Budo no Nayami

Qu'est-ce que le Ki ? 11 maîtres s'expriment

1 Mai 2020 , Rédigé par Léo Tamaki Publié dans #Budo - Bujutsu

Esprit, air, atmosphère, humeur… Les traductions du terme ki sont multiples, et laissent place aux interprétations les plus variées.

Traditionnellement, il semble que ki était utilisé dans le sens d’intention dans le monde martial. Un choix qui a été perpétué dans le monde du Kendo. Dans d’autres disciplines, la signification de ki s’est étendue. Au point parfois, comme en Aïkido, de devenir flou…

 

Lorsque j’ai débuté la pratique martiale je cherchais le MEILLEUR art, pour devenir LE plus fort. Je gesticulais à la recherche de LA vérité, qui sans cesse semblait m’échapper. Chaque théorie que j’échafaudais s’écroulait à mesure que j’accumulais les expériences, chaque certitude volait en éclat à mesure que je multipliais mes rencontres.

Aujourd’hui, après quatre décennies de pratique et la rencontre de nombre des plus grands maîtres contemporains du monde martial, j’ai appris la tolérance, le recul, la perspective. Rares sont les mouvements, principes, stratégies, qui ne soient exprimés différemment selon le contexte, le vécu et les objectifs de chacun.

 

Le ki est un concept complexe, qui résiste à une définition simpliste. Ci-dessous vous ne trouverez donc pas LA véritable définition du ki. Simplement le partage d’expérience de vies entières de pratique. Des points de vue différents qui aident à saisir la notion de ki dans sa multiplicité, enrichiront notre compréhension individuelle, et nourriront nos recherches.

Les maîtres ci-dessous ont toutefois en commun un point essentiel. Le refus des manifestations spectacles, et toute tentative de mystification.

 

 

Kono Yoshinori,

Akuzawa Minoru,

Hino Akira

Le refus des manifestations spectacles, et toute tentative de mystification.

 

 

Irie Yasuhiro

On peut développer une force bien plus importante que les capacités musculaires. Si on arrive à utiliser cela, les techniques fonctionnent à un tout autre niveau.

 

Est-ce le ki ?

Je n'aime pas employer ce terme. Comme je le disais précédemment, en devenant célèbre les adeptes ont pour habitude de déclarer "Ceci est l'Aïki !" ou "Ceci est le ki !" lorsqu'ils font des démonstrations spectaculaires. Mais ce n'est ni reproductible ni efficace sur des personnes ne faisant pas partie de l'école. Il n'y a aussi toujours que le maître qui est capable d'utiliser et démontrer le "ki", l' "Aïki". Ça ne correspond pas à ma conception des choses.

Je pense que l'on utilise le terme ki pour désigner un ensemble de choses très concrètes et transmissibles qui vont des angles à la distance, en passant par la hauteur où a lieu la technique. Des choses qui doivent être enseignées clairement. Et dans cela il y a une façon de faire le mouvement sans force. Il faut la faire sentir encore et encore et guider l'élève pour qu'il puisse l'acquérir. Rien de magique ou de vague.

 

 

Irie Yasuhiro,

par Daniel Molinier pour Nuit des Arts Martiaux Traditionnels

 

 

Saotome Mitsugi

Osenseï employait le mot "ki" dans de nombreux sens. Pour lui la concentration était le ki. Parfois il s’en servait pour décrire la confiance, la vitalité, souvent la force de l’univers et la fonction de Dieu. Il n’existe pas de définition complète : il faut appréhender la réalité.

 

 

Saotome Mitsugi,

pour Aikido Journal

 

 

Christian Tissier

Que représente le ki pour vous ?

La vie, le souffle de vie qui est en tout. Le problème du ki c’est son écoulement. Si le ki ne s’écoule pas naturellement on est malade, bioki.

 

Pratiquez-vous des exercices comme le chi-kung ?

J’ai énormément de respect pour le chi-kung, le Taï chi. Mais je pense que leur propos est dans l’écoulement du ki et je pense que l’Aïkido le permet aussi sous une autre forme mais qui est suffisante.

 

 

Christian Tissier,

par Stéphane Remael pour Yashima

 

 

Yamada Yoshimitsu

Qu'est-ce que le ki pour vous ?

Pour moi le ki n'est pas seulement quelque chose qui se manifeste sur le tatami. Le ki est présent à chaque instant, même dans la vie quotidienne. C'est une énergie invisible mais à laquelle je crois. Quelque chose qui nous permet d'agir, penser, interagir positivement avec les gens, la société.

Ce n'est pas quelque chose de réservé aux artistes martiaux. On dit parfois de quelqu'un qu'il a beaucoup de ki, un ki fort. C'est quelque chose que l'on perçoit autour des gens qui rencontrent le succès. Une sorte d'aura positive. Et c'est un état permanent. Quoi que l'on fasse, à n'importe quel instant de sa vie.

