Kanazawa Hirokazu contre Andy Hug...
Depuis mes débuts dans les arts martiaux j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs géants. Tamura senseï en Aïkido, Kuroda senseï du Shinbukan, Matsui senseï du Kyokushinkaï ou Okamoto senseï du Daïto ryu entre autres, m’ont ébloui, effrayé ou enthousiasmé, parfois tout à la fois. Je voudrais vous raconter aujourd’hui la journée où je vis se croiser deux légendes des arts martiaux, Hirokazu Kanazawa et Andy Hug.
Hirokazu Kanazawa tobi geri
Andy Hug
Un café à la mode
Lorsque je vivais de façon permanente à Tokyo j’ai travaillé pendant plusieurs années à Harajuku dans un café brasserie très célèbre qui s’appelait "Aux Bacchanales". Les "Bacchanales" sont à présent une chaîne prospère dont les établissements ont gardé le concept original, un décor de café brasserie typique où les serveurs passent les commandes en français. Le premier "Bacchanales" où se passe cette histoire a aujourd’hui disparu, suite à la destruction de l’imeuble qui l’abritait. Mais à l’époque de ce jour qui marqua si fortement ma mémoire, il était encore le rendez-vous du Tokyo branché et des célébrités. Jacques Villeneuve y côtoyait Jacky Chan, Milla Jovovich et le Mime Marceau, tandis que les clients n’hésitaient pas à attendre une heure juste pour y boire un café.
"Aux Bacchanales" Harajuku
Andy Hug
Andy Hug fut l’un des premiers, et sans doute le plus grand champion du K1, le plus important circuit de combats de boxe pieds-poings de la planête. Il combattait à l’âge d’or de cette compétition qui voyait s’affronter Peter Aerts, Ernesto Hoost et autres champions légendaires.
Kakato geri, l'un des coups favoris d'Andy Hug sur Ernesto Hoost
K-1, une affluence et des audiences phénoménales...
Présent sur tous les plateaux de télévision, multipliant les campagnes de publicités nationales, Andy Hug était une star, adulé à l’égal des acteurs ou chanteurs les plus populaires. Il mourut le 24 août 2000 à l’âge de 34 ans d’une leucémie foudroyante. Son décès fit la une des journaux télévisés et de la presse écrite. Les émissions spéciales lui étant dédiées se multiplièrent en prime time, et plus de 12 000 fans lui rendirent hommage lors de son enterrement au Japon. Aucun combattant ne connu depuis la popularité dont il jouissait.
Andy Hug...
Kanazawa Hirokazu
Kanazawa Hirokazu est sans doute le maître de Karaté le plus célèbre à l’heure actuelle. Champion mythique, il gagna le premier championnat de Karaté en catégories kumité (combat) et kata (formes)… avec une main fracturée !
Kanazawa Hirokazu
Combattant fabuleux et chercheur inlassable, Kanazawa senseï est l’un des principaux artisans du développement du Shotokan dans le monde. Après avoir été l’ambassadeur charismatique de la JKA (Japan Karaté Association), il a fondé sa propre organisation, SKIF (Shotokan Karaté International Federation).
Kanazawa Hirokazu est l’auteur de plusieurs livres et vidéos qui font autorité dans le monde du Karaté. Son efficacité en combat et ses recherches approfondies sur l’essence et les origines de son art ont fait de lui une légende vivante.
Tsuki
Un vieil homme tranquille
La matinée se terminait comme chaque jour aux "Bacchanales". La mise en place de la partie restaurant se terminait pendant que les garçons servaient les clients venus prendre un café ou un petit déjeuner. J’échangeais quelques mots avec un collègue lorsque, pour une raison inconnue je me retournai. Je le reconnus au premier coup d’œil. Kanazawa senseï, la légende vivante du Karaté venait d’entrer dans aux "Bacchanales".
Je n’avais jamais pratiqué sous la direction de maître Kanazawa. Ses livres avaient toujours été mes références lorsque je pratiquai le Shotokan en France, mais arrivé au Japon j’avais décidé d’étudier un nouveau style et je pratiquais le Karaté Kyokushin en parallèle de l’Aïkido.
