Le racisme dans l'Aïkido
L'Aïkido est harmonie. C'est du moins son idéal. Dans les faits, luttes de pouvoirs, course aux grades et autres hochets sont monnaie courante. Le sexisme aussi, est un fléau qui dévore cet art martial qui rassemble essentiellement de vieux mâles bedonnants aux titres ronflants. Mais c'est de racisme que j'aimerai parler aujourd'hui. Oh non, pas celui des japonais sur lequel on pourrait écrire des volumes. Celui-ci, aussi intolérable qu'il soit, est une manifestation d'un problème de société de l'archipel en même temps qu'un prolongement des origines pas toujours reluisantes de la discipline. Le Fondateur ne déclarait-il pas en 1961 :
"Je suis venu à Hawaï afin d'établir un "pont d'argent". Jusqu'à présent, je suis resté au Japon, construisant un "pont d'or" pour unifier le pays, mais désormais, je souhaite bâtir un pont pour unir les différents pays du monde à travers l'harmonie et l'amour que porte l'Aïkido."
Quoi qu'il en soit, c'est le racisme ordinaire des pratiquants non-japonais que je souhaiterai évoquer.
Robert Blanquer, un pionnier de l'Aïkido s'est éteint
Robert Blanquer nous a quitté le 24 juillet dans sa 88ème année. Débutant le Judo en cachette à 14 ans en 1944, il découvre l'Aïkido en 1957 avec Abe Tadashi. Il accueillera par la suite Noro Masamichi chaque mois dans son dojo à partir de 1961, puis Nakazono Mutsuro et Tamura Nobuyoshi lorsqu'ils arrivèrent en France. S'il joua un rôle majeur dans le développement de l'Aïkido, ce ne fut jamais au détriment de l'essentiel, la pratique sur le tatami.
Robert Blanquer avait le grade de… 6ème dan. Une indignité de sa fédération d'appartenance si l'on considère son rôle dans le développement de la discipline, son investissement et ses accomplissements. Quand tant de ses juniors vingt à trente ans plus jeunes et ayant plusieurs décennies de pratique de moins paradent avec le 7ème dan et/ou le titre de shihan… Triste groupe qui ne sait reconnaître la valeur et les contributions de ses anciens.
Racisme ordinaire
Mais la FFAB n'est pas la seule à ne pas avoir su reconnaître les accomplissements de maître Blanquer. En janvier 2015 "Spécial Aïkido" fit paraître un entretien avec cet adepte au parcours exceptionnel. Une interview où il revenait avec la plus grande simplicité sur une vie de Budo. Où il partageait son optimisme et sa bienveillance :
Pour dire comment j’aborde les choses dans notre école, notre salle, bien qu’elle soit grande, ne peut pas contenir toute l’espérance que je mets dans l’avenir. Cette espérance est basée sur la valeur technique, telle que nous l’avons reçue des maîtres japonais, et non sur la valeur des grades. Plus que jamais, l’Aïkido a une place dans ce monde moderne en recherche de sens et de valeurs. Soyons fidèles à notre passé et l’avenir sera assuré.
Pour moi, il n’y a pas de difficulté sur le plan culturel, pour peu qu’on se plonge dans ce monde merveilleux qui comble mon présent et mon avenir. Je suggère à tous les jeunes ou les plus avancés dans cette étude de croire en cette discipline, le reste suivra, avec l’œuvre du temps, humilité et esprit d’ouverture.
Magnifiques paroles qui auraient trouvé un écho si… Robert Blanquer avait été japonais. Malheureusement il était français, et on ne trouve nulle trace de la sagesse bienveillante qu'il partagea à cette occasion.
Racisme en Judo, Karaté, etc.