 

Au départ l'Aïkido est devenu extrêmement populaire parmi les hippies. Et ils ne voulaient entendre parler que de la puissance du ki. Ils venaient ici et ne travaillaient pas ! Un jour je faisais faire kokyu dosa et un élève était immobile, dans une intense… concentration peut-être. Au bout d'un moment je lui tape sur l'épaule et lui dit "Mais qu'est-ce que tu fais ?". Il me répond "Senseï, ne me dérangez pas, j'étends mon ki.". C'était ce type de mentalité. Ils ne prenaient que la partie sur le ki. Je leur disais, comme Toheï senseï, "Un ki fort a besoin d'un corps fort.".

 

(…) Il faut toujours ancrer les choses dans le "réel", que cela influe positivement notre vie quotidienne.

 

 

Yamada Yoshimitsu,

par Bryan Anselm pour Yashima

 

 

Il y a aussi eu les livres de Toheï Koichi qui ont été publiés. Le pays était embourbé dans la guerre du Vietnam, et toute une génération était à la recherche de spiritualité. Sa pratique basée sur le ki était très attractive pour les jeunes américains de l'époque, et il a rencontré un écho très favorable. Ils ont commencé à tout faire avec le ki. (Rires)

 

Est-ce que vous parlez aussi de ki dans votre enseignement ?

Non. Toheï n'avait d'ailleurs pas besoin de ki ou quoi que ce soit d'ésotérique. Il était très puissant, souple et relâché. Je crois que le terme ki a simplement été un outil qu'il a utilisé pour le développement de l'Aïkido. Et c'était très malin. Il disait d'ailleurs aussi aux gens qui rêvaient trop "Un ki fort a besoin d'un corps fort.".

 

Beaucoup de pratiquants ont dû venir vous voir en espérant apprendre à maîtriser le ki ?

Oui ! J'avais du mal à répondre à leurs attentes, et beaucoup ont dû être déçus. (Rires)

 

 

Kono Yoshinori

Quelle est selon vous la place du ki dans la pratique ?

Il y a de nombreux écrits qui ont défini le ki de nombreuses façons. Mais une chose intéressante à prendre en considération est qu'il s'agit d'une notion qui n'était pas utilisée à l'époque de Miyamoto Musashi. C'est une notion qui a été popularisée à l'époque Edo lorsque beaucoup de gens sont devenus capables de lire les classiques chinois.

 

 

Kono Yoshinori,

par Hélène Rasse

 

 

Sasaki Masando

Qu'est-ce que le ki ?

Je m'appelle Sasaki Masando et je suis immortel.

Le corps est un instrument. Sa durée de vie est limitée. Mais il y a quelque chose d'éternel en nous. Certains l'appelle âme. En Aïkido on parle de Ki. Cette part de l'homme est, tel le mont Fuji, immuable.


Un poème de Yamaoka Tesshu dit :

"Harete yoshi

Kumorite mo yoshi

Fuji no yama

Moto no sugata wa

Kawazari ni keri"

 

Quoi qu'il arrive notre essence immortelle est immuable.

 

(N.d.a. : Traduction très approximative du poème "Par temps clair, par temps nuageux, le mont Fuji, forme des origines, est inchangé".)
 

 

Sasaki Masando,

par Jean-Baptiste Roselle pour Budoka no Kokoro

 

 

Hiroo Mochizuki

Comment définiriez-vous le ki ?

Ki c'est l'énergie, mais aussi l'intention. Et c'est la sensation qui est intéressante.

J'ai surtout compris cela avec… la boxe ! En boxe il y a la théorie. Si j'ouvre ici il va venir là, etc. Mais dans la réalité ça va très vite. Trop vite pour voir. Et c'est là qu'il faut que ce qui est entré dans la tête soit intégré dans le corps pour que cela devienne instinctif. Dans l'action on ne peut pas regarder, calculer, il faut ressentir, percevoir avec le corps. C'est ça pour moi la partie la plus intéressante de l'utilisation du ki.

Et c'est quelque chose qui est en chacun de nous, que l'on pratique les arts martiaux ou pas. C'est ce qui fait que quelqu'un dont vous regardez intensément le dos se retourne quelle que soit la distance.

 

 

Mochizuki Hiroo,

par Julie Glassberg pour Yashima

 

 

Shimizu Kenji

Comment définissez-vous le ki ?

En Aïkido on parle souvent de ki mais c'est une idée abstraite qu'il est dur de comprendre.
Si on parle de ki il y a avant tout le kimochi, le travail du cœur. C'est de là que vient la vigueur et l'énergie. C'est un principe fondamental bien plus important que la force musculaire. La puissance découle de la force morale.

Quand on écoute les récits des survivants de la guerre on comprend que si le ki faiblit la mort est assurée. Sans nourriture ni espoir pour le lendemain seule la force morale (kiryoku) permet de survivre. Si l'on perd espoir on meurt. C'est le ki qui guide et dirige l'homme.


