Une semaine en Guyane
C'est en Guyane, au milieu d'une mer de verdure, l'océan pour horizon, bercé par les mille voix des créatures de la forêt, que je commence à écrire ces lignes…
Au commencement était Brahim
Il y a quelques années Brahim me parla d'un stage qu'il avait été donner en Guyane. Jusqu'à cette époque ce nom ne m'évoquait qu'un bout de jungle français de l'autre côté de l'Atlantique, et des images de décollage de fusées.
Brahim me raconta que lors de ce stage il avait séjourné chez un pratiquant, Olivier. Celui-ci avait mis à sa disposition un bungalow dans son jardin. Le séjour lui plaisait beaucoup, excepté l'omniprésence des insectes les plus divers, et en particulier des moustiques. Jusqu'à ce qu'il se retrouve nez à nez avec une araignée matoutou dans la douche. Il me rapporta être sorti en hurlant du bugalow. Surprenant? Pas lorsque l'on sait que la matoutou fait… 15cm d'envergure!
Yaya Bouali
Yaya était l'un des organisateurs du stage de Brahim. Sur ses conseils il vint participer au stage qu'il donnait au dojo de Tamura senseï avec Mickaël et moi. Yaya vint les deux premières années mais nous étions nombreux et, si nous passions d'agréables moments ensemble, nous n'avions pas fait ample connaissance. Cela devait changer lors du Masters Tour 2010 auquel il s'était joint. J'allais alors découvrir un homme drôle, cultivé, ponctuel et ouvert. En un mot, un compagnon de voyage très agréable.
Nous avons ensuite gardé contact, et Yaya a régulièrement participé à des Master Class que j'ai organisées, ou des stages que j'ai donnés.
Invitation
L'an dernier Yaya me proposa de venir donner un stage d'une semaine en Guyane. Mes sentiments étaient mitigés. D'une part j'étais honoré par l'invitation à venir prendre place dans la liste des experts qui m'avaient précédés tels que Stéphane Benedetti ou Tiki Shewan, d'autre part… je suis un enfant des villes et il y avait les matoutous.
Finalement la curiosité l'emporta et j'acceptai sa proposition.
Une chance sur 200 000 de mourir
Lors de mes préparatifs, je découvris qu'il était obligatoire d'être vacciné contre la fièvre jaune pour pouvoir se rendre en Guyane. Cette maladie transmise par les moustiques est en effet très grave dans la mesure où 15% des personnes atteintes en développent une forme grave, qui tuera 50 à 80% de ses victimes. En gros, 7 à 10% des personnes qui l'attrapent meurent…
En faisant des recherches sur la fièvre jaune et les effets indésirables du vaccin que l'on allait m'inoculer, je découvris un effet très indésirable, la mort pour un vacciné sur 200 000! Les chances que cela tombe sur nous semblent rares. C'est tout de même 100 fois plus de chance de mourir que de gagner au loto! Enfin la loi est la loi, et je me fis donc vacciner à l'institut Pasteur.
Un monde à la beauté sauvage
La première chose qui me frappa à l'arrivée à Cayenne, est la similitude du climat, chaud et humide, avec celui du Japon l'été. Contrairement à certaines personnes, c'est quelque chose qui ne m'a jamais gêné, et de ce côté là, je me sentais très à l'aise.
Yaya m'attendait à l'aéroport et m'accueillit avec son habituel grand sourire. Après quelques dizaines de minutes de route, nous sommes arrivés au pied d'une pente à 25° qu'il emprunta avec sa voiture, pour arriver au pied de sa maison.
Yaya et sa femme Guylaine ont fait construire une magnifique habitation à l'orée de la forêt. En hauteur, elle permet de voir la mer. La maison est faite d'immenses espaces ouverts et de deux grandes terrasses sur lesquelles je devais passer beaucoup de temps dans la semaine, notamment pour écrire:
"C'est en Guyane, au milieu d'une mer de verdure, l'océan pour horizon, bercé par les mille voix des créatures de la forêt, que je commence à écrire ces lignes…"
Vivre dans la jungle
Explorant la maison de Yaya j'étais à la fois séduit par sa beauté et vaguement inquiet en raison de l'environnement. Nous étions quand même à l'orée de la jungle. Des arbres exotiques nous entouraient, mais aussi tous ces animaux sauvages que j'entendais, et nous cohabitions avec des nuées d'insectes!
