Shiken, shinsa, passages de grades dans le Budo
Depuis que les traditions martiales se sont structurées, ses pratiquants ont eu à cœur de savoir où ils en étaient dans le processus de transmission. Ainsi sont nés les diplômes attestant de la connaissance d'un certain cursus, les licences d'enseignement, puis les dans.
Mais à quoi servent concrètement les grades ? Il y a à mon sens trois bénéfices principaux. Deux pour le pratiquant, et un pour son école.
Où est-on ?
"Étudier un do c’est suivre un chemin vers l’homme qui est en nous. Un chemin que chacun peut emprunter et qui a été créé pour pouvoir être suivi par tous."
Pour aller de l'avant il est nécessaire de savoir où l'on se situe. Un diplôme ou un grade permet de baliser sa route, indiquant le chemin parcouru, et celui qui s'ouvre à nous. Pour peu que les personnes qui nous les décernent soient justes et compétentes, les dans et menkyos sont des outils précieux.
Structurer son savoir
Lorsque l'on vit à l'étranger, on peut apprendre sa langue par infusion sans suivre de cours. Malheureusement dans la majorité des cas le niveau se heurte à un plafond de verre. L'individu arrive à gérer son quotidien, mais ne peut lire de livres sérieux ou parler de sujets complexes. Son expression est constellée d'erreurs de grammaire, conjugaison, et limitée par son manque de vocabulaire. Le drame est qu'une fois que le quotidien est gérable, la motivation pour entreprendre un apprentissage académique est très faible…
Le même processus a lieu dans la pratique martiale, et notamment en Aïkido. Un professeur construit généralement son cours en fonction du groupe. C'est un ensemble complexe, fluctuant, et malgré les ajustements individuels de l'enseignant, il est aussi nécessaire que le pratiquant prenne en charge sa progression. Sans quoi il peut développer certaines habiletés tout en ayant de véritables angles morts dans sa pratique. C'est là que les grades d'une école prennent tout leur sens. Conçus pour couvrir l'ensemble du cursus dans une progression réfléchie, ils confrontent les pratiquants à leurs lacunes, et leur permettent ainsi d'y remédier.
Prouver sa gratitude et faire vivre l'école
"… il faut constater qu'il y a une différence entre ceux qui sont professionnels dès leur jeunesse et les autres. Le travail prend au moins huit heures sans compter les transports. Le temps que l'on peut consacrer à la pratique est automatiquement limité."
Comme le rappelle Kato senseï, le plus haut niveau de la pratique martiale demande un engagement total. Cela n'enlève RIEN à la passion, la valeur, et la nécessité des amateurs et des semi-professionnels. Simplement le rôle des professionnels, de la structuration à la transmission de l'enseignement, en passant par son actualisation, demandent un investissement qui n'est pas compatible avec un autre métier. Christian Tissier, Richard Douïeb ou Dominique Valera n'était pas dentistes le jour et pratiquants d'arts martiaux le soir. Alain Ducasse ou Joël Robuchon n'ont pas été tourneurs fraiseurs le jour et cuisiniers le soir. On peut indéniablement atteindre un très bon niveau dans sa passion. Il est simplement ridicule d'imaginer que l'on ne serait pas meilleur si l'on ne pouvait y consacrer plus de temps et d'énergie.
Traditionnellement une licence ou un grade obtenu fait l'objet d'un paiement. Si ce système recèle le risque de voir décerner des grades de complaisance en cas de temps difficiles, il est toutefois précieux. Car il permet à une école de faire vivre ses experts, et de leur donner des moyens de réaliser des projets. Au Kishinkaï l'école a ainsi pu investir dans la réalisation d'une application très utilisée par ses membres.
Shinsa ou shiken
L'emploi de termes japonais amène parfois à de stériles débats entre initiés obtus. Je n'ai ainsi aucune objection à ce que l'on utilise l'expression française "passage de grades", ou que l'en emploie les termes shinsa ou shiken. Je privilégie toutefois le terme shinsa, qui convie une notion d'évaluation plus large et subtile que shiken qui juge plus des "bonnes" ou "mauvaises" réponses.
Voici quelques articles sur le sujet des passages de grades :
"… Tamura senseï était 4ème dan lorsque j'ai commencé l'Aïkido et nous avons maintenant le même grade. Et c'est évident pour chacun, moi y compris, qu'il y a une grande différence entre lui et moi. À ce propos, Tamura senseï a été récemment promu 9ème dan mais il a humblement refusé. J'ai le sentiment que j'aurai dû refuser ma promotion au 8ème dan."
À lire ici.
"Toutes les spécificités de ces écoles sont niées dans un système qui veut juger sur le plus petit dénominateur commun que personne n'est capable d'énoncer ! Les plus grands maîtres que j'ai rencontrés, Tamura, Shimizu, Sasaki, Sunadomari, etc… se sont refusés ou ont été incapables de déterminer les limites de l'Aïkido.
Ça ne veut pas dire que tout est Aïkido, simplement que ses limites, comme celles de l'art, sont dans le regard du spectateur. Ce qui est de l'Aïkido pour l'un n'en est plus ou pas encore pour l'autre.
Alors au-delà du nombre de fédérations, je crois qu'il est important de prendre conscience que pour commencer les grades devraient être une question d'école, de gens qui partagent la même conception de la pratique et les mêmes formes comme c'est notamment le cas au Japon."
À lire ici.
"Relativisons", le regard de Christian Tissier sur les passages de grades
"… les progrès ne peuvent être connus que si l'on connaît le point de départ, les efforts que si l'on peut observer l'élève régulièrement. Toutes ces choses ne sont mesurables que par l'enseignant d'un élève, et ne sont donc pas prises en compte par les examens tels qu'ils ont lieu actuellement en France."
À lire ici.
"Son attitude, qu'il soit promu ou non, devrait rester discrète et humble. En cas d'échec, il attendra les explications des examinateurs ou de son enseignant avec calme et cherchera l'erreur chez lui avant de s'en prendre aux examinateurs.
Un échec peut avoir des conséquences plus positives qu'une promotion car il donne au pratiquant l'occasion de faire un travail important sur lui-même. C'est souvent sur son attitude lors d'un échec que le pratiquant sera jugé. Cette attitude donnera, aux examinateurs comme à l'enseignant, des indications précieuses pour la suite."
Pascal Krieger
À lire ici.
Kishinka¨Aïkido; dans, kyus et shikens
"La valeur d'un grade est une question d'appréciation personnelle. Elle est liée au respect que les personnes portent à l'école et à l'enseignant qui les a délivrés.
Attention, aucun grade, qu'il s'agisse de kyus ou de dans, ne peut être considéré comme une mesure objective permettant de se comparer à autrui."
À lire ici.
La valeur d'un dan; grades et arts martiaux traditionnels
"Pour pouvoir évaluer le cheminement d’un pratiquant il faut vouloir le connaître. Et c’est naturellement une tâche ardue. Mais un élève faisant l’effort de suivre notre enseignement, investissant temps, argent et énergie mérite à tout le moins d’être reconnu et considéré individuellement. Si l’on réalise ces efforts, c’est avec joie que les pratiquants viendront présenter leur travail, voir leur parcours reconnu, et recueillir des conseils pour continuer à avancer."
À lire ici.