit aussi. Et si notre mouvement est perçu, il sera bloqué ou retourné. Il est donc extrêmement difficile de réellement utiliser la force de l'autre. Ce qui fait qu'aujourd'hui beaucoup de monde mime des choses qu'ils sont en réalité incapables d'exécuter. (rires)"
S'il est habituel chez les experts d'Aïkido de parler de relâchement, d'utiliser la force de l'autre, etc… ces mots sont trop souvent éloignés de la réalité de leur pratique. On assiste alors à d'embarrassantes démonstrations de leur incapacité à faire vivre les principes qu'ils évoquent à cor et à cri.
Les adeptes qui sont capables de faire vivre ces principes sont rares, mais il en subsiste de nos jours. Leur rencontre peut changer le cours de la vie d'un pratiquant. Elle a changé la mienne.
Deux articles en lien que je vous invite à lire :
Intention et mouvement, par Isseï Tamaki
L'art de vaincre sans combat, par Alexandre Grzegorczyk
Hino Akira à Albi, 18 et 19 avril
Hino Akira à Bordeaux, 20 et 21 avril
Hino Akira à Paris, 22 au 24 avril
Stages ouverts à tous pratiquants, tous niveaux et toutes disciplines
Attention, préinscriptions pour Paris jusqu'au 10 avril