Marche namba et appuis, réponse à un lecteur
Voici une réponse au commentaire d'un lecteur du blog:
"Bonjour Léo,
Dans l'interview, Sunadomari Kanshu senseï évoque la vitesse de déplacement d'Osensei, qui, dit-il, ne marchait pas en avançant les jambes comme tout un chacun mais en déplaçant les hanches.
Je le rapproche d'un sujet que l'on retrouve en filigrane dans plusieurs de vos posts et qui a chaque fois m'interpelle assez fortement : à savoir la manière de marcher, soit occidentale avec bras et jambe opposés avançant simultanément, soit "orientale" (japonaise ?) en Nanba aruki.
C'est le cas dans les interviews de Kono Yoshinori senseï, Kuroda senseï et me semble-t-il, également le cas de Kurozawa et Hino Akiro seneï lorsqu'ils montrent des frappes (en fait de tous les maîtres que vous avez la gentillesse de nous faire découvrir).
A écouter (à défaut de pratiquer) ces senseï on en déduit que le fait de ne pas vriller les hanches est un gage d'efficacité en terme de rapidité et de puissance.
En fait j'ai du mal à percevoir ou s'arrête les possibilités de ce type de déplacement. Si j'ai bien compris, initialement tous les japonais se déplaçaient de cette manière et sous l'influence des sports de masse tout le monde a fini par adopter le déplacement à "l'occidentale".
Pourtant, si c'est aussi efficace*, est-ce que l'on pourrait imaginer voir un athlète courir le 100m en Nanba aruki, voir que le commun des mortels se déplace de cette manière ou est-ce que cela n'a aucun sens en dehors d'une pratique purement martiale ?
* il est sans doute utile que je précise qu'il ne s'agit bien évidemment pas d'émettre le moindre doute sur la pratique de ces maîtres. C'est plus l'espoir d'avoir la perception un pratiquant avancé, qui plus est capable d'exprimer son expérience par des mots (ce qui n'est pas toujours le cas :+p )
Encore merci et bon week-end,
Marc Testé"
Ueshiba Moriheï, une marche sans vrille
Bonjour Marc,
La namba aruki, marche namba, désigne la marche supposée des japonais du passé. Il semble toutefois que d'autres peuples aient, par le passé, marché de la même façon, notamment des tribus d'indiens des plaines aux Etats-Unis.
Kono senseï utilise ce type de marche mais de façon peu marquée. Il évite surtout de vriller le rachis. Kuroda senseï dans la vie quotidienne marche, vu de l'extérieur, plus ou moins comme tout un chacun. Tout juste peut-on le trouver "raide" comme s'il marchait suspendu à un porte-manteau. C'est selon moi le résultat de l'utilisation du corps modifiée par les principes d'ukimi, corps flottant et de musoku no ho, méthode de l'absence de pieds ou appuis.
Kono Yoshinori qui fit connaître au grand public la Namba aruki
Je n'ai pas rencontré de maître nommé Kurozawa. Il s'agit sans doute d'Akuzawa senseï ou de Kanazawa senseï. Concernant le premier et d'après le peu que je connais de lui il vise à ne pas pousser dans le sol mais cela n'est pas la même chose que flotter. S'il s'agit de Kanazawa senseï je dirai qu'il a une marche que j'apprécie beaucoup, élégante, digne et vigilante, mais je ne connais pas les détails de l'utilisation du corps qu'il emploie et enseigne éventuellement.
Pour Hino senseï il insiste aussi sur le fait de ne pas pousser dans le sol mais il marche de façon anodine vu de l'extérieur et n'essaie pas de ne pas vriller.
Hino Akira intègre les mouvements de vrille dans sa pratique
Pour les frappes il y en a en effet beaucoup qui sont réalisées en ayant le bras et la jambe du même côté. Cela dit, pour ceux qui emploient le plus ce type de techniques, Akuzawa et Hino senseï, je les ai aussi vu frapper en gyaku tsuki, c'est à dire avec le bras et la jambe opposés.
Kuroda et Kono senseï évitent en effet en général de vriller, non pas les hanches, mais le rachis. Hino et Akuzawa senseï n'hésitent pas en revanche à le faire.
D'après ce que j'en comprends, éviter de vriller les hanches n'est pas tant fait dans l'objectif de gagner plus de rapidité physique ou de puissance, mais de rendre son mouvement moins perceptible et plus économe en énergie.
Kuroda Tetsuzan (photo Pierre Sivisay)
Eviter de vriller la colonne pour être moins perceptible (entre autres)
Il faut par ailleurs bien noter que la vrille du rachis et l'absence de poussée dans le sol ou le corps flottant sont des choses distinctes. Hino senseï a par exemple une marche très légère mais il n'essaie pas de ne pas vriller.
S'il semble en effet que les japonais se déplaçaient ainsi par le passé, ce ne sont pas les sports de masse mais la conscription obligatoire qui a été à mon avis, le principal artisan de la modification.
Je ne suis pas un spécialiste de la marche animale mais il me semble que selon la vitesse de leur déplacement certains mammifères modifient le mouvement de leurs pattes. Pour courir rapidement je pense qu'il est indéniable qu'il est préférable pour un homme d'avancer le bras et la jambe opposés. En revanche pour courir longtemps avancer le bras et la jambe du même côté semble être au moins aussi efficace. Ce type de déplacement n'a donc pas qu'un intérêt dans la pratique martiale.
Kuroda Yasuji pratiquant le Kenjutsu
Voici pour finir une liste d'articles évoquant la marche:
- La marche dans la pratique des Budo
- Ueshiba Moriheï au Kumano Hongu
- Interview Kono Yoshinori, bujutsuka sans concessions
- Kono Yoshinori en Europe, pourquoi ce stage est-il primordial?
- Ce que notre marche trahit et le fossé entre un maître et ses élèves
- Le chemin d'Arthur Boorman vers la réappropriation de son corps
Kono Yoshinori senseï