La renaissance de l'Aïkido
Il y a quelques mois, j'ai écrit pour Spécial Aïkido un article évoquant la chute de l'Aïkido qui se terminait sur un sentiment optimiste. Aujourd'hui je suis heureux de pouvoir dire que, loin d'être un vœu pieu, ces quelques lignes semblent se confirmer. L'Aïkido a perdu BEAUCOUP de ses pratiquants, mais j'ai le sentiment qu'il repart sur de meilleures bases. Seront-elles suffisantes ? L'avenir le dira. En attendant voici l'article :
Face à la disparition annoncée de l'Aïkido, les pratiquants de la discipline sont passés par les 5 phases du deuil. Nous en sommes aujourd'hui à la dernière…
Le déni
Au départ beaucoup ont nié la chute. L'exemple de la baisse du nombre de licenciés d'un dojo était contré par celui d'un autre qui se portait bien. Un pays dont le nombre de pratiquants s'effondrait se voyait opposer une nation émergente. Tout allait bien. Et l'arrivée des données en ligne du Ministère des Sports, la chute vertigineuse des requêtes sur Google furent même balayées d'un revers de main. Incomplètes, anecdotiques, temporaires.
Jusqu'à aujourd'hui où les magasins spécialisés ferment, les publications martiales cessent d'être éditées, et surtout, les dojos disparaissent. Au point que la France ne compte plus que 30 000 licenciés contre 60 000 en 2005. Tandis que la population augmentait de 15%, l'Aïkido perdait 50% de ses pratiquants. À ce rythme, la discipline aura virtuellement disparue en 2035.
La colère
Le monde de l'Aïkido s'est alors réveillé en colère. Et chacun d'accuser, qui la civilisation consumériste, qui la jeunesse fainéante, mais surtout, surtout, TOUS les autres styles. Les autres écoles n'étaient pas assez martiales ou reléguaient tous au niveau de la bagarre ; pas assez traditionnelles ou trop folkloriques ; obsolètes ou coupées de leurs racines. Les AUTRES et le monde étaient responsables du déclin de l'Aïkido.
Imitant ces politiques qui font porter la décadence de leur pays à leurs confrères d'un autre bord, nous avons alors eu la discipline la plus bête du monde. Chaque courant, persuadé de détenir la vérité, était prompt à faire porter le chapeau aux "autres", pour ne jamais avoir à regarder la situation en face et prendre les mesures nécessaires.
Marchandage
Le temps passant sont venues les solutions de marchand de tapis. Transformer la discipline en Yoga, la modifier pour des publics plus de plus en plus disparates. Des initiatives dont on peut louer l'intention, mais qui avaient pour point commun de ne pas affronter les causes du déclin. Sans surprise, leurs effets furent invisibles sur la courbe plongeante du nombre de pratiquants. Je suppose même qu'en essayant d'adapter l'Aïkido à chacun, on brouilla le message de la discipline au point de ne plus s'adresser à personne.
Le développement de l'art dans d'autres territoires fut une illusion de plus. Si dans l'absolu on eut pu se consoler de la disparition de l'Aïkido en France en observant sa vigueur dans d'autres pays, il est clair aujourd'hui que cela n'arrivera pas. Personne n'imagine que l'on puisse recycler nos Nokia du début du siècle en Inde. Chaque nation veut le meilleur et ne s'accommodera pas d'une chose devenue obsolète.
Dépression
Les deux années passées ont vu une accélération de la chute. Naturellement son ampleur est contextuelle. Mais le Covid nous a simplement fait avancer de deux ou trois ans sur la courbe. Chacun prit alors conscience du fait qu'il devrait vivre avec les conséquences de cet effondrement. Que le nombre de stages se limiterait grandement, que leur prix augmenterait, que son dojo risquait de disparaître !
La conjugaison de l'absence de pratique, de la distanciation sociale et de toute perspective d'avenir a créé un effet de sidération. Des associations se sont alors dissoutes, des dojos ont fermé, et des pratiquants ont abandonné la discipline pour d'autres activités.
Photo Daniel Molinier
Acceptation
Aujourd'hui les effectifs se sont effondrés, et plus personne ne nie la situation. Certains intégristes toujours convaincus d'être dans la vérité s'arc-boutent sur leurs dogmes, et continuent à rejeter la faute sur la société et les autres courants. Mais j'ai constaté un mouvement dans les lignes. Dans la discipline les rangs se resserrent. Les ennemis d'hier comprennent que leur lutte fratricide est dépassée. Hormis une poignée d'extrémistes, chacun essaie de regarder la situation en face, de la comprendre.
L'acceptation permet de percevoir correctement la situation. Et seule la perception juste peut donner naissance à l'action efficace.
Photo Laurent Sikirdji
Action
Les comportements humains sont d'une complexité inouïe. C'est ainsi que devant les mêmes actes les historiens débattent, les sociologues s'affrontent, et les psychologues posent des diagnostics opposés.
Ma conviction est que :
- L'Aïkido s'est développé en tant que discipline martiale efficace.
(Son but est l'éducation de l'homme, mais son outil est une technique martiale crédible et cohérente.)
- La perception d'une discipline martiale par le grand public est dépendante du regard que les autres disciplines ont sur elle.
(Les adeptes de l'Aïkido en ont évidemment une opinion positive. Mais la conviction d'un membre d'un cercle fermé n'a pas de valeur aux yeux de l'extérieur. Un site internet est bien référencé quand d'autres sites pointent sur lui. Pas quand il se contente de liens entre ses propres articles. De même, le succès que j'ai aujourd'hui est le résultat de ma crédibilité auprès des pratiquants d'autres disciplines.)
J'agis ainsi depuis des années pour diffuser l'Aïkido en accord avec ces convictions. Dans le même temps, certains courants souhaitent promouvoir d'autres aspects de la discipline. Nous ne nous accorderons sans doute pas non plus sur les causes de la situation actuelle, et partant les remèdes à y apporter. Pour autant je suis optimiste, car de tous bord les mains se tendent pour trouver des consensus et mener des actions concertées. Parce que chacun a compris que plutôt que critiquer les choix de quiconque, ce seront nos actions positives qui permettront à l'Aïkido de renaître.
Photo Shizuka Sasa-Tamaki
Une initiative positive participant à l'harmonie dans la discipline,
et la promotion de ses multiples facettes.