"Tu sais c'est nous qui sommes venus nous installer chez eux." me dit Yaya en souriant.
Il est vrai. Et le naturel avec lequel lui et sa famille cohabitaient avec ces créatures me les rendaient supportables. Mais leur nombre et leur variété en tout autre endroit m'aurait fait bondir. J'observais donc ces milliers d'habitants, microscopiques ou d'une taille étonnante qui volaient, rampaient, sans se soucier de nous ni nous importuner, hormis les moustiques qui sévissaient sans pitié.
Des pratiquants assoiffés et ouverts
Il est extrêmement rare que des pratiquants me fassent mauvaise impression. Après tout ce sont des gens qui font des efforts pour venir pratiquer avec moi, et ils sont en général curieux et disponibles. Mais l'éloignement de la Guyane a exacerbé cela chez ses pratiquants. Je trouvais chez eux la gentillesse et la chaleur dont m'avait parlé Brahim, mais surtout une soif de pratiquer, d'apprendre et de comprendre que je trouve rarement en Europe. Ce fut une excellente surprise.
L'épreuve des toilettes nocturnes
Hormis le week-end, les cours ont eu lieu le soir. Lorsque j'allais me coucher il était donc au minimum minuit, et il faisait nuit noire. Il est étrange de constater à quel point les créatures sauvages sont bruyantes la nuit. L'assurance que j'avais le jour se transformait ainsi en vigilance prudente dès le crépuscule, et ce, particulièrement lorsque j'allais prendre ma douche ou aux toilettes. Les matoutous et la triste expérience de Brahim occupaient encore mon esprit.
Lorsque j'allais aux toilettes, j'ouvrais prudemment la porte, observait les quelques insectes présents, différentes araignées, papillons, fourmis, etc…, j'inspectai la cuvette et son dessous, et faisait mon affaire sans demander mon reste. Cela me permit d'éviter tout incident.
Un massage chez Olivier
Olivier, le pratiquant qui avait accueilli Brahim, était venu pratiquer avec moi cet été sur les conseils de Yaya. J'avais apprécié sa rencontre et c'est avec plaisir que je le retrouvais sur les tatamis guyanais. Masseur thaï il me proposa de venir chez lui me faire masser. Ne connaissant pas du tout le massage thaï, j'acceptais avec plaisir.
En arrivant chez Olivier, je dois dire que j'avais une vague appréhension. Non pas au regard de ses compétences, mais par rapport aux créatures que je risquais de rencontrer. Il officiait dans une magnifique maisonnette en bois dans son jardin qui me transporta immédiatement en Thaïlande. Lorsqu'il s'absenta peu après mon arrivée, je dois avouer que j'inspectai rapidement les alentours avant de me décontracter, satisfait de ne voir aucune araignée de 15cm d'envergure.
Un massage d'une richesse exceptionnelle
Le massage d'Olivier dura une bonne heure et demie. Venu sans attente particulière, je fus très très agréablement surpris. Je découvris une pratique qui ouvrait les articulations, détendait les muscles, travaillait sur la circulation énergétique. Il y avait une approche globale qui me plut beaucoup, et une richesse que je ne soupçonnais pas.
Un invité peu disponible
Les jours passaient à une vitesse folle. Les cours se succédaient, entrecoupés de périodes où je dormais où travaillait sur de nombreux projets où j'avais accumulé du retard. Je regrettai de ne pas pouvoir profiter de ce territoire magnifique, et me sentais gêné de ne pouvoir honorer l'hospitalité de Yaya qui avait pris une semaine de congé pour être disponible. Nous avons toutefois eu de nombreuses occasions de parler, et j'ai énormément apprécié les instants que j'ai passés en sa compagnie et celle de sa famille.