Kanazawa senseï marchait d’un pas calme mais décidé, et s’assit dans un angle de l’établissement. Quelques minutes plus tard il fut rejoint par une jeune femme élégante. Ils commandèrent deux cafés, discutèrent pendant une heure puis repartirent chacun de leur côté sans que quiconque à part moi leur ait prété la moindre attention.
Un fauve au repos
Pendant que le vieil homme et la jeune femme conversaient, Andy Hug arriva aux "Bacchanales". De taille moyenne, un mètre soixante dix-huit, il était pourtant extrèmement imposant avec ses cent six kilos de muscles secs. Il était accompagné d’un de ses sparring partners, un géant noir qui le dépassait de plus d’une tête et ressemblait à une montagne. Ils s’installèrent au milieu du café et passèrent commande. Client régulier, le champion prenait toujours la même chose. Deux grands steaks, de la salade et un litre et demi de jus d’orange frais.
Andy Hug en action
Centre de l’attention, Andy Hug se prêta de bonne grâce aux autographes et photos souvenirs. Après avoir englouti son déjeuner il repartit avec son partenaire sous les regards admiratifs des serveurs et des clients.
Le maître et l’athlète
Ces deux heures où deux des personnalités des arts martiaux que j’appréciai le plus se croisèrent au sous mes yeux sont restées profondément gravées dans ma mémoire. J’avais reçu un enseignement inespéré sur la différence entre les Budos et les Kakutogis...
Jusqu’à ce jour j’avais inconsciemment considéré que Andy Hug était un Hirokazu Kanazawa en devenir. Mais les voir à quelques mètres l’un de l’autre me fit comprendre qu’ils étaient séparés par plus que quelques années.
J’avais observé ces deux monstres sacrés de leur entrée à leur sortie, m’était arrangé pour les servir, et avait échangé quelques mots avec chacun d'entre eux. Et la différence de conception qu’ils représentaient me sauta aux yeux. Andy Hug était un compétiteur né. Sa rage de vaincre et une volonté farouche lui avaient permis de se forger un physique exceptionnel et une technique brillante. Son existence était entièrement tournée vers la victoire et il avait franchi tous les obstacles qui se dressaient devant lui. C’étailt l’athlète de sports de combats par excellence.
Andy Hug, un athlète hors du commun
Kanazawa Hirokazu fut aussi un grand compétiteur. Mais il était né avant la seconde guerre mondiale. Beaucoup de ses instructeurs avaient fait la guerre et lutté pour leur vie. Ils lui avaient enseigné un Budo, une Voie martiale où la défaite signifie la mort, et où il n’y a pas de match revanche. Une pratique où la vigilance est permanente et ne se limite pas à quelques rounds sur un ring. Une vision de la vie où la compétition n’est qu’un outil de progression et non une finalité…
Hirokazu Kanazawa, un maître de Budo légendaire
Le combattant et le guerrier
Chaque geste de Hug respirait la puissance. Ses mouvement étaient amples et souples, et l’on sentait sa musculature imposante derrière chacun d’eux. Ceux de Kanazawa étaient mesurés et élégant. Fluides et relachés ils naissaient tous du hara. Le pas de Hug était aussi lourd et vigoureux que celui de Kanazawa léger et précis.
Hug était le mâle alpha, dominant la salle, au centre de tous les regards… vulnérable à n’importe quelle attaque surprise. Kanazawa, dans une attitude de vigilance sereine, avait lui choisi la seule place des "Bacchanales" d’où il pouvait embrasser toute la salle d’un regard, et où personne ne pouvait l’approcher sans être vu…
Peut-être que seules quelques décennies séparaient ces deux monstres sacrés. Peut-être que Kanazawa était un combattant assoiffé de victoires et qu’il ne changea qu’avec les années. Peut-être que Hug aurait rencontré celui qui lui aurait ouvert une autre dimension plus profonde qui aurait enrichi sa pratique s’il n’avait pas disparu prématurément. Kanazawa senseï peut-être ?… Il avait sans aucun doute le potentiel d’un maître.
Peut-être. Mais je vois surtout en eux le produit symptomatique de deux époques aux conceptions très différentes des arts martiaux. Et je ne peux m’empêcher de regretter le lent glissement des voies martiales vers des pratiques compétitives où la formation de l’homme n’a plus sa place…
Kanazawa
Hug