La pratique du combat en Aïkido
"L'exigence de la pratique martiale est terriblement simple, un geste fonctionne ou ne fonctionne pas."
Oshiro Zenei
L'article ou j'ai partagé cette réflexion de maître Oshiro a été énormément apprécié, partagé et commenté. Voici un message qui résume bien la teneur des interrogations :
"Merci pour cette interview intéressante. En tant que pratiquant d'aikido, les mots d'Oshiro sensei m'amènent à m'interroger sur notre pratique. Comment faire en sorte que nos gestes fonctionnent contre un adversaire non coopératif ? Le randori en aïkido n'est pas suffisant car le rôle du vainqueur et du vaincu prédéterminés : uke ne résiste pas librement comme le ferait un réel adversaire.
Les autres disciplines comme le judo, la boxe ou même le Yoseikan Budo entraînent leurs techniques contre un adversaire "vivant" en sparring/randori et ensuite les testent en compétition. Elles sont efficaces car gérer un adversaire pleinement résistant fait partie de leur entraînement, au contraire de ce qui se fait en aïkido.
Le sparring façon MMA/Yoseikan/Tomiki aïkido sont des options intéressantes pour entraîner l'efficacité. Il existe aussi d'autres méthodes comme dans certains koryu, où Ellis Amdur parle de "casser" le kata. De ce que j'en comprends, il s'agit d'un exercice où les partenaires exécutent le kata jusqu'à un certain point où le travail devient libre et où uke peut tout tenter pour reprendre l'avantage à partir de cette position.
Je suis curieux à propos des méthodes du Kishinkai. Quelles solutions avez-vous trouvées pour incorporer le travail libre ? Merci d'avance pour votre réponse.
Flavio"
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Je vais donner ici ma vision de la pratique du combat en Aïkido. Notez bien qu'il ne s'agit que des choix mis en place dans l'école Kishinkaï, et que d'autres courants ont des approches très différentes.
"Comment faire en sorte que nos gestes fonctionnent contre un adversaire non coopératif ? Le randori en aïkido n'est pas suffisant car le rôle du vainqueur et du vaincu prédéterminés : uke ne résiste pas librement comme le ferait un réel adversaire."
Le premier point à noter est que dans le contexte martial du Kishinkaï est celui d'un combat de survie. Il s'agit donc d'un ennemi à mettre hors d'état de nuire, et non d'un adversaire à vaincre. La nuance est de taille.
Dans les sports de combat, et il ne s'agit pas ici de gloser sur l'efficacité des mouvements, les techniques sont limitées. S'il y a des interdits particuliers selon les disciplines, aucune n'autorise à mordre ou introduire ses doigts dans le corps de l'adversaire. L'un des participants peut alors, éventuellement, résister de façon passive afin de retrouver son souffle, épuiser l'adversaire, etc. À noter déjà, que ce type de "résistance" se retrouve essentiellement dans les luttes, mais évidemment pas en escrime, Kendo, et de façon anecdotique dans les arts pieds poings. Et ce type de stratégie mène très rarement à une victoire.
Dans un combat de survie, en particulier face à une arme, la résistance n'est jamais le problème. L'ennemi redoutable est celui qui attaque, pas celui qui saisit fort. Celui qui, lorsque son action ne peut atteindre son but, est déjà passé à la suivante. Considérer que l'efficacité martiale correspond à surmonter une résistance est ainsi une erreur qui ne peut mener qu'à une défaite brutale et rapide.
Quand son épée a rencontré le fort de la lame adversaire, le niveau d'un escrimeur ne se mesure pas à sa capacité à poursuivre malgré tout son mouvement, mais à passer à une autre attaque. C'est cela qui le rend dangereux. De même si une frappe n'atteint pas son but, le combattant aguerri a dans le même temps retiré sa main ou sa jambe, et enchaîné avec une autre attaque.
En Aïkido pourtant, la majorité des pratiquants non seulement garde le contact, mais pire, continue à appuyer. Transposez cela au combat avec arme et vous rirez de la situation. Et les rationalisations type "Oui mais si tu enlèves ta main je te frappe." sont risibles et ne sont JAMAIS démontrées en action face à un adversaire expérimenté.
