Aïkido au pays du matin calme...
J'ai écrit cet article il y a une quinzaine d'années lorsque je vivais encore au Japon. J'ai perdu le contact avec maître Youn, mais si j'en crois ce site, l'Aïkido coréen se porte très bien.
Une histoire mouvementée
Les coréens ont une histoire mouvementée. Durant plusieurs siècles ils ont vécu sous la menace, l'influence ou la domination de leurs deux puissants voisins, le Japon et la Chine. Malgré cela ils ont réussi à garder une identité propre, et aujourd'hui la Corée est un pays qui a pris sa destinée en main. Une de ses plus incroyables réussites est le développement de ses arts martiaux, principalement le Taekwondo, aujourd'hui discipline olympique, et le Hapkido.
Tout ceci ne s'est pourtant pas fait sans difficultés. Après leur indépendance les coréens vivaient dans le ressentiment à l'égard des japonais. Une longue occupation militaire accompagnée d'une volonté d'intégrer la Corée au Japon en effaçant ses spécificités culturelles avait laissée des cicatrices. Par réaction les coréens nièrent les apports culturels japonais, notamment dans le domaine des arts martiaux. Car il est un point bien souvent ignoré, c'est que de nombreux coréens vécurent au Japon pendant l'occupation. Certains y étaient étudiants, d'autres, parfois de force, y travaillaient. Parmi eux il y eut des pratiquants d'arts martiaux dont les plus célèbres sont Choi Hong Hi, codificateur du Taekwondo et élève de Funakoshi Gichin, et Choi Yong Shul, fondateur du Hapkido et élève de Takeda Sokaku. Les arts dont ils sont les "pères" ont malgré leur spécificité coréenne, notamment dans la variété des coups de pieds, de profondes racines au pays du soleil-levant...
Mais les jeunes coréens n'ont pas plus de ressentiment à l'égard des japonais que les français à l'égard des allemands. Ils ont pardonné aux japonais ce que leurs aînés n'ont pu oublier. Au contraire, alors qu'en France les traces de la culture allemande sont très rares, à Séoul les restaurants japonais pullulent, les grands magasins passent de la musique de fond nippone, les designers du soleil-levant multiplient leurs boutiques et les CDs des chanteurs japonais envahissent les hit-parades. Leur pardon s'est accompagné d'une ouverture à la culture du Japon et même à ses arts martiaux...
Le dojo de maître Youn à Séoul
Aïkido à Séoul
Profitant d'un arrêt à Séoul je faisais un peu de tourisme malgré les -10 degrés de ce mois de février. Je marchais transi de froid dans l'un des marchés du centre-ville lorsque mon regard fut attiré par une enseigne perchée au loin au dernier étage d'un immeuble et portant l'inscription "Aïkido". Je réussis tant bien que mal à trouver le bâtiment en question et gravit six étages d'un escalier raide et étroit. J'arrivais alors dans le dojo du maître Youn Ick Ahm. Un élève m'accueillit et me confirma à ma grande surprise que c'était bien un dojo d'Aïkido et non de Hapkido. Je demandai s'il était possible d'assister à un cours et fus présenté au maître.
Maître Youn est une personne joviale à la forte présence. Il me reçut très sympathiquement et m'autorisa à assister à la leçon qui allait débuter. Le dojo était de taille moyenne, une photo de maître Ueshiba et une calligraphie ornaient le kamiza, mur d'honneur, à côté d'un drapeau... coréen. Des râteliers d'armes portaient des bokkens, des jos et des tantos.
Le cours commença et je pris vraiment plaisir à voir pratiquer les élèves avec énergie et dans la joie qu'insufflait maître Youn. Ce fut un cours de qualité, classique jusqu'à dix minutes de la fin. Maître Youn fit alors travailler à ses élèves des techniques de combat contre des saisies et des tentatives d'amener au sol de style Jujitsu avec une maîtrise impressionnante.
La leçon terminée on m'offrit du thé et rendez-vous fut pris pour une interview avec maître Youn le soir même.
Maître Youn Ick Ahm
Youn Ick Ahm est quelqu'un de très impressionnant malgré son sourire permanent. Son physique puissant est assez rare dans les dojos d'Aïkido, mais plus rares encore sont les mains et les pieds comme les siens, forgés au sac de frappe et au pao...
Maître Youn, comment avez-vous commencé les arts martiaux ?
Mon père qui était un proche du général Choi (codificateur du Taekwondo) possédait un dojang. J'y suis pratiquement né et c'est là que j'ai grandi. Mon père a été mon premier maître. Il était très strict. Lorsqu'il n'était pas satisfait d'une de mes techniques il me faisait parfois continuer toute la nuit. Je frappais souvent le sac de sable jusqu'à avoir les mains en sang.
Quand avez-vous décidé de vous orienter vers l'Aïkido ?
Ce fut relativement tard. En fait j'ai continué la pratique du Taekwondo et j'ai aussi commencé le Hapkido. Je suis d'ailleurs devenu champion de Corée de Hapkido. Je suis ensuite devenu instructeur d'arts martiaux à l'armée pendant les trois ans de mon service militaire. Après mon service j'ai commencé le Kick-boxing dont je suis aussi devenu champion de Corée. Parallèlement j'ai participé trois fois aux championnats de Karaté Kyokushin au Japon.
