L’Aïkido, ses prières, son pape et Jésus
L’Aïkido compte nombre de pratiquants assidus qui se rendent religieusement au dojo chaque semaine. Là, ils reproduisent scrupuleusement les formes transmises par des générations d’adeptes. Dans certains courants traditionalistes, on se veut fidèle au canon établi par le Fondateur. Dans d’autres certaines réformes ont eu lieu. Malgré tout, un grand nombre se soumet volontairement à la direction politique sinon technique imposée par les dirigeants héréditaires du Fondateur, qui selon leur bon vouloir, octroient reconnaissance et légitimité.
« Les élèves viennent au dojo comme s’ils allaient à l’église, et répètent les katas comme s’ils récitaient des prières. » déplorait un maître.
Oui, nombre de pratiquants ne questionnent pas l’enseignement technique et croient que la simple répétition d’un mouvement permet d’en récolter les bénéfices. Ainsi, beaucoup « gesticulent avec précision », sans connaître les principes et stratégies que sont censés nous aider à acquérir les techniques. La reproduction de l’outil devient une finalité, et au lieu d’avoir développé des capacités, le pratiquant devient expert en… reproduction de chorégraphies.
Or il ne suffit pas de faire pour atteindre. Les traditions martiales sont bien plus sophistiquées que cela. Elles reposent sur la modification des muscles mis en jeu pour réaliser un mouvement, elles s’appuient sur des intentions, un état d’esprit précis. Et la méconnaissance de ces éléments condamne l’adepte à une pratique inefficace et vide de sens.
Mais en Aïkido le constat est plus alarmant que cela.
Soumission volontaire
L’Aïkido c’est pas un peu une secte en fait ?
La vie est courte, et s’agiter vainement pendant des années pour se rendre compte que les résultats promis ne sont pas au rendez-vous est un gaspillage tragique de précieuses heures. Mais la soumission volontaire d’une majeure partie des pratiquants d’Aïkido à une autocratie héréditaire est pire encore. 300 ans après le siècle des Lumières, l’obscurantisme n’est jamais loin. Et alors que l’on a beau jeu de stigmatiser le religieux intégriste, on cautionne par son acceptation silencieuse un système archaïque en tout point similaire à celui du dévot.
On se gausse parfois du gouvernement qui par le passé investigua l’Aïkido pour voir s’il ne s’agissait pas d’une secte. Mais que l’on écoute les discours du pratiquant moyen, que l’on observe ses comportements, et l’on se rend compte que souvent, il s’agit simplement d’une différence de degré. Que la discipline est sauvée car les abus graves sont rares, et que somme toute, c’est prisonnier de ses propres fantaisies que l’aikidoka moyen se soumet volontairement.
Mais si cela lui fait plaisir alors laissons faire, serait-on tenté de rétorquer. Car après tout, qu’importe qu’une famille vive aux crochets d’une population de gens qui leur sont inconnus en leur envoyant des bouts de papiers imprimés à la chaîne et fleurant bon le folklore ? C’est oublier que ce mal est à la racine du déclin de l’Aïkido et de sa mort annoncée. Car si les pratiquants investis aiment leur discipline, l’aveuglement général nous a mené au point où des dojos ferment, et où ceux qui survivent comptent souvent leurs membres sur les doigts de la main !
La succession de l’Aïkikaï
L’Aïkido s’est développé sur l’image forte et paradoxale du guerrier pacifique. L’adepte, vertueux, avait une capacité destructrice sublimée qui lui permettait de préserver ses attaquants et rétablir l’harmonie. C’est, à peu de choses près, cette image qu’ont incarnée Ueshiba Moriheï et ses disciples.
À sa mort, comme de tradition dans les disciplines martiales, il légua la gestion politique de l’école à son fils Kisshomaru, et la direction technique à Toheï Koichi. Malheureusement les égos des uns et des autres firent voler en éclat ce délicat équilibre. Toheï partit, et ceux qui restaient à l’Aïkikaï se trouvèrent dans une situation compliquée. Martialement beaucoup étaient brillants mais AUCUN ne se démarquait des autres. Se neutralisant mutuellement, ils se retrouvaient face à deux choix. Soit développer leur propre école comme le firent plusieurs de leurs aînés (Yoshinkan de Shioda Gozo, Shin’ei Taido de Inoue Noriaki, Yoseikan de Mochizuki Minoru, etc.), soit se ranger derrière le fils du Fondateur. Comme chacun sait, ils prirent la décision de confier la direction à Kisshomaru.