Le Judo, le Karaté et pour ainsi dire la majorité des disciplines martiales asiatiques ont souffert d'un racisme outrageux. Leur salut vint… de la compétition. Théâtre de décisions et manipulations scandaleuses, ces évènements mirent en lumière un comportement inacceptable qui aboutit à la mise à l'écart de l'archipel dans le processus décisionnel. Un processus qui eu, sans nul doute, aussi des conséquences néfastes. Mais qui eu le mérite de mettre tout le Monde sur un pied d'égalité.
L'Aïkido n'est pas compétitif. Sa nature ne le permettrait qu'au prix d'une modification profonde de sa nature et de son message, et c'est donc très bien ainsi. Malheureusement cela se fait au prix de l'entretien et du développement d'illusions qui sont à l'origine de son déclin. Notamment la supériorité japonaise.
François Petitdemange, Alain Setrouk, Guy Sauvin, Dominique Valera et Gilbert Gruss à Long Beach, 1972
L'Aïkido japonais
Nul doute que les Noro, Tamura, Chiba, Saïto, Yamaguchi, Saïto ou Nishio n'avaient aucun égal étranger. La raison simple est que l'Aïkido ne fut pratiqué en dehors du Japon que suite à leur venue. Ces missionnaires de l'Aïkido avaient donc au moins une décennie de pratique intense d'avance sur leurs contemporains.
Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Voici quelques impressions lors de mon arrivée à l'Aïkikaï de Tokyo en 1998.
"Le cours terminé, j'exultais de rage. Où étaient tous les guerriers de l'Aïkikaï ?! Etait-ce cela le niveau d'enseignement du centre mondial de l'Aïkido ?!!! Ruminant ma déception, je me consolais en me disant que cela ne devait concerner que les cours de l'après-midi. Résolu à voir l'élite de l'Aïkido, je décidai donc de venir au cours du Doshu, le lendemain matin à 6h30."
"Les quelques cours suivants me firent l'effet d'une douche encore plus froide que celle de l'Aïkikaï (il n'y a pas d'eau chaude dans les vestiaires). Point de guerriers à l'horizon, trop d'étrangers à mon goût (peu m'importait que je vienne grossir leurs rangs), et un niveau à mes yeux très loin de celui de Tamura senseï. J'étais écœuré, et je pris la décision de retourner immédiatement en France."
"Tout commença bien. A mon arrivée le dojo était déjà rempli de monde qui travaillait avant le cours, et je sentais que les choses sérieuses allaient commencer. Il y avait aussi quelques personnes âgées, de grands maîtres sans aucun doute. Le cours commença et je pus travailler avec un jeune qui avait de la répartie. La pratique fut assez intense et j'étais content. Le Doshu était charismatique, même si je ne voyais rien qui me faisait rêver dans son travail."
"A mes yeux, mais cela est évidemment subjectif, le niveau des enseignants actuels est plus faible."
Pourquoi le niveau de l'Aïkido japonais s'est-il effondré ?
Voici un extrait de l'article "De l'influence de l'exil sur la pratique des maîtres d'arts martiaux japonais" :
"Mais les maîtres que sont devenus les jeunes senseïs de l'époque héroïque sont-ils différents de leurs collègues restés au Japon ? En quoi leur exil les a-t-il marqués, et en quoi cela a-t-il eu un impact sur leur pratique ?
S'il est bien évident que l'enseignement des arts martiaux n'est jamais une tâche aisée, il est clair que le fait d'être "chez soi" facilite les choses. Les jeunes professeurs restés au Japon qui faisaient partie des grandes organisations qui avaient envoyé des experts à l'étranger furent placés à la tête de dojos, de sections universitaires ou d'entreprises. De plus le système japonais sempaï/kohaï impliquant le respect envers les aînés ils furent en général à l'abri de l'agressivité des jeunes, même si cela n'empêchait pas les entraînements "physiques".
Les senseïs partis à l'étranger se retrouvèrent eux dans une situation totalement différente.
