Auto-illusion, tricks et arts martiaux
Japon. Un vieil homme à la barbichette blanche est entouré par de jeunes attaquants. Il se déplace avec nonchalance et se joue de leurs tentatives. Corée. Un jeune homme vêtu d'un sweater rouge démontre une explosivité remarquable face à des foules médusées.
Leurs noms ? Yanagi Ryuken et DK Yoo. Séparés par quelques décennies, ces hommes sont aujourd'hui unis dans la brutale désillusion d'une défaite humiliante. Un sort qui menace nombre de pratiquants d'arts martiaux.
DK Yoo, le nouveau Bruce Lee
Se mettant en scène dans plus de mille vidéos en moins de dix ans, le coréen DK Yoo a explosé sur les réseaux sociaux. Enthousiasmant de nombreux passionnés d'arts martiaux, il multipliait la démonstration d'exercices spectaculaires dans un cadre fermé. Délibérément vague sur son parcours martial, DK Yoo indique toutefois avoir l'expérience du combat et de nombreux sparrings.
L'une de ses vidéos les plus vues (plus de 8 000 000) le présente en train de démontrer pas moins de 15 disciplines qu'il affirme utiliser quand la nécessité le demande. Si un regard rapide peut tromper un néophyte, un œil avisé pouvait déjà observer, malgré un indéniable talent d'imitateur, une technique plus qu'approximative dans chacune.
Naturellement des voix dénonçant une supercherie s'élevèrent. Un combat fut alors mis en place entre DK Yoo et Xu Xiaodong, célèbre pour avoir battu de nombreux "experts" d'arts martiaux traditionnels chinois. Annulé pour des raisons administratives, c'est finalement Bradley Scott, un second couteau à la retraite de l'UFC qu'affronta DK Yoo le 5 décembre dans les règles de la boxe. Une discipline qu'il prétend avoir pratiquée dans sa biographie.
Le résultat, tragique. Même favorisé par un arbitrage totalement partial, DK Yoo ne put qu'être déclaré vaincu après s'être ridiculisé pendant six rounds, tournant le dos à son adversaire, s'accroupissant, s'accrochant à lui au point que Scott déclarera n'avoir jamais était autant câliné par sa petite amie…
L'effet halo dans les pratiques martiales
Il m'est arrivé à plusieurs reprises qu'un pratiquant me demande mon avis sur DK Yoo. Je bottais immanquablement en touche car je ne l'ai jamais rencontré et que mon avis pourrait être erroné. À ce titre j'ai croisé le chemin d'adeptes que j'imaginais être des charlatans et dont le niveau était en réalité hors du commun (à noter que l'inverse fut plus souvent vrai).
Toutefois j'avais la conviction que derrière les apparences ne se cachait qu'un grand néant. Durant mon parcours j'ai cherché à étudier auprès des plus grands adeptes. Cela m'a amené à côtoyer des géants tels Mochizuki Hiroo, Royama Hatsuo ou Tamura Nobuyoshi. Mais aussi à être victime de l'effet halo. L'effet halo est un biais cognitif qui consiste à généraliser une impression. Dans la pratique martiale, cela correspond par exemple à déduire que parce qu'un adepte dégaine vite ou casse beaucoup de briques, il est un combattant aguerri. C'est possible. Mais le contraire l'est tout autant.
Les exercices qui trompent
Les traditions martiales utilisent de nombreux exercices pour le développement de leurs adeptes. La présence d'exercice n'est ainsi en aucun cas un problème. Ce qui en est un en revanche, est d'utiliser ce type d'entraînement spécifique pour faire sous-entendre une capacité martiale.
Michael Jordan n'a JAMAIS été capable d'approcher la virtuosité des Harlem Globetrotters avec un ballon de basket. Mais il est le plus grand joueur de sa génération. Aujourd'hui les jongles avec un ballon de football sont devenus une discipline à part entière. Mais le champion du monde de la discipline ne joue pas dans une équipe nationale. Il faut que les pratiquants d'arts martiaux apprennent à faire la différence entre les exercices et le combat. Si les deux peuvent se compléter, beaucoup ne brillent que dans l'un de ces domaines.
En Karaté les choses sont de plus en plus claires. Il existe :
- Sports Karate (スポーツ空手) : le Karaté sportif où l'accent est mis sur la compétition en combat.
- Extreme Martial Arts (XMA) : une pratique chorégraphiée de formes gymniques.
- Dentō Karate (伝統空手) : le Karaté traditionnel, qui se sous-divise en spécialistes de la self-défense, de l'éducation morale et physique, de la préservation d'un folklore, etc.
En Aïkido aussi ces tendances existent. Et si chacune est respectable, les différencier éviterait la confusion, et la perte de pratiquants potentiels. Shirakawa Ryuji est un adepte aux capacités athlétiques impressionnantes. Le problème est que toute personne ayant un minimum d'expérience du combat voit bien que ce qu'il fait n'a aucune crédibilité. Malheureusement, tel DK Yoo, il inonde le net de vidéos plus fantaisistes les unes que les autres. Un adepte sérieux tapant Aïkido commencera alors sa découverte de la discipline par un a priori plus que négatif. Et nombreux seront ceux à s'arrêter là.
Si Shirakawa dénommait sa pratique Artistic Aikido, le problème serait résolu. À ce titre on ne peut qu'admirer l'honnêteté de la démarche de Noro senseï avec le Kinomichi.
Traditions martiales et combat
La capacité martiale n'intéresse pas la totalité des pratiquants. Il est évident que pour les adeptes d'Extreme Martial Arts ou Kinomichi, c'est une question parfaitement secondaire. Et c'est totalement respectable. Ce qui ne l'est pas est de prétendre être un combattant et y préparer ses élèves, tel DK Yoo et son WCS World Combat System. À noter d'ailleurs ses lamentables tentatives de justification avec son problème au bras, réel ou pas. À mettre en parallèle avec Kanazawa Hirokazu qui gagna les premiers championnats de Karaté en kata ET combat, avec un bras cassé.
DK Yoo tournant le dos lors du combat face à Bradley Scott
Chaque discipline est faite pour un cadre particulier. Il ne s'agit donc pas de demander à un judoka ou un boxeur ce qu'il ferait en combattant dans le cadre de l'autre. Mais, une fois le cadre précisé, un enseignant devrait être capable non pas de gagner chaque rencontre (Nadal ou Federer ne gagne pas la totalité de leurs matches), mais de présenter une approche crédible et cohérente avec leur enseignement. En Aïkido rappelons que :
- Considérer que l'efficacité martiale correspond à surmonter une résistance est une erreur qui ne peut mener qu'à une défaite brutale et rapide.
- L'efficacité est de placer un mouvement sur un ennemi qui attaque. Et qui modifie son attaque sitôt qu'il a senti qu'elle n'atteindrait pas son objectif.
L'exigence de la pratique martiale est terriblement simple, un geste fonctionne ou ne fonctionne pas.