Noro Masamichi, Ueshiba Kisshomaru, Ueshiba Moriheï, Toheï Koichi, Tada Hiroshi
Oh il est aisé de critiquer des évènements qui ont eu lieu cinquante ans plus tôt. En réalité, je ne considère pas même que cela fut une mauvaise décision. C’était sans doute, le meilleur choix dans les circonstances de l’époque. J’ai d’ailleurs le plus grand respect pour Kisshomaru qui fut un grand humaniste, et est à l’origine du développement mondial de la discipline. Il sut, comme le rappela Christian Tissier, rassembler et susciter le respect :
Avec tous les senseïs de l’époque, des jeunes comme Saotome aux anciens tels que Tada et Yamaguchi, et bien sûr ceux qui étaient déjà partis à l’étranger tels que Tamura, Nakazono, etc., il n’était pas possible de dire « Ça c’est le véritable Aïkido. C’est comme ça et pas autrement. ». Pour garder l’unité il faut à la fois faire preuve d’ouverture, mais aussi susciter le respect. Et ça, c’était Ueshiba Kisshomaru.
Christian Tissier,
par Stéphane Remael pour Yashima
Le propre fils de Kisshomaru, Moriteru, était passionné d’Aïkido. Il s’entraîna intensément et atteint un niveau honorable qui lui gagna le respect de ses pairs. Élégant, discret, il continue aujourd’hui de représenter dignement la discipline. Il en est toutefois autrement de son futur successeur.
Mitsuteru fut dès ses débuts protégé par les uchi-deshi de l’Aïkikaï. Par sa volonté ou celle de son père, et malgré les recommandations du président de la fédération internationale de l’époque, il ne connut pas d’entraînement vigoureux et n’alla pas étudier auprès des disciples de son arrière-grand-père. Sans aucune légitimité technique, avec une absence flagrante de charisme, c’est peu dire qu’il ne soulève pas l’enthousiasme des foules. Sans compter évidemment le mépris des pratiquants avancés qui, dans son propre dojo ! se gaussent de la peur qu’ils lui inspirent.
C’est pourtant Mitsuteru qui, récemment, pris sur lui de jeter l’anathème sur tous ceux qui auraient l’outrecuidance d’inclure de la compétition en Aïkido. Il est bon ici de rappeler que la compétition existe depuis longtemps dans plusieurs des courants fondés par les élèves directs de Ueshiba Moriheï. Que le Fondateur lui-même, bien qu’opposé à l’idée, n’excommunia pour autant jamais qui que ce soit. Et que, enfin, lorsque la seule légitimité dont on dispose repose sur les liens du sang et un système monarchique anachronique, il est de bon ton de rester aimable et ne pas faire de vagues si l’on souhaite en profiter le plus longtemps possible.
Mitsuteru Ueshiba, transparent même en gonflant le torse...
par Julie Glassberg
Le mécanisme pernicieux de la décadence de l’Aïkido
L’Aïkido donc, s’est développé sur l’image du guerrier pacifique qu’incarnaient Ueshiba Moriheï et ses disciples. Cela fit rêver des générations de pratiquants qui poursuivirent cet idéal sur les tatamis. Aujourd’hui toutefois, on peine à discerner un expert qui trouve grâce non seulement aux yeux des maîtres d’autres disciplines, mais même à ceux du citoyen lambda ! Comme le constatait tristement Mochizuki senseï :
Mais c'est normal. Les gens ne sont pas bêtes. Ils regardent, ils comparent. Et maintenant c'est encore plus rapide avec la technologie. Les aïkidokas parlent d'efficacité, mais ce qu'ils montrent ne marchent pas. (…) Et les gens le voient bien. Pourtant il y a beaucoup de techniques et ça peut être efficace.
Hiroo Mochizuki,
par Julie Glassberg pour Yashima
Dans le passé une personne désireuse de s’initier aux arts martiaux avait peu d’occasion de voir une discipline en action. Les démonstrations, réalisées par de brillants experts les amenaient au dojo où ils pouvaient être enrôlés par les professeurs locaux. Aujourd’hui on commence par regarder de quoi il s’agit en naviguant sur internet. Là on trouve des démonstrations surréalistes d’aikidokas virevoltants tout droits sortis de « Tigre et Dragon », et une montagne de vidéos de pratiquants qui imaginent que le net serait perdu sans leur précieuse contribution.