(…)
Ajoutons à cela que les élèves de cette époque ne pratiquaient pas les arts martiaux comme des loisirs mais beaucoup plus intensément, voire brutalement qu'aujourd'hui. Et ils "testaient" souvent les nouveaux venus. Ceux qui avaient une expérience venaient de la boxe ou de la lutte. Si l'on considère en plus que leur gabarit était nettement supérieur à celui de la plupart des senseïs, on a à peu près une image claire des obstacles que ces derniers rencontrèrent.
Mais toutes ces difficultés furent sans doute des chances. Elles permirent à ces "missionnaires" d'affiner leur art, les obligèrent à se confronter à la réalité. En ce sens elles ont sans doute été un moteur dont n'ont pu profiter leurs condisciples restés au Japon, dans un pays qui n'aspirait alors plus qu'à la paix.
Les senseïs expatriés ont vécu comme les célèbres adeptes du passé une sorte de musha shugyo, ce voyage initiatique qu'entreprenaient les guerriers désireux de se perfectionner au cours duquel ils allaient de dojos en dojos, défiant les adeptes qu'ils rencontraient afin de forger leur art.
Aujourd'hui certains de ces jeunes senseïs ont disparu mais les autres sont au sommet de leur discipline et ont des milliers d'élèves. Ils ont eu le courage et la chance de donner vie aux rêves des fondateurs de leurs voies. Ils ont affiné leur art à un niveau qu'ils n'auraient sans doute pas atteint s'ils n'avaient rencontré autant de difficultés…"
Noro Masamichi (Aïkido), Michigami Haku (Judo, Karaté), Abbe Kesnhiro (Judo, Aïkido, Kendo), Harada Mitsusuke (Karaté), Nakazono Mutsuro (Aïkido), Otani Masutaro (Judo)
L'aveuglement des gaïjins
La majorité des enseignants d'Aïkido ne pratique jamais le travail libre, c'est à dire sans tori/uke, mais avec deux aïtes dans un contexte où tout est permis (cela nécessite d'évidence un contrôle de l'intensité). Les pratiquants d'Aïkido n'ont donc que l'expérience d'un travail de type kata, dans un contexte où tout est joué d'avance. Et ne vous méprenez pas, je considère ce travail comme une partie essentielle de la pratique martiale. Mais cela doit permettre d'aboutir à une pratique libre où le travail d'awase/musubi et irimi/atémi s'exprime dans l'instant face à l'inattendu. Seul ce type de pratique peut permettre d'ôter les illusions des pratiquants.
Etant malheureusement absent des dojos d'Aïkido, les élèves se basent majoritairement sur les titres, les grades, … la couleur de la peau et les origines…………….
L'Aïkikaï attribue les grades sur un principe simple. Plus on est proche du cœur du pouvoir décisionnel, plus on monte vite. INDEPENDAMMENT du niveau réel. Et dans ce systèm, ne pas être japonais est évidemment un malus. Système encouragé par l'attitude d'une majorité d'étrangers qui ont été leurrés et n'ont généralement pas les outils pour juger du niveau objectivement. Une situation qui désespère les adeptes de haut niveau non-japonais qui se voient préférer des enseignants moins qualifiés mais jaunes et possédant plus de breloques. Combien de fois n'ai-je pas entendu :
"On a la chance de recevoir un japonais."
Oui, mille fois oui s'il s'agit d'un Yamada, Shimizu, Tamura ou Saotome. Mais les sexagénaires étrangers n'ont RIEN à envier à leurs homologues japonais. J'ajouterai même qu'ils ont souvent un niveau supérieur, bien qu'il ne soit pas reconnu par des grades.
