Aïkido, s'harmoniser pour survivre et… vivre mieux
Des ninjas aux samouraïs, l'imaginaire collectif lié au Japon est peuplé de personnages auxquels on prête de redoutables capacités martiales. Quel est leur héritage aujourd'hui ? Qu'y trouvent les dizaines de milliers de pratiquants français qui foulent les tatamis chaque semaine ?
Samouraïs, de la brute sans foi ni loi au loyal lettré
Si leurs origines se perd dans la nuit des temps, c'est au Xème siècle que remontent les premières mentions des samouraïs. Guerriers professionnels chargés de la protection de riches propriétaires terriens, les premiers membres de cette caste, mal considérés, étaient au bas de l'échelle sociale. Se rendant de plus en plus indispensables, notamment pour mater les rebellions des plus pressés d'entre eux, ces clans de mercenaires devaient prendre le pouvoir en moins de deux siècles. Ils le gardèrent pendant sept cents ans.
Représentant 5 à 10% de la population, les samouraïs évoluèrent profondément durant leurs neuf siècles d'existence. De mercenaires sans foi ni loi se vendant au plus offrant, ils allaient devenir les administrateurs d'un archipel capable de tenir tête aux plus grandes puissances sous l'impulsion de fantastiques stratèges tels le Shogun Tokugawa Ieyasu. Tout au long de leur histoire, cette caste de guerriers professionnels sut se réinventer et donner naissance à une culture qui, du théâtre Noh aux arts martiaux en passant par le Zen, marque aujourd'hui encore le Japon et inspire loin au-delà de ses frontières.
Les arts martiaux aujourd'hui
Suivant l'évolution des samouraïs, les arts martiaux sont passées de techniques guerrières destinées au combat de survie à des voies de développement personnel. Si la légende veut que cette modification ait eu lieu à l'époque de l'autodissolution de la caste des samouraïs, c'est en réalité au début du 17ème siècle que s'est opéré ce glissement. Uni pour la première fois sous la main de Tokugawa Ieyasu, le Japon allait vivre la plus longue période de paix connue de l'histoire de l'humanité durant 250 ans. Et même si le terme Budo, Voies martiales, ne fut popularisé qu'au 19ème siècle, c'est début 1600 lors de la pacification et l'unification de l'archipel que les Bujutsus, techniques guerrières, se métamorphosèrent.
Menacées de disparition pour la seconde fois lors de la modernisation du pays, les anciennes techniques de combat se réinventèrent au tournant du 20ème siècle. Kendo, Judo, Karaté et enfin Aïkido, allaient donner une nouvelle impulsion à des pratiques martiales pluriséculaires. Utilisés pour discipliner un peuple et forger son esprit guerrier, les arts martiaux ne furent jamais autant pratiqués, à l'école, à l'armée et dans le civil, que dans la première moitié du 20ème siècle. Mais la défaite de 1945 marqua un arrêt brutal de leur développement. Interdits par les forces d'occupation américaines, les arts martiaux durent montrer patte blanche avant de pouvoir être de nouveau autorisés. A cette occasion, les disciplines mirent l'accent sur leurs aspects sportifs, éducatifs et pacifiques. Un véritable tour de force réussi au-delà de toute espérance, et qui vit les traditions martiales japonaises séduire le monde entier. Au point qu'il n'existe nul pays au monde où l'on ne connaisse le Karaté, et qui ne possède un dojo de Judo.
Les disciplines japonaises en France
La France est, hormis le Japon, le pays qui compte le plus grand nombre de pratiquants de ses disciplines martiales. Et si l'hexagone a toujours adopté avec passion les techniques guerrières du monde entier, il y a toujours eu un lien particulier avec ceux de l'archipel. On compte aujourd'hui dans le pays plus d'un million d'adeptes d'arts martiaux et sports de combat. Si l'on s'en tient aux seuls chiffres des fédérations déclarées auprès du ministère des sports, plus de 850 000, soit plus de 80%, pratiquent des disciplines d'origine japonaise. Avec un peu plus de 50 000 pratiquants, l'Aïkido représente approximativement 6% de ce contingent. On peut supposer que s'y ajoutent 10 000 adeptes faisant partir de groupes et écoles indépendants.
L'évolution de l'Aïkido
L'Aïkido est la Voie martiale majeure la plus récente. Comprenant des techniques de combat à mains nues, de même qu'un travail au sabre, au bâton et au poignard, elle a adopté son nom actuel en 1942. D'une efficacité martiale redoutable, cette discipline créée par Ueshiba Moriheï sur la base de son étude de plusieurs écoles anciennes fut jusqu'en 1945 l'apanage de la police militaire, des espions du Japon impérial, des militaires de haut rangs, juges et autres responsables politiques.
Contrainte de se réinventer pour survivre, l'Aïkido subit une mue profonde sous la direction de Ueshiba Kisshomaru, le fils du Fondateur. Fin politique, ce dernier sut camoufler les aspects les plus combatifs de la discipline, et mettre en avant ses valeurs éducatives et humanistes. Débarrassé de ses oripeaux guerriers, cette pratique redoutable fut le premier art martial à recevoir l'aval des forces d'occupation américaine. Paradoxalement, le discours pacifique et l'accent mis sur le développement personnel allaient rencontre un écho inattendu dans le Japon et le reste du monde. Epuisés par les efforts de guerre, rejetant la violence et les discours militaristes, les japonais d'après-guerre allaient trouver dans cette discipline mise au goût du jour, un lien apaisé et sublimé avec leurs ancêtres idéalisés, les samouraïs. Le reste du monde quant à lui allait succomber à cet art mystérieux si plastique qu'il réunissait les tenants du Flower Power comme les pratiquants attirés par une méthode de self-défense efficace.
L'Aïkido aujourd'hui
Aujourd'hui l'Aïkido est l'une des disciplines de prédilection des classes moyennes et supérieures, comptant parmi ses pratiquants au Japon des cadres, dirigeants d'entreprises, ministres et ambassadeurs, et une proportion importante d'enseignants, médecins, journalistes, kinésithérapeutes, cadres et autres membres des CSP+ en France. Séduits par les mouvements élégants et les bienfaits physiques de l'Aïkido, ses adeptes sont aussi particulièrement sensibles à sa nature non-compétitive, et à son éthique pacifiste et non-violente. L'Aïkido a réussi le pari de transcender les techniques guerrières qui permettaient aux samouraïs de survivre en utilisant la force de leurs adversaires, en offrant à ses pratiquants une méthode permettant de vivre leur quotidien de façon plus intense et harmonieuse.
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