Plus qu'une énergie physique le ki est donc une force spirituelle ?

L'âme est la source du ki.

Je ne voudrais pas que les gens se méprennent sur ce que je vais dire mais je ne crois pas que l'on puisse enseigner ce qu'est le ki. C'est une chose que l'on doit expérimenter et comprendre soi-même par la pratique.

Certaines personnes ne sont intéressées que par la technique et veulent devenir fortes en se concentrant dessus. Mais même en acquérant une solide technique, seule elle est inutile. Si l'esprit n'est pas fort lorsqu'il est nécessaire de faire face, le cœur fuira malgré la puissance du corps. Dans l'ancien temps dans l'entraînement du Budo on utilisait le corps pour renforcer l'esprit pendant la pratique. Shin shin tanren, forger le corps et l'esprit. L'Aïkido est exactement cela, il sert à renforcer le corps et l'esprit de manière unifiée. C'est une chose très difficile pour l'homme.


Il ne faut pas se limiter à l'apprentissage de formes techniques. On débute par l'étude des formes, les katas, puis on les oublie pour rentrer véritablement dans la technique. Répéter simplement la forme nous fige et bloque notre évolution.

 

 

Shimizu Kenji,

par Frédérick Carnet pour Budoka no Kokoro

 

 

Hino Akira

Pratiquez-vous des exercices de développement du ki tels que le Qi Gong ?

Notre pratique est basée sur la sensibilité et c'est cela qui développe le ki. Il n'y a donc pas d'exercices spécifiques mais tout notre travail doit le développer naturellement.

 

 

Hino Akira,

par Julie Glassberg pour Yashima

 

 

Akuzawa Minoru

Beaucoup d'arts martiaux utilisent le terme de ki. Qu'en est-il en Aunkaï ?

C'est un terme que je n'utilise pas. Mais le ki est l'intention et la conscience. Donc il est évidemment développé dans tous les exercices que nous travaillons. Mais je ne projette pas de ki. (rires)

 

 

Akuzawa Minoru,

par Julie Glassberg pour Yashima

 

 

Fujiwara Hironobu

Comment interprétez-vous l’expression ki ken tai ichi ?

(Rires) C’est périlleux car parler précisément de tels fondements nous expose à être réprimandé par un grand maître qui aurait une vision différente.

À un premier niveau de lecture, c’est l’union entre l’intention, le sabre et le corps dans l’action. Si on creuse plus profondément on arrive à des interprétations plus personnelles. Par exemple pour moi, ki recouvre ici l’intention, et implique de s’engager en confiance, d’être déterminé dans son action. Pour le ken c’est évidemment le sabre en tant qu’objet, mais aussi la technique qui sous-tend son utilisation, par exemple la ligne de coupe. Enfin pour le corps, il y a un accent particulier sur les déplacements qui sont au cœur de la discipline.

Il y a donc un degré de lecture où l’on parle d’harmonie entre la détermination, la technique et le déplacement. Mais c’est loin d’être le seul, et il y a beaucoup d’interprétations possibles.

C’est ce qui peut amener à considérer que même si il y a une touche, s’il manque un de ces éléments, il n’y a pas de véritable ippon.

 

Comment définissez-vous le ki ?

(Rires) C’est une question immense, et à vrai dire je ne saurai y répondre de façon réellement pertinente. Je dirai que le ki est ce qui emplit le ma, l’intervalle, l’espace-temps qui nous relie et nous sépare. Que c’est ce qui nous fait nous sentir triste lorsque l’on voit quelqu’un de triste. C’est un des fondements de notre humanité.

 

 

Fujiwara Hironobu,

par Stephane Remael pour Yashima

 

 

Pour aller plus loin :

Technique, modification de l'utilisation du corps et vitalité en Aïkido

 

 

Léo Tamaki,

par Johann Vayriot

 

 

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A
Merci pour ce super article. <br /> J'adore ce domaine <br /> Respectueusement .
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L
Merci pour la lecture !<br /> <br /> Léo
M
Comme d'habitude, un article splendide ! <br /> Je ne suis pas assez mûr dans ma pratique pour m'exprimer ouvertement sur ce point, mais ces pensées m'aident à passer ma "puberté martiale" :) <br /> <br /> Merci beaucoup Léo pour ce partage :D
Répondre
L
Merci pour la lecture, et bonne recherche !<br /> <br /> Léo
L
Le Ki est propre à chacun, il n'est pas universel, il faut trouver cette énergie par la pratique. En sachant que le ressenti de chacun est très subjectif.
Répondre
L
En effet, le ressenti est personnel, ce qui rend le ki encore plus difficile à définir, et explique la multiplicité des points de vue des experts...<br /> <br /> Léo
J
Mon point de vue se rapproche beaucoup de Sasaki masando, pour moi le corps est le véhicule de l' âme, mon énergie vitale. Votre texte est très intéressant.
Répondre
L
Merci pour la lecture :-)<br /> <br /> Léo<br />