J'ai vu une photo de vous en compagnie de maître Oyama. Quel genre de personne était-il ?
Je lui ai été présenté lors des compétitions de Kyokushin. Il était coréen mais avait passé la majeure partie de sa vie au Japon. Je l'ai invité pour le faire connaître en Corée. Il dégageait une très grande impression de force. Il avait le regard d'un tigre, féroce, mais était très sympathique.
Quelle a été la suite de votre parcours martial ?
J'ai enseigné le Taekwondo et le Hapkido ou j'ai atteint respectivement les grades de 5ème et 6ème dan. J'ai aussi créé l'association de Muay-thaï de Corée et développé cette discipline en organisant des combats.
Comment êtes-vous finalement arrivé à l'Aïkido?
En 1988 j'ai été contacté par des gens de Taïpeï. Ils organisaient une démonstration de Hapkido et désiraient ma participation. Arrivé sur place je fis ma démonstration avec mes élèves. Il y avait beaucoup de coups de pieds sautés, de casse, etc... Je regardai ensuite le reste de la démonstration et là, j'eus un choc. Ce n'était pas du Hapkido. Hapkido et Aïkido s'écrivent avec les mêmes caractères chinois, d'où le malentendu. J'étais à une démonstration d'Aïkido.
Les spectateurs ont du être bien surpris ?
Oui, mais pas autant que moi. J'étais d'abord étonné de voir ces maîtres âgés dans des drôles de tenues. Mais une fois la démonstration commencée j'ai eu un choc. Quelle différence entre notre style dur et dynamique et la souplesse des techniques d'Aïkido. J'ai surtout été émerveillé par Kobayashi senseï. Ses techniques étaient merveilleuses mais aussi l'impression de bienveillance qu'il dégageait.
Vous avez alors décidé de vous tourner vers l’Aïkido ?
Disons que j'ai d'abord voulu en savoir plus. Je me suis rendu au Japon au dojo de Kobayashi senseï. J'ai essayé de l'attaquer très rudement et il a toujours réussi à appliquer ses techniques d’Aïkido. Ca a été une totale remise en question.
Ca a dû être très difficile ?
Oh oui. A partir de ce moment là j'ai fait d'incessants allers-retours pendant dix ans entre la Corée et le Japon pour étudier avec Kobayashi senseï. Petit à petit j'ai commencé à enseigner à mes élèves quelques rudiments d’Aïkido en même temps que le Hapkido. Puis je me suis orienté exclusivement sur l’Aïkido à partir de 1994.
Kobayashi Yasuo et Youn Ick Ahm
N'y a-t-il pas eu quelques réticences dues à l'origine de l’Aïkido ?
Si, au départ, mais comme je vous l'ai dit j'ai fait ça graduellement. Mes élèves étant principalement des étudiants ça a aidé car les jeunes n'éprouvent pas de ressentiment envers les japonais. J'ai surtout eu des difficultés avec mes anciens collègues instructeurs de Hapkido. Maintenant qu'il est clair que même si l’Aïkido et le Hapkido ont la même origine, ce sont des arts différents, les choses vont mieux.
Qu'est ce qui vous a le plus attiré dans l'Aïkido, et quelles différences voyez-vous entre les arts que vous avez pratiqués ?
J'ai trouvé Kobayashi senseï extraordinaire. Je considère aussi que le Taekwondo, le Hapkido et encore plus le Kick-boxing, sont plus adaptés aux jeunes. Ce sont des disciplines dynamiques qui emploient plus de force et d'énergie qui vont en décroissant avec l'âge. Chaque art a évidemment sa philosophie mais par leur pratique ils restent plus proches du sport. En Aïkido l'approche spirituelle est beaucoup plus importante. C'est une voie pour la vie. Le travail du Ki permet de continuer à pratiquer avec efficacité quel que soit l'âge. Plus j'avance et plus je suis émerveillé par les possibilités des techniques d’Aïkido qui allient des mouvements souples et la force du Ki.
Pour finir avez-vous un message à transmettre ?
L’Aïkido a commencé au Japon mais maintenant il est pratiqué partout dans le monde, en France, en Corée, aux Etats-Unis... Chacun le pratique à sa manière mais c'est un art universel qui permet de communiquer au-delà des frontières. Il permet de changer les mentalités et de développer la communication entre les peuples. Mon souhait est qu'il continue à se développer pour le bien de tous.
Seule une personne dégageant à la fois une puissance et une bienveillance si impressionnantes pouvait tenter le pari fou de développer l’Aïkido en Corée. C'est maintenant chose faite avec plusieurs milliers d'élèves sur dix-sept dojos et plusieurs uchi-deshis. Maître Youn a aussi écrit quatre livres sur l’Aïkido et créé un journal pour les pratiquants de cette discipline dont le nombre n'est pas prêt de cesser de croître au pays du matin calme...