Budo, le courage d'étudier
Il y a un peu plus d'un an, j'ai évoqué la nécessité de "rester élève". Je concluais en disant :
"je crois qu'il est essentiel que chaque adepte qui n'a pas atteint la maîtrise continue, indépendamment des décennies de pratique et des grades et titres obtenus, à rester élève de façon régulière."
Enseigner à des 5, 6, 7 et 8ème dans
Le week-end dernier a eu lieu la Master Class d'Imagin'Arts. Cet événement organisé par Lionel Froidure a rassemblé durant deux jours 120 pratiquants européens venus découvrir ou approfondir leurs pratiques en Kali, Kyusho jutsu, Aïkido, Shotokan Karaté, Nihon Taïjutsu, Hapkido et Goju ryu Karaté. Parmi eux, travaillant en simples élèves, de nombreux hauts gradés de diverses disciplines.
Lors du cours que j'ai été invité à donner, j'ai ainsi eu l'occasion de partager avec divers adeptes détenteurs des 5, 6 ou 7ème dans de Karaté, Nihon Taïjutsu, Kyusho jutsu… Attentifs, avides d'étudier, ils ne bombaient pas le torse, et ne corrigeaient ni ne bloquaient qui que ce soit. En un mot, rien ne les différenciait des autres pratiquants, hormis qu'ils impressionnaient beaucoup des élèves.
La semaine précédente, c'est un maître de Karaté, 8ème dan, qui m'avait fait l'honneur de se déplacer pour suivre le stage du Mans. Je devrai plutôt dire un adepte de Budo car cet expert, enseignant et ancien membre d'unités d'interventions des forces de l'ordre, cumulait une vaste expérience et des grades dans de multiples disciplines. Il est notamment nidan d'Aïkido qu'il pratiqua avec… Abe Tadashi !
J'arrête ici cette espèce de "dan-dropping" pour en arriver au fait. Car si je suis touché de voir mon travail reconnu et intéresser des experts, en particulier dans d'autres disciplines, ce qui me frappe toujours est de constater que la très large majorité des hauts gradés en Aïkido préfère rester confinée dans le cadre confortable de sa pratique.
Une pratique sclérosée
La pratique de Ueshiba Moriheï s'est fait connaître grâce à son efficacité. Repéré notamment par les militaires avant-guerre, il a enseigné à de nombreux corps pour qui l'applicabilité martiale était une nécessité de premier ordre.
L'image d'Epinal qui fait de ses premiers élèves des experts d'autres disciplines est fausse. Combien de novices n'ayant pour toute expérience que les cours obligatoires de leur scolarité pour un Mochizuki, un Murashige ou un Shimizu ? Toutefois chacun avait à cœur de maîtriser l'Aïkido, et pouvoir en démontrer l'efficacité en cas de nécessité. Malgré les moyens limités de l'époque, ils étaient aussi avides d'enrichir leurs connaissances. Certains pratiquaient en parallèle le Iaïdo comme Tamura senseï, Karaté et Judo comme Nakazono senseï, la boxe anglaise comme Yamada senseï, Jodo, Judo, Karaté et Iaïdo comme Nishio senseï, etc.
Combien aujourd'hui parmi les professionnels ont un bagage élargi tels que Marc Bachraty avec le Goju ryu, Jaff Raji avec le Iaïdo et le Jodo, Philippe Grangé avec le Taiji, Bagua et Xingyi, ou Philippe Cocconi avec la boxe thaï, le Jujitsu, Iaïdo et Jodo ? Combien ont à défaut d'une pratique régulière d'autres disciplines, simplement saisis les occasions qui se présentaient à eux d'échanger, découvrir d'autres pratiques ? Comme le fit Ueshiba Moriheï…
Oh les "experts" restant confortablement dans leurs certitudes, cachés derrière un cadre confortable, ne sont en aucun cas l'apanage de l'Aïkido. Ils y sont simplement beaucoup plus nombreux. Sans aller jusqu'à se pencher sur une autre pratique, combien d'ailleurs continuent à être élèves ? Combien d'experts n'ayant jamais rencontré Tada Hiroshi, ont fait le déplacement pour aller découvrir son travail lors de ses récentes venues en France ? Marc Bachraty, encore lui, fut l'un des rares.
Un peu de thé maître ?
A l'époque de maître Ueshiba, les défis s'ils n'étaient pas monnaie courante, faisaient encore partie de la vie d'un dojo. Et les experts des premières générations furent les protagonistes de quelques incidents mémorables.
Il y a quelques années, un adepte d'arts martiaux chinois vint porter un défi au Hombu Dojo. Non pas un petit excité désireux de se faire un nom. Non, il s'agissait d'un expert de renom qui avait autant, sinon plus à perdre que la maison mère de l'Aïkikaï. Vaincu, sa réputation et son gagne pain auraient été réduits à néant. A l'inverse, le Hombu aurait pu simplement prétexter que l'expert maison vaincu n'était pas représentatif. Le défi fut révérencieusement décliné.
La réputation de l'adepte connu pour ses nombreuses altercations dans les quartiers chauds de la capitale nippone l'avait précédée. Il n'y avait simplement personne ayant le courage de lui faire face.
Cette histoire est malheureusement loin d'être la seule témoignant du déclin de l'Aïkido, et Mochizuki Hiroo senseï partageait avec moi sa tristesse à ce sujet il y a quelques jours. Oui l'Aïkido est bienveillance me disait-il, mais il ne s'agit que de l'une des facettes d'Osenseï. Et il regrettait que son efficacité martiale ait aujourd'hui disparue.
Le courage d'étudier
Oui, oui, oui, l'Aïkido a vocation à être plus qu'une technique de combat. Mais il doit être plus, pas autre. Et il faut pour cela avoir le courage de sortir de sa zone de confort.
Le monde est comme un océan en perpétuel mouvement. Le nier et détourner la tête en espérant qu'une vague ne nous atteigne pas n'y changera rien. Mais s'il est vain d'essayer de l'arrêter, l'Aïkido nous donne les outils pour apprendre à surfer ;-)
Notre devoir d'Aïkidokas est d'apprendre à interagir de la façon la plus harmonieuse avec tout et tous. Pour cela il faut commencer par avoir… le courage d'étudier.
Quelques articles qui complèteront cette piste de réflexion :
-Shimizu Kenji, le dernier disciple d'Osenseï
-Tamura Nobuyoshi, l'aigle de l'Aïkido
-Yamada Yoshimitsu, l'homme libre
-Marc Bachraty l'insaisissable
-Jaff Raji, un sempaï dont on parle
-Philippe Grangé, à la recherche de l'Aïki