Parades guerrières et démonstrations d'arts martiaux
Offrandes aux dieux, divertissement des puissants, depuis la Nuit des temps l’homme a théâtralisé ses prouesses guerrières lors de démonstrations. Paradoxalement, à mesure que les conflits se désincarnent et que l’homme est remplacé par les machines sur le champ de bataille, ces manifestations se sont multipliées. Et aujourd’hui, à l’heure où le paraître semble en passe de supplanter l’être, la démonstration est omniprésente. Voici un petit tour d’horizon des tendances majeures, agrémenté de quelques conseils pour les adeptes présentant leur travail.
Offrande divine
Êtres aux multiples facettes, les dieux ont été parés par les hommes de leurs qualités, défauts et inclinaisons. C’est ainsi sans surprise qu’ils ont supposé que ces être magiques appréciaient le spectacle ritualisé de leurs compétences martiales. Au Japon on peut diviser cela en deux formes principales. D’une part la compétition sportive du Sumo, d’autre part les démonstrations de techniques guerrières réalisées par les ryu. Ces deux manifestations partageant un but commun, s’attirer les grâces du panthéon shintoïste.
Si le Sumo comme les démonstrations dans les temples perdurent aujourd’hui, le japonais moyen sait qu’il perpétue un folklore, et bien peu nombreux sont les croyants convaincus. Pour autant, en ce qui concerne les évènements ayant lieu dans des enceintes religieuses, le lieu, l’ambiance, sont propices à un recueillement qui se marie parfaitement à la nature spirituelle du Budo. À titre personnel, ces manifestations ont toujours été mes favorites.
Si d’aventure vous êtes invité à démontrer votre travail dans une enceinte religieuse, qu’il y ait ou non des spectateurs, l’objectif est de présenter sa pratique dans sa plus pure pureté, sans artifices ni effets de manche. Le but n’est pas de divertir une audience, mais de présenter humblement son ascèse.
Ci-dessous, une vidéo d'extraits de démonstrations au sanctuaire impérial Meïji à Tokyo:
Cirque de rue
À l’opposé de la présentation austère offerte aux dieux, certains adeptes des techniques martiales ont tôt fait un gagne-pain de leur habileté en se produisant de villages en villages. Si cette tradition fut très répandue dans la chine médiévale des lettrés qui considérait le métier des armes avec dédain, elle resta mineure au Japon où risquer d'offenser l’omniprésente caste des samouraïs était dangereux. Dans l’archipel les artistes de rue réalisaient des prouesses telles que dégainer un immense katana juché sur des ipponba geta, faire jaillir un sabre tranchant comme un rasoir autour duquel la main était fermement attachée, ou réaliser des coupes à la volée.
Ce type de pratiquants spécialisés dans le spectaculaire afin de divertir une audience pour vivre n’existe plus réellement en tant que tel aujourd’hui. Toutefois les démonstrations lors de manifestations telles que le Festival des Arts Martiaux de Bercy doivent répondre au même cahier des charges. Car si des pratiquants sont présents dans l’audience, ils sont mêlés à nombre de néophytes. Et chacun vient se distraire, attendant des présentations spectaculaires et dynamiques.
Lorsque l’on est invité à présenter sa discipline dans un Festival des Arts Martiaux, il est important de respecter les attentes du public. Et s’il est parfaitement légitime de considérer cela sans intérêt, alors il est naturel de ne pas se prêter à l’exercice. Pour ceux qui jouent le jeu, le défi est d’arriver à intéresser sans trahir sa pratique ni tomber dans la vulgarité. Mouvements spectaculaires, ruptures de rythme et techniques réalisées dans leur plus grande amplitude, sont généralement les ingrédients d’une démonstration réussie.
Ci-dessous, la vidéo de ma première démonstration à Bercy :
La journée des associations
Si certaines municipalités les abandonnent, les journées des associations ont longtemps été l’occasion pour les pratiquants locaux de présenter leur discipline. Expression de la société contemporaine, ce type d’événement n’a naturellement pas d’équivalent dans le Japon médiéval.
La participation à ce type de manifestation a un effet très variable sur les effectifs. Mais quand bien même vous vous trouveriez à un endroit où les résultats sont faibles sur le nombre d’élèves, l’exercice est intéressant à réaliser pour l’enseignant comme les élèves. Car si le danger physique est absent, se confronter au regard des autres est un stress auquel il est bon de se confronter.
La présentation à faire à un événement de ce type, varie énormément en fonction du public local. Présenter une discipline martiale dans une banlieue difficile ou aisée est en effet très différent. S’il ne faut en aucun cas travestir la discipline, l’idée est de montrer en quoi elle peut répondre aux aspirations des locaux. Self-défense, bien-être ou aspect culturel sont ainsi à moduler pour éveiller l’intérêt des habitants.
Attention, si la démonstration doit être attrayante pour donner envie, elle n’est en aucun cas un spectacle ou les acrobaties seront telles que le quidam sera aussi impressionné que convaincu que ce n’est pas pour lui. Authenticité et simplicité seront les maîtres-mots pour une présentation de ce type.
Ci-dessous, le Karaté Shinjukaï présenté par Nicolas Lorber lors d'une journée des associations :
Se mettre à nu devant ses pairs
Le dernier type de démonstration que je souhaite aborder est celle que l’on réalise devant un public d’amateurs éclairés et d’enseignants. La Nuit des Arts Martiaux Traditionnels est l’exemple de ce type de manifestation. Si le public y est plus modeste qu’au Festival des Arts Martiaux, il est composé en plus grande partie de pratiquants passionnés. Si les prouesses sont respectées, le public a des attentes plus élevées. Au-delà du spectaculaire il aspire à voir plus de profondeur, à comprendre la nature, les ressorts et principes de la pratique présentée.
J’ai toujours considéré la démonstration devant ses pairs comme la plus exigeante pour un adepte. Parce qu’on ne peut « simplement » présenter son travail, ou se contenter d’être impressionnant. À ce titre, c’est à mon sens la plus intéressante.
Ci-dessous, un florilège de démonstrations de la NAMT2010 en l'honneur de Tamura senseï, filmées par Sébastien Chaventon :
Pourquoi se donner en spectacle ?
Les démonstrations ont parfois mauvaise presse auprès de pratiquants élitistes qui se pincent le nez en regardant Christian Tissier à Bercy. C’est oublier qu’il s’agit d’une pratique qui est aussi vieille que les traditions martiales, et que les plus grands s’y sont régulièrement adonnés. Ueshiba Moriheï lui-même, officia à de très nombreuses reprises avec brio, et c’est sans nulle doute grâce à ses prouesses que la discipline connut un essor aussi fulgurant à sa naissance.
Aujourd’hui plus que jamais, l’Aïkido est en danger. Les effectifs baissent si drastiquement que les clubs qui ferment ou sont en sursis se multiplient. Chacun, de l’enseignant amateur au professionnel se doit de représenter la discipline afin d’en souligner les bienfaits et l’intérêt. C’est ainsi, en pensant une présentation adaptée au public, que nous pourrons redonner une audience vitale à l’Aïkido.
Je serai de nouveau à Bercy le 12 juin, et ferait de mon mieux pour présenter l'Aïkido de façon attractive pour le grand public.
Pour prolonger la lecture
- Enseignement, combat, démonstration
- Démonstration de Yamada Yoshimitsu sensei en 1964
- Préparation de démonstration Léo Tamaki 2009
- Répétition Bercy 2019 avec Isseï Tamaki