Loin de moi l’idée de censurer qui que ce soit. Mais je crois que les enthousiastes voulant simplement partager leur joie de pratiquer, ne mesurent pas toujours le fait qu’ils vont être considérés comme représentatifs par des néophytes qui considèreront la discipline peu crédible, voire ridicule. L’Aïkido est d’ailleurs un des seuls arts martiaux/sports de combat où des amateurs se sentent obligés de partager leurs exploits.
Quant aux experts, les titres et grades sont aujourd’hui distribués par poignées, et récompensent plus souvent les services rendus et une présence assidue que la virtuosité. Malheureusement les diplômes ne le précisant pas, le net regorge aussi de vidéos de leurs performances qui contribuent plus encore à décrédibiliser la discipline. Enfin, au sommet de la pyramide, le jeune quadra Mitsuteru qui devrait incarner l’idéal de l’art présente une pratique creuse et fade, précipitant la chute de l’Aïkido.
La conséquence est qu’un candidat désireux de s’initier aux arts martiaux balaiera d’un revers de main l’Aïkido, et qu’aujourd’hui le problème des enseignants n’est ni de garder leurs élèves, ni de convaincre une personne venue essayer, mais de faire franchir la porte du dojo à qui que ce soit ! Un constat alarmant, et des questionnements angoissés que j’ai retrouvés chez les enseignants des US à la Chine en passant par l’Ukraine et le Maghreb.
Depuis mon premier article sur le sujet il y a 5 ans, la tendance s'est aggravée...
Balayer la monarchie de l’Aïkido
La triste situation de l’Aïkido est le résultat d’un faisceau de causes, dont la perte de crédibilité martiale est pour moi au premier plan. Mais juste après cela, se pose celui de la gouvernance de la discipline. On a laissé (fait ?) croire que le système iemoto était indissociable de l’Aïkido, et que sa manifestation actuelle était traditionnelle. C’est doublement faux.
D’une part l’Aïkido peut se vivre sans que qui que ce soit se soumette à un système dynastique inique. Nous n’avons pas à accepter de monarchie, et à entretenir les privilèges de qui que ce soit. À une époque où chacun se gargarise de partage et d’égalité, la docilité envers des représentants incompétents reste un mystère que je ne m’explique que par l’exotisme de la relation. Un rapport d’inféodation moyenâgeux que personne n’accepterait dans aucun autre domaine.
D’autre part si la hiérarchie est nécessaire, elle est… dans notre ADN, nous sommes suffisamment éclairés aujourd’hui pour que se mette en place une hiérarchie de compétence. Les écoles d’Aïkido doivent ainsi présenter des leaders qui, par leur attitude ET leur virtuosité martiale, guident, inspirent et rassemblent. Pas de freluquets se fendant de risibles anathèmes en se cachant derrière l’image de leur ancêtre.
J’avançais récemment que le révolutionnaire qu’était par bien des aspects Ueshiba ferait d’ailleurs aujourd’hui voler en éclat ce système patriarcal népotique et autoritaire. Sans doute le refus d’une soumission à un régime archaïque se doublerait-il d’une libération dans la pratique. On se prête même à rêver de ne plus voir de victimes dociles s’élancer seules au moindre claquement de doigts… La pratique comme le rapport entre les pratiquants, rationnalisés, actualisés, aurait alors tout pour être un outil de développement personnel bénéfique à l’individu comme à la société. Le destin de l’Aïkido est entre nos mains. Ayons le courage de la liberté.
Sur le même sujet :
- Chute mondiale de l'intérêt pour l'Aïkido
Léo Tamaki à Brest, 10 et 11 octobre
S'il est un homme libre qui jamais ne transige sur ses principes, c'est bien Tanguy Le Vourc'h. Je serai heureux de passer deux jours en sa compagnie et celle des pratiquants de l'Ouest sauvage !
Horaires
Samedi 10, de 10h00 à 12h30, et de 15h00 à 17h30
Dimanche 11, de 10h00 à 12h30
Lieu
3 rue Kermaria
29200 Brest
Tarifs
Stage complet 55€
Deux cours 40€
1 cours 25€
Contact
Stage ouvert à tous les pratiquants d'arts martiaux, tous groupes, et tous niveaux.