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Oui le randori classique n'est pas suffisant. C'est un exercice avec son intérêt et ses limitations. Mais le problème est surtout de considérer que l'efficacité correspond à faire fonctionner un mouvement sur quelqu'un qui est non coopératif. L'efficacité est de placer un mouvement sur un ennemi qui attaque. Et qui modifie son attaque sitôt qu'il a senti qu'elle n'atteindrait pas son objectif.
"Les autres disciplines comme le judo, la boxe ou même le Yoseikan Budo entraînent leurs techniques contre un adversaire "vivant" en sparring/randori et ensuite les testent en compétition. Elles sont efficaces car gérer un adversaire pleinement résistant fait partie de leur entraînement, au contraire de ce qui se fait en aïkido."
Chacune de ces disciplines développe une efficacité certaine. À noter toutefois que :
- Un boxeur en Judo, ou un judoka en boxe montre vite ses limites
- Le danger ne vient pas de la résistance de l'adversaire, mais de ses attaques.
- En Aïkido des styles se sont spécialisé dans le fait de surmonter une résistance sur une situation constante, cela ne leur donne aucune efficacité en combat.
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"Le sparring façon MMA/Yoseikan/Tomiki aïkido sont des options intéressantes pour entraîner l'efficacité. Il existe aussi d'autres méthodes comme dans certains koryu, où Ellis Amdur parle de "casser" le kata. De ce que j'en comprends, il s'agit d'un exercice où les partenaires exécutent le kata jusqu'à un certain point où le travail devient libre et où uke peut tout tenter pour reprendre l'avantage à partir de cette position."
Ellis Amdur est en effet l'un des pratiquants de koryu qui a le plus approfondi l'étude du kata pour en extraire l'essence et l'efficacité. On peut ainsi :
- Travailler le kata à très haute intensité. Faire par exemple shomen uchi ikkyo face à des attaques de plus en plus puissantes est très intéressant. Attention, la réussite ne se mesure pas au fait que l'on ait surmonté une résistance, mais au moment où l'on a intercepté l'attaque et à la destructuration que l'on a pu créer. L'attaquant peut se figer après une interception réussie, mais en se rendant très vulnérable si le combat se poursuivait. Le danger proviendrait de sa capacité, s'il a été intercepté à un moment défavorable pour lui, à retrouver son équilibre pour retourner le mouvement ou faire une autre attaque.
- Travailler le mouvement en ajoutant de l'incertitude. Cela peut être de le faire en déplacement, avec des attaques déclenchées aux moments les plus opportuns, ou d'autoriser, soit dans l'attaque soit dans la réponse, un plus grand nombre de possibilités.
"Je suis curieux à propos des méthodes du Kishinkai. Quelles solutions avez-vous trouvées pour incorporer le travail libre ? Merci d'avance pour votre réponse."
La première chose est que nous avons un cadre précis. Nous considérons que aite est armé, et qu'il n'y a aucun interdit. À partir de là nous avons beaucoup de degrés et d'exercices divers pour travailler. Le point à noter est que nous séparons le travail de l'intensité de celui de l'ouverture du cadre. Nous pouvons donc soit travailler à très haute intensité comme expliqué précédemment avec un cadre très précis, soit travailler le combat sans AUCUNES limites, mais à très basse intensité. Quand je dis aucunes limites, j'entends donc mordre, frapper aux parties génitales, etc. C'est un travail que j'ai notamment fait réaliser dimanche dernier, morsures et frappes génitales furent présentes, sans avoir à déplorer aucune blessure grâce à une approche progressive et claire.
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L'entraînement n'est jamais le réel. Pour travailler de façon sécurisée, ses composantes intensité et incertitudes sont simplement séparées. Ce n'est pas idéal, mais c'est une solution qui assure la sécurité des participants, et donne de très bons résultats.
Attention enfin. L'art ou la méthode sont une chose, la quantité d'entraînement une autre. Pratiquer une discipline dévastatrice une heure hebdomadaire et penser que l'on peut faire face à quelqu'un qui pratique le combat rituel dix heures par semaine est la garantie d'une sévère défaite. Un résultat que l'on interprètera souvent comme les limites d'un art, quand il ne s'agit en réalité que de la conséquence d'un engagement mesuré. La pertinence d'une discipline ne se mesure que dans le cadre pour lequel elle a été créée, toutes autres choses égales entre les adversaires.
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