Et là… le drame arrive
Hier soir était l'avant-dernier jour du stage et, après le cours nous sommes allés manger avec quelques élèves, parmi lesquels Clémence, la sœur d'une pratiquante qui vient à mes cours à Paris, et qui séjourne chez Olivier. La discussion fut drôle et animée, et malgré une pizza au goût étrange, je passais une très agréable soirée.
Le repas terminé nous sommes partis, Yaya, Clémence que nous devions déposer chez Olivier, et moi-même. La nuit était noire mais Yaya conduisait prudemment et il évita facilement un chien sauvage qui rencontra notre route. La discussion continuait dans la voiture lorsque je fus pris de violentes crampes d'estomac. Je serrai les dents en me disant que nous allions rapidement déposer Clémence et que j'irai aux toilettes au retour.
Las, la douleur devint intolérable et je commençais à suer à grosses gouttes, pris d'une envie irrésistible de me soulager. Apercevant la maison d'Olivier je respirai et demandais à Clémence de me laisser accéder aux toilettes.
Clémence est une pratiquante douce, calme et discrète. Ce sont des qualités que j'apprécie beaucoup et qui me la rendirent sympathiques. Ne sachant pas la douleur et l'envie pressante qui me tenaillaient, elle prit toutefois congé de Yaya à son habitude, doucement, tranquillement. De mon côté, torturé par mon estomac j'étais prêt à la secouer comme une poupée de chiffon pour accéder aux toilettes. Arrivée devant le portail où j'étais déjà depuis cinq minutes, elle n'arrivait pas à ouvrir la porte. C'était trop tard.
D'un bond je sautais dans le fossé profond d'un mètre et demi qui bordait la route et, ôtant mon jean à la vitesse de l'éclair… je vidais mes intestins dans la nuit noire.
Oh dans toute autre circonstance j'aurai été accablé dans ce moment de grande solitude. Et ce n'est pas mon soulagement physique qui m'empêcha de ressentir toute honte. Ce fut la panique qui me saisit lorsque je pris conscience que j'étais dans un fossé remplis de hautes herbes devant la maison de la matoutou!
Yaya était à quelques mètres de moi à l'intérieur de la voiture, et il me lançait quelques regards de temps en temps. Les minutes passaient et je commençais à m'impatienter. En sautant dans le fossé je lui avais demandé d'aller chercher du papier toilette et je ne le voyais pas arriver. Il avait été aider Clémence à ouvrir le portail, et sans aucun doute elle allait revenir avec le précieux papier.
Non. Les crampes commençaient à engourdir mes jambes et rien n'arrivait. Maudite Clémence!!! Tout à coup Yaya éteint ses phares. J'étais maintenant dans le noir complet, dans un fossé jusqu'au cou, et je regardais frénétiquement autour de moi, paniqué par les herbes qui frôlaient mon corps, essayant de voir les insectes, serpents et autres animaux sauvages dont j'étais devenu la cible impuissante!
Yaya m'expliqua plus tard qu'il avait voulu me laisser un peu d'intimité :'(
C'est alors qu'Olivier sortit de chez lui. Ouf, j'étais sauvé. Il s'approcha, étonné, et je lui demandai où était le papier toilette. Il ne comprit pas. En fait Yaya ne m'avait pas entendu. Il n'avait rien demandé à Clémence. Et Clémence n'avait rien dit à Olivier. Il l'avait entendu rentrer et, entendant le moteur tourner après plusieurs minutes, il venait vérifier que tout allait bien.
Pauvre Clémence que j'avais maudite pour sa lenteur, et qui ne savait tout simplement rien du drame que je vivais. Pardon Clémence ;-)
Mis au courant de la situation, Olivier m'apporta enfin quelques feuilles de papier toilette que je n'ai jamais regardées avec autant de gratitude. Engourdi par le ¼ d'heure que j'avais passé accroupi, les herbes jusqu'au cou, je me relevai avec difficulté mais je pus quitter le fossé indemne, sans avoir rencontré, en tout cas vu, de matoutou.
Une boule de conas s'il vous plaît
Je n'ai donc pas eu à mon regret, le temps de visiter la Guyane. J'ai néanmoins découvert certaines de ses spécialités culinaires comme… la boule de conas.
Coco + Ananas = Conas bien sûr.