Yamada Yoshimitsu, défenseur des gaïjins
Le sursaut viendra sans doute des Etats-Unis. Mais que l'on se rassure, un japonais en sera à l'origine. Yamada senseï est un homme épris de justice et de liberté. Contrairement à nombre de ses pairs, il a toujours défendu les intérêts de ses élèves, et lutté contre les injustices dont ils souffraient. Aujourd'hui il a obtenu une reconnaissance tardive pour un grand nombre de pratiquants américains. Et ce n'est pas pour rien que de plus en plus de groupes à travers le monde se rassemblent sous la bannière du Sansuikaï qu'il a fondé. Cette organisation parallèle à l'Aïkikaï est un contre-pouvoir qui permet de lutter contre le traitement injuste dont ont été trop longtemps victimes les gaïjins. Voici quelques réflexions de Yamada senseï issues d'un entretien qu'il m'a accordé (un autre sera publié prochainement) :
"C'est très différent du fonctionnement actuel de l'Aïkikaï.
C'est complètement différent ! Il n'y a plus d'esprit. Aujourd'hui ils sont pour moi comme des employés de bureau. Ca m'attriste de le dire mais c'est ainsi. C'est malheureux et je suis triste pour eux, mais on ne peut rien y faire. La société change et personne aujourd'hui ne veut s'investir de cette façon.
Les japonais obtiennent-ils le titre de shihan automatiquement ?
C'est une chose que je n'aime pas. C'est pourquoi j'ai commencé à délivrer des titres de shihans aux étrangers. Parce qu'ils se demandaient pourquoi cela était réservé aux japonais. Ils font beaucoup de choses stupides à l'Aïkikaï.
L'an dernier un groupe m'a donné une liste d'environ 20 personnes. Mais l'Aïkikaï a choisi trois d'entre eux. Alors je leur ai dit "Ok, laissez tomber. Je ne peux pas retourner leur expliquer que seuls trois d'entre eux recevront ce titre. Oubliez ça et rendez-moi la liste.". J'ai expliqué la situation et leur ai dit de négocier eux-mêmes, que j'étais hors de ça. Mais comment avaient-ils choisi ces trois personnes qu'ils ne connaissent pas ? Sur quels critères ? Le seul qui savait était leur maître.
Et parmi ces vingt noms, ceux de certains des plus anciens du groupe n'étaient pas inclus car ils avaient de mauvaises relations avec des officiels. Ce n'est pas mon problème mais ce n'était pas juste non plus."
Christian Tissier, l'exception qui doit devenir la règle
Christian Tissier est à mes yeux l'un des adeptes les plus importants de l'Histoire de l'Aïkido. Loyal mais indépendant, sa stature internationale et son niveau ont rendu inévitables sa reconnaissance par les plus hautes instances japonaises de l'Aïkido. Il est le premier occidental à avoir reçu le titre de shihan et le 8ème dan pour lequel tant de ses aînés étrangers avaient pourtant rempli les conditions. Honni, jalousé par la majorité de ses pairs japonais, il a pourtant su s'imposer et se faire respecter. Faisant sauter les barrières, il a permis à sa suite la reconnaissance des autres non-japonais. Dont soi-dit en passant peu dans l'hexagone lui sont reconnaissants, bien au contraire.
Une évolution indispensable
J'ai demandé à Yamada senseï s'il pensait "que des organisations soient nécessaires ?". Il m'a répondu que "Il faut des groupes bien entendu. Ceux qui existent sont-ils dirigés de façon adéquate ? Les bonnes personnes sont-elles aux commandes ? Là sont les questions."
Je crois aussi que l'Aïkido profite d'une organisation administrative. Mais celles qui existent aujourd'hui sont majoritairement insatisfaisantes. Une évolution est indispensable mais c'est sur le tatami qu'elle doit prendre naissance ! Nous devons faire évoluer notre pratique, nous confronter au travail libre, observer les autres traditions martiales, faire exploser nos préjugés et voir les choses telles qu'elles sont. Ce n'est qu'ainsi, en respectant ceux qui le méritent comme Robert Blanquer, et en cessant de se soumettre à des idoles de pacotille que le monde martial regarde avec dédain, que les pratiquants d'Aïkido trouveront la véritable liberté.